Désindustrialisation de la France, que faire ?

Lors de l’édition 2019 de la Fête de l’Humanité, la Fédération du PCF des Bouches-du-Rhône a organisé un débat croisé sur les enjeux d’une nouvelle industrialisation pour le pays. Frédéric Boccara, Henri Guaino et Arnaud Montebourg en étaient les protagonistes. Nous retranscrivons dans ces colonnes les échanges qui ont eu lieu.

La Fédération PCF des Bouches-du-Rhône : Dans les Bouches-du-Rhône, nous avons eu des luttes dans différents secteurs. Notamment l’agroalimentaire, avec les camarades de Fralib qui ont créé Scop-Ti, qui vend le thé 1336, pour reprendre leur entreprise et continuer son activité. Aujourd’hui, le débat est élargi à l’activité industrielle en général. Toujours l’industrie est en proie aux logiques des intérêts financiers, avec des conséquences sur l’économie, nos emplois, nos savoir-faire, on l’a vu hier, l’indépendance productive, les filières. Et toute une série de questions que l’on peut se poser. Principalement, aujourd’hui, quelle responsabilité des dirigeants nationaux et européens, quelle responsabilité sociale des entreprises ?

Arnaud Montebourg : Bonjour à tous, je voudrais saluer des visages qui me sont familiers, Frédéric Boccara et Henri Guaino, à travers des dossiers que nous avons eu à affronter ou remonter ensemble, et qui sont la conséquence d’un certain dossier qui s’appelait Alstom, et dont Nicolas Sarkozy a eu à s’occuper. Ce sont des sujets que nous suivons de quinquennat en quinquennat, et qui nous poursuivent encore.

La question de la désindustrialisation est intéressante, parce que l’on voit bien la différence avec d’autres pays européens qui, avec un même niveau de salaire, une même organisation économique, l’Allemagne, l’Italie par exemple, des pays qui ont subi de façon différente l’austérité de ces 10 dernières années mais qui s’en sont sortis aussi de façon très différente de nous sur le plan industriel.

La France a subi des abandons considérables, puisque son industrie s’est rétrécie à 11 % de son PIB, nous sommes la lanterne rouge des 5 puissances économiques, Angleterre compris, et nous sommes maintenant passés les derniers en part de production industrielle dans la richesse nationale. L’Allemagne, elle, s’est renforcée, l’Italie s’est maintenue.

L’Italie est à 19 %, l’Angleterre, malgré les années de désindustrialisation thatchériennes est à environ 15 % et nous, nous sommes à 11 %. C’est donc bien que nous n’avons pas pris les bonnes décisions, nous pouvions peut-être trouver d’autres manières de faire.

Comment lutter contre la désindustrialisation ?

D’abord, garder ce qu’on a, le mieux et le plus possible. Mais quand une entreprise connaît des difficultés, vous avez l’idéologie libérale du « laisser-faire » qui dit « Quand quelqu’un est malade, c’est normal de la laisser mourir ». C’est comme si on imaginait qu’une entreprise ressemblait à une personne humaine et qu’on lui disait : « Vous êtes malade, vous n’avez pas le droit d’aller à l’hôpital, on ne vous soignera pas, on vous laissera mourir parce que c’est bien pour les autres. » C’est exactement cette vision-là ! donc évidemment, j’ai quelques souvenirs personnels, je pense qu’Henri pourra vous en donner d’autres, puisqu’ils ont vécu la traversée de la crise, avec l’arrêt de l’économie qui était en état d’infarctus; donc ils ont pris des décisions importantes et qui pour moi n’ont pas été négatives loin de là, pour maintenir un certain niveau d’activité.

Les Allemands, ont fait une chose ; ils ont payé les gens dans les entreprises à ne rien faire, ce qui est assez intéressant, c’est-à-dire qu’ils ont mis je pense 15 milliards, si mes chiffres et ma mémoire sont bons, de chômage technique pour tenir la réouverture des carnets de commandes parce qu’il n’y avait plus de commandes.

