Anne Hidalgo :
un programme « social- démocrate et écologique »,
maigre sur le financement

Parmi les revendications partagées à gauche, on relève au chapitre « Revaloriser le travail » celle d’une augmentation des salaires en commençant par celle du SMIC (net) de 15 %, soit 200 euros de plus par mois et continuant par l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. On note également avec intérêt la proposition d’un bonus/malus de cotisations patronales lié à la part consacrée aux salaires ; on comprend cependant qu’il ne s’agit que de viser « un meilleur partage de la valeur ajoutée au profit du travail », et non de contribuer à la mise en œuvre de nouveaux critères dans les choix de production, d’embauche, d’investissement, de formation et de recherche.

Sur la question cruciale de l’emploi, on retrouve également des propositions habituelles à gauche : abrogation de la réforme injuste de l’assurance-chômage, nouvelle convention d’assurance chômage pour sécuriser les transitions professionnelles, faciliter la formation continue tout au long de la vie, renforcer le service public de l’emploi, améliorer l’indemnisation notamment pour les salariés précaires ; mais là encore, le but n’est pas l’éradication du chômage, l’instauration d’une sécurité d’emploi et de formation avec la construction d’alternatives aux licenciements. Il est bien question d’un « nouvel âge du travail » mais sans réduire la durée légale du travail en allant vers les 32 heures !

En matière de droits des salariés, Anne Hidalgo propose d’étendre aux travailleurs des PME – ainsi qu’à ceux des plates-formes numériques – les avantages qui existent dans les grandes entreprises en matière de formation professionnelle, de congés, etc. Pour notre part, nous proposons de nouveaux droits d’intervention dans les gestions dans toutes les entreprises, et un nouveau code du travail.

Dans le chapitre « L’écologie, le combat du siècle », nourri de nombreuses propositions soucieuses de justice sociale, on jugera vague et peu réaliste la proposition de passer à 100 « % d’énergies renouvelables « aussi rapidement que possible » en utilisant le nucléaire comme énergie de transition, sans construction de nouveaux EPR ou de petits réacteurs modulaires.

Quelles embauches dans l’éducation, la recherche, la culture ?

Dans le chapitre « Une République vivante, une démocratie continue », on relève une proposition tendant à placer la culture « au cœur du projet républicain ». Pour Anne
Hidalgo, la France doit rester un pays d’exception culturelle. La candidate socialiste veut agir pour la diversité contre l’uniformisation des contenus, et accompagner toutes les formes artistiques. Elle se prononce pour la défense de la liberté de création et sa diffusion, pour une juste rémunération des acteurs de la culture, et pour garantir leur indépendance. Mais elle ne dit rien du budget qui y serait consacré, ni des droits des intermittents du spectacle.

Le chapitre « L’éducation pour bâtir notre avenir a défrayé la chronique lorsqu’en début de campagne Anne Hidalgo a annoncé le « doublement des traitements des enseignants ». Désormais le programme prévoit de porter leur rémunération progressivement au niveau de celle des cadres, en commençant par les débuts de carrière. Mais elle ne prévoit pas de plan de recrutement, ce qui ne permet pas, en particulier, de savoir comment on mettra en place un « accompagnement personnalisé des jeunes en décrochage scolaire ».

Anne Hidalgo propose « une nouvelle ambition pour l’université ». 60 % de chaque classe d’âge seront diplômés, avec un plan de rattrapage pour des conditions d’accueil et d’enseignement de qualité dans chaque université, et avec la possibilité d’étudier et de travailler en alternance. Mais on attendrait que la candidate s’engage, plus précisément, à abroger les réformes libérales et à construire une grande loi pour l’éducation et notamment pour l’enseignement supérieur et la recherche. On cherche également en vain des propositions sur le financement de ce plan.

Quels moyens pour la santé et la Sécurité sociale ?

