Les propositions de Valérie Pécresse sont inscrites dans une démarche systémique qui intègre, au-delà des mesures purement fiscales, d’autres éléments fondamentaux dont les moindres ne sont pas, d’une part, la suppression de 200 000 emplois publics (dont 150 000 dans les services de l’État), et un double allongement de la vie professionnelle par l’abandon des 35 heures et un recul progressif de l’âge de liquidation des pensions et retraites à 65 ans en 2030.
Et pour faire bonne mesure, Valérie Pécresse préconise d’accroître la dégressivité des allocations chômage au – dessus de 2 SMIC pour « inciter » ces salarié.e.s à retravailler plus vite…
L’objectif systémique est clairement affiché : il s’agit de « réaliser à la fin du mandat 45 milliards d’euros d’économies par an grâce aux réformes des retraites, du chômage et de la débureaucratisation, aux nouvelles politiques de lutte contre la fraude fiscale et sociale et à la revue systématique des subventions au regard de leur efficacité » (cf. www.valeriepecresse.fr).
Une obsession : supprimer des emplois publics
Sur la suppression des emplois publics, l’ancienne ministre des Universités, dont le nom demeure accolé à la fameuse loi sur l’autonomie et la responsabilité des Universités, a entendu quelque musique discordante dans le passé. Aussi la candidate place-t-elle hors du champ de la suppression frénétique des emplois publics les emplois qui visent à « protéger, éduquer et soigner ».
Ce qui signifie qu’elle place hors champ les personnels soignants des établissements hospitaliers ou médico – sociaux, oubliant au passage que leurs agents, publics, ne sont pas appointés par l’État mais payés par la Sécurité Sociale.
La cible de Valérie Pécresse, ce sont les emplois de l’administration publique d’État et ceux des collectivités locales.
Prenons le cas de l’État.
Dans le budget 2022 tel que voté par l’Assemblée nationale, le plafond d’emplois publics se situe à 1 930 450 postes. Les fonctions de protection et d’éducation intéressent les personnels de l’Education, de la Police nationale, de la Sécurité civile, de la Justice et des Armées. Cet ensemble représente un plafond de 1 654 783 emplois. Ce qui laisse un vivier de 275 667 postes, dans l’ensemble des autres administrations, pour trouver la base de 150 000 suppressions de postes, soit plus d’un poste sur deux !
A moins que Valérie Pécresse ne souhaite s’attaquer aux « structures para étatiques » et aux emplois des « opérateurs de l’État ». Bonne idée, puisque ces opérateurs sont pourvus d’un plafond d’emplois de 406 034 postes ou équivalents temps plein ! Pas de chance, 272 325 de ces postes sont, de manière plus ou moins directe, rattachés aux fonctions d’éduquer, de protéger et de soigner invoquées plus haut. Il s’agit en particulier des postes attachés aux Universités et aux organismes de recherche publique. Cela limite donc à 134 309 emplois le vivier des postes pouvant faire l’objet d’une suppression.
Si l’on regarde en détail, on constatera donc une suppression d’effectifs dans les administrations financières et fiscales (comment courir alors après la fraude fiscale, autre priorité affichée ?), l’aide aux chômeurs et les agents de Pôle Emploi (principal opérateur de l’État en dehors des Universités, avec plus de 48 000 agents), ou encore au sein des administrations préfectorales, de l’Office national des Anciens combattants ou des différentes directions et services en charge de l’instruction des grands projets d’infrastructure comme de la protection de l’environnement.
Mais il y a aussi d’autres hypothèses, ouvertes ou implicites.
Au titre de l’ouvert, soulignons l’idée de « décentraliser des blocs de compétences pour simplifier le mille-feuilles administratif français, supprimer les doublons et rapprocher les politiques publiques des citoyens. Les régions se verraient ainsi confier Pôle emploi, les missions locales, la rénovation urbaine ou la présidence des Agences régionales de santé et seraient évaluées par des indicateurs de performances ».
Voilà par exemple une bonne manière de se délester sur le dos des collectivités locales de plusieurs dizaines de milliers de fonctionnaires… ou assimilés. Car, si Valérie Pécresse l’ignore, 90 % des agents de Pôle Emploi ne sont aucunement des fonctionnaires.
La fièvre réformatrice de la candidate de droite peut néanmoins masquer l’implicite.
