Yannick Jadot :
l’écologie sacrifiée au « réalisme »

Yannick Jadot se veut porteur d’une écologie « réaliste ». Ses propositions sociales sont donc en général plus modérées que celles des autres candidats de gauche sans que les moyens de les financer apparaissent plus clairement pour autant. On en commente quelques-unes ci-après.

Jusqu’à présent, le vainqueur de la primaire des Verts s’est surtout distingué par sa surenchère, avec Jean-Luc Mélenchon, dans une défense désespérée de l’obscurantisme « antinucléaire » contre toutes les évidences du péril climatique. En matière sociale, son programme, héritier de celui qu’il avait défendu avec Benoît Hamon en 2017, est le plus modéré à gauche. Sur le terrain économique, il s’inscrit nettement en régression par rapport à des thèmes traditionnellement chers aux courants écologistes. En particulier,  le recours à la création monétaire pour financer la « transition écologique », qui tenait traditionnellement une place non négligeable dans les projets écologistes, ne fait plus l’objet d’aucune mention.

Salaires, pensions, minima sociaux : des ambitions sociales modestes

  • Augmentation du SMIC net à 1 500 euros au cours du mandat ;
  • renégociation des grilles de salaires dès lors que le minima conventionnel se trouve inférieur au SMIC pour assurer l’augmentation de l’ensemble des bas salaires ;
  • revalorisation immédiate du point d’indice dans la fonction publique et de l’ensemble des métiers du médico-social, de l’éducation populaire et du travail social.

Yannick Jadot ne donne pas de précision sur le SMIC brut ; on sait qu’augmenter le SMIC net sans augmenter le SMIC brut peut s’avérer un tour de passe-passe qui épargne les profits du patronat. D’autre part, on peut juger floue et peu ambitieuse  la façon dont est évoquée une augmentation des grilles salariales pour les bas salaires.

  • un revenu citoyen à 920 euros accessible dès 18 ans garantira que personne ne vive avec moins de 918 euros mensuels grâce à un revenu de base relevé à 740 euros, cumulé avec les allocations logements et la prime d’activité.
  • Aucune personne âgée sous le seuil de pauvreté.

Sans surprise, on voit ici recyclé le thème du revenu universel qui avait fait la notoriété de Benoît Hamon en 2017, avec les mêmes limites et les mêmes effets pervers. Au lieu de s’attaquer aux causes de la misère, on va en adoucir les conséquences en octroyant des ressources dissociées de l’emploi, dissociées de la création de richesses et permettant de survivre.

  • À compétence et travail égaux, la rémunération entre les femmes et les hommes devra être égale dans toutes les entreprises de plus de 20 salarié·e·s et dans les administrations publiques, au risque de recevoir une amende de 330 euros par jour et par employée concernée jusqu’à régularisation.

Tous les candidats se réclamant de la gauche annoncent des mesures plus ou moins contraignantes pour imposer dans les faits l’égalité salariale. Seul Fabien Roussel s’attache à prendre en compte les moyens économiques d’y parvenir.

Pas de réduction générale du temps de travail

  • « En aucun cas l’âge légal de la retraite ne sera reporté » ;
  • retraite anticipée pour les travaux pénible.

C’est donc le maintien du départ à 62 ans.

  • Réduire le temps de travail tout au long de la vie : travailler moins à des moments choisis (congés sabbatiques, congé parental, formation, engagement associatif, volonté de temps partiel) avec le lancement d’une convention citoyenne sur la question du temps de travail pour préparer une négociation interprofessionnelle qui fixera les modalités de mise en œuvre de cette ambition.

Les exemples donnés font plus penser à des aménagements du temps de travail dans certaines circonstances qu’à une réduction du temps de travail qui, de fait, n’est pas annoncée.

Chômage : rien de nouveau

Partant du postulat erroné qu’un mode de développement qui n’épuise pas la nature serait contradictoire avec le développement de l’emploi, les Verts s’attachent à montrer qu’ils veulent atténuer les conséquences de la « transition écologique » pour les salariés dont les activités seraient appelées à disparaître.

