Yves DIMICOLI
L’analyse qui suit fait partie d’un ensemble de dix notes consacrées à l’économie chinoise, son développement, ses contradictions.
Cette note vise à présenter quelques éléments clés de la conjoncture économique de la Chine. Il s’agit, d’abord, d’analyser celle qui tendait à prévaloir avant que le gouvernement ne décide d’un « plan de relance », fin septembre 2024. Elle témoigne de difficultés et contradictions réelles. Ensuite, sera abordée la façon dont s’esquisse la conjoncture chinoise après les mesures gouvernementales de septembre, sans préjuger de la suite.
Tendances de la conjoncture avant le « plan de relance »
L’économie chinoise a progressé au taux annualisé de 5,3 % au premier trimestre 2024, après une année 2023 stimulée par la sortie des restrictions du « zéro covid ». Mais au T2, la croissance du PIB est tombée à 4,7 % et a continué de freiner au T3 (4,6 %).
Dans l’industrie manufacturière, la production n’a crû que de 4,8 % (g.a.) en juillet – août contre 6 %[1] du fait de la contraction des industries lourdes (acier, ciment…). L’activité dans les services a cru de 4,7 %(g.a.) en août contre 4,9 % sur les huit premiers mois de l’année.
La demande intérieure chinoise a d’autant plus fléchi avec les confinements du « zéro Covid» en 2022 qui a fait tomber son taux de croissance à 2,8 % contre 6,8 % en 2021. Mais son rebond en 2023 n’a été que de 6,2 %[2], inférieur aux attentes et au taux enregistré deux ans plus tôt . Elle est restée déprimée depuis. La consommation des ménages et l’investissement privé sont restés médiocres et la crise du secteur immobilier s’est poursuivie.
Taux de croissance trimestriel du PIB du T3 – 2021 au T3 – 2024
Source: statista.com
Du fait de l’insuffisance de la demande intérieure et de la contraction des débouchés à l’exportation les surcapacités de production industrielle en font baisser le taux d’utilisation[3].
La surproduction chinoise a commencé à se déverser d’autant plus sur les marchés mondiaux.
Taux d’utilisation des capacités industrielles
Source : Trading Economic
Déflation rampante
Aussi, depuis 24 mois consécutifs, la Chine est-elle en butte à une déflation desprix de production. En septembre, ils ont à nouveau baissé de 2,8 % (en glissement annuel.), soit leur plus forte contraction depuis mars 2024. Sur les huit premiers mois de 2024, ils ont diminué de 2 %[4]. Cela est vrai aussi pour le prix d’exportation, ce qui fait que les pays clients de la Chine importent de la déflation.
En septembre dernier, l’indice des prix à la consommation (IPC) a augmenté de 0,4 % (contre +0,6 % en août) alors que les prix de l’alimentation ont augmenté de 3,3 %. On constate en revanche la baisse du prix des véhicules (-5,3 %) et des équipements ménagers (-2 %). L’inflation sous-jacente (hors prix alimentaires et de l’énergie) s’élève à 0,1 % (g.a.) après 0,3 % en août. L’indice des prix à la production (IPP) diminue en septembre à -2,8 % (g.a.) contre -1,8 % en août. Il est négatif pour le 24ième mois consécutif.
Indicateurs d’inflation – déflation
Source : « Brèves Economiques : Chine & Mongolie », DGT (SER de Pékin)
semaine du 14/10/2024.
Par contre, les prix à l’importation se sont remis à augmenter depuis août 2023 pour se situer à l’indice 101,4 un an plus tard, suscitant une tendance à la détérioration de la compétitivité.
Prix des exportations (points)
Source : tradingeconomics.com .
Termes de l’échange
Source : Ibid.
Sur les 9 premiers mois de l’année en cours, les entreprises d’État ont réalisé un bénéfice en baisse de 6,5 % (g.a). Les sociétés par actions ont vu le leur baisser de 4,9 %. Quant aux sociétés financées par des investisseurs étrangers et des investisseurs de Hong Kong, de Macao et de Taiwan, elles ont réalisé un bénéfice total en augmentation de 1,5 %. Enfin, les entreprises privées ont enregistré un bénéfice total en baisse de 0,6 %. (chiffres BNS). L’industrie manufacturière a réalisé un bénéfice total de 3 732,50 milliards de yuans, soit une baisse de 3,8 %.
Croissance mensuelle des revenus de l’entreprise et des bénéfices totaux ( %)
Chômage des jeunes
Au total, 6,98 millions de nouveaux emplois urbains ont été créés au cours du premier semestre de l’année, selon des données officielles publiées en juillet. La Chine s’est fixé pour objectif de créer plus de 12 millions de nouveaux emplois urbains en 2024 et vise à maintenir le taux de chômage urbain à environ 5,5 % cette année.
Le taux de chômage officiel (taux de chômage urbain) s’est établi à 5,3 % en août dernier, au plus haut depuis février. C’est, cependant, bien inférieur aux pics d’avril et novembre 2022 (6,1 % et 5,7 % respectivement ).
Taux de chômage urbain août 2023-2024 ( %)
Source : tradingeconomics.com .
En revanche, le taux de chômage des jeunes de 16 à 24 ans[5] a atteint officiellement 18,8 % en août (17,1 % en juillet), niveau le plus élevé depuis janvier, avec l’arrivée de 11,8 millions d’étudiants fraichement diplômés sur le marché du travail. Ce taux a cessé d’être publié le 15 août 2023 pour exclure les étudiants de son calcul. En juin 2023, il s’affichait officiellement à 21,3 %, étudiants inclus donc.
Taux de chômage urbain mensuel des 15-24 ans
( 09/2021 à 09/2024)
Crise immobilière et défiance des ménages
La consommation et la confiance des ménages restent d’autant plus déprimées que les revenus autres que ceux du capital progressent peu et que perdure la grave crise de l’immobilier commencée en 2021.
