Cet article développe les analyses et propositions présentées par l’auteur à la première journée des états généraux de l’énergie organisés par le PCF avec la participation de Progressistes et d’Économie&Politique, le 13 février 2021
Je regrette que nous ne soyons pas rassemblés physiquement aujourd’hui à Paris ou à Belfort, nous avons tellement manifesté ensemble sur ces enjeux de l’énergie. Car ces états généraux sont la conséquence des luttes, à la fois sur le projet Hercule et dans toute la filière de l’équipement énergétique, notamment dans General Electric, ex-Alstom.
Quelle intervention politique sur la filière de l’électricité ?
Le sujet, c’est l’intervention politique. Il s’agit de construire une visée, un projet de société, et des propositions politiques répondant aux exigences des luttes actuelles, dans un dialogue entre parti politique et syndicats, car pour nous, comme disait Lénine, le parti politique, c’est l’ensemble des questions, un pied dedans (dans les institutions), un pied dehors (dans les luttes).
Mais le parti communiste, c’est aussi l’idée d’un projet de société. Au cœur de celui-ci, se situe le rôle des entreprises devenu décisif aujourd’hui qui nous pose la plus grande question. Que fait-on politiquement sur le rôle des entreprises ? Mais aussi quelle démocratie, quelles concertations bien entendu, mais nous parlons aussi de démocratie autogestionnaire ? Et au-delà du travail, quels projets de vie ?
Dans la filière électrique, il y a des articulations à trouver à au moins trois niveaux : articulation en interne à la filière entre entreprises, articulation aux besoins, avec la population, et articulation entre les travailleurs dans les entreprises pour des transformations politiques jusqu’à l’échelle internationale.
Le modèle ancien de la production énergétique a été percuté par trois évolutions qui font système : la mondialisation avec l’ouverture aux marchés, la révolution technologique informationnelle, et les besoins nouveaux de financement.
- La mondialisation a une dimension réglementaire, avec des décisions politiques précises. Mais une cause plus profonde de l’ouverture des marchés, c’est la crise de rentabilité du capital dès les années 70 et qui se développe dans les années 80, avec comme conséquence le recours à l’export des productions et des services, mais aussi des capitaux en s’installant à l’étranger, pour trouver des marchés simples afin de rentabiliser le capital passé et compenser les gâchis financiers de l’État. C’est aussi pour compenser ces gâchis qu’on a amené très tôt EDF, dès les années 1970, à s’endetter à la place de l’État.
- La révolution technologique et informationnelle pose des enjeux nouveaux, de partage des coûts et de capacités humaines qui deviennent plus décisives qu’avant, et une contradiction nouvelle. La R&D pour développer des informations, des technologies, cela nécessite une dépense, c’est un coût. Mais celui-ci devient un coût fixe qui n’augmente pas une fois que sont mis au point les technologies, les logiciels, les ensembles de programmes, qu’ils soient utilisés dans deux ou dans des milliers de filiales. Ainsi, le développement de multinationales gigantesques permet d’étaler les coûts de recherche et développement au-delà même des monopoles nationaux comme EDF, ou de groupes privés qui étaient très nationaux comme Alstom. Mais il y a une contradiction. Car on peut y gagner d’un côté, mais comme c’est réalisé par des achats financiers à coups de milliards et de survalorisation, il y a une dépense énorme supplémentaire, un pompage de trésorerie. Il a pour conséquence d’empêcher les dépenses pour l’emploi ou pour les services publics dans les territoires, et en retour cette survalorisation va exiger de démolir l’emploi, donc la racine du développement des nouvelles recherches. C’est une contradiction qui nécessite de réfléchir à l’envers, de retourner les choses : c’est l’équipement doit accompagner les êtres humains, et non les êtres humains qui doivent accompagner l’équipement. C’est une révolution contre la domination du capital qui est nécessaire : les capacités humaines deviennent décisives et le partage des coûts devient décisif, au lieu de la concurrence et des rivalités de prédation capitaliste.
Il faut prendre au sérieux ces enjeux de la révolution informationnelle.
- Alors bien sûr, tout cela demande des avances financières énormes pour les recherches, des « avances » parce qu’avant qu’on produit on n’a pas produit et il faut avancer de quoi mener les recherches, ou de quoi former. Ce sont des besoins de financement importants. Ils sont traités comme on le sait par le marché financier, donc pour le profit, avec le pompage de dividendes contre l’emploi, contre les territoires, les coûts cachés, avec les impôts comme la CSPE, avec la concurrence qui crée la volatilité des coûts et le cloisonnement des activités au lieu de la mutualisation des équipements, des équipes et des financements. Tout cela va contre l’efficacité productive et l’efficacité du capital. Car nous sommes pour l’efficacité sociale, du capital, et écologique. C’est à dire l’économie de dépenses en capital et d’accumulation qui va permettre les dépenses humaines et de recherche. Le partage des coûts est au cœur d’un nouveau type d’efficacité. Contre la rentabilité du capital, il faut porter l’efficacité du capital, non sa rentabilité. Dans la guerre idéologique, les mots sont importants comme le rappelait Luc Foulquier.
