RailCoop : le point de vue du secrétaire général de la CGT Cheminots

 La reprise par une coopérative de l’exploitation de certaines liaisons ferroviaires (Bordeaux-Lyon) est bruyamment présentée comme la solution à leur abandon par la SNCF. Nous publions dans ce numéro une mise au point de Laurent Brun, secrétaire général de la CGT Cheminots

Les initiateurs véhiculent un certain nombre de poncifs sur la SNCF (structure trop lourde, on fera plus circuler les rames avec moins d’entretien…).

Au départ, ils présentaient leur modèle comme totalement autonome, avec du matériel neuf… ça ne semble plus être le cas. Petit à petit on se rapproche d’un principe de réalité : l’entreprise publique SNCF ne gaspille pas de moyens, au contraire. S’il y avait des solutions techniques pour faire mieux à moindre coût, voilà bien longtemps qu’elles seraient en place. Mais chaque décision technique a des conséquences qu’il faut peser : si l’utilisation très intensive du matériel est confirmée, elle va provoquer un vieillissement accéléré qui remettra en cause la qualité de production et le modèle économique. Donc c’est loin d’être une solution miracle.

Plus généralement, sur la lourdeur de la structure SNCF, qui est souvent mise en avant par ses détracteurs, elle est pour partie le résultat de la gestion d’un système complexe. Par exemple, au niveau de la vente, si Railcoop décide de se limiter à la commercialisation de ses trains uniquement, cela peut restreindre l’attractivité pour les usagers souhaitant des correspondances avec d’autres trains. Si la SCOP veut étendre sa commercialisation, il lui faudra des moyens de négociation, de suivi, de gestion supplémentaires, donc une structure plus lourde. Militer pour des « structures légères », c’est en fait défendre l’atomisation de l’offre ferroviaire en de multiples compagnies, sans liens entre elles. A terme, ce n’est pas l’intérêt des usagers, comme le montre l’exemple suédois où 70 % des habitants réclament le retour à un système public unifié car ils ne se retrouvent plus dans le fatras des tarifs et des correspondances.

Désormais, Railcoop semble vouloir demander des ouvertures de guichets à Gares&Connexions, donc se réintégrer petit à petit dans le modèle existant… mais du coup il faudra assumer ses contraintes.

C’est une sorte de leçon pour les libéraux qui sont tous pleins de « bonnes » idées pour faire du train moins cher parce qu’ils ne connaissent rien aux contraintes techniques. Ce sont les mêmes arguments qui justifient la mise en concurrence ; donc on peut imaginer qu’un certain nombre de démarches vont faire pschitt.

Le projet n’est pas mené par des amateurs ou des idéalistes.

Dominique Guerée, le président de RailCoop, a déjà monté le même type de projet à l’occasion de la libéralisation de l’énergie (Celewatt, spécialisé dans les parcs solaires). Philippe Bourguignon, administrateur, a été directeur régional EDF-GDF, puis Directeur GDF-SUEZ Hongrie. Ils peuvent parfaitement avoir des convictions, mais elles sont plus sûrement libérales qu’égalitaristes…

La stratégie de communication a beaucoup mis en avant la nature de l’entreprise (SCOP) et le fait qu’il n’y avait pas de recherche de profit, qu’il n’y aurait pas de dividende aux sociétaires. Puis le discours a changé pour se centrer sur les dessertes envisagées.

Cela tient probablement aux enjeux économiques.

Début 2021, 1,4 million d’euros ont été collectés parmi 6 000 sociétaires. Il faudrait au minimum 5 millions d’euros pour lancer la desserte.

Or cette somme ne pourra être atteinte qu’avec le financement de collectivités locales ou d’investisseurs institutionnels (qui n’accepteront pas de le faire gratuitement, d’où le changement de posture sur la possibilité de rémunérer les investisseurs).

La tactique semble être de faire le buzz médiatique pour attirer un grand nombre de sociétaires et ensuite, faire jouer cette « mobilisation » pour influencer des collectivites. La mobilisation des média va tout à fait dans ce sens.

NE NOUS FAISONS PAS AVOIR !

Aujourd’hui, les TER et TET sont sous la responsabilité d’Autorités Organisatrices qui doivent passer une convention avec un opérateur (pour l’instant la SNCF) avant qu’une liaison soit lancée. Il n’y a pas d’open access, chaque compagnie ne peut pas décider seule de faire ses trains. Donc soit RailCoop milite pour le changement de la loi dans un sens encore plus libéral, soit il cherche une décentralisation des financements qui va tout à fait dans le sens de ce que veut le gouvernement : un report total sur les Régions.

RailCoop va même plus loin en sollicitant les départements et les communes. Pour moi c’est donc une vision très libérale puisque n’ayant pas officiellement la compétence pour le faire, ces collectivités rogneront sur d’autres budgets (qui sont eux bien de leurs compétences) pour financer un service public qui dépend théoriquement de l’État. J’irais même plus loin : dans cette vision, les métropoles auront les moyens d’avoir tous les services publics, alors que les petites communes devront choisir le service public le plus essentiel à leur territoire pour lui attribuer leurs maigres moyens.

Bref, je ne suis pas convaincu du tout par le projet RailCoop.

Et je regrette que beaucoup de militant.e.s se laissent avoir par une vision romantique de l’autogestion pour tomber dans le panneau. Tout ce qui brille n’est pas or…

Dans un système ferroviaire public qui fonctionne, avec une autorité organisatrice du TET (l’État) qui se préoccupe de répondre aux besoins, RailCoop est inutile.

Réouvrir cette liaison avec la SNCF permettrait de l’intégrer au réseau de Vente, d’organiser des correspondances ferroviaires efficaces, d’avoir une vraie vision de l’aménagement du territoire qui ne serait pas déléguée aux initiatives privées, etc.

Mieux vaut un projet politique progressiste et un changement de cap du ministère des Transports, qu’une aventure libérale.