La défense d’un « capitalisme de préférence nationale » au cœur du programme du RN pour 2022

Entreprises entravées par l’État et la pression fiscale, politique du laissez-faire et du ruissellement, attaques contre la démocratie sociale, les « assistés » et l’immigration, aider les entreprises françaises à tirer leurs épingles du jeu de la mondialisation financière… Les premières propositions de Marine Le Pen en matière de politiques économiques renouent avec les préceptes qui prévalaient historiquement au sein du Front National de son père : la défense d’un capitalisme « patriotique », contre les classes populaires.

Une main tendue au patronat pour 2022

Le 27 janvier 2022, à l’occasion d’une invitation d’Ethic (lobby patronal de 300 TPE/PME), la candidate du parti d’extrême-droite a présenté son projet économique devant une cinquantaine de chefs d’entreprise. Décrites comme « l’alpha et l’oméga du fonctionnement du pays », les entreprises sont présentées comme étant entravées par la « complexité actuelle » du rôle de l’État. Appelant de ses vœux une simplification du rôle de l’État dans l’économie, elle en appelle à un « cahier de doléances » des chefs d’entreprises afin de déterminer la juste place que l’État doit occuper dans le fonctionnement des entreprises. Sans attendre ce cahier de doléance, Marine Le Pen avance malgré tout sa conception du rôle de l’État : créer un environnement favorable aux entreprises. Le ton est donné.

La responsable politique prend le temps d’expliquer que l’administration ne doit pas avoir systématiquement « le rôle de policier qu’on lui aurait trop souvent confié ». Créer un environnement favorable aux entreprises passerait alors prioritairement par une baisse de la fiscalité des entreprises, une confiance aveugle accordée au patronat, le recul de la démocratie sociale et une lutte contre l’étranger au sens large.

La baisse de la fiscalité des entreprises au cœur du projet économique du RN

En matière de fiscalité des entreprises, les propositions faites par Marine Le Pen sont dans la droite ligne de celles menées depuis plusieurs décennies par les gouvernements successifs en France : de nouveaux cadeaux fiscaux aux entreprises, la politique du laissez-faire et le « ruissellement ». Rien de bien original.

La dirigeante du RN propose ainsi, pour favoriser la dé-métropolisation du territoire, la remise en place les primes d’aménagement du territoire (PAT), qui, rappelons-le, existaient jusqu’en 2020 sans aucun effet en matière de lutte contre la métropolisation de l’économie. Elle propose également la suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) pour les entreprises présentes dans les zones de relocalisation. Rappelons que la C3S ne s’applique pas aux « petites entreprises » mais à toutes celles dont le chiffre d’affaires dépasse les 19 millions d’euros, y compris donc les très grosses. Elle propose encore la suppression totale de la cotisation foncière pour toutes les entreprises (CFE, ex-taxe professionnelle).

Au-delà de l’effet d’aubaine que cela représenterait pour beaucoup d’entreprises, la suppression partielle de la C3S réduirait une des sources de financement de la Sécurité sociale dédiée à l’assurance maladie et vieillesse des travailleurs non salariés ; celle de la CFE réduirait d’autant les ressources, déjà bien diminuées, des collectivités locales. D’ailleurs, vouloir favoriser l’aménagement du territoire tout en ôtant des moyens aux acteurs centraux du territoire révèle une des nombreuses contradictions de son programme économique. Enfin, la candidate propose la suppression définitive des impôts sur les transmissions des entreprises.

Attaques contre la démocratie sociale

Face aux 50 chefs d’entreprises, la candidate affirme également qu’il ne faut pas « monter les salariés contre les entreprises », reprenant alors à son compte le mot d’ordre historique du MEDEF.

Historiquement hostile aux 35 heures, Marine Le Pen propose que le temps de travail soit déterminé par des négociations de branches. Plus de socle commun d’ordre public, c’est-à-dire de dispositions non sujettes à des négociations moins-disantes dans l’entreprise ou la branche, le temps de travail sera déterminé au cas par cas selon le secteur, l’entreprise et le rapport de forces syndical. Le parti d’extrême-droite compte ainsi ôter des protections aux salariés en s’attaquant au code du travail et en poursuivant l’inversion de la hiérarchie des normes entamée sous la présidence de Hollande et poursuivie sous celle de Macron.