Le même manque de précision, et la même absence d’une réforme progressiste du financement, rendent nuisent à la crédibilité du chapitre « De nouvelles Sécurités Sociales ». Ainsi, le programme prévoit, pour « garantir le droit à profiter de sa retraite », que l’âge légal de départ soit plafonné aux 62 ans actuels (et non pas à 60 ans !). Anne Hidalgo s’engage à la prise en compte réelle de la pénibilité, elle rétablira, en sus des 6 existants, les 4 critères de pénibilité supprimés par le président sortant (manutention de charges lourdes, postures pénibles, vibrations mécaniques, exposition aux agents chimiques). Elle revaloriserait les petites retraites, en portant le minimum vieillesse à 1 000 euros et le minimum contributif à 1 200 euros. Elle affirme que l’augmentation généralisée des salaires, le maintien dans l’emploi des 55-62 ans apporteraient les ressources nécessaires pour financer ces mesures de justice sociale. Elle devrait s’engager à ne pas mettre en œuvre la réforme Macron ou une réforme de même inspiration, et elle devrait travailler à une réforme alternative, notamment du financement, dans une réelle concertation avec les forces syndicales.

Anne Hidalgo veut tourner la page de l’hôpital-entreprise et de la maîtrise comptable des dépenses de santé qui ont affaibli notre système de santé. Le financement de l’hôpital public et du système de santé sera transformé : suppression de l’ONDAM (Objectif National des Dépenses d’Assurance-Maladie) qui serait remplacé par des Objectifs Nationaux de Santé Publique (ONSP).  Les règles de tarification à l’acte aujourd’hui en vigueur, seront modifiées.

Elle souhaite « garantir un financement de l’hôpital public à la hauteur des besoins de santé » ; elle annonce une revalorisation des rémunérations et des carrières pour rendre les métiers de l’hôpital attractifs. Elle veut renforcer l’intervention des acteurs de santé, des élus locaux, des représentants des usagers pour la définition des besoins ainsi que pour la gouvernance de l’hôpital. Elle prétend soulager les urgences en incitant les médecins libéraux à reprendre des permanences, notamment le week-end. Mais cela ne prend pas en compte la situation de la médecine de ville. Rien de sérieux n’est proposé sur les urgences, le financement, la T2A ! Quelle nouvelle organisation de l’hôpital et quelle réforme du système de santé ? Quelle démocratie hospitalière ? Combien de créations de postes ? Quel serait leur financement, et celui des revalorisations salariales ?

Anne Hidalgo propose que la quatrième année d’internat prévue par le gouvernement sortant soit remplacée par une année de professionnalisation comme médecin-assistant dans les déserts médicaux, chaque année 4 à 8 000 médecins viendraient dans ces territoires ; mais cela exige une consultation ! Pas sûr que les intéressés soient d’accord !

On ne peut que partager les objectifs figurant dans le programme pour « repenser la perte d’autonomie ». Mais on n’y trouvera pas de précision sur la question centrale des moyens propres de financement d’une loi grand âge, d’un service public d’accompagnement de la perte d’autonomie, de la revalorisation de l’APA, du renforcement du soutien à domicile, d’un plan de formation et de recrutement pour les métiers du grand âge, avec une revalorisation des salaires, d’une présence humaine plus importante. On peut faire la même remarque au sujet des propositions en faveur des personnes en situation de handicap, et sur les nombreuses mesures sociales généreuses que propose Anne Hidalgo.

Son programme se veut ainsi ambitieux quant aux moyens de l’autonomie de la jeunesse : un « minimum jeunesse » ouvert à tous les jeunes de plus de 18 ans, sous condition de ressources, assorti d’un accompagnement garanti vers l’emploi, la qualification avec un revenu. Mais quid du RSA avant 25 ans ? Quel financement d’une dotation en capital de 5 000 euros attribuée à chaque jeune à ses 18 ans ?

Associer les salariés aux décisions ou mettre en cause les gestions capitalistes ?