Nous, la France, j’en suis témoin j’étais président de mon département en Saône-et-Loire, on a mis 5 à 10 fois moins selon les stratégies. Et donc finalement nous on a fermé et on a laissé fermer et puis quand il y a eu non pas un retour à la normale mais en tout cas un retour d’amélioration, les allemands en ont profité, nous pas.

Les Italiens, ils ont fait autre chose, c’est de l’économie familiale ; c’est-à-dire qu’ils se mettent entre eux pour se protéger. Les meilleurs dans les districts industriels se mettent à payer pour les moins bons, puisque c’est toujours le beau-frère, le fils, la grandmère qui sont propriétaires des différentes petites entreprises. Ils ont organisé la « solidarité entrepreneuriale » par secteurs et ils ont tenu.

Nous, nous avons laissé mourir et je me souviens lorsqu’on a lancé le redressement productif et que l’économie continuait de s’effondrer, parce qu’elle a continué de s’effondrer, eh bien, on se faisait beaucoup attaquer sur ce thème « l’état en fait trop », alors que moi je considérais qu’on n’en faisait pas assez.

Alors qu’a-t-on fait ?

Premièrement, on a créé une banque avec l’argent de l’état, ce n’est pas la BPI, la BPI ne venait pas au secours des entreprises en difficulté. On a réactivé le « Fonds de développement économique et social » le FDES qui a été créé en 1945 et qui avait été supprimé. J’ai demandé au Premier ministre et au Parlement 400 millions d’euros pour pouvoir nous porter au secours et faire la banque pour les entreprises qui se restructuraient. Il ne s’agit pas pour les entreprises de ne plus gagner de l’argent, non, on adapte ses capacités de production, mais on ne les ferme pas, parce qu’on garde les savoir-faire, on garde les brevets, on garde les centres de décision, on garde les labos de R & D (recherche et développement) s’il y en a, et quand ça repart, ça repart, donc l’entreprise est assainie. Mais il n’y a plus de banques pour faire ça dans notre pays, les banques font tout autre chose, mais elles ne font pas ça. Donc, nous avons organisé, en quelque sorte, la banque sous argent public. La Commission européenne nous a emmerdé, puisque c’est une aide d’état, mais nous avons résisté, et nous avons eu quelques succès. Par exemple, une entreprise des Bouches-du-Rhône qui s’appelle KEM-ONE, c’est une entreprise de chimie. Cette entreprise était dans la chaîne de transformation depuis le pétrole jusqu’aux produits finaux dérivés. Cette entreprise employait 1800 personnes, c’était l’exemple type, si l’entreprise tombait, les dominos autour tombaient.

Nous avons dit à Total, à Arkema, qui sont en amont et en aval de la production, « Si vous voulez que ce maillon continue à fonctionner, vous mettez 50 millions vous et 70 millions nous », et puis j’ai utilisé la ligne du Premier ministre à 400 millions d’euros et on a relancé la machine.

Nous sommes allés inaugurer la nouvelle usine qui est à Fos sur Mer et il y a le même niveau d’employés, donc, c’est possible.

Qui a mis l’argent ?

Ce sont la banque publique que nous avons créée, qui ne disait pas son nom, et dont on a pas le droit de dire le nom – c’est de l’argent public qui a été intégralement remboursé – et Total et Arkéma nous disent : « on a bien fait de le faire », alors qu’ils ne voulaient pas mettre de l’argent au début. Mais je leur ai dit : « Vous allez le faire parce qu’on n’a pas le choix et que si vous vous trouvez dans cette situation ce sera plus grave encore pour vous. » Donc, on a trouvé du soutien privé, du soutien public et on a une boîte avec des salariés qui ont le sourire, parce qu’ils ont une usine neuve, ils ont des marchés et une entreprise qui tourne.

Quand ça va mal, il faut imaginer tous les stratagèmes pour garder nos outils de travail. Et là, je pense qu’il y a un compromis historique à construire avec toutes les forces du pays. C’est presque un combat transpartisan. C’est-à-dire, quand on est capable de trouver des solutions on les trouve. Il faut oser trouver des solutions qui ne sont pas formatées par la doxa libérale de la Commission européenne et qui ne sont pas formatées par les polycopiés dans lesquels l’inspection des finances fabrique ses jeunes inspecteurs des finances ; ça fait partie de la vision volontariste, je dirai presque keynésienne de l’action publique.