Pour les salaires : même motif, même punition. Marine Le Pen réaffirme qu’elle ne souhaite pas d’augmentation du SMIC, justifiant ce choix par la volonté « qu’aucune mesure ne soit une contrainte pour les entreprises ». Si elle admet que les salaires dans certains secteurs sont actuellement bas, elle compte sur le bon vouloir des directions d’entreprises et, une fois encore, sur les incitations fiscales, pour les augmenter. Ainsi, la candidate propose un « contrat d’entreprise », assis sur une négociation avec les directions d’entreprises, qui garantirait aux entreprises acceptant d’augmenter de 10 % les salaires allant jusqu’à 3 fois le SMIC un gel des cotisations sociales patronales associées sur une période de 5 ans. Alors que le taux de marge brute des entreprises françaises n’a jamais été aussi élevé depuis 1949, le RN propose que ce soit la Sécurité sociale (donc l’ensemble des travailleurs) qui prenne en charge environ 30 % des hausses de salaires des entreprises privées ! Rappelons qu’en France le poids des cotisations sociales patronales dans le PIB n’a jamais été aussi bas qu’en 2020 (13 %), et qu’il est inférieur au poids du coût du capital (intérêts financiers + dividendes) depuis 1989.

Enfin, concernant les retraites, l’abaissement de l’âge de départ à 60 ans que propose Marine Le Pen ne fait pas consensus au sein du RN. Mais loin de se rapprocher de la position du PCF contrairement à ce que certains commentateurs affirment, il faudra 40 annuités pour pouvoir prétendre à une retraite à taux plein à 60 ans. L’âge moyen du premier emploi en France étant autour de 23 ans, le projet de Marine Le Pen impliquerait donc de pouvoir partir à la retraite à taux plein à 63 ans en moyenne. Fabien Roussel propose le départ à 60 ans avec une pension à taux plein pour une carrière complète, allant de 18 à 60 ans, avec prise en charge des cotisations pour les périodes de non-travail (chômage, formation, études, congé parental, maladie, invalidité).

Précarité pour les étudiants et jeunes travailleurs, cadeaux fiscaux pour les jeunes patrons

Alors que la jeunesse témoigne de l’état d’une société et que la qualité de sa formation, fondamentale pour la vitalité d’un pays et d’une économie, devrait être placée au cœur des préoccupations politiques, le programme du RN en matière d’apprentissage poursuit ce qui se fait depuis toujours : permettre aux entreprises de se fournir en main-d’œuvre flexible et bon marché.

Ainsi, la revalorisation mensuelle des contrats d’apprentissage et d’alternance proposée par le RN ne permettrait pas de sortir de la précarité les titulaires de ces contrats : la rémunération d’un jeune de 17 ans en contrat d’apprentissage en première année demeurerait inférieure à la moitié du SMIC (42 %). Dans le même temps, l’embauche de ce type de contrats s’accompagnerait d’un nouveau crédit d’impôt pour les entreprises. C’est une véritable subvention à la précarité salariale des jeunes en formation initiale que propose le RN.  

Alors que l’enjeu autour des étudiants est de leur permettre de se consacrer pleinement à leurs études et de se libérer temporairement des nécessités du marché du travail, ce que permettrait la proposition du PCF de créer un revenu étudiant de 850 euros par mois au minimum, la proposition faite par Marine Le Pen consiste à verser aux étudiants qui travaillent déjà une prime de 20 % du salaire net avec un plafond de 200 euros (30 % avec un plafond de 300 euros pour les étudiants boursiers), bien loin de ce à quoi appelle l’état de précarité actuel des étudiants.

Enfin, Marine Le Pen souhaite « davantage de jeunes entrepreneurs », rappelant ainsi les propres tenus en 2015 par Emmanuel Macron encore ministre de l’Économie, et propose l’exonération pendant 5 ans des impôts sur les sociétés pour les entreprises créées par des personnes de moins de 30 ans. Par ailleurs, pour cette dernière catégorie de la population, le RN souhaite une exonération totale des impôts sur le revenu prétendant ainsi lutter contre le sous-emploi des moins de 30 ans. Dans l’esprit du RN, la fiscalité constituerait donc la principale entrave à l’activité des jeunes, et non les difficultés du marché de l’emploi, les problèmes d’accès à des formations de qualité sur l’ensemble du territoire, ou encore les contrats précaires (CDD, intérim, temps partiel…) et ubérisés comme horizon indépassable pour un jeune travailleur.