Les mesures de soutien prises au printemps dernier n’ont pas permis de relancer la demande de logements, les surfaces vendues chutent (-18 % en g.a. de janvier à août 2024). L’investissement immobilier a reculé de 5,7 % d’une année sur l’autre en août et les prix des logements ont baissé, en moyenne, au rythme le plus élevé depuis 2015.
Cela impacte les ménages urbains dont le patrimoine est constitué à 70 % d’actifs immobiliers pour lesquels ils se sont beaucoup endettés. Du fait d’un effet de richesse négatif, leur taux d’épargne reste très élevé[6] (30 % du revenu disponible) et leur consommation piétine. Les gouvernements locaux sont eux aussi pénalisés.
Ventes au détail et confiance des ménages ( %)
( 100 = 1997)
Source : www.caixabankresearch.com (16/07/2024)
Indicateurs du secteur immobilier
(100 = 12/2019 )
Source : Ibid.
Tensions financières croissantes
Face à l’inflation engendrée par la désorganisation des chaines d’approvisionnement mondiales pendant la pandémie de la covid-19, la Réserve fédérale des États-Unis (Fed), avait relevé fortement ses taux d’intérêt. Il s’agissait d’accentuer l’attraction des capitaux flottants par les centres financiers étatsuniens, booster le pompage d’investissements directs (IDE) et de portefeuille (IP) étrangers. Cette contre-offensive américaine pour consolider l’imperium du dollar visait aussi à briser l’attractivité de la Chine.
En effet, traditionnellement, quand les entreprises chinoises cherchaient un financement à l’étranger, elles y empruntaient en dollar auprès des banques ou sur les marchés, les taux d’intérêt du dollar étant inférieurs à ceux du Yuan (RMB). Depuis 2021, la Banque centrale chinoise (BPC) suivait une politique de taux accommodante pour soutenir son économie mise à l’épreuve par la politique « zéro covid » [7].
Les onze hausses consécutives des taux de la Fed, pour soutenir l’économie US en récession, puis enrayer l’inflation au risque de retourner l’emploi, les ont portés de 0 % à 5,25 % entre mai 2022 et juillet 2023.
Depuis cette date, on a assisté à une réversion historique des taux directeurs entre la Chine et les Etats-Unis du fait de la désynchronisation de leur politique monétaire, la BPC ayant abaissé ses taux tandis que la Fed augmentait les siens.
Cela a mis sous pression les conditions de crédit en Chine, alors que la demande intérieure demeurait médiocre et qu’un sous-emploi plus important menaçait, tandis qu’augmentait le coût des importations de matières premières et de composants facturés en dollars.
Le financement obligataire et par actions a ralenti dans un contexte de baisse prolongée des cours des actions depuis 2021. Les taux d’intérêt nominaux et les rendements des obligations d’entreprises ont baissé depuis, mais les taux réels (taux d’inflation déduit) sont restés élevés, du fait de la baisse de l’inflation. Des tensions sont réapparues sur le marché boursier début 2024.
Cela a obligé Pékin à intervenir, notamment via des achats directs par des institutions financières liées à l’État, et une surveillance accrue des activités de trading et de vente à découvert.
La courbe des rendements[8] a tendu à s’aplatir, alors qu’en temps normal, les taux de rendements des obligations à long terme sont plus élevés que les taux courts. Ce phénomène a été généralement compris par les investisseurs comme annonçant un ralentissement économique, ce qui les a incités à se retirer ou se détourner d’autant plus de Chine que son environnement international était rendu de plus en plus hostile par Washington.
Courbe des rendements avant l’annonce du plan de relance
On a pu dire du système bancaire et financier chinois actuel qu’il souffre d’une « indigestion d’actifs risqués »[9]. Les grandes banques publiques auraient, en effet, accumulé quelque 460 milliards de dollars de prêts non performants.
Si l’on y ajoute les 670 milliards de dollars des prêts dits « à mention spéciale » (crédits aux promoteurs immobiliers en difficulté et aux collectivités locales à court de liquidité), on approcherait 4 % du total des prêts qu’elles ont accordés[10].
C’est significatif, mais le risque d’une panique bancaire est exclu. Les « Big Four »[11] sont détenues par l’État central et sont beaucoup trop grosses pour faire faillite. Cela entraînerait d’ailleurs une crise planétaire tant, désormais, le système bancaire et financier chinois est impliqué dans les chaines d’approvisionnement mondiales.
Par ailleurs cela pourrait susciter une brutale mise sur le marché de bons du trésor des Etats-Unis (T-bonds) en lesquels sont placées les réserves de change chinoises, ce qui entrainerait une très grave crise du dollar.
La principale préoccupation réside cependant dans le stock de crédits accordés aux acteurs du secteur immobilier, en particulier les LGFV dont le total, en 2023, dépassait 8500 milliards de dollars[12].
Le régulateur chinois surveille de près leur situation après leur avoir interdit, l’an dernier, d’émettre des obligations offshore de 364 jours[13] qui leur avaient permis d’augmenter à nouveau leur dette.
Le financement agrégé de l’économie réelle (AFRE) en septembre 2024 s’est élevé en stock à 402 billions de RMB (+8,0 % g.a.) mais sa croissance a ralenti par rapport à celle de septembre 2023 (+9,3 % g.a. en).
Dans le détail, les prêts et crédits en RMB ralentissent à respectivement +7,8 % et +7,1 % en g.a. (contre +11,3 % et +10,2 % en g.a. en septembre 2023). Le financement net des obligations d’État a, quant à lui, connu une augmentation significative de 16,9 % (g.a.). En parallèle, l’agrégat monétaire M2 a augmenté de 6,8 % en g.a. dont près de 11,5 % pour la base monétaire (M0).
Croissance des encours de financement à l’économie ( %, en g.a.)
Source : Direction Générale du Trésor (SER de Pékin) op.cit.
Au total, on peut penser que les dirigeants chinois devaient surveiller très attentivement la conjoncture économique et financière mondiale, celle des États-Unis particulièrement, pour pouvoir saisir l’opportunité, si elle se présentait, de sortir de cette situation tendue.