Henri Guaino : Merci pour votre invitation, je suis ravi d’être sur cette tribune, je pense que les échanges vont être intéressants et vont peut-être décevoir certains d’entre vous, parce que les fractures sur ce sujet sont beaucoup moins profondes qu’on ne le pense en général ; en tout cas pour ce qui est des gens qui sont sur cette tribune, je ne parle pas des partis. Peut-être que M. Boccara aura à cœur de les creuser, cet après-midi, mais je pense que nous pouvons avoir des échanges assez fructueux sur ces questions.

Je vais partir un peu plus loin si vous le permettez et un peu plus haut. Alors un peu plus loin d’abord, parce qu’avant d’être député, j’ai été dans ma jeunesse commissaire au Plan, une institution qui m’a d’ailleurs donné l’occasion de venir à la fête de l’Humanité.

Je vais m’arrêter un instant sur cette institution. Elle incarnait un monde qui est à l’opposé de celui que nous construisons depuis une quarantaine d’années. Ce n’est pas une institution qui a été inspirée par la révolution Russe, c’est une institution qui est particulière, qui a été conçue par une personne assez libérale, on pourra discuter beaucoup de cet aspect de sa personnalité et de son nom, il s’agit de Jean Monnet.

Jean Monnet était quand même assez dirigiste, il n’a pas dit qu’il était pro soviétique, ni partisan du Gosplan enfin, il a eu une très bonne idée à la fin de la guerre. Il a dit « bon voilà, aujourd’hui on n’a pas de plan, tout le monde a le sien et le problème, c’est qu’il y en a trop, il faut arriver au moment de la reconstruction à faire converger les plans de chacun » ; il y avait les plans du patronat (dans les plans du patronat il y a l’industrie), les plans de l’Administration, les plans des syndicats. Chacun avait le sien. Son idée c’était de mettre tout le monde autour d’une table, non pas seulement pour discuter, mais pour travailler ensemble et accoucher d’un projet commun.

La première question qui s’est posée à l’époque, elle était très simple : doit-on commencer la reconstruction par les industries de base, par les infrastructures ou bien par les industries de biens de consommation. Et, après de très longs débats, les partenaires de cette nouvelle planification ont décidé qu’il fallait commencer par reconstruire les infrastructures et les industries de base et qu’il fallait investir massivement pour arriver à cette reconstruction le plus vite possible.

Pour vous donner une idée de la différence de monde, de la différence des deux mondes, celui d’hier et celui d’aujourd’hui: à l’époque, la France était extrêmement endettée, les estimations concourent autour d’une dette qui était plus de 2 fois le revenu national, il y avait beaucoup d’inflation, les déficits étaient considérables et néanmoins le 1er plan, le 1er plan de Monnet, était un plan d’investissement massif.

Un haut fonctionnaire de l’époque, qui s’appelait François Bloch-Lainé, venait d’être nommé directeur du Trésor, on venait d’inventer la direction du Trésor, en regroupant deux anciennes directions du ministère des Finances. Dans ses mémoires, il dit « Voilà, sur mon bureau le 1er dossier que j’ai trouvé en arrivant, c’était le plan Monnet, le 1er plan » et il dit « c’était une fuite en avant ». C’est vrai que c’était une fuite en avant par rapport à la situation financière de la France à ce moment-là. Et il ajoute, « J’ai néanmoins approuvé cette fuite an avant, parce que c’était la seule chance pour la France d’échapper au malthusianisme ». On aimerait entendre ce genre de chose aujourd’hui beaucoup plus souvent.

