Écologie : les entreprises et la domination du capital au cœur de la révolution nécessaire !

Au nom de l’écologie, on culpabilise les gens et leur consommation, alors que l’enjeu c’est de révolutionner la production et la consommation, en agissant sur le levier décisif des entreprises et leurs critères de gestion, par le financement et d’autres pouvoirs institutionnalisés, et en développant les services publics en grand et de façon nouvelle, y compris par des mises en réseau internationales, ainsi qu’en développant une nouvelle planification stratégique, autogestionnaire et démocratique. Mais la réponse de l’idéologie dominante est la marchandisation, éventuellement « corrigée » par quelques mesures compensatoires dites « sociales ». Or par exemple, pour consommer autrement, il faut qu’une autre production existe, et l’on ne peut pas s’en remettre au tout marché, piloté par les attentes de rentabilité financière, pour y répondre dans un sens écologique.

La nécessité d’une toute autre culture de la consommation et de la production renvoie aux buts de vie, à une vie libérée qui doit pouvoir s’imposer face à cette société qui privilégie le profit, la surexploitation des êtres humains et de la planète au lieu d’économiser le capital et de réduire le temps de travail (cf. encadré sur la liberté d’après Marx).

Nous sommes dans une révolution écologique dont il faut voir de façon dialectique la crise et les potentiels, ainsi que ce qui domine : (1) limites possibles d’un certain nombre de ressources naturelles, (2) pollutions mettant en cause les êtres humains voire leur écosystème, (3) mais aussi le potentiel de nouveaux domaines possibles : les océans, l’espace, les bio-technologies, les nanotechnologies, sachant que la sortie de crise écologique, une transition écologique réussie, ne se fera pas en utilisant « simplement » ces nouveaux domaines elle demande de renverser les principes dominants du capitalisme, marchandisation et rentabilité.

Pour cela, il faut une véritable révolution des rapports sociaux de production et de consommation. Une révolution politique qui par la conquête de pouvoirs politiques permette d’agir en grand et de façon systématique (selon un sens cohérent et généralisé) sur les entreprises et sur les banques.

Les exigences écologiques renforcent et élargissent le besoin de révolution, politique et sociale. La conjugaison des luttes sociales et écologiques peut être décisive ; elle nécessite de penser une nouvelle unification des couches sociales. L’affirmation de cette approche nouvelle est engagée, plus ou moins, par les communistes dans le texte du 38econgrès (cf. encadré), dont nous avons été parmi les principaux rédacteurs. Il reste à nourrir, préciser et développer cette approche, à la décliner concrètement et, surtout, à la traduire dans la vie et dans les actes politiques et militants. Ce qui va demander, collectivement, à la fois audace et créativité politique.

Cet article présente un certain nombre de principes, tant pour l’analyse que pour les propositions politiques, à partir d’un travail de prolongation des travaux marxistes1.

Une refonte culturelle des productions et de la consommation

Un véritable nouveau mode de production, c’est un développement où l’on économise le capital et les matières tout en poursuivant des progrès de productivité du travail total(passé et présent, c’est-à-dire qu’on ne s’épuise pas à travailler avec des méthodes dépassées), mais pas en pressurant les êtres humains. En développant leurs capacités créatrices, leurs compétences et leur emploi. C’est-à-dire qu’il repose sur d’autres critères d’efficacité économique et sociale.

Un autre mode de production, c’est aussi une économie radicalement circulaire, où les sorties de la production sont réutilisées comme « entrées » pour celle-ci dans une toute autre relation avec la nature. Une telle visée élargit considérablement la focale : on ne peut s’en tenir à ce qui se passe et se produit dans une seule entreprise, ou dans un seul territoire, car les pollutions ou consommations de ressources peuvent être reportées sur d’autres entreprises, notamment les sous-traitantes, ou dans d’autres pays. C’est donc à un niveau d’ensemble que l’on peut évaluer si l’on progresse vers une circularité.

Cela demande une coordination et une socialisation nouvelle, dépassant l’individualisme des entreprises prises une à une, mais aussi la socialisation capitaliste au sein d’un seul groupe financier d’entreprise, même multinational. Il s’agit aussi de dépasser la vision purement nationale, tant les reports d’un pays sur l’autre sont importants. Une économie circulaire demande donc des institutions nouvelles planificatrices, d’intervention et autogestionnaires, branchées sur les entreprises mais ayant une vision globale, nationale et internationale. La notion de valeur ajoutée (VA), qui est additive, est décisive pour pouvoir suivre de façon combinée les apports des différentes entreprises et territoires. Comme indicateur de production globale, elle peut être rapportée aux différentes consommations et pollutions.