Tout cela fait système et aboutit à une crise, crise de coûts, crise écologique, crise de maîtrise et d’indépendance, crise sur l’emploi. Nous dénonçons le pilotage de plus en plus prégnant la filière par le capital financier, sa logique fondamentale qui vise le moindre coût immédiat et apparent au lieu du temps long et de l’efficacité sociale, écologique et même économique.
Les besoins sont énormes, de nouvelles productions, de nouveaux guidages, à la fois par les institutions et par les critères, les types de conditionnalités, les besoins longs et surtout le développement des capacités humaines. Il faut mettre en lien ces besoins avec le financement et une maîtrise consciente du développement, à ne pas laisser au marché. Il s’agit de viser non pas « la » transition écologique mais une véritable transition écologique. Il faut pousser le débat car ce qui est à l’œuvre, ce n’est pas une véritable transition, mais le suivisme d’une bifurcation illusoire.
Les propositions
La vision que je vais développer s’organise autour de l’idée d’un pôle public, auquel il faut assigner des buts, des moyens, et institutions nouvelles.
Les buts doivent être l’emploi, la réponse aux besoins humains, l’écologie, et non le taux de profit, avec ses deux jambes, le profit et l’accumulation du capital.
Ces buts peuvent être atteints en baissant les coûts, mais tout autrement, avec des partages et des dépenses nouvelles qui feront baisser les coûts demain, coûts des dépenses humaines, sociales, d’emplois, de formation, de recherche – recherche publique (université, organismes…) et dans les entreprises – et, bien sûr, les coûts d’investissement matériel mais ces dernières selon une autre logique. Et pour pouvoir faire ces dépenses-là, il faut baisser le coût du capital. Il faut donc attaquer les dépenses pour le capital et ses coûts pour viser une efficacité nouvelle, c’est fondamental. Non seulement il faut faire reculer le coût du capital, mais également sa domination, son pouvoir, donc ses institutions et sa logique. Quant au partage des coûts, informationnels et de recherche notamment, mais aussi les coûts sociaux mutualisés qu’il faut démultiplier, cela implique un changement profond des gestions et des incitations exercées sur elles à l’opposé des partages monopolistes et financiers via les prises de contrôle en Bourse.
Le cœur c’est la logique, et donc les critères de gestion. Les institutions, les pouvoirs, le caractère public, etc. sont des éléments déterminants, non pas en eux-mêmes mais pour faire prédominer cette nouvelle logique.
Pourquoi parler de pôle public ?
Ainsi, nous parlons de pôle public pour une véritable appropriation sociale des entreprises et de leurs gestions.
Il faut en effet se nourrir de l’histoire du mouvement ouvrier et révolutionnaire, progresser en analysant les échecs et limites, en s’auto-critiquant. Nous avons l’expérience de l’échec des nationalisations de 1982 et nous avons l’expérience de l’acceptation des privatisations ultérieures. Et même d’une certaine résignation des travailleurs lors de ces privatisations, acceptation dont une part tenait de la résignation en regard du mince bilan apparent de ces nationalisations et de la déception qui en a résulté. Voyons bien les réponses de l’adversaire, qui a retourné et récupéré les nationalisations au profit du capital, et voyons bien les changements des conditions technologiques, qui exigent des partages de coûts sans précédent en incluant d’emblée le niveau mondial et des avances financières par le crédit d’ampleur inédite, y compris pour des dépenses humaines (R&D, formation…).
L’État et la propriété publique ont ainsi pu être volontairement le relais de la logique de rentabilité et de priorité à l’accumulation.