Un excédent courant objet de guerre commerciale
Il a augmenté entre 2019 et 2022, atteignant un sommet historique de 239,47 milliards de dollars (2,24 % du PIB)[14] cette année-là. Cependant, à 94,1milliards de dollars seulement au 1er semestre 2024, il diminue de 30,8 % par rapport à celui du S1 2023 (136 milliards de dollars)[15].
Affirmant que cet excédent serait dû, essentiellement, au subventionnement public de l’industrie pour conquérir des parts de marché mondial, Washington a engagé une guerre commerciale contre l’Empire du Milieu.
Pourtant, dans un récent rapport du FMI, on peut lire : « On craint de plus en plus que les excédents extérieurs de la Chine ne résultent de mesures de politique industrielle visant à stimuler les exportations et à soutenir la croissance économique dans un contexte de faible demande intérieure (…) Les équilibres extérieurs sont en fin de compte déterminés par les fondamentaux macroéconomiques, tandis que le lien avec le commerce et la politique industrielle est plus ténu »[16].
Pour le FMI, si la Chine présente une balance commerciale à ce point excédentaire, c’est avant tout du fait de la faiblesse de sa demande intérieure, qui réduit les importations. Mais cela, ajoute-t-il, tient aussi à la demande internationale qui reste forte, notamment aux Etats-Unis du fait d’une vive reprise en sortie de pandémie et le maintien, jusqu’ici, d’une conjoncture plus favorable qu’ailleurs grâce, en particulier, aux privilèges du dollar (ce que ne dit pas le FMI bien sûr).
Compte courant de la Chine
Source: Trading Economics.
D’où la poussée des exportations chinoises. Par ailleurs, note le FMI, au-delà de la Chine, de nombreux pays, États-Unis en tête, intensifient le recours à des politiques industrielles de plus en plus protectionniste et belliciste comme l’a à nouveau montré l’«Inflation Reduction Act » porté par l’administration Biden dont les Européens, eux-mêmes, avaient dénoncé le caractère agressif.
Washington anathématise les excédents commerciaux de la Chine et a engagé une rude guerre commerciale contre elle en poussant les pays « alliés » à se ranger derrière leur bannière pour « découpler » l’économie chinoise de celle des grands pays occidentaux.
Certes, il est question de « réindustrialiser » les Etats-Unis qui furent durement éprouvés par la migration de leurs multinationales, mais il s’agit de le faire en empêchant le rival attitré de progresser dans des secteurs-clé de la révolution informationnelle.
Une politique très protectionniste et une stratégie dite d’atténuation des risques (de-risking)[17] ont été mises en œuvre pour, prétendument, faire diminuer le déficit commercial bilatéral[18].
Le Peterson Institute for International Economics (PIIE) a montré que, de 2017 à 2021, le produit des droits de douane sur les importations en provenance de Chine est passé de 34 à 70 milliards de dollars. Mais, sous Biden, « il oscille de 80 à 100 milliards de dollars »[19].
Rappelons qu’en août 2022 l’administration Biden avait adopté l’U.S. Chips and Science Act, qui promettait de stimuler la production nationale de puces à semi-conducteurs aux États-Unis, tout en prétendant contrecarrer la domination de la Chine dans ce secteur.
En outre, furent introduits en octobre 2022 des contrôles à l’exportation radicaux visant à interdire l’accès de la Chine à certaines puces à semi-conducteurs et à certains équipements de fabrication de microcomposants. Le mois suivant, la Federal Communication Commission (FCC) des États-Unis a décidé d’interdire l’importation ou la vente de certains produits technologiques en provenance de Chine qui présenteraient « des risques pour la sécurité des infrastructures critiques américaines ».
L’administration Biden, avant de se faire sèchement remercier par les électeurs, avait décidé d’accentuer la pression : le 27 septembre dernier, ces droits ont été augmentés pour les véhicules électriques (+100 %), les batteries au lithium (+25 %), les cellules photovoltaïques (+50 %), l’acier et l’aluminium (+25 %). En 2025 ce sera le tour des semi-conducteurs (+50 %) puis, en 2026, du graphite si recherché pour sa conductivité électrique[20].
Pour preuve de la réussite de leur stratégie de « découplage », les dirigeants étatsuniens évoquent la tendance au recul des importations en provenance de Chine.
Et, de fait, la part de marché chinoise aux Etats-Unis est passée de 22 % en 2017 à 16 % en avril 2024[21].
En 2023, pour la première fois en vingt ans, les USA ont acheté plus de produits au Mexique qu’à la Chine, celle-ci ayant enregistré un excédent bilatéral de 427,2 milliards de dollars, en recul de 20 % sur l’année précédente, contre 475,6 milliards de dollars pour le premier.
Mais, d’une part, cette nouvelle dynamique ne s’est nullement accompagnée d’une relance des États les plus industrialisé où Biden a été fortement sanctionné lors de la récente élection présidentielle[22].
D’autre part, une partie de l’excédent commercial chinois avec les États-Unis s’est déplacé vers des pays tels que ceux de l’ASEAN, le Mexique et l’Inde, toutes des destinations « Chine plus un ».
Excédent commercial manufacturier chinois par région Excédent commercial manufacturier chinois en % milliards dollars (4èmes trimestres) du PIB du pays importateur
Source : Boullenois C. et C.A. Jordan : « How China’s overcapacity holds back emerging economies”, 18/06/2024
(rhg.com).
Trump a promis récemment d’introduire des droits de douane de 25 % sur les marchandises en provenance du Mexique, justement, mais aussi du Canada et de 10 % supplémentaires sur les marchandises en provenance de Chine.
Selon l’économiste américain Stephen S. Roach, « la litanie des allégations américaines est une manifestation de craintes non éprouvées enveloppées dans le manteau impénétrable de la sécurité nationale »[23]. Il a condamné « la solution bilatérale supposée» de hausse des droits de douanes américains sur la Chine en soulignant qu’elle « a simplement détourné le déficit commercial américain » vers les pays comme le Mexique.
