Réforme des retraites Macron-Medef : Tous gagnants ? La bonne blague !

Jusqu’à peu, le gouvernement et le Medef ont travaillé à l’intégration des travailleurs à leur projet de réforme des retraites visant à plafonner la part des richesses produites consacrées au financement des pensions. Ils se sont appuyés pour cela sur l’hypothèse d’une réforme des retraites en système à points portée par certains syndicats. Sans succès.

Prenant acte de leur échec, ils accélèrent désormais la mise en œuvre de la réforme. Jouant sa partition, le Medef a donné le signal. Il a tancé le gouvernement pour qu’il accélère la concrétisation des effets de la réforme, sans avoir à attendre les 10 à 15 prochaines années pour sa montée en charge complète. Utilisant l’argument du COR d’un déséquilibre financier en 2025 de la branche vieillesse, G. Roux de Bézieux, président du Medef, a affirmé sur le péron de Matignon que « l’équité c’est bien, mais cela ne peut faire l’économie de l’équilibre ». En clair, en complément de la réforme systémique, il fallait immédiatement des mesures d’ordre paramétrique reculant l’âge de départ à la retraite et baissant le niveau des pensions servies afin, d’une part, de supprimer tout risque d’un potentiel relèvement des prélèvements sociaux sur les entreprises qui pèserait sur la rémunération du capital et, d’autre part, d’assurer l’ouverture en grand du système aux marchés financiers. Pour le Medef, quels que soient les besoins, les retraites ne devront donc pas coûter aux profits des entreprises, ni aujourd’hui ni demain.

Aux ordres, le gouvernement Macron-Philippe a obtempéré. Il a démissionné son commissaire spécial, puis, à grand renfort d’un babille lustré à l’universalisme et à l’esprit d’équité, il a confirmé une série de propositions qui imposeront dès l’an prochain un recul de l’âge effectif de départ à la retraite et une baisse du niveau des pensions.

Le gouvernement a affirmé qu’avec la réforme tout le monde y serait gagnant. Mais comment peut-il affirmer cela alors que tous les éléments de la réforme en main disent le contraire ?

Pire, tous ces éléments montrent que nous serons bel et bien toutes et tous perdant·es.

  • Les générations les plus proches de la retraite subiraient des mesures d’âge (report de l’âge de départ ou allongement de la durée de cotisation), imposées par une « loi-cadre ». Au lieu de les annoncer immédiatement, le gouvernement les renvoie aux acteurs sociaux, tout en précisant bien que s’il n’y a pas d’accord la loi les imposerait d’ici à 2021 !
  • Les générations les plus jeunes subiraient elles les reculs induits par le nouveau système à points : le maintien de leur niveau de vie ne serait plus garanti, au contraire.

L’application de la réforme est reculée… mais pas la baisse des pensions

Les générations nées avant 1975 ne seraient pas touchées par la réforme « à points », gardant l’ancien régime. Mais elles seraient fortement touchées quand même avec les économies à court terme, et notamment par un âge d’équilibre fixé à 64 ans en 2027. Toute personne qui partirait avant cet âge, subirait une décote, quel que soit son nombre d’annuités.

En clair, alors que le gouvernement souhaite nous faire penser que les générations précédentes seraient épargnées par la réforme, ce ne sera pas du tout le cas !

Les « garanties » en trompe-l’œil : un écran de fumée

Le gouvernement annonce que la valeur du point serait indexée sur les salaires, et fixée chaque année, en fonction de la situation économique et démographique, par les acteurs sociaux.

Ceci ne garantirait en rien le niveau des pensions, la part du salaire que chacune et chacun conserverait à la retraite. D’autant plus que le gouvernement annonce que l’âge d’équilibre à atteindre pour ne pas avoir de décote reculerait avec le temps, et assume clairement qu’« il faudrait travailler plus longtemps ». Le gouvernement annonce une règle d’or pour que la valeur des points acquis ne baisse pas.

