Avant d’en venir à l’analyse de la situation et à nos propositions, revenons sur le contreprojet de budget 2023 de l’intergroupe NUPES. Aussi nécessaire que soient des propositions alternatives à celles du gouvernement, celles-ci doivent s’incarner dans une visée crédible et efficace sinon le remède risquerait de s’avérer une nouvelle source de difficultés.
La logique économique du contre-projet NUPES 2023 pose question.
- Dire que les exonérations fiscales et sociales sont la cause du manque de recettes de l’État est très largement insuffisant. En fait c’est la faiblesse de la création de valeur ajoutée due à la faiblesse de l’emploi et de la formation qui ne fait que réduire l’assiette des prélèvements et ruiner toute perspective de recettes budgétaires à la hauteur des besoins de la dépense publique. Ce ne sont pas les mesures fiscales de Macron qui ont permis aux « 500 plus grandes fortunes de doubler leur richesse en 5 ans », c’est leur capacité à exploiter les salariés, avec l’aide, certes, de l’État et de la BCE.
- le SMIC doit-il être porté à 1 500 euros nets par mois ou à 2 000 euros bruts ? Comment fait-on donc autrement qu’en ignorant les cotisations sociales jusqu’à dépouiller la Sécurité sociale ? Porter le SMIC brut à 2 000 euros, ça représente (répercussions sur les salaires supérieurs au SMIC prises en compte mais non l’augmentation générale des salaires, ni l’égalité H/F) non pas 16 milliards mais environ 50 milliards de dépenses supplémentaires pour les employeurs.
- bloquer les prix, c’est préserver le pouvoir d’achat des salariés quelques mois mais menacer durablement leurs emplois ensuite, sauf à agir vigoureusement sur la formation des marges, avec des pouvoirs d’alerte et de contre-propositions exercées par les salariés, avec un appui des services publics.
- rénovation thermique des bâtiments. Il faut beaucoup plus de 9 milliards d’euros par an. Et cet argent ne doit pas être apporté par l’État mais par les banques, c’est leur métier. D’abord sous forme de prêts bonifiés pour faire baisser le coût du capital pour les entreprises du bâtiment d’autant plus qu’elles emploieraient des techniques innovantes, intensives en main-d’œuvre qualifiée et économes en énergie et en matières premières. Puis sous forme de prêts bonifiés à très long terme aux propriétaires, avec une faculté de remboursement par anticipation si vente du logement. Ces prêts seraient refinancés par un pôle public bancaire (CDC) comme le faisait autrefois le Crédit Foncier. Avec refinancement par la BCE.
- embauche et formation de fonctionnaires (enseignants, hospitaliers, juges, policiers, inspecteurs des Finances publiques, etc., etc.) exigent des dépenses immédiates. Les personnels embauchés ne produiront de la valeur ajoutée que plusieurs années plus tard. En attendant, le financement doit être assuré par l’emprunt, c’est-à-dire par un fonds de développement économique, social et écologique financé sur critères sélectifs par la BCE, qu’il faut absolument mettre en place.
- allocation d’autonomie jeunesse 1 102 euros par mois. Estimé à 11 milliards d’euros par an par la Nupes en 2023, ce chiffre semble un peu faible. Une proposition du PCF pour 2 785 000 étudiants de l’enseignement supérieur sur la base de 850 euros par mois se chiffrait déjà à 28 milliards d’euros. Et il est douteux que la seule réforme de la fiscalité des successions (même avec 8 tranches et une vraie imposition de la transmission du capital des entreprises) suffirait au financement de cette mesure.
- taxer les superprofits. Proposition à la mode -des fascistes italiens au MODEM jusqu’aux amis de J-L Mélenchon, qui permet aux profits « ordinaires » de prospérer au détriment des êtres humains et de la planète, c’est la marque de fabrique des programmes réformistes qui ont échoué toujours et partout depuis cinquante ans. Et on devine que le patronat aura vite fait de faire sauter ce projet.
- suppression progressive des exonérations sociales (70 milliards et non 30 avec la transformation du CICE) et fiscales. Elle doit permettre de les remplacer par des bonifications/pénalisations sélectives des crédits répondant à des critères précis en matière sociale, économique et écologique.
Sur le fond, un « contre-budget » dont le premier objectif n’est pas de répondre à la crise du marché du travail (5 millions de personnes touchées par le chômage, le sous-emploi alors que les offres d’emplois insatisfaites n’ont jamais été aussi élevées) en agissant sur le comportement des entreprises est un exercice futile et trompeur.
Un contexte budgétaire 2024 très tendu
La préparation du budget 2024 fait ressortir une situation problématique pour les comptes publics. Déficits et, par voie de conséquence, l’aggravation de la dette publique sont au menu.
Ainsi le Gouvernement est aujourd’hui contraint de revenir sur certains de ses engagements (notamment la disparition de la CVAE, fort attendue par le patronat).
Autre signe : le petit tour de passe-passe tendant à modifier l’aide publique à la consommation de produits pétroliers, en passant d’un bouclier tarifaire coûteux et représentatif de dépenses budgétaires à de probables moins-values de recettes en TICPE, TVA et IS si vente à perte. Tout cela conforte les profits des grandes multinationales pétrolières.