  • Contrat de sécurisation et de transition professionnelle, afin qu’aucun actif ne se retrouve au chômage dans les secteurs en conversion, en particulier en raison des transitions écologiques. Les secteurs concernés seront identifiés à l’échelle de chaque région (ou bassin d’emplois) à travers des « états généraux de la transition des territoires » réunissant entreprises, organisations syndicales, pouvoir public, acteurs financiers et de la formation professionnelle.

En fait, ce dispositif existe déjà : créé en 2011, le contrat de sécurisation professionnel (CSP) est destiné aux salariés licenciés pour motif économique et vise à favoriser leur reconversion. Et à voir comment, par exemple, la fermeture des hauts-fourneaux entraîne, malgré ce dispositif, la mise au chômage de centaines de salariés, ces contrats de sécurisation ne nous rassurent pas vraiment.

  • Nous lutterons contre le chômage de longue durée par des dispositifs adaptés aux territoires.

On pense bien sûr à l’expérience des « territoires zéro chômeur de longue durée ». Le comité national CGT des privés d’emploi a une analyse très négative de cette expérimentation (voir Pierre Granodier, « Territoires Zéro Chômeur de Longue Durée : une nouvelle offensive contre le travail et la sécurité sociale ? », Économie&Politique n° n° 800-801 mars-avril 2021).

Droits et pouvoirs dans l’entreprise : le modèle allemand

  • Donner aux salarié·e·s-citoyen·ne·s le pouvoir d’agir : la moitié d’un conseil d’administration ou de surveillance des grandes entreprises sera composé de représentant·es de salarié·es pour les entreprises de plus de 2 000 salariés, un tiers pour 500 à 2000 ;
  • le dialogue social sera renforcé grâce à l’instauration d’un chèque syndical qui permettra à chaque salarié·e de soutenir financièrement le syndicat de son choix.

Avec la loi de démocratisation de secteur public et nationalisé de 1983 (lois Auroux) un tiers des membres du conseil d’administration étaient présentés par les organisations syndicales et élus par le personnel. Cela a présenté un certain intérêt : nouveaux élus avec de nouveaux moyens notamment pour s’adresser aux salariés (suivant les entreprises). Cela avait ses limites aussi : des votes sans que les administrateurs élus aient toute les informations, sans qu’ils puissent accéder à celles-ci en amont des réunions du CA, sans qu’ils puissent faire appel à des experts comptables et surtout aucun moyen d’infléchir en quoi que ce soit de la stratégie de l’entreprise. Pour y parvenir, il faut l’intervention des salariés pour faire prévaloir des alternatives. Mais l’instauration d’un « chèque syndical » n’a pas pour but de stimuler la contestation des choix patronaux !

Entreprises

Comme Jean-Luc Mélenchon et Anne Hidalgo, Yannick Jadot met l’accent sur des réaménagements de la fiscalité des ménages : rétablissement de l’ISF et d’un « impôt climatique sur la fortune », lutte contre l’évasion fiscale…  Mais les Verts se distinguent traditionnellement par l’attention qu’ils portent au caractère incitatif qui devrait être donné à la fiscalité des entreprises et au crédit.

  • adoption d’un prix socialement juste du carbone La contribution carbone n’augmentera qu’en cas de baisse significative des prix de l’énergie. Ses recettes seront intégralement reversées à la transition et aux ménages les plus modestes. Au niveau européen, nous supprimerons les permis d’émission distribués gratuitement aux entreprises dès 2023, et ferons payer le contenu en carbone des produits importés pour relocaliser l’industrie via le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières.

Les levées de bouclier contre la « taxe carbone » incitent aux précautions de langage…

  • Mettre fin à la course au moins-disant fiscal, en exigeant l’harmonisation de l’impôt sur les sociétés en Europe, en portant à 25 % le taux minimum de taxation des multinationales ;
  • instauration d’une règle d’or climatique pour les dépenses et décisions publiques. Au moins 18 milliards d’euros de dépenses dans le budget de l’État sont néfastes pour le climat. Elles seront supprimées à l’échelle du mandat en concertation avec les secteurs concernés (transports, logement, agriculture), en utilisant au moins la moitié des économies budgétaires réalisées dans l’accompagnement de leur transition ;
  • une autorité indépendante évaluera les lois et l’ensemble des politiques publiques au regard des critères d’emploi, de réduction des inégalités économiques et des inégalités femmes-hommes, d’émissions de gaz à effet de serre, de destruction d’espaces naturels, de satisfaction, d’espérance de vie et de réussite scolaire.
  • un bonus-malus climatique sera introduit dans la fiscalité des entreprises en fonction de la nature des activités.

