Denis Durand
Avec les effets de l’inflation et l’effondrement des services publics, le sentiment d’un appauvrissement du pays et de ses habitants domine les esprits.
Dénoncer la part excessive du capital dans la répartition des richesses ne suffira pas face à la démagogie néolibérale de Macron et du Rassemblement national. Même Salvini et Meloni prétendent taxer les superprofits des banques !
La seule façon efficace de s’opposer à la résistible ascension de l’extrême-droite, c’est d’être capable de montrer qu’il est possible de s’attaquer aux causes de l’inflation, de l’insuffisance des salaires et de l’effondrement des services publics.
En 2022, la part des profits des entreprises non financières dans la valeur ajoutée – ce qu’on appelle le taux de marge – était de 32 %, soit moins qu’en 2019, moins que la moyenne depuis 30 ans. Ce n’est donc pas la cause de la résurgence brutale de l’inflation depuis deux ans. Cette cause, ce n’est pas seulement la mauvaise répartition des richesses, c’est d’abord et avant tout la mauvaise façon, capitaliste, de produire des richesses.
Les banques centrales, depuis 2007, ont usé de leur pouvoir de création monétaire pour déverser des milliers de milliards de dollars sur les marchés financiers et sur les banques. Comme cet argent a servi prioritairement à faire gonfler le prix des actifs financiers et immobiliers, et non à créer des emplois et à améliorer les qualifications des travailleurs, la création de richesses n’a pas suivi l’augmentation de l’argent en circulation. À la fin de 2006, dans les cinquante principales économies du monde, avec 100 dollars de crédit on dégageait 48 dollars de PIB. Fin 2020, on n’en avait plus que 34 dollars. La dégradation est encore plus forte en France. Depuis deux ans, l’insuffisance de l’« offre » au regard d’une « demande » pourtant faible en ce qui concerne les salaires, les pensions et les services publics a engendré une explosion de la hausse des prix à la consommation.
Pour casser l’inflation, les banques centrales ont durci leurs politiques monétaires. Elles ont ainsi stoppé la progression du crédit pour les projets favorables à l’emploi et à la formation des travailleurs. Cela va affaiblir la création de richesses, et donc accentuer le problème : les banques centrales déversent moins d’argent sur les banques et les marchés financiers, mais l’activité économique dans le monde a fortement ralenti, et la zone euro est au bord de la récession, alors que l’inflation reste forte.
Au nom du « plein emploi », Macron va aggraver en réalité la crise du marché du travail qui fait qu’une personne sur 6 en âge de travailler est touchée par le chômage ou le sous-emploi, et que des millions d’autres n’ont pas les moyens de travailler efficacement faute d’un accès suffisant aux formations et faute de reconnaissance des qualifications dans les salaires et dans les conditions de travail.
C’est tout le contraire qu’il faut faire : s’attaquer au pouvoir du capital, là où se forment les prix et là où se détruisent les emplois : dans les entreprises, dans les décisions qui portent sur l’utilisation de l’argent. C’est la meilleure façon de décrédibiliser la démagogie du Rassemblement national lorsqu’il n’hésite pas à parler d’augmenter les salaires en diminuant les cotisations sociales, tout en refusant d’augmenter le SMIC car pour les fascistes le pouvoir du chef d’entreprise est sacré !
À l’inverse, intervenir dans le mouvement social en s’inspirant du projet communiste – une mise en cause radicale du pouvoir du capital, jusqu’à la construction d’une civilisation émancipée des fléaux du capitalisme et du libéralisme – peut rendre très efficaces les luttes pour le pouvoir d’achat, pour l’emploi et pour les services publics. Beaucoup de questions présentes dans les esprits s’éclairent, en effet, lorsqu’on désigne l’adversaire à combattre – le capital, son obsession de la rentabilité, son pouvoir sur l’utilisation de l’argent, et qu’on montre ainsi les moyens de répondre aux revendications. Ainsi construit-on, d’un même mouvement, victoires immédiates dans les luttes sociales et perspective politique. Toute l’expérience montre, en effet, que pour être victorieuses, les luttes ne peuvent pas se contenter de refuser les choix néfastes des patrons ou du pouvoir mais qu’il faut aussi qu’elles soient porteuses de choix alternatifs.
On peut donc dès aujourd’hui mobiliser pour que les richesses nécessaires à l’augmentation des salaires soient créées, grâce à une sécurisation des emplois et des formations.
On peut mobiliser pour que les salariés et leurs représentants soient dotés d’un pouvoir de contre-propositions pour augmenter la création de richesses et non la rentabilité pour les actionnaires et les financiers.
On peut mobiliser pour que des conférences locales, régionales et nationale, réunissant toutes les forces économiques et sociales, mettent au pied du mur les grands groupes, les banques, en exigeant qu’ils s’engagent dans une transformation productive et écologique, avec des objectifs précis, chiffrés, en matière d’emploi, de formation, et de développement des services publics.
On peut mobiliser pour que les projets de création de richesses dans les territoires, de développement des services publics, soient financés par la Caisse des Dépôts et par BPI France, et que ces organismes se refinancent auprès de la BCE, via la Banque de France, préfigurant la constitution d’un Fonds de développement économique, social et écologique européen.
Les élections européennes seront aussi une excellente occasion de mettre ces perspectives en avant, et d’aider ainsi notre peuple à conjurer la catastrophe imminente.