Baisser les dépenses publiques en chassant les immigrés et les « assistés »

Pour l’élection de 2017, le programme du RN faisant comme proposition de « remettre de l’ordre dans nos finances publiques ». Sur ce point, il ne semble pas y avoir eu d’évolutions pour 2022. Marine Le Pen accorde une attention centrale à la réduction des déficits et de la dette publique. Dans un article de L’Opinion de février 2021 la candidate déclarait : « oui, une dette doit être remboursée. Il y a là un aspect moral essentiel ».

Pour la candidate à l’élection, baisser les dépenses publiques passe prioritairement par deux choses. Premièrement, par la lutte contre la fraude sociale et fiscale. Celle qui demandait l’ouverture d’une enquête pour évaluer le montant des « fraudes aux prestations sociales » en 2019, l’évalue désormais, dans un récent article du Monde, à « plusieurs dizaines de milliards d’euros », qu’elle prétend récupérer en créant un ministère ad hoc si elle est élue présidente. Deuxièmement, par la réduction des « coûts de l’immigration ». Dans son programme de 2022, le parti d’extrême-droite met en avant plusieurs mesures visant à réduire les droits des immigrés, dont la suppression de l’aide médicale d’État (AME), la mise en place d’une carte vitale biométrique pour lutter contre la fraude, l’expulsion des étrangers n’ayant pas travaillé pendant un an, la réservation des allocations familiales exclusivement aux « Français », la soumission du versement du RSA à un délai de carence de cinq ans d’activité à taux plein pour les étrangers. Ces mesures permettraient de réaliser 16,1 milliards d’euros d’économie par an selon la patronne du RN, soit deux fois le montant de recettes publiques que représentait la seule contribution foncière des entreprises en 2020 et que la candidate souhaite supprimer. 

Un capitalisme « patriotique » français et bientôt européen

Derrière sa volonté de s’afficher comme un parti populaire et subversif, le projet économique du RN s’inscrit donc parfaitement dans une défense des principes mêmes du capitalisme et du libéralisme en tant qu’idéologie niant l’existence d’un clivage de classe traversant la société. Dans l’esprit du RN, le chômage, les plans de licenciements, les délocalisations, les fermetures d’usines… ne sont pas liés aux décisions du patronat français dictées par les logiques fondamentales du capitalisme, mais à l’Union Européenne, aux pays à bas coûts, aux travailleurs immigrés, sans oublier les « assistés » et les syndicalistes. Le rôle de l’État est donc de pallier ces freins à la compétitivité des entreprises françaises par la baisse des impôts, la lutte contre l’immigration et la démocratie sociale, et par la défense d’un capitalisme patriotique permettant à la France de tirer son épingle du jeu de la mondialisation financière.

Sur le plan international, la présidente du RN indique vouloir préserver l’environnement concurrentiel des entreprises en agissant pour une « géopolitique des intérêts français » permettant de « trouver des alliés, c’est-à-dire des pays qui nous serviront en priorité ». Loin de remettre en cause la compétition internationale coupe-gorge dans laquelle les travailleurs sont plongés par le capitalisme financiarisé, le projet du parti d’extrême droite est bien de l’intensifier.

Sur le plan européen, Marine Le Pen affiche la volonté d’exploiter les ressources institutionnelles et économiques au profit de la France en priorité. Le temps d’après pourra être consacré à les exploiter au profit d’une Europe nouvelle puisant son fondement sur ses « racines chrétiennes ». Le nationalisme du RN est dorénavant en voie d’élargissement à l’Europe. Aussi, lorsque que le RN parle de la réindustrialisation nécessaire de l’Europe, Julien Odoul, conseiller régional RN de Bourgogne – Franche-Comté, n’oublie pas de préciser que cela s’appuiera sur des deux axes : 1/ « une préférence au profit des Français en matière de prestations sociales et de formation » et 2/ d’éviter « la submersion de l’Europe d’ici 2050 » en luttant contre l’immigration, à travers la refonte de Frontex et de l’espace Schengen « devenu une passoire ». Au RN, on fait valoir qu’une fois élue, Marine Le Pen disposera « d’alliés puissants » en Europe, à l’image des gouvernements polonais et hongrois.