Problème : il existe une valeur du point par âge de liquidation et par génération (départ à 62 ans valeur 40 centimes, 63 ans 52 centimes, 64 ans 55 centimes). Les salariés seraient donc contraints à choisir entre leur âge de départ et le montant de leur pension.

Le gouvernement communique avec insistance sur une pension minimale de 1 000 € pour une carrière complète en 2022. C’est déjà ce qui serait obtenu avec le système actuel pour une carrière complète au SMIC en 2022 : ce n’est donc pas une amélioration du système, et c’est sans rapport avec l’application d’un système par points. Et c’est surtout sans effet pour tous les salarié. es qui n’ont pas de carrière complète !

Le gouvernement explique que la prise en compte de toutes les heures travaillées serait une grande avancée pour les précaires et notamment pour les femmes. Aujourd’hui, pour valider un trimestre, il faut avoir travaillé 150 heures SMIC, soit environ 12 heures par semaine (et moins si on est payé audessus du SMIC). Mais, la règle des 25 meilleures années permet de neutraliser l’effet des accidents de carrière dans le calcul des pensions.

Avec la réforme Macron, ces périodes de précarité ne pourraient plus être évacuées pour calculer le montant de la pension et dégraderaient fortement les droits de celles et ceux qui auraient des périodes de chômage, de précarité ou de temps partiel (notamment les débuts de carrière des jeunes diplômés, thésards, doctorants…)

Ils avaient tout prévu depuis le début !

Le gouvernement a confirmé les principes centraux de sa réforme :

  • Instituer une règle d’or et bloquer les ressources dévolues au financement de nos retraites à leur niveau actuel, c’est-à-dire 14 % de PIB. Quel est le problème? Le nombre de personnes de plus de 65 ans va augmenter d’un tiers d’ici 2050 ce qui signifie que le niveau des pensions va s’effondrer.
  • Transformer les pensions en variable d’ajustement. Le montant de votre pension ne serait connu qu’au moment du départ en retraite. Cela dépendrait de la valeur du point qui serait déterminée au moment du départ en retraite et ajusté en fonction de l’espérance de vie, de la situation économique et démographique. Le montant de votre pension pourrait même baisser une fois que vous serez parti à la retraite, en cas de crise économique. C’est ce qui s’est passé en Suède qui a un système similaire. Entre 2010 et 2014 les pensions des retraité.e.s ont baissé de 10 %. On passerait donc d’un système à prestations définies, où le niveau de pension est garanti, à un système à cotisations définies, où le montant des cotisations serait bloqué et où ce seraient les pensions qui s’ajusteraient à la baisse.
  • Prendre en compte toute la carrière au lieu des 25 meilleures années dans le privé et des 6 derniers mois dans le public. Conséquence : celles et ceux qui auront une carrière ascendante seront particulièrement pénalisés… comme ceux et surtout celles qui auraient une carrière hachée avec du temps partiel et de la précarité

Pour les femmes, une perte massive se confirme…

Le gouvernement confirme les reculs sur les droits familiaux et les pensions de réversion.

  • Les pensions de réversion, qui bénéficient à 90 % de femmes, ne seraient plus accessibles à 55 ans mais seulement à l’âge de départ en retraite (donc pour la majorité 64 ans), et les couples divorcés n’y auraient plus accès.
  • Les majorations de 8 trimestres par enfant dans le privé (4 dans le public) pour les femmes et la bonification de 10 % pour les parents de plus de 3 enfants seraient supprimées. à la place une majoration de 5 % au choix des deux parents pour chaque enfant. Les projections ont montré que la quasi-totalité des mères y perdraient, y compris celles qui n’ont qu’un ou 2 enfants. Pour répondre aux critiques de la droite, édouard Philippe annonce une majoration de 2 % supplémentaire pour les parents de plus de 3 enfants, a priori toujours au choix du père ou de la mère. Malgré cela, la perte par rapport à la situation actuelle serait toujours très importante pour les familles de plus de 3 enfants. Le Premier ministre annonce le maintien de la validation des périodes d’interruption pour élever des enfants, mais seulement pour les familles de plus de 3 enfants, et sans préciser le nombre de points qui seraient validés.

