Le projet communiste, facteur de réussite du mouvement social et des luttes pour la paix

Denis Durand
membre du conseil national du PCF, codirecteur d'Économie&Politique

Depuis quatre mois, le soulèvement de notre société pour les retraites a fait évoluer de façon accélérée les données de la bataille politique.

Emmanuel Macron a bien pu promulguer les dispositions législatives de sa réforme, il n’a fait qu’augmenter encore son rejet dans l’opinion. S’il s’obstine pourtant, contre toute rationalité apparente, à infliger sa potion néolibérale à la société française, c’est que la crise profonde du système économique et social dont il est le représentant direct l’y oblige.

Car derrière les profits mirifiques de quelques groupes financiers et les dividendes vertigineux qu’ils annoncent, il y a une réalité plus profonde : l’obsession de de la baisse du coût du travail, la destruction et la précarisation des emplois, le rationnement des dépenses de formation, les assauts systématiquement programmés contre la Sécurité sociale et les services publics, rendent le capital de moins en moins efficace. La préservation des taux de profit exige de plus en plus d’aides publiques. Les milliers de milliards injectés par les banques centrales sur les marchés financiers et dans le système bancaire se traduisent de moins en moins en richesses créées, faute de se traduire en emplois et en qualifications. La création monétaire « quoi qu’il en coûte » a permis jusqu’à présent de repousser les échéances mais en aggravant, à chaque fois, la suraccumulation de capital matériel par une suraccumulation de capital financier génératrice de spéculations, de crises et de faillites bancaires. Pris dans ces cercles vicieux, le capital ne fait que les approfondir en redoublant de férocité sociale, en martyrisant les pays émergents écrasés par la hausse des taux d’intérêt, et en passant par pertes et profits le désastre écologique.

En face, le mouvement social a exprimé, au fond, une révolte contre la gestion capitaliste de la retraite, non comme « nouvel âge de la vie » (selon l’expression d’Ambroise Croizat) mais comme mise au rebut d’une force de travail atteinte par l’« usure » (selon l’expression significativement empruntée par le gouvernement au MEDEF).

Ce qui peut alors permettre au mouvement de se prolonger jusqu’à une victoire contre la régression sociale incarnée aujourd’hui par la politique d’Emmanuel Macron, c’est un nouveau projet de civilisation où l’accès à une formation choisie, tout au long de la vie, ouvre à chacune et à chacun la possibilité de développer librement toutes ses capacités, et de dépasser ainsi les aliénations constitutives du salariat capitaliste : chômage, précarité, lien de subordination déléguant la souveraineté des travailleurs et des travailleuses à un employeur. C’est ce que traduit à sa façon l’émergence frappante de la revendication d’une prise en compte des années d’études dans la durée de cotisation donnant droit à la retraite à taux plein.

Corrélativement, reste à faire grandir la conscience des moyens à déployer pour réaliser ce projet de société : non pas un simple « partage des richesses » mais une prise de pouvoir démocratique sur l’utilisation de l’argent, pour que la production vise une nouvelle efficacité, fondée sur le développement de toutes les capacités humaines. Ce qui se profile derrière le mouvement pour les retraites, c’est donc la possibilité d’une mise en cause de la rentabilité financière comme régulateur de l’économie. Bref, la possibilité concrète d’un chemin vers le dépassement du capitalisme.

On reconnaît là, au cœur des luttes pour les aspirations immédiates de nos concitoyens, et pour les aider à balayer le There is no alternative où Emmanuel Macron, émule en cela de Margaret Thatcher, rêve de les enfermer, ce que peut être l’apport du projet communiste et de sa cohérence réaffirmée au récent congrès du PCF. Cette cohérence est globale : elle peut aussi aider à appréhender le basculement du monde qui semble être en train de se produire au moment même où les événements qui se déroulent en France suscitent l’étonnement au-delà de nos frontières.

Une boussole dans un monde qui bascule

Notre projet communiste est celui d’un monde de paix et de coopération. L’agression russe contre l’Ukraine, et les horreurs de la guerre qu’elle a déchaînées, va exactement dans le sens inverse, celui d’un affrontement généralisé. Bien loin d’apporter une réponse aux entreprises de déstabilisation dont l’impérialisme américain sait si bien se servir pour perpétuer sa domination sur le monde, elle les favorise aujourd’hui. Elle a offert à l’OTAN l’Europe comme champ de bataille d’une guerre par procuration.