A savoir qu’à détruire l’emploi public dans certaines administrations fonctionnelles chargées de questions de sécurité sanitaire et/ou des produits (douanes), d’environnement, d’urbanisme, de programmation urbaine, de cohésion sociale et territoriale, de défense des consommateurs peut aussi mener à promouvoir, en toutes circonstances, le recours à l’initiative privée, à l’ingénierie privée, par le biais d’opérations de partenariat public – privé, comme nous l’avons vu avec le Pentagone à la française du côté de Balard ou le nouveau palais de Justice de Paris aux Batignolles. On sait d’ailleurs que ce type d’opérations présente l’avantage, dans un premier temps, de réduire le coût budgétaire de la construction au montant du loyer annuel versé au « pauvre » groupe du BTP opérateur…
Ce sont donc sur environ 410 000 postes budgétaires de l’État ou de ses « opérateurs « que Valérie Pécresse entend trouver la source de 150 000 suppressions au total. Cette réduction de l’action publique sera également encouragée auprès des collectivités locales, dont on attend qu’elles assument pour leur compte un certain nombre de suppressions de postes. La raréfaction de leurs ressources fiscales propres et de nouveaux transferts de charges devraient les y inciter.
Fiscalité : du sur-mesure pour la bourgeoisie
Citons en effet aux propositions choc de Valérie Pécresse en matière fiscale, trouvées sur son site officiel de campagne :
- mettre en place un « choc de transmission de patrimoine » en créant un régime de donations défiscalisées tous les six ans, jusqu’à 100.000 euros de la part des grands-parents et parents, mais aussi pour des seuils moindres pour les oncles, tantes, frères et sœurs ;
- doubler le crédit d’impôt d’aide à domicile pour aider la prise en charge des enfants et des personnes âgées dépendants. Limiter la taxe sur les salaires aux cas d’emploi de plus de deux personnes à temps plein ;
- aider l’investissement de proximité en créant un crédit d’impôt de 50 % pour les personnes physiques qui investiront jusqu’à 20.000 euros, en action ou en prêt sur cinq ans minimum, dans des entreprises existantes et situées dans des communes de moins de 20 000 habitants ;
- accroître la part de la protection sociale financée par l’impôt pour répondre à l’universalisation de nombreuses prestations sociales et renforcer l’acceptabilité de la Sécurité sociale. Supprimer la cotisation vieillesse salariée de 8,3 % du salaire net jusqu’à 2,2 SMIC ;
- concernant l’IFI (Impôt sur la fortune immobilière), évaluer une exonération à 50 % de la résidence principale à la suite de l’explosion des prix de l’immobilier ;
- renforcer le crédit d’impôt recherche sur les PME et adapter ses dispositions en fonction d’évaluations précises pour accroître encore son efficacité ;
- supprimer la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), impôt de production absurde qui taxe le chiffre d’affaires, pénalise la compétitivité de nos entreprises et se répercute en cascade à toute l’économie, avec de l’impôt sur l’impôt. Quand les réformes auront effectivement permis de réduire les dépenses publiques, il pourra être envisagé de s’attaquer aux autres impôts de production. En veillant toutefois à ne pas réduire l’autonomie fiscale des collectivités locales ;
- après la suppression de la taxe d’habitation, accroître l’autonomie des collectivités locales en matière de fiscalité locale.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que notre candidate ne fait guère preuve d’imagination et qu’elle vise une clientèle électorale précise, à savoir plutôt la bourgeoisie huppée que les jeunes cadres urbains à tendance bohème modifiant la sociologie de certaines villes de banlieue. Valérie Pécresse ne vient pas de Versailles pour rien.
Posons la question : quelles familles françaises disposent d’un patrimoine susceptible d’être partagé dépassant plusieurs centaines de milliers d’euros, sinon les familles bourgeoises aujourd’hui soumises à l’impôt sur la fortune immobilière et jadis à l’impôt de solidarité sur la fortune ? Et quelles familles sont intéressées par un abattement de 50 % sur la valeur de l’habitation principale, telle que prise en compte dans l’assiette de l’impôt sur la fortune immobilière ? On recense aujourd’hui un peu moins de 145 000 familles redevables de l’IFI dont le patrimoine total s’élève à 347 milliards d’euros. Rappelons que la France compte près de 40 millions de contribuables… De même, quelles familles peuvent consacrer 20 000 euros à financer les PME, la somme représentant pratiquement l’équivalent du revenu fiscal de référence moyen ?
Cette mesure rappelle, faut-il le dire, le bon vieux « Madelin », datant de 1994, une sorte de « Madelin » renforcé, un dispositif de plus de vingt ans qui est aujourd’hui utilisé par moins de 40 000 foyers fiscaux pour un coût de 57 millions d’euros pour les finances publiques… L’une des propositions de la candidate est donc de doper un dispositif intéressant un contribuable sur mille ! Et moins de 11 000 autres ménages financent des fonds d’investissement de proximité, pour un coût de 12 millions d’euros pour les finances de l’État… Qui peut laisser penser que ces dispositifs parfois assez peu transparents (des sommes sont perdues dans la gestion des fonds) puissent se substituer à un crédit bancaire fondé sur de nouveaux critères ?