Les pays membres de l’UE ont décidé, non sans hésitations, de s’inscrire dans cette foulée protectionniste, notamment pour ce qui concerne le secteur automobile[24]. En plus de la taxe standard de 10 % sur les véhicules automobiles importés dans l’UE, des surtaxes seront mises en place, allant de 7,8 % sur les véhicules électriques de Tesla importés de Shanghai, à 17 % et 18 % pour les groupes chinois Byd et Geely respectivement et même 35,3 % pour leur confrère SAIC et, cela, pour cinq ans.
L’Allemagne, Malte, la Hongrie, la Slovaquie et la Slovénie s’y sont opposées. Pékin a saisi l’OMC et lancé des enquêtes anti-dumping visant le porc, les produits laitiers et les eaux de vie à base de vin importées d’Europe, dont le cognac.
Face au protectionnisme européen, des entreprises chinoises s’implantent sur le Vieux continent et nouent des alliances avec des entreprises autochtones. L’exemple de la construction automobile est l’un des plus frappants.
La société Byd, leader mondial des véhicules électriques, a lancé une usine de production en Hongrie. Leapmotor a implanté une usine de petites voitures en Pologne.
Le groupe français Stellantis a déboursé 1,5 milliards d’euros pour acquérir 21 % du capital du même Leapmotor avec constitution d’une filiale commune, Leapmotor International. Celui-ci pourra ainsi promouvoir ses marques sur le marché intérieur européen, tandis que Stellantis accèdera à la technologie du chinois et n’aura pas à créer sa propre architecture de logiciels. Le groupe Renault, quant à lui, s’est allié avec la firme chinoise Geely, propriétaire de Volvo et actionnaire minoritaire de Mercédès, au sein de sa filiale Horse[25].
L’exacerbation du débat sur le déficit commercial imposé par la Chine aux Etats-Unis permet de passer sous silence la question du déficit imposé par ces derniers à l’empire du Milieu dans les échanges de services, dont F. Boccara a montré le contenu en domination.
Balance des échanges de services de la Chine (T1.2016 – T2.2024)
(milliards de dollars)
Source : “End of the line: The cost of faltering reforms”, China Pathfinder Annual
Scorecard, 10/2024.
En fait, c’est la balance du total des échanges de services de la Chine qui est structurellement déficitaire et, après un ralentissement du à la pandémie covid-19 et au confinement dans les pays avancés, la tendance s’est à nouveau accentuée.
Les Etats-Unis sont à l’origine d’une part notable et à nouveau croissante de ce déficit, alors que leurs importations de services chinois tendent à diminuer.
Les échanges de services USA – Chine (2001 – 2023)
Source : “U.S. – China Trade relations”, Congressional Research Service, 08/2024
(Crsreports.congresws.gov).
Flux d’investissements entrants et sortants
En 2023, les investissements directs (IDE) chinois à l’étranger avaient atteint 117,29 milliards de dollars, soit 11,4 % du total mondial. De janvier à août 2024, Ils ont accéléré dans les secteurs non financiers, augmentant de 12,4 % (g.a.) par rapport à la même période de 2023, pour atteindre 94,09 milliards de dollars[26].
Par ailleurs, Pékin poursuit la mise en œuvre du vaste chantier dit « Nouvelle route de la soie » (Belt and road initiative ou BRI), entrepris en 2013. Sur les huit premiers mois de l’année en cours, les investissements directs d’entreprises chinoises dans les pays partenaires de ce projet ont atteint 20,51 milliards de dollars en croissance de 2,2 % par rapport à la même période de 2023[27].
Enfin, jouant un rôle moteur au sein des BRICS et de l’Asean, la Chine diversifie ses débouchés. Depuis 2022, les échanges commerciaux avec la Russie et des pays dits du « Sud global » ont été développés.
L’évolution des flux entrants et sortants d’IDE et d’investissements de portefeuille retiennent particulièrement l’attention, leur solde déficitaire tendant à s’accroitre.
Inversion de tendance des flux d’IDE[28]
En 2020, la Chine est la seule grande économie à afficher une croissance positive de son PIB (2,3 % en g.a.), les pays riches étant paralysés par la pandémie covid-19. Les flux d’entrées d’IDE ont bondi à 189,3 milliards de dollars contre 180,2 milliards de dollars en 2019 (+13,4 %). Cette performance plaça la Chine au 1er rang mondial devant les Etats-Unis dans ce domaine.
En revanche, les IDE sortants ont diminué de 19,7 % (109,9 milliards de dollars après 136,9 milliards en 2019) en raison de la pandémie dans les pays-cibles de la Chine tels que l’Amérique latine, l’Europe et les pays membres de l’ASEAN.
La situation s’inverse en 2023. C’est, au plan interne, le résultat d’un durcissement par Pékin de la réglementation des IDE dans des secteurs clés et de perspectives défavorables pour la croissance après trois années de politique « zéro covid ». Mais c’est aussi, à l’international, le résultat de stratégies de « de-risking » poussant à la délocalisation de chaines d’approvisionnement hors de Chine et à l’intensification des tensions géopolitiques.
Les entrées d’IDE, qui n’avaient pas cessé de progresser de 2018 à 2022, passant de138,31 à 189,13 milliards de dollars, ont chuté à 163,25 milliards de dollars l’an dernier (-13,8 %)[29]. Ce mouvement s’est accentué entre janvier et août 2024, les IDE en Chine ayant diminué brutalement avec une baisse encore plus forte que celle enregistrée au cours des sept mois précédents.
Simultanément, Les IDE sortants se sont accélérés du fait, aussi, de l’expansion ders multinationales à l’étranger. Le solde net s’est effondré.
Aussi, le solde net des flux entrants et sortants d’IDE s’est-il singulièrement dégradé.
Cependant, le Bulletin statistique des IDE en Chine (BSIC) 2024[30] signale que les neuf premiers mois de 2024 indiqueraient, tout de même, des signes de reprise, la Chine ayant attiré 640,6 milliards de RMB (90,26 milliards de dollars) d’investissements étrangers, principalement dans les fabrication de haute technologie, l’équipement médical et les services techniques professionnels.
Entrées nettes d’ IDE en Chine (08/2023 -08/2024)
(milliards dollars)
Source : Trading Economics.