La pensée commune à l’époque après les expériences de l’entre-deux-guerres, de la grande crise, c’était celle-là. C’était une pensée qui ne voulait pas recommencer les mêmes erreurs, celles qui nous avaient menés à la grande crise ; c’était une pensée qui savait que le « laisser-faire » avait ses limites. Ce n’est pas forcément une pensée dirigiste. Mais qui pensait que le marché avait ses limites, que l’état avait un rôle à jouer, que ce rôle il pouvait d’autant mieux le jouer qu’il associait les forces vives de la nation. C’était l’idée du Plan : fonder, créer un lieu où l’on pourrait forger, comme on dirait aujourd’hui, une stratégie commune, une vision commune de l’avenir, qui pouvait être adaptée en fonction des circonstances, et qui l’a été. Mais il y avait aussi cette idée qu’on ne pourrait pas arriver forcément au bien commun en se contentant de laisser chacun poursuivre son intérêt propre. ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de place pour ça, mais ça ne suffisait pas. Et c’est ça le grand secret au fond des Trente Glorieuses. C’est de préserver à la fois la part d’initiative qui était nécessaire et en même temps de toujours regarder les inter-relations entre les gens, entre les institutions, entre les entreprises.

Le Plan avait développé, ça peut paraître un peu abscons mais c’est très significatif, ce qu’on appelait les « comptes du surplus ». C’était une comptabilité qui cherchait à mesurer comment les surplus des uns se répartissaient entre les autres agents économiques, comment ils contribuaient au surplus les uns des autres.

Je vous donne un exemple. Si vous regardez les comptes des producteurs d’électricité, l’intérêt c’est de vendre le plus cher possible. Si vous augmentez le prix de l’électricité, les comptes des producteurs s’améliorent. Alors pendant que ces comptes s’améliorent, tout le monde va trouver ça merveilleux pour les électriciens, mais les industries électro intensives, celles qui utilisent beaucoup d’électricité, vont voir leurs comptes se dégrader et elles vont partir.

Le secret au fond de la croissance des Trente Glorieuses, au-delà des circonstances exceptionnelles, c’était ça. C’était: quand on prend une décision pour améliorer les comptes ou la situation de l’un, regardons quel est l’effet sur la situation de l’autre, sur la situation de l’ensemble. C’est ce que nous n’arrivons pas à faire aujourd’hui, au-delà, de temps en temps, des bricolages réussis que nous avons pu faire les uns et les autres.

Ce que nous n’arrivons pas à faire c’est ça. C’est avoir une pensée de la nation comme une économie globale, comme une société globale dans laquelle les décisions de chacun ont des conséquences sur tous. Et c’est vraiment un problème d’idéologie ou de représentation du monde. Mais c’est très profond, ce n’est pas quelque chose de superficiel. Nous n’y arrivons plus et, Arnaud peut en témoigner ce n’est pas propre à la droite, au centre ; c’est aussi vrai à gauche. Il y a des façons de penser aujourd’hui qui nous ont fabriqué le monde dans lequel on vit et qui en réalité est un monde invivable.

Je vais arrêter là-dessus, on aura l’occasion d’en discuter dans le débat, on n’a rien dit de plus bête que ce qu’on a dit il y a une vingtaine d’années quand on a commencé à parler d’économie sans usines. Vous savez, c’était tout simple, on avait l’air très intelligent en disant ça, « les pays en développement où la main d’œuvre n’est pas chère, seront les usines du monde et nous on va se garder, nous les populations plus élevées, mieux formées, on va garder les productions à très forte valeur ajoutée, en particulier à très forte valeur ajoutée intellectuelle. Peut-être que d’autres vocations partiront, mais le marketing, l’innovation, ça restera. » Il y a deux aspects dans cette façon de poser le problème.

Le premier, c’est que, quand, la production s’en va, le reste a tendance à partir aussi, c’est ce qui s’est passé. Deuxièmement, il y a une dimension qu’on a complètement occultée mais qui pour moi est essentielle, c’est que l’économie n’est pas faite, dans les sociétés comme la nôtre, que pour produire de la richesse. Elle est faite aussi pour offrir à chacun – quels que soient ses talents, ses savoir-faire, ses qualités propres et ses faiblesses – une place dans la société, lui offrir une utilité sociale. Parce que si vous faites une société que d’ingénieurs et de techniciens, vous cassez la société, parce que vous ne ferez pas de tout le monde des ingénieurs ou des techniciens, pas plus que vous ne ferez de tout le monde des chercheurs ou des prix Nobel.