Cependant, à travers l’ébranlement de tous les équilibres, régionaux et mondiaux, qui en résulte, un nouveau monde se cherche, où le Sud, c’est-à-dire la majorité de la population mondiale, revendique toute sa place. Au moment même où l’escalade militaire et la course aux armements s’accélèrent vers le pire – c’est le sujet du dossier de ce numéro – ces nouveaux rapports de forces peuvent rendre concevable un dépassement pacifique de l’hégémonie américaine. Que revienne irrésistiblement à l’ordre du jour – avec une force accrue depuis la récente visite de Lula en Chine – un projet aussi fondamental, de ce point de vue, que la relève du dollar par une monnaie commune mondiale de coopération en est le signe.

Pacifique ne veut pas dire sans lutte, sans affrontement radical et durable avec un adversaire : le capital. « Agir dans les luttes, dans la bataille d’idées et dans les institutions pour rassembler ces mouvements dans un combat de classe contre leur adversaire commun en leur donnant la force, par la cohérence d’un projet révolutionnaire nourri de leurs luttes et de leurs aspirations, de l’emporter sur la puissance du capital : c’est là l’utilité du rôle original que le Parti communiste veut jouer dans les conditions concrètes de la France et du monde d’aujourd’hui », avons-nous dit au congrès du PCF à Marseille.

Du local au mondial, des forces pour dépasser le capitalisme et les dominations étatiques

Chacun perçoit en effet combien il est urgent de définir une perspective politique. La mobilisation sociale a réduit à néant tous les arguments et tous les mensonges par lesquels le pouvoir croyait pouvoir obtenir une adhésion, même partielle, à sa réforme. Le monarque républicain est nu. Privé de sa capacité à engendrer un consentement populaire, ayant lui-même humilié et réduit à l’impuissance sa composante parlementaire, il reste à l’État bourgeois l’usage de la force brute. Emmanuel Macron n’a donc pas hésité à recourir aux multiples outils de répression dont il dispose. La classe dirigeante en vient à envisager, comme en Italie, la violation de l’ultime tabou : faire appel aux héritiers du fascisme et de la collaboration. Le nouveau chef du Rassemblement national claironne déjà qu’il est à une « petite marche » du pouvoir.

Quel rassemblement politique pour faire face à cette montée des périls ? Le contraste est frappant entre la puissance d’un mouvement social maître de sa force et de sa colère, avec un rôle renouvelé des syndicats, et l’incapacité persistante de la gauche, telle qu’elle s’incarne aujourd’hui aux yeux de nos concitoyens, à proposer une alternative crédible aux couches populaires et aux couches moyennes. Faire naître une nouvelle perspective exigera de soulever le poids écrasant des conservatismes qui enferment ses représentants dans les jeux électoraux et dans les illusions, si coûteuses à notre peuple depuis cinquante ans, sur la capacité de l’État à remédier aux fléaux du capitalisme sans imaginer qu’on puisse le dépasser.

L’affirmation du projet communiste fait partie des moyens de réussir cet effort de novation, et de catalyser le rassemblement des forces qui contestent l’état de choses existant. Il articule en effet, au lieu de les opposer, le dépassement du capitalisme avec l’émancipation de toutes les dominations, comme il articule la poursuite d’objectifs sociaux et écologiques avec la conquête démocratique de pouvoirs directs décentralisés, au-delà de l’étatisme du siècle dernier, dans la cité et dans les entreprises, pour obtenir, contre le capital, les moyens financiers de les réaliser.

La popularité acquise par Fabien Roussel depuis sa campagne présidentielle témoigne, à sa façon, de cette recherche d’une autre incarnation de la gauche, même si cette recherche est encore en attente d’une nouvelle cohérence autour d’un projet de société. Il y a là un facteur de confiance pour mener de front les batailles des prochains mois : celle des retraites, celle de l’emploi et des salaires face à l’inflation, celle de la paix, celle du climat et de la biodiversité, celle du débat à gauche sur les conditions de réussite d’une alternative à Macron et à la menace fasciste, à la faveur de la campagne pour les élections européennes qui offre à chaque force politique une excellente occasion de soumettre aux citoyennes et aux citoyens son projet de société.

1 Comment

  1. Bonjour et merci
    En particulier, j’ai beaucoup apprécié l’article de

    Denis Durand

    Économiste, rédacteur en chef d’Économie & Politique

    que j’ai traduit en persan accompagné d’un CR détaillé du 39 congrès!

    Devant le risque fasciste et face aux contradictions du capitalisme, l’ambition communiste se réclamant de Marx et du marxisme vivant s’affirme en toute lucidité…

    « On est tenté, 170 ans après le philosophe et économiste allemand, de citer comme lui Hamlet : « Bien creusé, vieille taupe ! » »

    Devant le risque fasciste et face aux contradictions du capitalisme, l’ambition communiste se réclamant de Marx et du marxisme vivant s’affirme en toute lucidité.

    © Albert Facelly pour l’Humanité
    Denis Durand
    Économiste, rédacteur en chef d’Économie & Politique

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