Le secteur français de la pharmacie dans la mondialisation

Ces analyses et statistiques sont extraites du rapport présenté par Frédéric Boccara à une réunion conjointe de la commission économique et de la commission Santé – protection sociale du PCF, le 8 décembre 2020. 

La contribution du secteur de la pharmacie à l’économie française est en train de fortement évoluer.  

Ainsi, une étude conjointe de l’Insee, de la Banque de France et des Douanes, que j’ai impulsée 1, apporte plusieurs enseignements. 

Premier enseignement : l’excédent de longue date de la balance commerciale française (donc de échanges de marchandises) en produits pharmaceutiques était plutôt en train de plafonner, mais dans le même temps, suite à la masse de délocalisations de productions du secteur (aujourd’hui moins de 15 % des effectifs de Sanofi sont en France), s’y substitue un excédent dégagé côté services liés à la pharmacie en royalties, redevances et autres paiements de services perçus par les groupes de l’industrie pharmaceutique. S’y ajoutent d’importants bénéfices rapatriés depuis l’étranger mais amoindris par le versement de bénéfices aux détenteurs ultimes, non-résidents (par exemple Sanofi est détenu à 65 % par des non-résidents, dont le fameux fonds BlackRock).  

L’originalité de l’étude est en effet de faire apparaître la cohérence des activités internationales des groupes et de ne pas s’en tenir au solde commercial de marchandises (les médicaments pris comme objet matériel, industriel). Ce dernier est de 3 milliards d’euros pour les médicaments, mais on peut lui retirer 3,0 milliards d’euros composés de 1,2 milliard d’euros d’importation de matériel médical ou de produits chimiques ainsi que de 1,8 milliard d’euros (estimation) de revenus d’investissements de portefeuille versés à des non-résidents. C’est déjà en 2012 un modèle de dépendance profonde au capital financier et d’interpénétrations internationales croisées, avec environ 40 milliards d’euros d’échanges extérieurs dans les deux sens, 20 milliards d’euros de VA en France, 3 milliards d’euros de R&D et plus de 150.000 salariés concernés en France. 

On relie le solde commercial à des paiements de licences de brevets, à un solde de services et à des dividendes, ce qui n’est jamais fait macro-économiquement, en se plaçant au niveau de la cohérence des entreprises et groupes concernés. Pour cela, on élabore la notion de « domaine » de la pharmacie en croisant deux critères fondamentaux : l’implication dans la chaîne d’activité pharmaceutique en France (de la R&D jusqu’à la commercialisation) et l’appartenance à un même groupe industrialo-financier, en prenant les liens établis par la détention de capital financier. On dépasse ainsi la liste des seules sociétés directement exportatrices ou productrices ainsi que le « secteur » au sens de l’Insee. On a alors pour l’essentiel des groupes industriels et financiers de l’industrie pharmaceutique (90 % du domaine), firmes multinationales sous contrôle français (FMN-F) ou étranger (FMN-E).  

Pour ces entreprises, on rassemble la myriade de paiements traités habituellement de façon séparée (commerce international de marchandises, de services, royalties, dividendes, etc.). On s’appuie en cela sur l’approche théorique développée dans ma thèse sur les multinationales.  

Il apparaît qu’en 2012 les échanges de médicaments apportaient un excédent commercial de 3,0 milliards d’euros, en France, mais il faut leur défalquer 1,2 milliard d’euros d’importation de matériel médical réalisés uniquement par ces mêmes groupes ainsi que leurs paiements de dividendes à des non-résidents, estimés à 1,8 milliards d’euros (ce que l’étude ne fait pas). Tout l’excédent est alors absorbé. Ceci ne peut être « contrebalancé », en quelque sorte, que par des recettes directes de 1,2 milliard d’euros liées aux brevets (recettes nettes de royalties, licences, services internes : 7,0 milliards d’euros de recettes moins 5,8 milliards d’euros versés à l’étranger) et par des revenus du capital de 1,3 milliard d’euros (revenus nets de 3,1 milliards d’euros d’IDE, investissements directs étrangers, en provenance des filiales situées à l’étranger auxquels il faut retirer les paiements déjà cités de revenus de portefeuille de 1,8 milliard d’euros en faveur de la myriade de détenteurs non-résidents comme les 65 % de détentions non-résidentes dans Sanofi). 