Le chapitre « Une République qui assure la justice, l’État de droit et la sécurité » ne fait

pas l’impasse sur la démocratie sociale. Il voit dans la « codétermination » un facteur de réussite collective des entreprises. Proposition commune à tous les programmes de gauche, les entreprises de plus de 1 000 salariés devront compter 50 % d’administrateurs salariés dans les conseils d’administration et de surveillance. Cette part sera de 33 % dans les entreprises de moins de 1 000 salariés. Mais faut-il « associer » (pour le meilleur et, en général, pour le pire) les salariés aux décisions de l’entreprise ? N’a-t-on pas plutôt besoin d’interventions de luttes et de contre-propositions des salariés dans les gestions ?

Dans la même veine, Anne Hidalgo ne propose pas de supprimer les exonérations sociales et de les remplacer par des bonifications d’intérêt et des garanties d’emprunts gérées par des fonds régionaux et par un fonds national pour l’emploi et la formation. Elle se contente de « conditionner les aides publiques aux entreprises au respect de critères sociaux et environnementaux (qualité des emplois et conditions de travail, égalité salariale femme-homme, respect de l’environnement, etc.) » et de prévoir le remboursement des sommes perçues par les entreprises qui violeraient cet engagement, mais sans préciser les conditions d’application de ces sanctions, notamment en termes de pouvoirs d’intervention des salarié.e.s et de leurs représentant.e.s. Elle ne dit pas non plus par quels moyens elle compte « mettre la finance et les GAFAM au service de la transition écologique », « imposer aux banques et aux assurances une pénalité sur l’investissement dans les énergies fossiles et les secteurs les plus polluants », et « rendre obligatoire le respect des critères environnementaux et sociaux ».

Comme on pouvait s’y attendre de la part de la candidate du Parti socialiste, le chapitre sur l’Union européenne est empreint de beaucoup d’illusions, d’orientation dangereusement fédéraliste, avec le risque de l’alignement et de la soumission aux dogmes libéraux. Par exemple, l’UE serait dotée de nouvelles ressources propres pour renforcer son budget : taxe sur les transactions financières et sur les géants du numérique, contribution carbone aux frontières, recours à une fraction de TVA et de l’impôt sur les sociétés.

En résumé, un programme non financé

Anne Hidalgo restreint les ressources pour financer son programme à la transition écologique, sans moyens supplémentaires précis pour le social. Elle ne dit rien sur le financement de la protection sociale, de l’hôpital et du système de santé, de l’éducation. Certes, elle affirme qu’on ne peut repousser les dépenses budgétaires à plus tard, car le retour de l’austérité budgétaire risquerait de casser la reprise économique et d’empêcher d’investir dans la transition écologique, la recherche, etc. Elle propose une trajectoire « soutenable » des finances publiques, pour mettre en œuvre les priorités du programme et accompagner les classes moyennes et populaires dans la transition écologique. Les mesures prévues se limitent à la fiscalité : ISF Climat et Biodiversité pour financer les investissements nécessaires à la transition écologique, fiscalité des successions abaissée pour 95 % des Français, et augmentée pour les très hauts patrimoines supérieurs à 2 millions d’euros (ce qui rapporterait 8 milliards d’euros par an), réforme de la fiscalité des multinationales (+ 6 milliards d’euros par an), renforcement de la lutte contre la fraude fiscale (6 milliards d’euros). 39 milliards d’euros de subventions de l’UE attribués à la France de 2021 à 2023 seraient réorientés vers l’écologie. Elle compte sur la réduction des dépenses publiques défavorables à l’environnement et sur des ressources tirées d’ « une nouvelle croissance économique liée au progrès social et écologique » : l’augmentation du pouvoir d’achat des bas salaires, des investissements dans la R&D, la construction de logements, la réindustrialisation, apporteraient 10 milliards d’euros par an – bien peu, en vérité, au regard des besoins. Mais Anne Hidalgo ignore complètement le rôle du crédit, la nécessité de prendre le pouvoir sur l’argent, etc. Un programme flou et, comme disait Martine Aubry « quand c’est flou, il y a un loup ».