Un élargissement de nos combats

Cela élargit et renforce nos combats, y compris sur les technologies qui sont loin d’être neutres, souvent marquées par la culture du capital. D’autant plus qu’en même temps que la révolution écologique, la révolution informationnelle ouvre un potentiel qui pourrait bouleverser la donne : les partages et le développement des capacités humaines deviennent décisifs pour l’efficacité économique et sociale. Mais celle-ci aussi reste dominée et orientée par la visée d’accumulation financière et de taux de profit. Révolution écologique, révolution informationnelle, révolution des forces productives sociales et en même temps chômage et précarité de masse, crise du capitalisme, autant de raisons convergentes de révolutionner les rapports sociaux capitalistes de production, de circulation des produits, de répartition des revenus et de consommation. Autant de raisons convergentes de mettre en cause la dictature de la rentabilité, non pour la limiter ou pour la cantonner, mais pour imposer une autre logique positive de développement.

Ainsi, la crise écologique renforce le besoin de révolution et l’élargit, bien loin de décentrer nos combats. Elle nous appelle à développer, enrichir et élargir nos fondamentaux de façon offensive. Quoi de plus normal si l’on considère que, pour des marxistes, l’économie se définit fondamentalement comme l’activité de transformation de la nature extérieure pour les besoins vitaux des êtres humains, et non pas par le petit bout de la lorgnette comme les activités monétaires. Ainsi, économie et écologie ne s’opposent pas par essence. Ce sont deux facettes d’un enjeu révolutionnaire. Si on les aborde correctement.

L’instrumentalisation de l’écologie contre les enjeux sociaux radicaux

Face à la perception nouvelle de la crise écologique, les mobilisations courent le risque d’être instrumentalisées, les mesures prises en France et au niveau international ne font pas le poids et n’enrayent pas les lourdes évolutions à l’œuvre, notamment en matière de climat. Une opération idéologique majeure est en cours vers un discours écologique « consensuel », placé hors du clivage gauche-droite. Ce discours culpabilise les gens, leur consommation et masque les enjeux de fond. Il tend à évacuer les questions économiques décisives de la production, de son contenu et la question politique des entreprises, de leur liberté de gestion (laissée au capital) et de leurs critères, ainsi que des pouvoirs spécifiques des multinationales sur les biens communs mondiaux, ou bien la question de l’emploi.

Ce discours tend à séparer, voire à opposer écologie et social sans voir leur articulation intime, par exemple en mettant en cause « la croissance » en soi, au lieu de désigner son contenu, financier, antisocial, anti-service public et anti-écologique. Car selon que l’on développe les services publics aux personnes ou des productions marchandes matérielles délocalisées, on ne génère pas du tout les mêmes pollutions. Ce discours évacue en fait les rapports sociaux de production, au sens marxiste du terme. Il s’agit de voir la structure actuelle du PIB et de la production, avec ses multinationales organisées en groupes financiers qui repose sur desholdingsfinancières et des fonds d’investissement concentrés dans les grands pays capitalistes, développant une production dans les pays du Sud, à bas coût social et sans se préoccuper de son contenu environnemental ou sanitaire, dans une relation prédatrice avec ces pays et ses productions, prêts à vendre ou revendre du jour au lendemain une filiale pour de simples objectifs de plus-value financière.

Ce type de production et de croissance va de pair avec une structure urbaine génératrice de congestions des transports et de concentrations délétères comme on en connaît par exemple dans le quartier de La Défense en région parisienne. Porter une toute autre conception du rôle des sièges sociaux, des cadres qui y travaillent et des services rendus, dans le sens d’un appui à des productions relocalisées, écologiques avec le souci d’une nouvelle industrialisation mieux répartie et d’une réponse aux besoins, pourrait aider à conjuguer luttes écologiques et luttes sociales. Ainsi, par exemple, si les émissions de GES ont reculé en France depuis le début des années 1990, la désindustrialisation y a très fortement contribué (la part de l’industrie manufacturière est passée de 27 % à 17 %, tandis que celle des transports passait de 22 % à 29 % du total) alors même que la consommation de matières et les émissions de CO2à l’étranger, générées par les importations françaises (donc largement par les multinationales françaises et étrangères) continuaient à augmenter à un rythme similaire à celui du PIB français.