Il n’y a pas très longtemps, lors d’un voyage en Tunisie, un notable tunisien, qui travaillait beaucoup avec les Chinois sur les routes de la soie – vous savez que la Tunisie est insérée dedans – me disait: « mais il faut que les Européens comprennent que nous pouvons être l’atelier de l’Europe. » Vous savez, c’est ça la division du travail, la spécialisation. C’est l’idée des Chinois sur la route de la soie avec ces pays de l’Afrique de Nord ou du Moyen-Orient : vous allez devenir les ateliers de l’Europe. Et lui présentait ça comme quelque chose de très valorisant pour les européens, c’était un argument du coup. Mais vous savez ce n’est pas du tout un bon argument, parce que si on fait ça, on va laisser de côté toute une partie de la société et ça sera intenable, et c’est exactement ce qui se passe déjà depuis des décennies. On ne peut pas penser l’économie sans penser à certaines clés sociales, voilà ce que je voulais dire.

C’est toujours pareil, il faut penser les choses à la fois individuellement, c’est très important avec l’économie, et aussi globalement. Et c’est parce que nous avons été de plus en plus incapables de les penser globalement que nous en sommes arrivés là où nous en sommes. La crise industrielle est un parfait exemple de tout ça.

Vous savez, quand la SNCF, qui doit être un instrument de politique industrielle en même temps qu’un service public de transport, va acheter des trains en Espagne au lieu d’acheter des trains à Alstom, c’est toute une politique de filière industrielle qui se fracasse. Parce qu’on ne tient pas compte précisément de la façon dont tous les éléments de ce puzzle s’intègrent pour faire une nation, pour faire une société, pour faire une économie.

Frédéric Boccara : D’abord je voudrais remercier nos invités, Arnaud Montebourg et Henri Guaino, pour le sérieux avec lequel ils viennent aborder ce débat. Un débat qui est un petit défi aussi. Parce qu’ils ont eu quelques petites responsabilités politiques et parce qu’on a mené quelques luttes, à Kem-One ou ailleurs. Et donc, nous croyons au besoin d’idées nouvelles, au besoin de travail sur le lien entre les idées et l’action. C’est comme ça qu’on peut avancer.

Alors, mon état d’esprit. On a besoin dans ce pays bien sûr d’une alliance de progrès contre la domination du capital financier et des marchés financiers, pour un autre développement réel, un nouveau type d’industrialisation. Mais je pense qu’il serait problématique de ne pas voir certaines différences, et ce n’est pas pour me différencier à tout prix. Mais il y a une différence importante qui peut nous permettre de voir pourquoi cela n’a pas marché et ce qu’il faut faire. Parce que si ça n’a pas marché alors que simplement on est d’accord, c’est un peu ennuyeux.

Et donc, il faut voir que nous sommes dans un monde qui est en train de changer de nature, un nouveau monde, celui de la révolution informationnelle qui pousse. Et ici, moi j’entends levier d’action sur les entreprises, j’entends que la politique doit agir sur les entreprises et ne doit pas être à côté. Question fondamentale, grande question politique ; si elle peut monter dans le débat c’est très important.

Mais, capital ou travail? Capacités humaines ou accumulation de capital? Baisser le coût du travail ou baisser le coût du capital ? Or, toutes les politiques jusqu’ici, avec des modulations, avec des compléments, c’est : « baisser le coût du travail » !

Alors bien sûr, après 1945, la reconstruction c’était l’époque d’un capitalisme industriel, où c’est les machines, le développement matériel qui vont permettre d’entraîner l’ensemble. Mais aujourd’hui, l’emploi et les qualifications des gens sont décisifs que ce soit à Alstom, à General Electric, à la SNCF, à Sanofi, et on peut prendre des dizaines d’industries. Et moi je veux bien le non-malthusianisme. Mais ça veut dire qu’il faut dépenser tout de suite pour les êtres humains. C’est ça qui va permettre de relancer, et de baisser les autres coûts. Il faut changer l’offre et baisser les coûts pour démarrer vraiment la machine d’ensemble. Mais pour ça il y a une question qui compte quand même, qui ne peut pas attendre, il y a des intérêts, il y a un adversaire, il y a des banques.