L’État et la propriété publique ont pu aussi en être le relais à leur corps défendant. Et c’est très schématiquement ce qui a prédominé en Union soviétique. Dans un premier temps du fait de l’arriération russe qui nécessitait un rattrapage du capitalisme on a fait prédominer l’accumulation du capital, quitte à compenser cela par des corrections étatiques massives (redistribution, maintien des emplois, emplois garantis à vie, etc.). Dans un second temps, cette priorité à l’accumulation s’est maintenue faute d’une réflexion politique de fond sur les critères de gestion et sur l’intervention démocratique dans la gestion, même si des poussées ont eu lieu à différents moments. Une telle réflexion aurait nécessité d’ouvrir un débat sur la démocratie, sur la créativité des travailleurs, sur leurs pouvoirs dans les entreprises, et au-delà. Au contraire, les poussées sous Khrouchtchev ou sous Gorbatchev se sont déviées vers un débat enfermé dans l’alternative « marché ou État (plan) », sans aborder la question d’autres critères décentralisés que ceux du marché pour les gestions des entreprises : « pas de critères et la production maximale » versus « la rentabilité et le profit ». Cela a masqué un certain consensus sur la poursuite de la productivité apparente du travail maximale et un aveuglement sur les gâchis de capitaux, et de ressources naturelles, ainsi que sur la crise d’efficacité survenue dans les années 1970 et amplifiée ensuite. De nos jours, avec le niveau de développement atteint par la Chine, ce dépassement des critères capitalistes de la rentabilité financière est d’une certaine façon le défi auquel ont à faire face la société et l’économie chinoise, et les communistes en son sein. C’est un défi de créativité sociale qui nous est commun… mais dans des conditions bien différentes !
Ainsi, mettre en avant d’abord les institutions et les structures, en répétant « pôle public » ou nationalisations », peut masquer tout cela et déboucher sur les mêmes erreurs. Le fond, c’est la logique, portée par des critères et des pouvoirs.
En même temps on ne peut pas passer à côté du besoin d’évincer le capital. Mais pas seulement en évincer les pouvoirs apparents, il faut aussi en évincer la logique et les coûts. L’État ne doit pas reproduire le comportement du capital.
Par ailleurs, on a pu prétendre que la notion de « pôle public » serait une façon de reculer sur les nationalisations, un recul opportuniste, en deçà des nationalisations, alors que ce sont des « nationalisations ++ ». C’est en effet une façon d’inclure les nationalisations dans quelque chose de plus. Pas seulement la nationalisation, mais d’une part tout un tissu d’entreprises, voire une filière, d’autre part différentes entités qui doivent garder une certaine autonomie d’action les unes vis-à-vis des autres mais qu’il faut coordonner, notamment l’articulation essentielle entre industrie et services, que nous peinons souvent à prendre à sa juste mesure, troisièmement la dimension internationale, avec des groupes français dont la moitié de l’emploi, des ventes, et les deux-tiers de la production industrielle sont localisés à l’étranger, quatrièmement le financement. Enfin cinquièmement, se branchant sur l’ensemble, il y a la question majeure des critères de gestion, portés à la fois par les pouvoirs des travailleurs, des représentants des habitants et par les financements, mais aussi par une culture nouvelle en lien avec la société civile.
Voyons bien que dans nos pays capitalistes très mûrs, l’État n’est ni revenu au CME traditionnel, ni à l’omniprésence du privé. Le financement public des entreprises s’est développé comme jamais, y compris par des participations en capital mais non majoritaires : une mixité public -privé, à prédominance privée. Et ceci jusque dans certaines PME, notamment celles considérées comme des start up. Sarkozy avait entamé la nationalisation temporaire et minoritaire pour de grands groupes, notamment pour Alstom (mais aussi pour PSA). Pour les PME, le mouvement date plus de la présidence de François Hollande avec la façon dont la BPI a été mobilisée. Il pourrait s’amplifier avec la sortie de la pandémie et notamment la difficulté qu’il va y avoir à sortir des PGE (prêts garantis par l’État) ou, dans les grands groupes, la montée des exigences de « souveraineté » et de maîtrise industrielle nationale.
Quel pôle public de l’énergie ?
Dans l’énergie, le projet Hercule, sur la critique duquel je ne reviens pas ici, témoigne que les capitalistes sont en recherche d’une nouvelle alliance entre État et capital, je l’ai dit dans mon rapport au conseil national de septembre 2020. Mais ils n’arrivent en fait pas à la renouveler sur le fond, ce qui va renforcer encore plus la crise. Nous voulons au contraire que l’État vienne au service du social, des travailleurs, de l’emploi, du public, des usagers, contre le capital et sa logique. Une sorte d’alliance de l’État avec le social, l’écologie, la société, les travailleurs. Il faut bien sûr des avances d’argent, elles ne doivent pas être traitées comme du capital (de l’argent qui cherche du profit) mais comme des flux qui permettent de développer la vie et la réponse aux besoins.
Le pôle public de l’énergie pourrait être développé autour de 7 piliers dont il constituerait la tête articulant l’ensemble. Un pôle public et non une seule entité parce qu’on a plusieurs objets, avec EDF qu’on veut élargir, les équipementiers, un grand nombre de PME, la recherche qui est plus ou moins transversale, et des technologies chez les équipementiers qui sont pour certaines également transversales.
