Fraude fiscale : de nouvelles mesures annoncées pour quel effet ?

Jean-Marc DURAND
membre du conseil national - PCF

Mardi 9 mai, le ministre des Comptes publics Gabriel Attal dévoilait un nouveau plan de lutte contre la fraude fiscale. A cette occasion il annonçait de nouvelles mesures en matière de contrôle fiscal afin de le rendre plus efficace.

Deux remarques avant d’entrer plus concrètement dans le détail des propositions. Le discours du ministre porte sur le contrôle fiscal, c’est-à-dire sur le contrôle des impôts existants et non sur la fiscalité elle-même. En clair, motus sur les impôts escamotés ou supprimés à la pelle ces dernières années, notamment ceux concernant les entreprises et la fortune dont dernièrement, le passage du taux de l’IS à 25 % et la suppression de la CVAE ! Pourtant il ne faut pas être grand clerc pour observer la corrélation qui existe entre les prélèvements fiscaux, la législation fiscale et le rendement du contrôle fiscal. Même si cela n’exonère pas de chercher à améliorer les méthodes de contrôle. Et, fait d’un heureux hasard, cette déclaration sur le contrôle fiscal tombe le même jour où Bercy annonce les premières pistes d’économies budgétaires pour 2024. Et pour tout dire la cure s’annonce sévère. En effet il est demandé à l’ensemble des ministères de proposer une économie de 7 milliards d’euros. Alors mettre en regard de cela la perspective de recettes supplémentaires par une « amélioration » du contrôle ça peut aider à faire passer la pilule !

Mais que nous propose donc M. Attal ? Il veut intensifier les contrôles sur les grands groupes, bien ! Et pour cela il veut notamment vérifier tous les deux ans les cent plus grandes capitalisations boursières implantées sur le territoire. Belle intention ! Mais pour quel effet, pour quel résultat ? Pour le moins il y a en amont de la mise en œuvre de cette décision, une question de procédure à examiner de plus près. Car en règle générale, le délai de prescription légale en matière de contrôle fiscal des entreprises est de 3 ans. En clair, l’administration fiscale lorsqu’elle engage un contrôle a le droit de remonter sur les trois derniers exercices mais s’interdit ensuite d’y revenir. Certes des dispositifs, type vérification ponctuelle, permettent d’intervenir en-deçà de ce délai de trois ans mais il y a une adaptation juridique à faire au regard des nouvelles orientations fixées ; ce qui nécessite un passage à l’Assemblée.

Le cœur de cible affiché de cette lutte contre la fraude sont les prix de transfert. Là encore intention louable car on connaît le sport favori auquel se livrent les groupes consistant à transférer des charges de gestion ou financières de certaines filiales sur le bilan de celles qui sont installées dans des pays à fiscalité dite lourde pour réduire leur base imposable. Vouloir suivre de près cette question et lutter contre ces abus – c’est ainsi que le taux réel de l’IS des grands groupes est en fait de 9 % alors que le taux facial est de 25 % – est une bonne chose mais y parvenir signifie des moyens d’intervention et d’investigation importants dont ne semble pas disposer l’actuel DGFIP (1).

Le contrôle fiscal confié aux évadés fiscaux eux-mêmes !

Même si l’intention est de passer l’obligation de reporting (2) pour les groupes réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros alors que la limite était jusqu’alors de 400 millions d’euros, on peut logiquement s’interroger sur le but final recherché. Car il nous est dit par ailleurs que l’objectif de toute cette pression est d’inciter les entreprises à se tourner vers le partenariat fiscal. C’est-à-dire, à faire valider par l’administration fiscale, dans le cadre d’un échange courtois, les positions prises par les entreprises. En la matière, l’objectif est d’arriver à 160 groupes couverts par cette procédure en 2027 alors qu’on en est à 66 aujourd’hui. Lorsqu’on sait que cette procédure qui a en fait pour nom le « rescrit », méthode fort usitée dans les pays anglo-saxons, interdit ensuite à l’administration fiscale de venir mettre son nez dans les affaires de l’entreprise, ce qui revient à ne plus la contrôler du tout, on commence peut-être à mieux comprendre l’enjeu de toute cette belle manœuvre ! Et bien sûr, pour traiter ces nouveaux dossiers, cela dans un délai qui convienne aux entreprises, c’est-à-dire sans trop tarder, il faut des effectifs supplémentaires, d’où l’annonce de la création de   1 500 emplois de contrôle fiscal (3) au sein de la DGFIP d’ici 2027.

Au fond, ce qui se joue, c’est une administration fiscale et une mission de contrôle fiscal qui deviennent finalement les adjoints de gestion des grandes entreprises et des grands groupes. C’est de la cogestion au sens le plus pur du terme. Le rêve pour les multinationales qui auraient en fait la capacité de faire la pluie et le beau temps en matière de recettes fiscales des États et qui d’une certaine manière seraient en permanence juge et partie. Un bon moyen de se débarrasser une fois pour toute de la contrainte d’un contrôle fiscal externe jugée depuis bien longtemps par le Medef comme trop chronophage, trop inquisiteur et pour tout dire trop gênant !

Une analyse que d’aucuns ne manqueront pas de nous contester en nous opposant la création d’une cellule de renseignement fiscal dotée de quelques spécialistes qui pourront « mobiliser les techniques de renseignement prévues par le code de sécurité intérieure pour la recherche et le contrôle des fraudes fiscales les plus complexes et les plus graves » précise-t-on à Bercy. Cette cellule liée à la Douane devra diriger son activité vers la dissimulation d’avoirs dans des paradis fiscaux, l’utilisation d’entités opaques comme les trusts ou encore le recours à des cabinets conseil en défiscalisation. Tout ça pour ça ! Les paradis fiscaux, beaucoup savent où ils se trouvent, l’argent qui s’y retrouve transite souvent par les banques qui ne sont pas totalement anonymes, et les cabinets spécialistes en défiscalisation, beaucoup y ont recours, dont certains utilisateurs sont trop bien connus !

En clair, M. Attal est sans doute devenu grâce à sa déclaration du 9 mai, un maître de l’effet d’annonce mais son nom ne restera sans doute pas dans les annales de la véritable lutte contre la fraude fiscale.

  1. DGFIP : Direction Générale des Finances Publiques
  2. Présentation en permanence par les entreprises d’une documentation complète sur l’élaboration et le contenu de leur politique de transfert.
  3. Contrôle fiscal : nous reviendrons dans un prochain papier plus complet sur l’analyse comparative des résultats du contrôle fiscal, des procédures mises en œuvre et des effectifs mobilisés.