De la même manière, qui peut être intéressé par le doublement du plafond du crédit d’impôt emplois à domicile, puisque la moyenne de dépenses retenues n’est que d’un peu plus de 2 350 euros, pour 12 000 euros autorisés ? De pauvres résidents du XVIème arrondissement ou de Versailles qui veulent faire passer bonne d’enfants, auxiliaire de vie, jardinier et chauffeur aux frais de l’État ? Car un tel doublement, tout à fait hors de proportion pour la grande majorité des familles qui sollicitent le dispositif, mènerait le plafond à 24 000 euros et même à 40 000 euros dans certains cas !
Fiscaliser le financement de la Sécurité sociale
Plus intéressant semble l’idée de « fiscaliser » les cotisations vieillesse. Voici que Valérie Pécresse se préoccupe en effet de « l’acceptabilité » de la Sécurité Sociale en préconisant de recourir à l’impôt en lieu et place des cotisations sociales d’origine.
L’impôt finance déjà exclusivement la branche autonomie (avec 90 % de CSG et 10 % de CNSA), largement l’assurance maladie (avec plus de 53 % de ressources fiscales et plus de 10 % de transferts de ressources tout aussi fiscales), un tiers des allocations familiales et un bon quart de l’assurance vieillesse.
Il s’agit de réduire la part des cotisations acquittées jusqu’à 2,2 SMIC et d’en faire un complément de CSG ou de recettes de TVA affectées. Vu les montants en jeu, on peut penser que l’intention de la candidate de droite est double : retarder l’âge de départ en retraite, tout en modifiant de fait le niveau des pensions qui seront servies en cas de liquidation, et accroître sensiblement la part de l’impôt dans leur financement. Le tout pour aboutir à l’objectif poursuivi : celui de la fusion de comptes de l’État et des comptes sociaux, pour englober leur discussion parlementaire et leur vote dans un seul texte. Quand la Sécurité sociale sera devenue une variable budgétaire, on pourra procéder à son « déplumage » progressif, conduisant à l’émergence plus forte de primes d’assurance privée, notamment pour les retraites.
Nul doute que Valérie Pécresse ne s’inscrive, dans cette affaire, dans le droit fil des réformes des retraites déjà accomplies depuis 1981 et qui ont, toutes, échoué à développer de manière significative l’épargne retraite, malgré les incitations fiscales proposées à l’appui des différents dispositifs. L’assurance vieillesse et les prestations autonomie sont, probablement, les meilleurs « supports » possibles pour tout effort de capitalisation sur le moyen long terme et le fondement de la réforme Pécresse sera d’y contribuer autant que faire se peut.
Le dernier grand point du programme fiscal de la présidente de la région Ile-de-France concerne les collectivités locales. Admettre la suppression de la taxe d’habitation sur l’habitation principale, vouloir s’attaquer aux impôts de production restants et parler d’autonomie locale est pour le moins audacieux et, pour tout dire, contradictoire.
Car le fameux et fumeux concept d’impôts de production recoupe en effet des impôts bien connus des élus locaux, et notamment la CVAE, élément national de la contribution économique territoriale (CET) des entreprises. La CET a rapporté un peu plus de 20 milliards d’euros aux collectivités locales (14 pour la CVAE, 6,5 pour la CFE), soit environ un point de PIB. Le foncier bâti industriel et commercial a, pour sa part, dégagé un peu plus de 12 milliards de rendement et risque fort, si l’on n’y prend garde, de rester la seule contribution des entreprises au financement local. Comment ne pas se rendre compte que les seules collectivités dont les ressources soient aujourd’hui préservées sont celles dont le parc de logements est majoritairement composé de… résidences secondaires !
La C3S que Valérie Pécresse souhaite supprimer est d’un rendement (moins de 4 milliards d’euros) presque anecdotique, rapporté à la production nationale de biens et de services. Le fait qu’elle soit une recette de l’assurance vieillesse pose d’ailleurs la question récurrente de son éventuel remplacement. D’autant qu’elle est censée faciliter le financement de l’assurance vieillesse des travailleurs indépendants non salariés.
Au rang des impôts de production, on notera que figurent aussi le forfait social et la taxe sur les salaires, aujourd’hui recettes fiscales affectées à la Sécurité Sociale, ou le versement transport, recette déterminante pour le fonctionnement et le développement des transports publics en commun. Comment comprendre que la Présidente de la Région Ile de France, par ailleurs gestionnaire du plus important syndicat de transports du pays, puisse revendiquer une mise en cause de ce qui finance, pour partie, les investissements dans les transports franciliens ou encore une bonne partie de la pratique de tarifs sociaux ? Sans le versement transport, le passe Navigo serait plus lourdement pris en charge par les usagers eux-mêmes, et singulièrement les plus modestes.
On ne pourra pas, comme cela s’est déjà dessiné sous le quinquennat Macron et semble vouloir se prolonger, continuer à « partager » le produit de la TVA et/ou de la CSG pour substitution aux ressources perdues. Sauf à en augmenter le taux ? TVA à 25 % et CSG à 15 % pour tout le monde ?