Les IDE nets en pourcentage du PIB ont suivi une tendance à la baisse depuis les pics de l’après-crise de 2008. Cela est principalement dû au ralentissement des IDE entrants, une tendance qui s’est accélérée en 2022-23, tandis que les IDE sortants sont restés stable en pourcentage du PIB.
Plusieurs grandes économies asiatiques ont connu une forte baisse des IDE entrants en 2022-23, mais la Chine a connu la plus forte, les entrées d’IDE atteignant des niveaux historiquement bas (en pourcentage du PIB).
IDE nets en % du PIB (T1 2000 – T1 2024)
Source : « Investissements directs étrangers de la Chine : entrants et sortants »,
IMF eLIBRARY, 30/08/2024 (www.elibrary.imf.org).
En ce qui concerne les sources d’IDE, le BSIC souligne que les pays asiatiques ont représenté 76,8 % des entreprises à participation étrangère nouvellement créées et 81,3 % du montant total des investissements réels réalisés.
Selon des données récentes du ministère chinois du Commerce (MOFCOM), si les entrées d’IDE ont sensiblement freiné au 1er semestre 2024, celles en provenance d’Allemagne et de Singapour en Chine auraient, en revanche, augmenté de 18,1 % et 10,5 %, respectivement[31].
En particulier, les IDE provenant d’Allemagne auraient atteint 7,3 milliards d’euros (8,15 milliards de dollars), dépassant les investissements totaux de l’ensemble de l’année 2023.
En grande partie, cette augmentation spectaculaire, particulièrement forte au deuxième trimestre[32], est due aux constructeurs automobiles, lesquels, loin d’opter pour une stratégie « Chine plus un », étendent au contraire leur présence en Chine et réinvestissent leurs bénéfices dans les secteurs des véhicules électriques (VE) et des technologies informationnelles.
Résistance des investissements de portefeuille (I.P.)[33] :
Le marché d’actions chinois a été attractif durant la période de confinement et, du fait des politiques monétaires très expansives dans les pays riches en réponse au choc pandémique. Le différentiel de taux d’intérêt entre la Chine et les économies du G-7 a atteint un niveau historiquement élevé, renforçant l’attractivité financière des places chinoises.
Ainsi, les placements d’entités étrangères en valeurs mobilières chinoises ont atteint 87,3 milliards de dollars en 2020 (+57,9 % par rapport à 2019). Cependant les sorties au titre des « devises et dépôts » et des « prêts étrangers » ont atteint, respectivement 53 milliards et 163,6 milliards de dollars, impactant négativement la balance des capitaux du pays.
Les entrées nettes d’investissements de portefeuille étrangers en Chine ont atteint un excédent historique de 99,446 milliards de dollars en décembre 2020. La situation s’est retournée en 2022 jusqu’à des sorties nettes record de -38,202 milliards en septembre 2022.
Elle est restée encore dominée par des sorties nettes en 2023, puis s’est à nouveau inversée fortement au quatrième trimestre 2023 avec des entrées nettes de 45, 812 milliards de dollars. Le solde net a fléchi au 1er trimestre 2024, mais il est resté fortement positif (32,214 milliards), puis il a réaccélérer au trimestre suivant ( 36,903 milliards).
Solde net trimestriel des flux d’IP en Chine (millions de dollars)
201629
Source : www.ceicdata.com .
Au total, les comptes de capital et financier de la balance des paiements chinoise ont affiché un déficit de 129,3 milliards de dollars au premier semestre 2024.
Aperçu résumé de la balance des paiements de la Chine
Une politique budgétaire sous tension
Dans ce contexte, les choix politiques concernant l’évolution et la gestion des finances publiques de la Chine s’avéraient assez complexes.
Ils sont, au demeurant, difficiles à déchiffrer, d’autant que s’ajoutent au budget général des engagements hors bilan, dont l’endettement des gouvernements locaux signalé par ailleurs. De plus, les lois nationales en matière budgétaire se contentaient, jusqu’ici, d’énoncer des principes déclinés ensuite localement avec une grande marge de manœuvre laissée aux gouvernements et fonctionnaires locaux[34] .
Officiellement, le déficit budgétaire initialement prévu pour 2024 était de 3 % du PIB, contre 3,9 % en 2023. Cette hypothèse se présentait en ligne avec l’objectif fixé par Pékin d’une croissance de 5 % du PIB.
Recettes et dépenses publiques
Source : World bank : Growing beyond property :cyclical lifts and structural
challenges, China economic Update, 06/2024 (thedocs.worldbank.org).
Mais, une étude du Peterson Institute[35] souligne que ce chiffre ne résulte pas d’un calcul consolidé de l’ensemble des budgets publics, lequel montrerait que le total des dépenses publiques projetées devaient augmenter, en pratique, de 7,8 % en 2024 sur 2023[36].
Autrement dit, malgré un ratio de déficit officiel plus faible qu’en 2023, le budget global 2024 de la Chine serait le plus « expansionniste » depuis 2020, en écho à l’atonie de la croissance économique. Consolidées, le total des dépenses publiques représenteraient 36,1 % du PIB (36,05 % en 2023).
Ratios déficit budgétaire global/PIB consolidé
(Budget 2019-24)
(Source : Peterson Institute)
Pour ce faire, le gouvernement central avait annoncé vouloir émettre des « obligations spéciales du Trésor à très long terme »[37] avec un premier lot à 30 ans de 140 milliards de dollars au taux de change du moment[38], puis un autre à 20 ans.
Il avait effectué déjà ce type d’opérations en 1998, 2007 et 2020 avec des objectifs précis. En 1998, il s’agissait de reconstituer les fonds propres des banques en réponse à la « crise financière asiatique » de 1997. En 2020, c’était pour faire face au « choc pandémique » Covid-19.
L’objectif annoncé de la dernière émission est beaucoup plus vague, faisant référence à « la modernisation chinoise », la promotion d’un « développement de haute qualité », notamment.
