Les salariés des banques en première ligne face à la crise de la mondialisation financière

Thomas Ollivaux
secrétaire du syndicat CGT Banques - assurances de Loire-Atlantique

élu au CSE, Société Générale Conservation de titres

Jean-Paul Krief
membre du collectif d’animation de la commission économique du PCF

Ancien secrétaire national CGT du groupe Caisses d'Épargne

Les suppressions d’emplois se succèdent dans les banques. Comment cela se passe-t-il sur le terrain ?

Thomas Ollivaux :À la Société Générale, entre 5 000 et 7 000 postes ont été supprimés en Francedepuis 2017.Chaque bon directeur fait « sa » réorganisation. La dernière en date a consisté à supprimer 724 postes sur l’ensemble du groupe en novembre, touchant 60 salariés sur les 1 300 à 1 400 qui travaillent dans mon secteur de la conservation de titres, à Nantes (salariés de la Société Générale, intérimaires et prestataires). Les collèguestouchés par ce plan sont partis au mois de juin. On n’en voit pas encore les effets sur les conditions de travail mais j’ai la quasi-certitude que les 60 postes supprimés seront remplacés par des emplois en intérim car l’activité n’a absolument pas baissé.

Jean-Paul Krief :Dans tout le secteur bancaire, la dictature de la rentabilité produit les mêmes ravages. L’indicateur clé est ce qu’on appelle le coefficient d’exploitation, qui est une fraction : au numérateur, il y a toutes les charges, dont les dépenses de personnel. Au dénominateur, c’est le produit net bancaire (PNB)qui comptabilise les produits financiers liés à l’activité des banques (différence entre les intérêts perçuset les intérêts versés, mais aussi commissions et toutes sortes de produits financiers). Le coefficient d’exploitation est un indice qui sert de référence pour les agences de notation (plus le coef d’exploitation se rapproche de 0,50, plus la note des agences de notation est excellente ), et détermine ainsi le niveau des intérêts que les banques doivent payer pour se procurer des ressources sur le marché monétaire et sur le marché financier.  Pour diminuer le coefficient d’exploitation, les banques peuvent soit augmenter le PNB, ce qui est difficile vu l’état de la concurrence, soit diminuer les charges : réorganisations, suppressions d’emplois, fermetures d’agences… C’est toujours le personnel qui fait les frais de cette logique de gestion.

Thomas Ollivaux :Et ce n’est pas fini. On prépare l’absorption du réseau Crédit du Nord par la Société Générale. Là, c’est à qui va annoncer le plus de suppressions de postes : entre 3 500 et 7 000 annoncées en 24 mois, avec en ligne de mire la disparition complète du réseau : activité recentrée sur la gestion de fortune pour la clientèle haut de gamme, sur des centres d’appel pour la clientèle de masse.  Avec volonté de délocaliser. Comme dans les fonderies, les délocalisations existent dans le milieu bancaire. Sur les 7 dernières années, Société Générale a créé 10 000 emplois offshore, dont 20 % en Roumanie et 80 % en Inde (Bangalore et Madras, aujourd’hui Chennai, où la BNP est aussi implantée).

Jean-Paul Krief :De son côté, Natexis (groupe BPCE) supprime 200 postes de back-office (opérations comptables et de contrôle), et en crée au Portugal. Les directions veulent fermer le plus d’agences possible et transférer la clientèle vers la banque en ligne en réservant les rendez-vous feutrés à la clientèle fortunée. Dans les années 1995-2000, on avait dit « la banque sera la sidérurgie de demain ». Aujourd’hui, l’ensemble du monde bancaire est l’objet d’une restructuration massive.

Comment les salariés réagissent-ils à cette situation ?

Thomas Ollivaux : Les arrêts de travail de longue durée ont explosé dans les cinq dernières années, y compris sur des postes de responsables d’entité qui craquent. Cependant, la sociologie du personnel de la Société Générale est particulière, même en comparaison d’autres réseaux bancaires. Les cadres en constituent 53 %, c’est-à-dire qu’ils sont plus nombreux que les techniciens. La direction a réussi à placer les suppressions d’emploi sous l’habillage d’un plan de rupture conventionnelle collective :  pas de licenciements secs, peu de bruit dans les média. À ce stade, le travail syndical est un travail d’éveil des consciences. Comment nos dirigeants osent-ils supprimer des postes quand on vient de verser 9,5 milliards d’euros de dividendes !

Nous venons de saisir l’inspection du travail sur le contrôle du temps de travail. Jusqu’en mars 2020, un système de pointage permettait de mesurer les horaires des techniciens (qui ne sont pas au régime du forfait jours, réservé par la loi aux cadres). Ce dispositif a été suspendu avec le confinement, lorsqu’on est passé à un régime de télétravail à 100 % pour la quasi-totalité des salariés. Au moment du déconfinement, la direction a refusé de remettre en place un système de mesure, même simplifié, et elle a refusé d’inscrire le point à l’ordre du jour du CSE. 480 techniciens des métiers bancaires sont concernés, et on peut s’attendre à ce que 50 à70 % de l’effectif travaille bien plus de 35 heures.On espère avoir un retour de l’inspection du travail avant l’entrée en vigueur de l’accord de télétravail qui a été signé et qui prévoit deux jours de présence sur site.

Jean-Paul Krief : avec le télétravail, les patrons font des gains de productivité et récupèrent du pognon. On va fermer des sites. Dans les faits, les gens dépassent largement les horaires prévus par les accords.