Une dégradation des éléments généraux des comptes publics. Depuis l’élection de E Macron (en mai 2017), la dette publique est passée de 1 696 milliards d’euros, à 2 417 milliards d’euros fin juillet dernier, soit une progression mensuelle (!) de 10 milliards d’euros. On ne peut dire si la période Covid a eu une influence majeure dans cette situation. Ce qui est certain, c’est qu’une croissance atonique conjuguée à la baisse des prélèvements sur les entreprises, le capital et la fortune ne peuvent que conduire à ce déséquilibre.
Une dépense qui va croissant : de 200,7 milliards d’euros fin juillet 2017 à 277,2 milliards d’euros
fin juillet 2023. Une augmentation de la dette dont 35 % est due à celle de la charge de la dette passée sur la même période de 20,3 milliards d’euros à 48,1 milliards d’euros, conséquence de la hausse des taux d’intérêts. Le montant des intérêts de la dette est devenu supérieur à celui des crédits consommés pour financer l’Éducation Nationale.
Progressent de même : les crédits de la Solidarité dont une grande partie représente la prime d’activité, subvention déguisée de l’Etat aux profits des entreprises. Cela s’appelle aussi de l’impôt négatif.
Les crédits Travail et Emploi, de 6,4 à 11,1 milliards d’euros (financement des de l’apprentissage).
Les crédits de la Défense, de 18 à 33,5 milliards d’euros, soit le cinquième de la hausse sur six exercices.
Donc une augmentation des dépenses publiques un tout petit peu pour le social et l’emploi, très largement pour le capital et la guerre.
Une attrition grave des recettes fiscales. A ce stade de l’année, les recettes fiscales nettes représentent moins de la moitié des dépenses. En juillet 2017, on enregistrait 152,3 milliards d’euros dont 47,1 pour l’IR, 9,6 pour l’IS et 89,6 pour la TVA. Plus de la TICPE autour de 6 milliards bruts. Or, en juillet 2023, on en est à 131,7 milliards avec un IR soumis à la retenue à la source tombé à 37 milliards d’euros, un IS, dopé par les résultats de la période post Covid à 26 milliards, la TICPE autour de 9,7 milliards et la TVA nette à 59 milliards d’euros. Un effondrement des recettes de TVA qui n’est pas dû à une baisse des taux mais tenant au fait que le produit de la taxe est de plus en plus utilisé pour autre chose, notamment pour compenser les allégements de cotisations sociales (et de fait, encourager au maintien de bas salaires et de conditions précaires de rémunération), remplacer la taxe d’habitation, que le consommateur paie de fait à la place du contribuable local…
Une situation qui contribue à l’accroissement des déficits et au creusement de la dette.
Quelques propositions qui nous identifient (différence avec Nupes).
Notre objectif : favoriser les revenus du travail, taxer la rente, réorienter l’utilisation de l’argent.
- Un IR universel (taxant plus fortement les revenus du capital -dividendes, plus-values-, l’argent qui dort, que ceux du travail, d’activité ou de remplacement) avec une progressivité accélérée au-dessus de 50 000 euros/an (Taux sommital 65 %).
- CSG : amorcer sa décrue jusqu’à sa disparition cela de façon concomitante au rétablissement des cotisations sociales modulées en fonction de la part des salaires dans la valeur ajoutée.
- TVA à taux zéro sur produits de première nécessité et à taux réduit sur produits de consommation courante.
- TICPE : instaurer une taxe flottante (lissage de son produit).
- Rétablir L’ISF, doubler ses taux, intégrer dans le calcul de sa base les biens professionnels.
- Droits d’enregistrement (DMTG, DMTO), augmenter leur progressivité (8 tranches) et tenir compte dans leur calcul non seulement du montant des sommes et biens transmis mais de la capacité contributive du bénéficiaire.
- Réformer en profondeur l’impôt sur les sociétés, (modulation, incitation, pénalisation).
- Le rendre progressif (5 tranches) en définissant les tranches à partir d’un rapport entre résultat et chiffre d’affaires de l’entreprise.
- Moduler son produit en fonction de l’utilisation des bénéfices (emploi-formation productions écologiques// versus les dividendes, opérations financières -placements, rachats-…).
- Lui donner un caractère universel en imposant aux taux de l’IS, les opérations en capital.
- Instaurer un impôt local sur capital des entreprises. Sa base locale serait établie à partir d’un pourcentage affecté au montant des biens immobiliers et des EBM (équipement et biens mobiliers). Une taxation nationale du stock des placements financiers des entreprises entre 0,3 % et 0,5 % (incitation/pénalisation) serait également appliquée. Son produit serait intégralement affecté aux communes sur critères sociaux.
- Rétablir une contribution locale des personnes : l’idée c’est une contribution locale des personnes par rapport à l’ensemble des services qu’offrent les collectivités locales et de rendre à la TVA sa capacité d’alimenter le budget de l’Etat.
L’ensemble de ce dispositif fiscal ne pourra trouver sa pleine efficacité que s’il est connecté à une réforme profonde de la politique du crédit à partir d’un pôle public bancaire et financier auquel seraient adossés un fonds national et des fonds régionaux pour l’emploi et la formation qui viendraient bonifier les intérêts des emprunts à partir d’un fonds créé par la reprise des fonds qui compensent, auprès de la Sécurité sociale, les exonérations de cotisations sociales et fiscales.