Les quatre mois de résistance, avec occupation d’usine de près
de deux semaines à l’initiative de la CGT, ont ouvert une brèche sur ce dossier que la direction de GE et le gouvernement, son allié servile, voulaient régler rapidement et sans vague. Il était entendu que la turbine à gaz n’avait pas d’avenir, que la réduction de 50 % des emplois était « incontournable » et que la seule discussion ouverte devait porter sur les conditions des licenciements et quelques pistes de diversification toutes plus aléatoires les unes que les autres.
Les acquis du rapport de force initial
L’unité entre ouvriers, techniciens, et ingénieurs a été la grande force du mouvement, dans une entreprise où les ouvriers sont moins nombreux que les deux autres catégories réunies. Le refus initial de l’intersyndicale CGC-Sud-CGT de rentrer dans la négociation sans un moratoire sur les licenciements, son travail d’information sur l’avenir industriel de la turbine à gaz dans le mix énergétique, son exigence du respect des accords de la vente d’Alstom de 2014, ses révélations sur le détournement de la valeur produite sur le site de Belfort au profit d’une filiale suisse de GE agissant comme pompe aspirante, ont initié un mouvement remarquable. Ces actions, ce positionnement offensif sur la préservation de l’outil industriel et des compétences dans la turbine, qui n’était pas gagné au départ car la CGC et Sud étaient ambigus sur la diversification, ont permis de construire un rapport de force puissant, dans l’entreprise et dans le territoire. Les élus locaux, du maire LR à la présidente de région PS macroniste, qui tiraient eux aussi un trait noir sur la turbine à gaz, ont dû réviser leur position. Le gouvernement a été bousculé, Bruno Le Maire devant reconnaître publiquement qu’il avait évolué sur le dossier !
La force du mouvement a été d’élaborer des plans alternatifs à la suppression des 1 000 emplois, dont le plan B de la CGT a été l’initiateur, en proposant une réorganisation de l’entreprise requalifiante pour les ingénieurs et sécurisante pour les ouvriers, afin que le site ne se transforme pas en un centre de sous-traitance délocalisable, mais récupère les fonctions stratégiques délocalisées. C’est sur cette lutte de haut niveau politique et idéologique, contestant la chaîne d’activité mondiale de GE et ses critères d’organisation centrés sur « le cash » à réaliser le plus vite possible que l’unité du salariat s’est construite. La contestation de la gestion de l’industrie énergétique par GE, l’idée selon laquelle le capital privé et ses critères ne sont pas la bonne solution pour assurer le développement des secteurs stratégiques sont aujourd’hui largement partagées par les salariés, la population, jusqu’aux patrons sous-traitants… C’est un des grands acquis de ce mouvement.
Les communistes du territoire de Belfort, en lien avec la direction nationale, peuvent s’honorer, non seulement d’avoir dès le début soutenu activement le mouvement syndical, mais surtout d’avoir fourni un aliment politique régulier avec leurs propositions et contribué ainsi à la construction du rapport de force : Belfort premier lieu de visite de Fabien Roussel dans son tour de France des entreprises, un appel national et plusieurs conférences de presse avec Frédéric Boccara, une belle solidarité des communistes des départements de la région Bourgogne-Franche-Comté et limitrophes du Grand Est présents à la grande manifestation du 22 juin, autour du député Alain Bruneel, dans un cortège bien visible du PCF, deux débats à la fête de l’Humanité, et au total quelques 30 000 tracts distribués aux portes de l’usine et dans la ville. Aucune force de gauche locale ne s’est autant impliquée. Des liens nouveaux se sont construits avec les salariés et syndicalistes en lutte, débouchant sur des adhésions au PCF.
L’accord-cadre de GE et du gouvernement ne sauve pas la turbine à gaz
L’unité syndicale s’est disloquée sous la pression conjuguée de la direction de GE et du gouvernement, liés par une collusion étroite, et des élus locaux, voulant les uns et les autres sortir au plus vite d’un conflit qui se durcissait avec l’occupation d’usine, assurée principalement par les ouvriers et la CGT. La direction de GE a mis le couteau sous la gorge des salariés avec une proposition-ultimatum réduisant de 300 le nombre de suppressions d’emplois, à accepter sinon retour à la case départ. Les élus locaux, au lieu de s’appuyer sur le rapport de force, ont sorti le portefeuille et soutenu GE dans cette concession ultime, en proposant le rachat des locaux.
Seule la CGT a résisté en refusant de signer un accord qui ne répond ni aux besoins du territoire de Belfort, ni à celui de l’industrie énergétique nationale car :
– la pérennité de l’activité turbines à gaz, complément nécessaire des énergies renouvelables, n’est pas assurée, alors que le marché connaît un rebond ;
– 200 emplois de diversification aéronautique sont annoncés… pour l’année 2023 (!) ;
– les reculs sociaux demandés aux salariés (RTT, salaires, intéressement) au nom de « l’équilibrage des efforts » de baisse de coûts sont indécents eu égard aux dividendes versés et à la mise en déficit délibérée du site de Belfort par les royalties, intérêts, et prix de transfert payés à la filiale suisse.