Problème : ce n’est pas tant la nature des activités qui exerce un effet sur l’environnement et sur la justice sociale, mais plutôt les buts (la rentabilité du capital ? ou l’efficacité en termes de création de richesses, de développement des êtres humains et de préservation des ressources naturelles ?) et ce qu’ils induisent sur  la façon dont elles sont exercées. Par exemple, les mêmes moyens techniques de produire de l’énergie peuvent porter atteinte à l’environnement s’ils visent des profits faciles ; à l’inverse, ils peuvent le protéger s’ils sont mis en œuvre dans une logique de service public, avec des salariés bien formés et disposant, ainsi que les usagers, de pouvoirs d’intervention et de contrôle.

  • Les 150 milliards d’euros d’aides publiques perçues chaque année par les entreprises seront des leviers de la transformation écologique et sociale et de l’égalité. Elles seront conditionnées au respect d’engagements fermes en matière d’empreinte carbone, de protection de la biodiversité, d’emploi, d’évasion fiscale et d’égalité entre les femmes et les hommes. Nous développerons les indicateurs de performance intégrant l’environnement et le social.

Des conditions, mais quelle portée auront-elles dès lors que Yannick Jadot ne remet absolument pas en cause  les modalités des aides actuelles ? Les  exonérations de cotisations sociales, qui privent la Sécurité sociale de ses ressources et poussent aux  bas salaires, sont profondément contradictoires avec la mise en avant d’objectifs écologiques et sociaux.

  • rétablissement des impôts de production supprimés en 2021, afin d’alimenter un fonds de soutien aux mutations et à l’innovation industrielle avec les conseils régionaux ;
  • soutien aux  filières d’avenir par un plan d’investissement public de 25 milliards d’euros par an dans les infrastructures de la transition et le renforcement de la recherche publique. Réorientation des investissements privés vers les secteurs favorables au climat.

À qui reviendrait le pouvoir de décider de cette « réorientation » ? Comment la concilier avec la logique de la rentabilité du capital, que le candidat des Verts ne met nullement en cause ?

  • mobilisation de l’épargne au service du climat et de la justice sociale. Le Livret développement durable et solidaire (LDDS) financera uniquement des projets favorables à l’environnement ou solidaires. Nous rendrons plus transparent l’impact social et environnemental des placements financiers pour faciliter l’orientation de son épargne.

Le montant total des livrets de développement durable et solidaire est de 125 milliards d’euros. C’est dix fois moins que les crédits des banques aux sociétés non financières, dont l’orientation est déterminante dans les choix d’investissements des entreprises. Or, Yannick Jadot ne propose aucune mesure pour réorienter ces crédits en changeant le comportement des banques.

De même, on constate, non sans quelque étonnement, que l’action de la Banque centrale européenne pour influencer le comportement des banques et pour financer directement des investissements publics et privés favorables au climat et à un mode de développement écologique est totalement absente de son programme. C’est une rupture frappante avec le discours traditionnel du courant auquel il appartient, qui préconisait de mettre la création monétaire au service de ce qu’il appelle la transition écologique. Ce retour en arrière s’accompagne d’une adhésion sans nuance au projet d’une Europe fédérale, passant par un renforcement des ressources propres du budget européen. Il se produit au moment même où les faits ont pourtant révélé combien un nouvel usage du pouvoir monétaire des banques centrales sera indispensable pour surmonter la crise économique, sanitaire et écologique.

En somme, faute de reconnaître combien la sécurisation de l’emploi et de la formation est vitale pour produire ces biens communs que sont le climat, la biodiversité, la qualité de l’air, de l’eau, des paysages… Yannick Jadot se prive des moyens de financer son programme, tout modéré qu’il est, et de faire face de façon crédible au défi écologique.