Les 2 principes centraux de la réforme pénaliseront directement les femmes :

  • Avec la prise en compte de toute la carrière au lieu des 25 dernières années, les périodes de temps partiel et d’interruption pour charges familiales se paieront cash.
  • Le gouvernement confirme qu’avec sa réforme il faudrait travailler plus longtemps. Pour les femmes, qui ont des carrières plus courtes que celles des hommes, c’est très pénalisant.

Les cadres seraient particulièrement pénalisés, au grand bonheur des fonds d’investissements

Le Premier ministre a confirmé 2 mesures qui vont particulièrement pénaliser les cadres et renvoyer toutes celles et ceux qui ont les moyens d’épargner vers les fonds d’épargne retraite et la capitalisation. C’est bien l’objectif central de la réforme: permettre aux fonds d’investissements (BackRocks…) de mettre la main sur l’épargne des Français-es et de l’utiliser pour spéculer sur nos entreprises et notre travail.

  • La prise en compte de toute la carrière au lieu des 25 meilleures années ou des 6 derniers mois pénaliserait toutes celles et ceux qui ont une carrière ascendante.
  • 10 % des cadres ne vont plus cotiser sur l’ensemble de leur salaire. Jusqu’à présent, les cadres sup’ cotisent obligatoirement pour la retraite jusqu’à huit plafonds de la Sécurité sociale, soit 328 724 € annuels en 2020. Avec la réforme Delevoye, ils ne cotiseraient plus que jusqu’à trois plafonds soit 123 264 €. Une perte majeure de droits pour les intéressé·e·s, condamné·e·s à jouer une partie de leur retraite sur les marchés financiers (en se constituant une épargne dont les assureurs ne garantissent même pas la restitution). Une perte surtout pour le système de retraite par répartition qui serait privé de cette part des cotisations.

Les chiffrages de l’AGIRC/ARRCO demandés par la CGT démontrent que la perte serait de 3 milliards par an à partir de 2021 et de 70 milliards en cumulé d’ici à 2040.

Avec cette mesure, le gouvernement organise le déficit de notre système par répartition et offre un boulevard aux fonds d’épargne retraite, Black Rock en tête.

Pénibilité : de qui se moque-t-on ?

Le gouvernement confirme la fin de tous les régimes spéciaux, ainsi que de tous les dispositifs, hormis pour les professions en uniformes, qui permettaient un départ avant 60 ans. C’est par exemple le cas dans la Fonction publique pour les infirmières, les sages-femmes, les aides-soignantes, les égoutiers, c’est aussi le cas pour les marins, les cheminots… Pour tous-tes les autres, la généralisation du compte de prévention de la pénibilité mis en place dans le privé depuis 2015.

Au menu, un départ au mieux à partir à 60 ans. Et encore, il faudrait avoir atteint des expositions maximales et donc n’avoir vraiment plus beaucoup de temps à vivre car :

  • Les critères de pénibilité sont a minima et discriminants pour les femmes. Seuls 6 critères sont pris en compte : les activités exercées en milieu hyperbar ; les températures extrêmes; le bruit; le travail de nuit; le travail en équipes successives alternantes; le travail répétitif. Exit le port de charges lourdes, les postures pénibles, l’exposition aux vibrations mécaniques ou aux risques chimiques. Depuis la mise en place du compte pénibilité dans le privé, 75 % des salarié.e.s qui y ont acquis des points sont des hommes (source : Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes).
  • Des seuils de reconnaissance dissuasifs. Les seuils d’exposition pour valider des points sont très élevés. Pour les points liés aux températures, il faudrait avoir travaillé 6 mois de l’année (900 heures) dans des températures inférieures à 5 °C ou supérieures à 30 °C ! Pour partir à 60 ans il faudrait avoir été exposé pendant au moins 25 années à un facteur de risque ou pendant 12,5 années à plusieurs facteurs… Seule inflexion annoncée, le travail de nuit pour lequel les seuils seraient abaissés, mais sans aucune précision (actuellement il faut avoir travaillé 120 nuits par an !)