Une nouvelle étape dans la lutte
La lutte n’est donc pas finie, ni localement, ni nationalement, car non seulement, il est d’intérêt national de mettre en échec le plan de restriction de la turbine à gaz, injustifié du point de vue écologique, mais c’est aujourd’hui toute la filière de l’énergie qui est en train d’être démantelée, dans tous les types d’énergie: nucléaire, hydroélectrique, éolien, gaz, pétrolier, et ceci de l’industrie aux services, comme en témoigne le projet Hercule d’EDF de séparation des activités pour privatisation du renouvelable et de la distribution, ou le démantèlement de Technip. à GE, tout serait à vendre au plus offrant, y compris le nucléaire !!!
Il y a donc nécessité d’une politisation de la lutte dans cette phase, portant sur les enjeux de toute la filière avec deux axes centraux :
– la promotion d’une efficacité nouvelle fondée sur l’emploi et les qualifications contre les prédations financières du capital ;
– le retour à une maîtrise publique par l’intervention de la BPI, abondée éventuellement par celle des collectivités locales, mais avec des conditions dures et précises, des comités de suivi ouverts aux organisations syndicales et dotés de pouvoirs effectifs, à l’opposé des financements publics actuels sans contrepartie ni pouvoirs, comme à Belfort, où les collectivités rachètent des locaux et finalement accompagnent un plan de 500 licenciements…
Localement, dans le territoire de Belfort, la lutte se décline actuellement sur deux axes :
– Dans l’entreprise, une résistance pied à pied pour empêcher la délocalisation de la ligne de production stator combustion, pour défendre les compétences, les savoir-faire menacés par le plan, et pour réintégrer les fonctions stratégiques (commerciale, gestion de projet, financière) prévues dans l’accord de vente d’Alstom en 2014, conditions que GE n’a pas respecté.
– Au-delà de l’entreprise, la mise en cause par les communistes du rachat des locaux par les collectivités locales, bien relayée par la presse locale, a contraint le maire de Belfort à s’expliquer publiquement et être sur la défensive. La bataille sur l’utilisation des fonds publics et leur contrôle va irriguer la campagne des municipales.
Mais l’aliment politique sur les perspectives concernant la filière de l’énergie dans son ensemble est plus que jamais nécessaire pour relancer et faire converger les mobilisations. L’enjeu actuel est donc d’articuler des propositions locales ou sectorielles offrant des débouchés concrets et réalisables, avec une proposition de portée nationale sur l’ensemble de la filière.
Nationalement, le chantier urgent pour les communistes est donc de construire un projet ambitieux de développement de la filière industrielle énergétique, en cohérence avec le mix énergétique choisi et les défis climatiques, reposant sur trois impératifs: la reprise en main publique de la filière, des financements hors des critères de rentabilité à court terme des marchés financiers, et des structures de contrôles démocratiques. L’élaboration collective d’un tel projet implique la mise en réseau des communistes sur toute la filière et des échanges avec les syndicats des divers secteurs. Les mobilisations locales, portant leurs exigences propres, mais s’inscrivant aussi dans ce projet de filière partagé, n’en auraient que plus de force.
Un groupe de travail national « énergie » du PCF est en cours de constitution, pour préparer une conférence nationale, premier acte conduisant aux « États Généraux de l’industrie de l’énergie » pour faire retentir un grand débat public sur l’avenir que nous voulons donner à la filière de l’énergie, face aux immenses défis de la transition écologique et des concurrences destructrices, auxquelles il faut substituer, notamment à l’échelle européenne, des coopérations mutuellement avantageuses.
Enfin, parce que la gauche en France ne saurait se relever sur le seul discours humaniste et abstrait, mais doit se reconstruire sur des propositions concrètes en appui des luttes, le secrétaire national du PCF va interpeller prochainement les forces de gauche sur des initiatives communes pour contraindre le gouvernement à sortir de sa posture d’accompagnement des prédations financières du capital et son renoncement à toute ambition industrielle pour le pays, exiger qu’il suspende les tractations éventuelles de vente à la découpe de GE avec les groupes privés, et imposer un grand débat public, au Parlement et hors duPparlement, sur l’avenir de la filière énergétique. Il s’agit aussi de jeter à gauche les bases d’une politique industrielle partagée pour prétendre un jour gouverner ensemble.
C’est en effet dans la confrontation au réel de dossiers sensibles et fondamentaux, comme celui de la filière de l’énergie, que pourra se construire sur des bases solides l’alternative de transformation sociale et écologique dont les peuples et la planète ont tant besoin.