La crise de COVID-19 interroge plusieurs aspects de notre vie. Partout, on entend que le “monde d’après” sera différent, mais tout le monde n’y met le même contenu. Ainsi, le MEDEF et les libéraux tentent de profiter de l’occasion pour remettre en cause les conquis sociaux et particulièrement 35 heures. Cela confirme qu’il y a là un enjeu de lutte de classe.
Un moment historique
Nous traversons un moment historique, et ceci pour trois raisons fondamentales. La première est évidente, la situation qui a conduit à la crise sanitaire montre à quel point le libéralisme et les attaques contre le secteur public et en son sein les services publics sont néfastes pour les citoyens et pour l’économie. La deuxième raison est la crise écologique : le temps du productivisme et de la société de consommation est révolu; nous nous devons changer notre manière de produire et de consommer. Et la troisième raison est que nous sommes devant une révolution technologique sans précédent. L’essence de cette révolution, son élément fondamental est l’information, c’est-à-dire quelque chose qui peut être partagé sans que ce partage prive les uns par rapport aux autres.
L’exemple de la fabrication du test de Coronavirus est à cet égard éclairant. L’équipe du professeur Drosten, installé à Berlin, partage ses connaissances sur la séquence génétique du virus et les référentiels de testes avec les autres laboratoires, ce qui permet de sauver des vies.
Cet exemple confirme que nous disposons à présent de la possibilité de sortir des rapports marchands, de sortir d’une société où domine l’idée de « à chacun selon ses capacités financières », pour développer les rapports non marchands et établir une société fondée sur la solidarité, le partage et la réponse aux besoins – et ceci dans une perspective mondiale – où prévaut l’idée de « à chacun selon ses besoins, indépendamment de sa capacité financière ». Dans une telle perspective, le secteur et les services publics ne sont pas simplement des amortisseurs, des moyens pour pallier les défaillances du marché ; ils constituent les bases d’un nouveau mode de développement fondé sur le partage et la solidarité; mode de développement qui respecte les êtres-humains, les droits sociaux et l’environnement.
La crise sanitaire est révélatrice de ces deux visions de la société : l’une exclusive, qui exclut notamment les démunis; l’autre inclusive, qui permet à toutes et tous et particulièrement aux démunis de vivre décemment. De ce point de vue, la comparaison de l’effet du Coronavirus aux Etats-Unis et en France est révélatrice. Aux Etats-Unis, les principales victimes sont les pauvres parce qu’ils n’ont pas les moyens de se protéger. Ils ont également besoin d’aller travailler même s’ils sont malades. De plus, ils n’ont pas les moyens d’avoir accès aux soins adéquats. En France, l’accès aux soins se fait, dans une très large mesure, indépendamment de la capacité financière des individus. C’est à des moments graves, comme la crise sanitaire en cours, que l’on voit la différence de logique. Même le très libéral Premier ministre britannique reconnaît qu’il a été sauvé grâce aux services publics.
Le besoin de développer les services publics de qualité particulièrement dans les territoires délaissés
En France, certains territoires comme la Seine-Saint-Denis sont particulièrement touchés par la crise. Cela est le résultat de quatre décennies de politiques libérales durant lesquels les services publics ont été affaiblis, pour ne pas dire sacrifiés comme c’est malheureusement le cas en Seine-Saint-Denis. C’est la raison pour laquelle il est important de rompre avec ces politiques libérales qui aboutissent, entre autres, à l’exclusion de territoires entiers et des travailleurs, pour l’essentiel démunis, qui y habitent.
Il faut cependant préciser qu’en l’absence de ces services publics, même s’ils sont affaiblis, la situation serait pire. Cela confirme l’absolue nécessité du développement des services publics de qualité partout et particulièrement dans les territoires délaissés à cause des politiques libérales.
La rémunérations doit correspondre à l’utilité sociale du travail accompli
Il a fallu la crise du Coronavirus pour que nos responsables politiques comprennent que ceux qu’ils qualifiaient de « rien » étaient quelque chose.
Cette logique libérale qui consiste à faire croire que ceux qui réussissent sont les actionnaires, les fortunés, les “start-uppers” a échoué. La démonstration est faite, si besoin en était, que ce ne sont pas eux qui font fonctionner le pays, l’économie. Ce sont les travailleurs (ouvriers, employés, cadres); ce sont le personnel hospitalier, les éboueurs, les agents d’entretien et de manutention, les caissières, les livreurs et agents de transport de personnes et de marchandises, les facteurs et postiers, les enseignants et chercheurs, les petits paysans et producteurs, etc. Autant de professions qui ont été dévalorisées par les libéraux.
Ainsi, par exemple, lorsque le PDG de Renault a été en prison, l’entreprise a continué de fonctionner grâce au travail de ses salariés. A l’inverse, une grève des éboueurs a des conséquences très importantes sur la vie de tous. Idem pour le personnel hospitalier, les cheminots, les facteurs, les chercheurs, les enseignants, etc.