Comment les salariés voient-ils ce qu’on leur fait faire en direction de leurs clients ? Beaucoup de salariés des banques aimeraient agir en faveur de l’emploi et du développement économique de leur région plutôt que d’alimenter à tout prix du PNB pour la rentabilité.

Thomas Ollivaux :il faut préciser que mon secteur ne comporte pas de réseau d’agences. Cependant, oui, une réflexion est menée sur le sens de notre travail. 20 % – le top management et juste en-dessous – sont absolument convaincus que le fonctionnement qu’on leur impose est excellent. Parmi les autres 80 %, les techniciens « n’y croient pas » et le scepticisme commence à monter au niveau de l’encadrement. On a eu beaucoup plus de 60 candidats pour les départs volontaires car la banque n’est plus un métier qui intéresse les gens. Cependant j’ai peu d’échos de collègues qui se projettent vers quelque chose qui aurait du sens dans leur activité professionnelle. Ceux qui se projettent vers quelque chose de plus « humain » le font dans le cadre d’un projet personnel, en-dehors de leur métier.

Jean-Paul Krief :Dans les autres banques, c’est pareil, les conditions de travail se dégradent et les salariés ne pensent qu’à une chose, partir. Et dans la vie syndicale, y a-t-il des débats sur le rôle d’une banque dans l’économie, dans le territoire ?

Thomas Ollivaux : oui, on l’aborde forcément entre syndiqués mais sociologiquement et idéologiquement les employés de la Société Générale ne sont pas préparés à se poser ce type de question. Ils ont tellement la tête dans le guidon qu’ils n’ont même pas le temps d’y penser. Dans mon activité syndicale, j’ai voulu des communications engagées, qui permettent d’ouvrir le champ de réflexion des salariés. S’en tenir aux instances, aux consultations institutionnelles proposées, c’est faire le jeu de la direction parce qu’on reste dans le calendrier qu’elle a proposé. Nous, nous décidons de notre calendrier. C’est comme ça qu’on arrive à mettre les directions en difficulté. Par exemple, nous avons abordé plusieurs fois le thème de l’environnement. La Société Généraleprétend être la championne de l’écologie alors que l’étude récente d’Oxfam montre qu’elle est le deuxième plus gros pollueur du CAC40 ! Nous avons déjà abordé la notion d’exposition aux activités de marché et le sens de l’action de la banque. Je vais aller plus loin, je vais me battre sur le terrain économique avec mes directeurs. Parlons d’inflation, avec un autre discours !

Que pensez-vous de la proposition, formulée par la CGT Banque de France, d’un droit au crédit pour les entreprises qui s’engagent sur des critères d’efficacité économique, sociale et écologique ?

Thomas Ollivaux :C’est une proposition qui fait tout à fait sens. Après la crise, beaucoup d’entreprises vont avoir besoin de crédit. Pouvoir obliger une banque à faire crédit à une entreprise qui respecte des critères, c’est tout à fait intéressant. De toute façon, je suis, à titre personnel, pour toutes les initiatives qui visent à obliger les établissements bancaires à « revenir à l’économie réelle ».

Au PCF, nous nous saisissons de ce sujet de l’« économie réelle » à partir de la question de la mobilisation du crédit pour sécuriser l’emploi.et de la formation.

Thomas Ollivaux : comment peut-on continuer à fonctionner avec les impératifs économiques, écologiques et sociaux qui vont s’imposer maintenant, et des établissements bancaires tels qu’ils fonctionnent à l’heure actuelle ? Quel est le sens de la banque, son rôle dans la société ? C’est le nerf de la guerre. On parle beaucoup, au PCF, de notre souveraineté industrielle, pharmaceutique, médicale, c’est très important. Il faudra aussi qu’on se pose un jour la question de la souveraineté bancaire. Qui décide ? qui fait les lois ? aujourd’hui, les banques se les font sur mesure. Imaginons que Société Générale ait 70 % de ses effectifs délocalisés à l’étranger et qu’un Bolsonaro décide d’en finir avec Société Générale ? Que fait-on pour le financement de notre économie si ce financement est soumis à des décisions prises ailleurs ? Si on fait le total des banques privées – Société Générale, BNP, Natixis – ce sont des millions de clients qui pourraient être à la merci de ce genre de choses.

Convoquer des conférences régionales et nationale pour l’emploi, la formation, la transformation productive, en vue de mettre les dirigeants des entreprises et des banques sous pression, qu’en pensez-vous ?

Thomas Ollivaux : c’est très important. Souvent, on s’aperçoit qu’en ouvrant son champ pour discuter avec des gens d’horizons différents, c’est tout à fait positif. Mais il faut une pression de la puissance publique et des forces sociales, sinon les dirigeants de banques ou d’entreprises ne répondront pas spontanément à une simple invitation.

Jean-Paul Krief : des conférences régionales voire départementales, cela rejoint l’idée de donner du sens à l’action des banques. Il y a de l’argent, cet argent doit être utilisé pour l’emploi, les salaires, la formation, l’environnement, etc. C’et donner la main au peuple, montrer du doigt les directions à prendre pour l’emploi, la formation, etc. Avant même que ces conférences se réunissent, la dynamique à engager est très importante, pour l’élection présidentielle, et bien au-delà. On l’avait déjà mis en avant pour les régionales. C’est un levier pour le dépassement du capitalisme.