Ces obligations ne seront pas incluses dans le déficit budgétaire et devaient être émises « au moment opportun en fonction des conditions du marché et de l’économie », en visant « une augmentation modérée de l’endettement du gouvernement central ». Avec ces émissions de bons du Trésor spéciaux, l’ampleur des emprunts publics aura encore augmenté cette année, obligeant la banque centrale à créer la liquidité nécessaire au système bancaire et pour ne pas susciter un effet d’éviction.
Au total, le déficit public consolidé aurait été le plus important relativement au PIB depuis 2020, malgré une contraction du budget officiel.
Cela, en fait, s’avérait d’autant plus nécessaire que la faiblesse du marché immobilier avait entraîné une baisse des dépenses publiques, ce qui a freiné l’économie puis a ensuite renforcé la faiblesse du marché immobilier.
Mais les marges de manœuvre demeuraient étroites face aux tensions commerciales et financières qui étaient à l’œuvre pour briser ce cercle vicieux. La baisse significative des taux d’intérêt directeurs de la FED était une opportunité que Pékin s’est empressé de saisir.
Un plan de stabilisation plus que de relance
Pékin commençait à craindre que l’objectif annoncé d’un taux de croissance de 5 % pour 2024 ne puisse être atteint, tout en refusant de recommencer une relance du type de celle de 2008.
La Fed a annoncé, le18 septembre, une baisse de 0,50 % de son taux d’intérêt directeur, à la quasi-unanimité du comité fédéral. Cet abaissement des taux était très attendu par les marchés, mais son ampleur a surpris. En fait, s’esquissait outre-Atlantique un retournement de tendance sur l’emploi qui a alerté les autorités monétaires quant à un risque de plongée en récession de l’économie étatsunienne.
Saisissant la balle au bond, la BPC annonçait, dés le 24 septembre, une série de mesures de relance. Et, le 26 septembre, le politburo du PCP se réunissait, non pour traiter des problèmes idéologiques comme il le fait chaque année à pareille époque, mais pour examiner la situation économique.
Le Politburo assura que l’objectif des 5 % de croissance pour 2024 sera tenu et, pour la première fois, il afficha une volonté de stabiliser le marché immobilier. L’agence officielle de presse Xinhua, citant les conclusions de cette réunion présidée par Xi Jinping en personne, rapporta que « les nouvelles situations et les nouveaux problèmes exigent un sens de la responsabilité et de l’urgence », ajoutant qu’« il est nécessaire d’affronter les difficultés sans détour ».
Viennent au premier rang de ce plan des mesures visant à alléger la contrainte de liquidité auxquelles sont confrontées les entreprises, soutenir indirectement la demande intérieure, mais aussi à soutenir directement les marchés financiers et boursiers :
- Il s’agit de fournir des liquidités aux sociétés de valeurs mobilières, aux sociétés de gestion d’actifs et aux compagnies d’assurance lorsqu’elles achètent des actions par le biais d’une ligne de swap mettant en gage leurs actifs contre des actifs « de haute qualité » ;
Viennent ensuite des mesures visant à lutter contre la déflation du marché immobilier et augmenter la confiance des ménages propriétaires ou désireux de le devenir :
- [39] ;
Au plan budgétaire, les médias rapportaient qu’il était question d’introduire un soutien sélectif pour atténuer les pressions financières sur les ménages et stimuler les dépenses de consommation. On parlait aussi de la possibilité de paiements directs supplémentaires aux consommateurs pour un coup de pouce à court terme, tandis que de nouveaux projets d’infrastructure pouvaient être annoncés avant la fin de l’année. Mais, pour l’heure, aucune information n’a été communiquée par le gouvernement sur ses intentions concernant un éventuel stimulus budgétaire.
Courant octobre, le ministre du Logement a, cependant, révélé de nouvelles décisions, dont l’augmentation de« l’échelle de crédit des projets sur liste blanche à 4.000 milliards » de yuans d’ici fin 2024. Ce mécanisme, instauré en début d’année, permet aux municipalités de recommander aux banques des projets immobiliers à financer en priorité. Le ministre a ajouté qu’« un million de logements vétustes (situés) dans des espaces urbains seront rénovés » grâce à la restructuration des financements[40].
Début novembre, les principaux responsables du Parlement ont validé une augmentation du plafond de la dette des collectivités locales de 28 500 à 35 500 milliards de yuans, ce qui pourrait permettre aux gouvernements locaux de refinancer à moindre coût leur « dette cachée » (les emprunts hors-bilan). Ce relèvement du plafond de la dette devrait s’opérer sur trois ans. Mais les économies d’intérêts pour les gouvernements locaux devraient cependant être inférieur à 0,1 % du PIB de la Chine[41].
On notera aussi que des campagne de soldes ont été lancées, tandis que se sont poursuivis les programmes de remplacement des biens de consommation durablessubventionnés par les pouvoirs publics[42].
La conjoncture économique chinoise depuis le lancement du plan
L’effet le plus immédiat de ce plan de stabilisation a été une euphorie boursière : l’indice Hang Seng China Entreprises et l’indice Shanghai Shenzhen CSI 300 ont tous deux progressé de 14 % et 20 % respectivement (en dollars) du 23 septembre au 31 octobre.
Mais tous ceux qui pensaient que ces mesures seraient les premières d’un plan très audacieux de relance, un peu à l’image de celui de 2008, ont vite déchanté et réclamé de nouvelles dispositions, objectant notamment que celles annoncées fin septembre ne seraient pas à même, à elles seules, de soutenir de façon sensible et durable la demande intérieure.
Indice Shanghai Shenzen CSI 300
Source : Trading Economics.
Rétrospectivement, il semble qu’un souci primordial de Pékin était de regagner la confiance des propriétaires de logements dont on espérait qu’ils arrêtent d’épargner et se remettent à consommer, mais il s’est agi aussi de rendre encore plus attractives les places financières chinoises dans le bras de fer pour les IDE et IP avec les Etats-Unis.
Comment donc semble évoluer la conjoncture économique chinoise depuis[43] ?
