Le débat fiscal est, de longue date, quelque peu asymétrique.
Polarisé à l’envi sur l’impôt sur le revenu et l’impôt de solidarité sur la fortune (qui n’a jamais entendu un Ministre des Finances parler de baisse des impôts en réduisant le produit de l’un vit dans un autre monde), il ignore la fiscalité des entreprises et l’influence majeure que l’impôt exerce sur les comportements de production, d’investissement, d’embauche, de financement… Même si l’on s’en tient à la seule fiscalité des ménages, ce débat présente cependant des caractéristiques intéressantes, dont les évolutions échappent au plus grand nombre.
Cette méconnaissance, feinte ou réelle, est d’ailleurs à la base, de mon point de vue, de bien des errements de la pensée politique et de bien des fourvoiements du débat, comme autant de fausses routes sur lesquelles on laisse se perdre le(a) citoyen(ne) électeur(-rice).
Parce que nous avons connu, en l’espace d’une cinquantaine d’années, une très sensible évolution de notre système de prélèvements sociaux et fiscaux aux multiples effets que cet article va tenter de rappeler.
Tout a commencé, si l’on peut dire, avec la généralisation de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), impôt sur la consommation théorisé par le Ministre des finances de Georges Pompidou, un certain Valéry Giscard d’Estaing, qui a très vite connu un certain rendement, l’installant rapidement au premier plan des recettes fiscales de l’Etat.
Il allait de pair, faut – il le rappeler, avec la mise en place du nouvel impôt sur le revenu, unifiant impôt général et surtaxe progressive dans un seul barème, un impôt qui deviendra vite l’objet de tous les ressentiments et commencera à alimenter sérieusement la rubrique de la « dépense fiscale ».
Pour supporter le choc de la TVA, rappelons – le, on lança en janvier 1973 un emprunt, le fameux emprunt Giscard, indexé sur le cours de l’or (une valeur rassurante), destiné notamment aux secteurs que la pratique de la TVA pouvait rendre vulnérables.
Et singulièrement ceux du commerce alimentaire, structurellement créditeurs de ladite taxe sur leurs achats…
La TVA était une forme de renaissance de la taille de l’époque médiévale, la gabelle étant plutôt représentée par les taxes sur l’essence…
Ceci posé, très vite, la majorité des ressources de l’Etat fut clairement assurée par des impôts de consommation, acquittés de manière « invisible » (sauf sur le ticket de caisse) par tout un chacun à peu près tous les jours.
L’émergence de la crise économique, dès le début des années 70, puis son approfondissement, a causé une détérioration progressive des comptes publics et commencé aussi de miner les comptes sociaux.
La Sécurité Sociale, régie par les ordonnances gaullistes de 1967 à 1982, devait en effet faire face au problème posé par l’attrition de ses recettes due au chômage qui conduisit, entre autres, à la conception de prélèvements sociaux sur les revenus du capital avant la mise en place de la contribution sociale généralisée par le Gouvernement Rocard.
On se souviendra que la mesure rencontra l’hostilité de la représentation parlementaire communiste de l’époque, pour des motifs au demeurant parfaitement recevables.
Ainsi, l’une des intervenantes du groupe Communiste au Sénat (en l’occurrence, Marie Claude Beaudeau, Sénatrice du Val d’Oise) avait rappelé qu’un avis autorisé indiquait, dès 1983, que
« La budgétisation de l’essentiel des ressources de la sécurité sociale réalisée par la T.V.A. ou par l’impôt sur le revenu ou par quelque autre impôt » – pensait-il déjà à la contribution sociale généralisée ? – « serait difficilement compatible avec la pérennisation pour les organismes de la protection sociale d’un ensemble financier autonome qui ne peut être assuré que par un financement distinct du prélèvement fiscal. »
(fin de citation)
Cette évaluation de la fiscalisation de la Sécurité Sociale et de ses effets à terme était produite par un expert.
Puisqu’elle venait d’un certain Dominique Strauss Kahn.
On se rappellera qu’à l’époque, la contribution sociale généralisée présentait d’ailleurs les caractères d’une double imposition, puisqu’elle était non déductible du revenu imposable et qu’elle a conservé au demeurant ce caractère historique pour une partie de son montant.
Et on se rappellera que la première CSG avait vocation à se substituer aux cotisations patronales destinées à la caisse d’allocations familiales, branche de la Sécurité Sociale ayant structurellement vocation à dégager des excédents, de par la modification de la composition des familles sur le long terme depuis la Libération.
De plus, le principe avait été inscrit que toute mesure visant à réduire les recettes de la Sécurité Sociale devait être compensée par une attribution de ressources de même montant.
La droite parlementaire avait renvoyé, sans succès, la loi de finances pour 1991 devant le Conseil Constitutionnel.
Etait – ce pour mieux en user elle-même, avec le train des réformes Balladur et procéder au premier renouvellement de taux en 1993 ?
Peut – être…
Toujours est -il que c’est au travers d’une augmentation du taux normal de la TVA de deux points (de 18,6 à 20,6 %, décidée sur la base d’une proposition de loi parlementaire « téléguidée » et « assistée ») que les nouvelles exonérations de cotisations sociales décidées par le premier gouvernement Juppé furent financées a priori.