Alors est-ce qu’on est capable, est-ce qu’on peut avancer ensemble dans cette société, avancer sur « comment prendre le pouvoir sur le capital et sur les marchés financiers » ?

Je vais d’abord donner des exemples. On a fait un débat vendredi, ici à la Fête, avec les camarades de General Electric, qui mènent une lutte formidable. D’ailleurs, je vous invite à prendre connaissance de l’appel large qui a été signé, parce que vraiment vous pourriez le signer, ça pourrait donner encore plus d’ampleur., Ce qui se passe à General Electric, c’est tout le cœur de l’énergie et du développement de l’énergie y compris ce qu’on appelle la transition écologique qui pourrait être une vraie transition énergétique : après les différents rachats et cessions, d’Alstom notamment, un tiers des objets industriels qui servent à faire de l’énergie en Europe sont fabriqués par General Electric.

Mais à General Electric, on dépense 350 millions pour un plan de licenciement, si les plans de la direction se réalisent. On déplace le marketing en Suisse, on désorganise du coup l’articulation qu’il y avait entre la conception, le marketing et la fabrication. Parce qu’en marketing on va voir les clients pour ce genre de turbines immenses et on conçoit en même temps, on adapte. Or là, on désarticule conception, adaptation et fabrication. Et la direction elle-même dit que ça fait des centaines de millions de coût supplémentaire. Alors le patronat « propose » un plan où on va supprimer des emplois, qui va permettre de gagner à peine 6 millions au total, contre des centaines de millions de gâchis. Et tout ça pour satisfaire les critères de rentabilité financière ! Ce n’est pas un problème de méchanceté des actionnaires que nous avons, pas seulement disons, mais un problème de règles, celui des critères dominants. Or le commissariat au Plan était dessus, quand vous le dirigiez. Il y avait des travaux de réflexion sur des alternatives à ces critères dominants, ceux de la rentabilité financière. Car il faut mettre en cause ces critères.

Donc, nouvelle industrie s’appuyant sur les capacités humaines : la recherche, la formation, la sécurisation des gens. Nous, au PCF, parlons de sécurité d’emploi et de formation. C’est, au carré, ce que tu as un peu évoqué tout à l’heure, garder des gens mais là, avec en plus des dépenses pour les former, pour de nouvelles productions. Nouvelle industrie, ça veut dire aussi de nouveaux liens avec les services ; les services privés ne doivent pas être des prédateurs, comme des plateformes pour le capital financier, mais être en appui du développement. Cela veut dire des pouvoirs par exemple, sur les brevets, qu’on ne puisse pas vendre des brevets sans décision des travailleurs, que les travailleurs aient le droit de décision sur les montants des royalties, c’est-à-dire sur le pompage des richesses qu’ils créent, ces mêmes richesses qui vont être pompées par les services qu’ils aient des droits sur des décisions importants.

Au Conseil économique social et environnemental où je suis et qui rassemble une certaine représentation de la société civile organisée, nous avons inclus, dans un avis sur « l’éviction » fiscale, le besoin de droit d’information et/ou de décision des comités d’entreprise sur ces questions (cession de brevets, royalties). Pour la petite histoire, c’est avec le « OU » que c’est passé. Mais le vote par le CESE de cet avis montre l’intérêt de la chose : des droits des travailleurs sur les brevets et sur la valeur de ce qui va être prélevé sur la production. Mais ça veut dire aussi, donc, trois choses. La première, on l’a dite : développement des êtres humains et pas de la rentabilité financière; capacités humaines et pas capital si vous préférez. Deuxièmement, des services non prédateurs sur l’industrie ; et, troisièmement, des services publics en appui à l’industrie, des services publics développés d’un côté et des services publics qui vont piloter les différentes industries, puisqu’ils sont branchés sur les besoins. Voyons bien, quand on prend alimentation, santé, transports, à chaque fois, il y a un service public, les transports, ça a été cité. On pourrait citer l’EDF pour l’énergie qu’on pourrait développer. Et quatrièmement, l’international, parce qu’on a des firmes multinationales. Et pour ça nous mettons en avant le grand enjeu des « leviers financiers ». Alors, Arnaud en a un peu parlé, Henri Guaino a abordé quelque peu les critères mais pas assez. Parce qu’il faut définir, dans les deux cas : quels contenus à ces leviers financiers ?