Pourtant, les écarts de rémunération sont très importants, dans le secteur privé tout comme dans le secteur public. Ces écarts sont inadmissibles.
Dans le cadre de la fonction publique, la justification de cet écart entre la Haute-hiérarchie et les autres personnels est calquée sur les logiques du secteur privé, avec la crainte que les cadres partent dans le privé. Cet argument est irraisonnable, irresponsable. Il en est de même en ce qui concerne le référentiel international, le benchmarking.
En effet, pour justifier les rémunérations exorbitantes (salaires et autres avantages comme stock options et parachutes dorées), la situation des dirigeants et cadres de haut niveau est comparée avec celle observée dans les pays dits plus développés que la France et particulièrement avec les Etats-Unis d’Amérique. Il importe de préciser que quand il s’agit des salariés, leur situation est comparée avec les pays moins développés que la France, l’objectif étant de culpabiliser les salariés français et de tirer les rémunérations et les droits sociaux et les normes environnementales vers le bas.
A la lumière de cette crise, la reconnaissance du travail accompli doit être révisée en fonction de son utilité sociale. La rémunération est la forme matérielle de cette reconnaissance sociale. Il faut donc augmenter le salaire des travailleurs, à commencer par le smic, et mettre fin au gel du point d’indice dans la fonction publique.
Cette revendication légitime est aussi indispensable pour mettre en échec la stratégie démagogique du patronat et des libéraux. Ainsi, dans une émission de France Inter (dimanche 26 avril), M. Woerth, ancien ministre du Budget, évoque le sujet de l’utilité sociale du travail. Mais dans son esprit, il ne s’agit pas de valoriser le travail accompli notamment en augmentant les salaires; il s’agit au contraire de réduire les droits des travailleurs. Sous prétexte que les travailleurs remplissent des fonctions socialement utiles, il leur demande de travailler plus. Même s’il ne le dit pas explicitement, il s’agit surtout de remettre en cause les 35h et de réduire les salaires, comme le revendique aussi le MEDEF.
Répondre aux nouveaux besoins et aspirations des citoyens selon une logique de service public
Avec l’arrivée des nouvelles technologies informationnelles, il est possible de développer de nouvelles activités pour répondre aux besoins et aspirations des citoyens. Soit ces activités sont laissées aux acteurs privés, comme c’est le cas actuellement, soit on crée les conditions pour y répondre dans une logique de service public.
La première alternative aboutit à la création de géants du numérique dont le pouvoir économique dépasse parfois ceux des Etats. Il faut préciser que ces géants se développent grâce au soutien et aux politiques des Etats. Ils échappent, par exemple, aux impôts et sont peu soucieux du respect des droits sociaux et des normes environnementales. Et pourtant ils prétendent réaliser des missions humanitaires et des fonctions remplies jadis par les Etats. Ainsi, Amazon organise une campagne de sabotage de la décision du Conseil municipal de Seattle (ville du nord-ouest des États-Unis d’Amérique où Amazon occupe 20 % des bureaux) d’instaurer une taxe de 500 dollars par salarié pour mettre en place un fonds dédié au traitement du problème de logement dans cette ville. Et une fois réussi à enterrer cette décision, le géant crée lui-même un fonds doté de 2 milliards de dollars soi-disant pour venir à l’aide des mal-logés à travers les États-Unis d’Amérique. Prenant une posture humaniste, le fonds privé prétend ainsi remplir les fonctions publiques ; fonctions qui doivent être financées principalement par les impôts que le géant américain refuse de payer.
Au lieu de laisser les acteurs privés d’en profiter, la puissance publique (État au sens strict, collectivités territoriales, etc.) peut mobiliser ces avancées technologiques pour répondre aux besoins et aspirations des citoyens selon une logique de service public, non marchande, afin que tout le monde puisse en bénéficier. Dans une telle perspective et sans que cela lui serve d’échappatoire, la puissance publique peut aussi appuyer voire encourager les initiatives citoyennes qui poursuivent un but non lucratif et fonctionnent selon une logique non marchande.
La crise sanitaire met en évidence l’utilité et la nécessité d’une telle approche. Incontestablement, l’une des manifestation de cette crise est la hausse des inégalités sociales. Les ménages à revenu modeste, notamment dans les territoires délaissés, rencontrent de plus en plus de difficultés pour survivre et accéder aux produits de première nécessité. A l’inverse, les services de livraison profitent particulièrement à ceux qui ont les moyens de se les offrir, notamment en termes financiers mais également du point de vue logistique et de connaissances informatiques. On retrouve ici les deux visions exclusive et inclusive évoquées plus haut. Si la livraison des produits de première nécessité n’obéissait pas à la vision de « à chacun selon ses moyens » mais à celle de « à chacun selon ses besoins », on aurait certainement éviter cet accroissement des inégalités…