De l’aveu même du Premier ministre, seules 1⁄4 des aides-soignantes pourraient partir plus tôt, c’est-àdire entre 60 et 62 ans, alors qu’aujourd’hui elles peuvent toutes partir à 57 ans !

Rappelons qu’en France :

  • L’espérance de vie en bonne santé stagne à 63,4 ans en moyenne…
  • L’espérance de vie en bonne santé n’est que de 59 ans pour un ouvrier.
  • L’espérance de vie d’une infirmière est de 7 ans inférieure à celle de la moyenne des femmes.

Vous avez envie de travailler plus longtemps ?

Le Premier ministre a été clair: avec sa réforme, il faudra travailler plus longtemps.

L’âge de départ en retraite est aujourd’hui de 62,4 ans en moyenne, en prenant en compte les départs anticipés liés à la pénibilité et aux régimes spéciaux.

Avec la réforme du gouvernement, une décote de 5 % par an sera mise en place pour toutes celles et ceux qui partiront avant 64 ans (voire avant en cas de mesure « paramétrique »). Aujourd’hui, ce sont des centaines de milliers de personnes qui partent avant 64 ans qui seraient concernées par cette décote et verraient leur pension sévèrement rabotée. Le gouvernement confirme que cet âge pivot serait progressivement repoussé. Pour les générations nées en 1980, l’âge sans décote est déjà prévu d’être 65,4 ans. Pour celles de 1990, ce sera 66,25 ans. Et à chaque fois sans garantie du niveau de pension !

Mais cela ne signifie pas un départ à taux plein à 64 ans, loin de là ! Le vrai enjeu est dans la valeur du point. J.-P. Delevoye indiquait qu’elle serait aujourd’hui de 0,55 € pour 1 point. Il faudrait donc aujourd’hui cotiser en continu 43 ans pour pouvoir partir à la retraite avec 60 % de son dernier salaire (comme les hommes cadres aujourd’hui avec 41,5 annuités) ou 47,5 ans pour obtenir 66 % de son dernier salaire (comme les femmes cadres aujourd’hui).

Cerise sur le gâteau, J.-P. Delevoye annonçait discrètement que cet âge pivot sera amené à évoluer en fonction de l’espérance de vie… sans réforme, grâce à la règle d’or et au système de pilotage automatique mis en place par le gouvernement.

Pourtant aujourd’hui :

  • 50 % des plus de 60 ans sont au chômage. Repousser indéfiniment l’âge de départ, c’est renvoyer vers le chômage toujours plus de seniors et abaisser d’autant le montant des pensions.
  • Les progrès technologiques, la révolution numérique, et l’intelligence artificielle et les nouvelles possibilités d’automatisation permettent des gains de productivité massifs. Sans réduction collective du temps de travail, cette révolution technologique se traduira (et ça commence déjà dans tout le secteur tertiaire !) par du chômage de masse. Allonger la durée du travail est un non-sens économique et social.
  • L’espérance de vie en bonne santé stagne à 63,4 ans en moyenne…

Autrement dit, avec la réforme Macron, la retraite, ce sera seulement quand on ne pourra plus en profiter…

Eh les enseignant.e.s, vous n’avez pas la désagréable impression qu’on vous balade ?

Alors que les enseignant.e.s français.e.s sont parmi les moins bien payés de l’OCDE et que la réformedes retraites leur ferait perdre entre 700 et 900 €, le gouvernement s’est contenté d’annoncer qu’ils et elles auraient une revalorisation avant la fin du quinquennat, avec une mise en œuvre progressive, sans aucun engagement de montant !

Cerise sur le gâteau, le gouvernement annonce que ceci s’intégrerait dans une modification des métiers et des carrières !

Autrement dit une revalorisation a minima et sous forme de prime (donc aléatoire et conditionnée) et en contrepartie de modifications dans les obligations statutaires !

Mais de qui se moque-t-on ???