La croissance économique a accéléré à +0,9 % en rythme trimestriel (t/t) au T3 2024, après un T2 médiocre (+0,5 % t/t). Elle s’est établie à +4,8 % (g.a.) sur les neuf premiers mois de 2024. La cible gouvernementale des 5 % semble pouvoir être atteinte ou approchée, toute chose égale par ailleurs.
Après avoir ralenti de mai à août, l’industrie semble se réveiller avec une croissance de 5,4 % (g.a.) en septembre et de 5,3 % en octobre. Cela devrait se poursuivre avec un renforcement probable des commandes à l’exportation avant que soient effectuées les hausses de droits de douane américains en 2025. Peut-être pourrait-elle aussi bénéficier d’une amélioration de la demande intérieure. Les exportations de produits chinois ont rebondi en octobre, en volume et en valeur[44].
Dans les services, la croissance a accéléré : 5,1 % (g.a.) en septembre et 6,3 % en octobre, contre 4,7 % en moyenne de mai à août. Les ventes au détail, par les soldes et le remplacement des biens de consommation durable subventionnés par les pouvoirs publics[45]. Toutefois, les ventes au détail ne progressaient que de 4,5 % ( g.a.) en termes réels en octobre, après 2,8 %. en moyenne sur les neuf premiers mois de 2024. Or, le taux de croissance moyen des trois années précédant la crise sanitaire était de 7 %.
Ce réveil de la consommation privée va-t-il se poursuivre ? C’est possible, d’autant plus que le marché immobilier s’est amélioré en octobre. La contraction des volumes de ventes s’est presque interrompue : -1,6 % (g.a.) après – 12 % au T3 2024 et -20 % au S1 2024. En revanche, l’activité de chantiers (démarrages et finalisations) a continué de chuter en octobre (-27 % et -20 % (g.a.) respectivement).
L ’investissement a crû de 3,4 % (g.a) en valeur sur les dix premiers mois de 2024, tiré par l’investissement dans le secteur manufacturier (+9,3 %) et les infrastructures publiques (+4,3 %). La contraction de l’investissement immobilier s’est poursuivie (-10,3 %).
Les mesures de stabilisation et celles à venir peuvent-elles susciter un nouvel élan de l’investissement ? Ce n’est pas évident, si l’on s’en tient à l’évolution du profit brut des entreprises. De janvier à octobre, selon les chiffres officiels, le profit brut des entreprises industrielles s’est élevé à 5 868 Mds RMB, en baisse de 4,3 % par rapport à la même période de l’an passé. Les entreprises étatiques ont vu leur profit brut baisser de 5,7 %, tandis que celles à capitaux étrangers n’ont enregistré qu’une baisse de 0,9 %. Sur le seul mois d’octobre, le profit brut des entreprises industrielles chinoises est en baisse de 10 % par rapport à octobre 2023. Pour rappel, en septembre, il avait baissé de 27,1 %.
Le problème le plus préoccupant est celui du marché du travail dont les conditions demeurent dégradées par rapport aux années prépandémie Covid. Le taux de chômage moyen a retrouvé son niveau de 2019 (il a baissé à 5 % en octobre), mais le chômage des jeunes est toujours nettement plus élevé.
Source : Ibid.
De plus, le nombre moyen d’heures travaillées reste en deçà de sa tendance de long terme, tandis que les revenus progressent moins vite. Sur les trois premiers trimestres de l’année en cours, le revenu disponible par tête a augmenté de 4,9 % (g.a.) en termes réels, contre une hausse moyenne de 6,5 % par an en 2017-2019.
Le taux préférentiel des prêts à un an (LPR), référence pour la plupart des prêts aux entreprises et aux ménages, a été maintenu à 3,1 %. Dans le même temps, le taux à cinq ans, référence pour les prêts immobiliers, s’est maintenu à 3,6 %. Les deux taux demeurent à des creux records après les baisses de taux d’octobre et de juillet.
Taux préférentiel des prêts à un an ( %)
Source : Trading Economics.
En effet, les taux nominaux ont baissé mais, en termes réels, ils demeurent élevés. Cela suffira-t-il pour faire reculer la défiance des ménages ? En effet, il faudra plus que cela pour arracher les Chinois à la « psychologie déflationniste » qui semble les étreindre depuis plusieurs mois.
Dépôts des ménages (RMB tri.)
Source : Drut B. et J-T. Heissat : « China : The response to the risk of deflation»,
12/11/2024, CPR Asset Management (cpram.com).
Revenu et consommation par tête
(100 =Q1 2019)
Source : Ibid.
Pékin sera-t-il contraint à un stimulus budgétaire allant au-delà du seul allègement des contraintes associées à la dette immobilière ?
[1] economic-research.bnpparibas.com (08/10/2024).
[2] OECD : « Economic outlook », vol.2023, Issue 2 (doi.org).
[3] Il était de 74,9 % au T2 2024 après 73,6 % au T1 2024. Rappelons qu’il était de 78 % au T2 2021 et à 75,1 %, encore, au T2 2023 (www.stats.gov.cn – 16/07/2024).
[4] tradingeconomics.com.
[5] Bureau national des statistiques (BNS). Cet indicateur très suivi avait atteint 21,3% en juin 2023, avant que les autorités n’en suspendent la publication le temps de changer de méthodologie, laquelle ne comptabilise plus les étudiants. Mais 11,8 d’étudiants nouvellement diplômés qui sont arrivés sur le marché du travail l’été venu.
[6] Le taux d’épargne brut de la Chine était de 44,3 % à la fin de l’année dernière.
[7] Le taux directeur (LPR) a été abaissé de 4,25% à 3,45 %.
[8] C’est une représentation graphique de l’écart entre les taux d’intérêts des obligations d’État à court terme et de celles à long terme ( bons du Trésor).
[9] Mak R. : « China’s banks have a nasty case of indigestion”, 11/09/2024 (www.reuters.com).
[11] Banques industrielle et commerciale de Chine, Banque de Chine, Banque pour la construction, Banque agricole de Chine.
[12] Estimation du FMI.