- Le pôle public doit traiter la cohérence, des besoins, des prévisions, de la planification, de la recherche, il pourrait y avoir une sorte de « tête », et organiser la sécurité d’emploi et de formation, à partir du statut actuel des énergéticiens d’EDF mais en l’élargissant à toute la filière, que ce soit dans les très grandes multinationales ou dans les PME.
- Il doit traiter la concertation sur les besoins. Il faut une élaboration, à partir des territoires Demain mais dans une cohérence nationale, en posant la question d’une réponse à des engagements européens et mondiaux, avec des éléments de réponse communs ou coordonnés, ce qui n’est pas la même chose qu’une planification européenne.
- Il doit reposer sur une entité de service public importante : nous sommes favorables à une intégration à partir d’un EPIC, par opposition à la société anonyme pilotée par du capital même public, un EPIC d’un nouveau type, avec des pouvoirs de décision des travailleurs et une ouverture aux usagers. C’est là que se construirait la commande publique, qui serait en fait une co-élaboration du public avec les fournisseurs d’équipements. Il faut viser un co-travail, la coopération dans la durée actuellement interdits par l’Union Européenne, qui impose la concurrence, l’appel d’offre sur projet, la concurrence sur la mise en œuvre. Cela pousse l’exigence d’une renégociation des traités, contre les solutions qui sont en train de voir le jour comme les grands monopoles privés, ou des oligopoles européens, pour que les services publics puissent piloter, dans tous les secteurs.
- Il doit traiter le pouvoir du pôle et des travailleurs : il doit y avoir un pouvoir du pôle sur les entités avec des propriétés publiques et avec des investissements dans les entreprises, une capacité à investir et à mettre des conditions d’investissement. Mais il faut aussi un pouvoir des travailleurs dans les entités comme dans le pôle, comme des pouvoirs de saisine du pôle par les CSE, que ce soit dans EDF ou dans ce qu’on voudrait développer comme entreprise publique à la place de General Electric, avec des pouvoirs sur les gestions et sur l’utilisation de l’argent si les critères d’emploi, de richesses créées, d’économie de CO2, ne sont pas respectés.
- Il doit avoir des outils spécifiques, comme les co-entreprises, les GIE, qui permettent une coopération par un accord sans dépense en capital qu’implique l’achat d’une entreprise, d’un concurrent. L’argent ainsi économisé peut alors être utilisé en recherche, en formation.
- Il doit reposer sur des entreprises publiques importantes. Nous exigeons une nationalisation nouvelle d’entreprises, une appropriation sociale, la carte-pétition lancée par les camarades de General Electric exige que la BPI (banque publique d’investissement) travaille sur une appropriation publique en insistant sur la filière nucléaire, mais il faut garantir la cohérence de l’ensemble de la filière, ce qui est possible. L’énergie n’est pas encore un bien commun, elle doit le devenir, et c’est par l’action publique et sociale qu’elle pourra le devenir.
- Le financement : il s’agit de décliner le pôle public du financement que nous voulons par secteur, ici de l’énergie et des équipements énergétiques, avec trois aspects importants, la démocratie, c’est-à-dire des pouvoirs des travailleurs et des usagers, le crédit bancaire, qui est l’alternative au marché financier, et de nouveaux critères.
Pourquoi le crédit ? Parce qu’il faut des avances de long terme pour pouvoir produire. Elles seront remboursées sur la production à venir. Ce n’est pas la dette le problème, mais comment on la dépense : est-ce qu’elle permet de produire et de se développer ou non ? Les dépenses de développement sont très importantes. Au CESE, nous avons obtenu une majorité pour la notion de « dépenses de développement » et non pas seulement « dépenses d’investissement » que le patronat et les institutions récupèrent dans le sens d’un investissement contre l’emploi. Car plutôt que des dépenses en capital, de l’investissement, il faut un mix de dépenses humaines et matérielles, c’est décisif. Le crédit doit donc être associé à de nouveaux critères, et il faut constituer un levier d’argent public sur les entreprises. Les critères doivent être le développement des richesses réelles, le développement de l’emploi (en quantité et en qualité), les économies de consommation de matière, les économies de rejets polluants comme le CO2, les partages et coopérations.