On changeait donc d’outil mais on ne changeait pas d’orientation quant au fond, celle de substituer aux prélèvements sociaux, adossés directement à la production industrielle et de services, un prélèvement fiscal sur le revenu ou la consommation, qu’il s’agisse de la CSG ou de la TVA.
Le mouvement fut singulièrement amplifié par la décision de Martine Aubry de substituer aux cotisations salariales maladie un complément de CSG, faisant changer la contribution d’échelle, en laissant apparaître un prétendu gain de pouvoir d’achat, de par l’assiette plus large de la contribution sociale généralisée.
Mais tout cela transformait les entreprises non plus en lieux de financement de la Sécurité Sociale par paiement de cotisations mais en simples collectrices d’impôts.
Le mouvement a été prolongé par la budgétisation d’une part croissante de la Sécurité Sociale (allocations familiales notamment), par l’affirmation d’un pôle social au sein des collectivités territoriales (rôle des départements, peu à peu départis, comme les autres échelons, de la réalité de la compétence générale) et trouve une certaine forme d’aboutissement aujourd’hui.
D’une part, parce que la loi de finances, dans des articles formalistes portant sur les relations entre l’Etat et la Sécurité Sociale, fixe la jauge de l’apport des recettes fiscales au financement de la seconde (tout en masquant les transferts de charges et la réalité des recettes régulièrement ponctionnées).
D’autre part, parce que tant la CSG et la TVA (dans une moindre mesure en termes de montants, les taxes sur la consommation d’énergie aussi comme la TICPE et la TICGN) deviennent les « couteaux suisses » de toute une série de politiques menées par l’Etat et, singulièrement, le Gouvernement en place.
Au point que nous en sommes rendus à voir apparaître cette année une nouvelle branche de la Sécurité Sociale, « Autonomie et dépendance » quasi exclusivement financée par la CSG.
Sans doute le plus sûr moyen de ne jamais tout à fait répondre aux besoins observés et/ou potentiels.
MASSES FINANCIERES EN JEU
Si l’on regarde ce qu’il en est de la TVA, on se retrouve, pour l’exercice 2021, avec une TVA dont le rendement net global serait situé entre 175 et 180 milliards d’euros dont 89 milliards, seulement pourrait on dire, sont destinés au budget général.
Près de 50 milliards d’euros de TVA vont alimenter la Sécurité Sociale, en lieu et place, des cotisations sociales victimes, entre autres, de la transformation du Crédit d’impôt compétitivité emploi en allégement pérenne de cotisation.
Et près de 33 milliards vont être consacrés cette année à la compensation, pour les collectivités locales, de la disparition de la taxe d’habitation et à la réduction des « impôts de production » des entreprises.
Les anciens redevables de la taxe d’habitation qui, parfois, bénéficiaient d’exonérations ou d’abattements sur le montant de leur contribution aux budgets locaux, auront donc le droit de payer plein pot une TVA dont le taux normal aura sans doute quelque peine à se rapprocher des 16 % pour l’heure applicables en Allemagne.
Pour la CSG, on reste dans le domaine social mais, pour 2021, nous avons :
16 918 millions pour le Fonds de Solidarité Vieillesse (qui prend notamment en charge le minimum vieillesse et le minimum contributif), 2 292 millions pour la Caisse Nationale de Solidarité Autonomie (CNSA), 8 862 millions pour la Caisse d’Amortissement de la Dette Sociale (+ 7 796 millions pour la CRDS), 73 794 millions pour la Caisse Nationale d’Assurance Maladie, 12 366 millions pour la Caisse Nationale d’Allocations Familiales , 14 649 millions pour l’UNEDIC (après le remplacement des cotisations par un nouveau prélèvement), ce qui nous donne 128 881 millions d’euros, que l’on peut majorer des 7 796 millions de la CRDS dont l’assiette et la philosophie générale sont proches.
Dans cette somme, comme nous l’avons indiqué, une part importante (28 milliards) devrait être fléchée depuis la CNAM (surtout) pour financer la nouvelle branche « autonomie ».
Une branche qui va d’ailleurs prendre en charge, également, les promesses du Ségur de la Santé en matière d’investissements hospitaliers et de revalorisation salariale des agents…
Ce sont donc deux impôts proportionnels, non directement corrélés à la production, qui constituent aujourd’hui le vecteur principal de l’action publique.
Et sont devenus les deux premiers prélèvements, loin devant l’impôt sur le revenu, la fiscalité écologique et l’impôt sur les sociétés.
Sauf à augmenter la CSG (dont il semble, dans ce schéma, difficile de réduire l’assiette) et de finir de contaminer la TVA en s’attaquant aux derniers prélèvements plus ou moins liés aux conditions de production (participation logement, financement de la formation, solde résiduel de la CFE et de la CVAE), on ne voit guère ce que pourrait faire de plus, en logique libérale, le Gouvernement en place.
Mais c’est clairement, eu égard au caractère régressif du rendement de ces deux impôts, tourner clairement le dos à l’impératif constitutionnel d’égalité des citoyens au regard de la charge publique.
Il est temps de changer de logiciel fiscal dans notre pays.