[13] Elles permettaient de contourner la réglementation obligeant les LGVF à demander l’autorisation d’emprunter à l’étranger pour des échéances de plus d’un an et représentaient 17% du total des actifs des banques qui les couvrent selon l’agence Fitch Rating.
[14] Cette évolution est due à un surplus croissant du commerce de marchandises et une diminution considérable du déficit de la balance des services (baisse du tourisme émetteur). Le solde du compte courant avait atteint un excédent historique de 151,48 milliards de dollars au T3 2022 et un déficit record de 52,25 milliards au T3 2022
[15]Il se compose ainsi: Commerce de produits: +288,4 milliards de dollars – Echanges de services:–122,9 milliards de dollars – Revenus primaires: – 77,5 milliards de dollars – Revenus secondaires : – 6,1 milliards de dollars.
[16] Gourinchas P.O., Pazarbasioglu C., Srinivasan K. et R.Valdes: “ Les soldes commerciaux de la Chine et des Etats-Unis sont largement tributaires de facteurs économiques », FMI Blog, 12/09/2024.
[17] Celle-ci passe notamment par le développement de deux types de pratiques. C’est d’abord le friend-shoring qui consiste à intégrer la production de pays « amis » dans les chaines d’approvisionnement étatsuniennes pour tenter de réduire la dépendance aux composants chinois. C’est aussi le nearshoring avec l’externalisation d’une partie des services d’une entreprise auprès d’autres entreprises dans un pays proche ou voisin.
[18] De janvier à août 2021, il était de 239,47 milliards de dollars. Mais s’il a reculé à 181, 3 milliards à même période 2023, il serait remonté à 185,6 milliards sur les huit premiers mois 2024.
[19] Rose A. : « American have been paying tariffs on imports from China for decades”, 01/09/2024 (https.pii.com). L’Union européenne, toujours derrière Washington, vient aussi de décider d’une surtaxe jusqu’à 35% sur les véhicules électriques importés de Chine s’ajoutant à la taxe de 10% existante.
[20] Le Monde (27/09/2024).
[21] docshipper.fr – 24/05/2024.
[22] Dans les États industriels dits de « la muraille bleue » – le Michigan, la Pennsylvanie et le Wisconsin – qui votèrent « bleu », c’est-à-dire pour le Parti démocrate, lors des élections présidentielles consécutives de 1992 à 2012, la croissance combinée de 2019 à la fin de 2023 n’a représenté qu’un tiers de celle observée en dehors des États pivots, une fois que l’on tient compte de l’inflation et de l’augmentation de la population (Bloomberg).
[23] Roach S. : « American sinophobia », 27/03/2024 (www.project-syndicate.org).
[25] Le Monde 19/10/2024.
[26] french.china.org.cn ( 10/09/2024).
[27] Ibid.
[28] Dong J. et L. Xia : « China – A reversion of balance of payments situation from pandemic to poste-pandemic era”, 14/05/2024 (www.bbvaresearch.com).
[29] statista.com (24/06/2024).
[30] China’s FDI Trends 2024: Key Sources, Destinations, and Sectors
[31] Interesse G.: “Decoding China’s H1 2024 Foreign Direct Investment (FDI) Performance”, 29/08/2024 (www.china-briefing.com).
[32] Au 1er trimestre ils se montaient à 2,48 milliards d’euros (2,77 milliards de dollars). Au 2ème, ils étaient de 4,8 milliards d’euros (5,36 milliards de dollars), les trois quarts étant le fait des constructeurs d’automobiles.
[34] www.tresor.economie.gouv.fr (23/05/2023).
[35]Huang T. : « China’s 2024 budget turns expansionary, but will it be fully spent?”,12/03/2024 (www.piie.com).
[36] Ce taux est supérieur au taux de croissance du PIB nominal de 7,4% sous-tendant l’hypothèse officielle d’un déficit public de 3% du PIB pour 2024.
[37] C’est-à-dire a plus de dix ans selon les critères chinois.
[38] English.
[39] Les villes de niveau 1 sont Pékin, Shanghai, Guangzhou et Shenzhen. Les villes de niveau 2 comprennent les capitales de chaque province et des villes côtières comme Tianjin, Chongqing, Chengdu, Wuhan ou Xiamen. Les villes de niveau 3 sont des localités de taille moyenne (de millions d’habitants) de chaque province.
[40] La Tribune, 01/11/2024.
[41] Les Echos, 08/11/2024.
[42] En février 2024, Xi Jinping avait souligné la nécessité d’encourager « une nouvelle série de mises à niveau et remplacement des biens de consommation » en visant, notamment, le vaste gisement des 3 milliards d’appareils électroménagers utilisés en Chine en 2023 ( www.chinadaily.com ). En mai, un plan d’action « pour promouvoir le renouvellement des équipements à grande échelle » a été lancé comprenant un programme « pour le remplacement des anciens biens de consommation par de nouveaux biens de consommation » ( www.ywima.com ) .
[43] Nous nous référons ici aux chroniques de conjoncture du département des études économiques de BNP Paribas sur la Chine dans Eco Emerging (economic-research.bnpparibas.com).
[44] Les experts du département des études de BNP-Paribas soulignent que ce rebond, en volume comme en valeur, a été de +12,7% (g.a.) en dollars courants, après +4,6% (g.a.) en moyenne sur les neuf premiers mois de 2024). avec un prix moyen à l’exportation toujours en baisse, estimée à -4% en (g.a.) au T3. Cf. Peltier C. : « Chine : veillée d’arme », Eco Emerging, 22/11/2024.
[45] En octobre, les ventes d’appareils électroménagers ont bondi de 39% (g.a.).
Intéressante et très impressionnante présentation de données statistiques
Afin de mieux comprendre l’économie et la société chinoises, serait il possible d’avoir une vue d’ensemble sur les rapports marché/secteur public, l’existence ou pas d’une politique sociale en faveur des travailleurs ? D’autre le financement par la Chine d’infrastructures dans le cadre des routes de la soie peut il être assimilé à une nouvelle voie de coopération internationale? à une nouvelle forme d’impérialisme? à un mix des deux ?