Deux questions demeurent ouvertes
La dimension internationale, dont les institutions mondiales. Le FMI, qui est l’institution mondiale de financement et qui devrait contribuer au développement dans l’ensemble des pays est totalement indépendantes de l’ONU, comme l’OMC qui pose la question du système des brevets, les droits de propriété intellectuelle étant inclus par l’OMC dans le champ du commerce international. FMI et OMC doivent être inclus, d’une façon ou d’une autre, dans l’ONU avec le contrôle du GIEC et de l’AIE (Agence internationale de l’Énergie). Et dans l’Union européenne, il faut avancer tout de suite pour de nouveaux traités qui permettent des coopérations.
La question de la formation. Nous sommes pour une sécurité d’emploi ou de formation. Pour nous, un projet de vie n’est pas l’emploi garanti toute la vie sur la même machine, ou dans le même poste. Nous sommes pour des mobilités, avec une sécurité de revenu, le développement des capacités humaines, de meilleurs emplois, des pouvoirs, une maîtrise de leur propre mobilité professionnelle par les principaux intéressés, les travailleurs et le travailleuses, au lieu de mobilités imposées par le marché et par les critères de profit. Le cœur, c’est le développement des capacités humaines. Dans cette perspective, faut-il une institution globale de formation intégrant le pôle public, ou des institutions spécifiques dans les entreprises comme l’étaient les écoles de métier ? C’est à réfléchir, peut-être faut-il articuler les deux en construisant des relations avec les universités et la recherche.
Deux commentaires
Le pôle public serait ainsi une institution nouvelle construite à partir de l’existant, en le retournant, en le remettant sur ses pieds. En 1945, les comités d’entreprise et le Plan sont venus prendre le contre-pied des comités de production de Pétain et de l’organisation de la production par l’État, qui étaient des institutions nouvelles, mais au bénéfice de l’occupant allemand et du patronat.
Trois entités existent déjà. Les comités stratégiques de filières dans la CNI (commission nationale de l’industrie), sous contrôle du patronat, qui servent surtout à répondre aux besoins du capital. Le Commissariat au plan, sans démocratie, sans argent, sans pouvoir sur les entreprises (ce que Bayrou est venu expliquer au CESE). Et une double institution de propriété et de financement d’État. C’est d’une part l’agence des participations de l’État (APE), représentée dans les entreprises par un fonctionnaire de Bercy, voire en outre un fonctionnaire du ministère « technique » concerné par la filière, qui ne rend aucun compte, hormis à un supérieur hiérarchique dans un bureau. C’est d’autre part la Banque publique d’investissement (BPI), sans démocratie, suiviste des critères des banques et actionnaires, qui vient les conforter, parfois corriger leur caractère excessif, pour conserver la logique profonde. Dans la BPI, par exemple, les représentants syndicaux au comité stratégique ne sont plus désignés depuis plusieurs années. Il doit y avoir transparence et démocratie sur ce que font les fonctionnaires de l’État dans les entreprises et banques publiques. Il doit y avoir transparence et démocratie sur ce que fait la BPI.
Dans le pôle public, la possibilité de saisine du financement par les travailleurs est décisive : pour des projets élaborés par les travailleurs eux-mêmes, ou pour pénaliser une gestion contraire aux critères.
En conclusion, il s’agit de pousser une nouvelle cohérence entre les objectifs – une énergie bien commun, l’aménagement du territoire, etc. – les pouvoirs et les moyens. Ceci à partir du fil continu que constitue l’action sur les entreprises par l’argent. Pour que l’énergie devienne un bien commun, il faut une toute nouvelle culture, de l’efficacité, d’une production autre que pour le capital, où l’emploi et la personne humaine sont au cœur. Dès à présent, on peut exiger que l’on commence à construire le pôle public, à partir des luttes, contre Hercule, contre les suppressions d’emplois dans General Electric, à partir des propositions syndicales, pour appuyer les luttes et avancer sur une mobilisation convergente.
De même dans les élections régionales ou nationales, nous proposons des conférences régionales, qui s’appellent « emploi, formation, transformation productive », non pas pour traiter la région en autarcie, mais pour construire à partir des régions une nouvelle cohérence nationale.
Et dans la présidentielle nous insisterons sur le besoin de conférences nationales « emploi, formation, transformation productive » avec un Fonds national qui les appuierait. Ceci, à partir de ce qui va monter depuis le terrain, des exigences et des urgences. En particulier, pour les activités de GE, vendues progressivement à l’encan, ou délocalisées, voire recentralisées aux États-Unis, c’est tout de suite que la BPI doit intervenir car il faut stopper l’hémorragie, la perte de savoir-faire dans les équipements énergétiques. Mais c’est aussi toute la question de la sécurité du nucléaire, dont fait partie la question de l’emploi, des statuts précaires et de la formation, ainsi que des recherches pour un nouveau type de nucléaire (nucléaire de 4G et au-delà).