Une internationalisation croisée 

Second élément que montrait l’étude : l’importance de l’internationalisation, et de l’internationalisation « croisée », en quelque sorte, des entreprises et grands groupes de ce qui est appelé, dans l’étude, le « domaine » de la pharmacie. 

Comme on l’a dit, c’est un modèle un modèle de dépendance ultra forte au capital financier (actifs financiers portant les brevets, revenus d’IDE des délocalisations, capital financier non-résident), à la délocalisation (IDE vers l’étranger) mais aussi d’interpénétration avec le capital financier étranger soit dans les FMN à base française (65 % de détention par des non-résidents dans Sanofi sous forme d’investissements de portefeuille) soit par la présence en France de presque 300 entreprises et groupes sous contrôle étranger (IDE en provenance de l’étranger). La partie située à l’étranger était considérable pour les FMN-F : 68 % de leurs salariés et 78 % de leur chiffre d’affaires (dont la majorité hors union européenne). Et encore, l’étude porte sur les données de 2012 : la base productive en France de Sanofi, par exemple, était plus importante qu’aujourd’hui. La proportion de salariés de Sanofi situés à l’étranger est passée au-delà de 85 % en 2018 ! 

Troisièmement, on voit la grande diversité d’entreprises (370 groupes en 2012), dont de très nombreux groupes étrangers qui ont un modèle « en miroir » de celui de Sanofi, avec la commercialisation en France, voire la dernière phase de fabrication (le conditionnement et l’adaptation au marché dit « local »).  

Au-delà, il faut souligner la grande diversité d’acteurs : pas seulement des entreprises, mais des universités, d’autres acteurs publics comme l’AP-HP, l’Établissement français du Sang, etc. 

Enfin, l’étude montrait une relation particulière entre grands groupes et PME/TPE, voire start-up, avec une sorte de « circulation » des entreprises. Et notamment des start-up qui peuvent rester aux frontières des grands groupes, dans leur « halo », puis être soudainement absorbées par eux.  

Ainsi, pour les multinationales françaises, un modèle de financiarisation, de contrôle et de délocalisations avec ses excédents principaux sur l’Afrique et le Proche et Moyen-Orient qui repose aussi – l’étude ne le dit pas – sur les avantages offerts en France à la perception de royalties ainsi que sur l’ouverture réciproque de la France à la pénétration des multinationales étrangères. Il repose enfin sur la possibilité de prendre le contrôle de start-up situées dans un halo entre la recherche publique (CNRS, INSERM…) et les grands groupes effectuant une partie de l’innovation et de la R&D (la pharmacie est en France le troisième secteur pour les dépenses de R&D). 

Cette étude dessine aussi autant d’enjeux, d’aspects, pour la bataille en faveur d’un pôle public du médicament et de la santé : lien production, recherche, commercialisation ; réseau international ; relations avec la recherche universitaire ; relation avec l’industrie des équipements médicaux ; relation avec les start-up ; type d’internationalisation ; financement. Et bien sûr la démocratie, la transparence et les critères de gestion ! 

Encadré 
Spéculation boursière sur le vaccin 

– Annonce par Pfizer le lundi 9 /11 d’une efficacité « à 90 % » de son vaccin « ARN messager », avec un chiffre pas clair et invérifiable 

– La valeur de l’action Pfizer bondit de 21,5 % entre le vendredi (34,48$ l’action) et le lundi (41,88 $) à Wall Street. Sa capitalisation boursière a bondi de 26 Md$ (en partie virtuel). 

– La valeur de l’action de Modernastart up cotée au Nasdaq, a plus que doublé en un mois (entre le 6/11 et le 10/12, elle passe de 72,45 $ à 155,69 en plusieurs temps) soit +100 %Sa capitalisation boursière atteint 59 Md$ (valeur en partie virtuelle). 

  • Quand la valeur des titres augmente de 20 %… si on veut maintenir un même taux de profit, il faut 20 % de profit de plus à prélever sur les richesses créées, contre les salaires et l’emploi !