Est-ce que l’on développe les capacités humaines ou le capital ? C’est ça qui est décisif. Et puis, il y a une question d’échelle, de taille, de masse critique.

Nous, les économistes communistes, étions déjà au moment du gouvernement Hollande, pour info, pour faire renaître le Fonds de développement économique et social. Mais c’est quoi le Fonds de développement économique et social ? Ce n’est pas une banque, c’est normalement un levier sur toutes les banques, c’est-à-dire sur la masse des crédits bancaires, qui va dire : si tu fais du bon crédit, moi je le bonifie. Du bon crédit, c’est-à-dire du crédit qui va développer l’emploi et les bonnes richesses. Je mets des critères, c’est l’emploi qui va définir l’efficacité. Donc si on peut avancer cette grande idée d’une alliance de progrès pour une utilisation de l’argent en faveur des capacités humaines, ça c’est décisif. C’est le premier levier.

Deuxième levier, les banques. Les banques publiques, bien sûr, mais aussi la Banque centrale européenne et son crédit. Elle prête des milliards et sans sélectivité. Donc le problème ce n’est pas seulement qu’il faut baisser les taux de la Banque centrale européenne. C’est quels critères ? Elle fait du 0 % pour les banques mais pas pour les services publics ?

Et nous on propose de créer un Fonds européen, les traités l’autorisent. Ce Fonds serait intercalé entre la Banque centrale européenne et les états. Il serait surtout alimenté par l’argent de la Banque centrale européenne, les euros qu’on crée, et qui pourraient être prêtés à 0 % aux états, si les états développent les services publics, l’éducation, la formation, la recherche, ce dont on a tous besoin dans un écosystème pour l’industrie, ou bien si les crédits reçus appuient le développement en coopération, le co-développement.

Deux bis, on pourrait ajouter les institutions territoriales, de consultation et assemblées citoyennes pour une nouvelle planification.

Troisième levier, très important. C’est d’autres traités internationaux. Nous avons besoin de traités internationaux, mais pas le CETA qui dit «le but c’est : échanger tout, marchandiser tout, et puis on se démerde, tant pis pour l’emploi et tant pis, tant pis pour le reste ». Non, des traités de maîtrise des échanges, au service de l’emploi, du développement et du bien commun. On inverserait ainsi la hiérarchie: le but serait de développer l’emploi et les biens communs dans les deux pays et à ce moment-là on peut développer les échanges. Et à l’appui de ça on va avoir éventuellement des taxations si on ne respecte pas les normes. Mais on va surtout avoir un levier financier pour développer des deux côtés la bonne production ; c’est ça qui est décisif.

Alors, et là, les trois différences je pense, c’est :
– C’est toucher au capital et à l’argent.
– Développer les capacités humaines, la formation prioritairement au capital, avec des travailleurs
« équipés » bien sûr, c’est-à-dire dans une articulation avec l’investissement matériel.
– Et troisièmement, pour ça il faut un suivi démocratique et effectif des réalisations.

On ne peut pas dire, « l’État fera ». Bien sûr il faut plutôt étendre son intervention, mais en donnant des droits aux travailleurs, des droits aux habitants et de la société civile pour suivre ce qui est fait. Et ceci avec de nouvelles institutions.

Si on peut avancer dans ce sens-là et si on peut porter ce débat avec les questions objectives qui nous dépassent et que vous avez mises sur la table, moi je crois que c’est très important pour refonder et pour trouver une alliance qui permette de progresser. On a su le faire à d’autres moments de notre histoire.