L’emploi et le social au cœur des réponses

Développer une production écologique « cela crée de l’emploi » nous assène-t-on pour nous rassurer. Cela fait totalement l’impasse sur le fait que dans notre système capitaliste tout, ou presque, va s’opposer à créer des emplois. On va donc faire un peu de production écologique et pas du tout d’emploi. Car l’emploi n’est pas un supplément d’âme utile pour « faire passer » une transition écologique prétendument douloureuse pour tous (alors qu’elle le sera surtout pour le capital). L’emploi est au cœur même d’une transition écologique réussie, puisque celle-ci repose à la fois sur les capacités créatrices des femmes et des hommes, leurs capacités à inventer des solutions nouvelles ; elle repose sur les qualifications des femmes et des hommes pour mettre en œuvre de nouveaux procédés de production (qu’on pense à la rénovation thermique des bâtiments), elle repose sur le développement massif de services publics à la personne (notamment de formation, de recherche, et nouveau service public de l’écologie…) et une substitution relative de travail vivant à du travail mort accumulé, elle repose enfin sur une capacité d’intervention citoyenne des habitants et des travailleurs, donc sur une libération de leur temps de travail, par sa diminution massive.

Mais pour cela, il faut affronter les logiques dominantes de la rentabilité et de la baisse du coût du travail, les inverser pour d’autres critères de gestion, et conjuguer cela à la recherche d’économie de ressources pour la mise en œuvre de nouvelles productions et d’une nouvelle consommation. Cela se retrouve dans les deux principaux critères de gestion alternatifs à ceux de la rentabilité financière : au lieu de rechercher la rentabilité et le profit, développer la valeur ajoutée en économisant le capital matériel et financier (ratio VA/Cmf) et développer la valeur ajoutée disponible pour les populations et les territoires (VAdt). Mais cela nécessite aussi de promouvoir des critères non marchands (économie de consommation de matière ou de pollution). L’effectivité de la mise en œuvre de ces critères, indispensables pour une véritable production écologique repose sur deux types de leviers : (1) des pouvoirs des salariés dans les entreprises pour intervenir sur les critères de gestion, les choix d’investissement, et l’utilisation de la valeur ajoutée, (2) un système de crédit finançant les entreprises selon de tels critères et suivant le respect de ces objectifs. Cela demande une réorientation massive des banques, avec un pôle public du crédit et de nouvelles nationalisations bancaires pour pratiquer ce nouveau crédit, avec des critères mixtes, reposant sur des ratios monétaire-physique, du type Investissement/Nouvelles consommations ou pollution. Cela demande aussi des engagements précis des entreprises elles-mêmes, tout particulièrement les multinationales.

C’est tout autre chose que les vagues promesses lors des différentes COP, sans engagements contraignants et chiffrés par les entreprises. Aucun moyen n’est prévu pour surveiller les multinationales ou mesurer leur activité mondiale. Aucun droit d’alerte des salariés. Il y a pourtant là un terrain pour une conjonction entre mobilisations écologiques citoyennes, à l’extérieur des entreprises, et forces sociales syndicales des travailleurs dans les entreprises. Cette conjonction pourrait être déterminante et prendre en tenaille les directions des entreprises et affronter la logique du capital. Cela souligne aussi la gravité du hiatus existant entre ces conférences tenues dans un format de type ONU, élargi à des lobbysfinanciers, et l’absence d’implication du FMI et des institutions financières internationales, comme des banques centrales, pourtant institutions publiques et gouvernementales.

La marchandisation au cœur des réponses perverses

Alors que la marchandisation est au cœur de la crise écologique, on la renforce dans les réponses perverses à celle-ci (taxe carbone, marché des quotas d’émission de CO2, etc.).

La taxe dite carbone en est un exemple emblématique, de même que l’obsession de profit de multinationales comme Mosanto au mépris de tout, ou encore le scandale du truandage des tests d’émission de CO2des automobiles par les grands groupes producteurs de voitures.

Arrêtons-nous un instant sur la taxe dite carbone. On nous dit, c’est en augmentant le prix du carbone par une taxe que l’on va diminuer la consommation de carbone, donc ses émissions. En réalité, cela ne marche pas ainsi. Des graphiques montrent très bien que pour un même niveau de taxe carbone il existe toute une variété d’intensité d’émissions de CO2selon les pays. De même, les pays les moins émetteurs ont des niveaux assez différents de taxe carbone.

La théorie dominante, défendue par exemple par J. Tirole, prix « Nobel » français d’économie, c’est que joue un « signal-prix » sur le marché qui va amener les acheteurs (consommateurs et entreprises) à diminuer leur consommation de carbone. Mais cela ne se passe pas ainsi. Et d’ailleurs les émissions de CO2baissent bien trop faiblement.

C’est qu’au fond deux mécanismes jouent. D’une part, les consommateurs doivent pouvoir disposer d’une alternative pour émettre moins de carbone, car souvent les émissions de CO2sont largement contraintes, comme pour le transport en voiture, ou la consommation d’électricité (issue de centrales à charbon, versus d’éoliennes ou de centrales nucléaires, n’émettant quasiment pas de CO2). D’autre part, les entreprises peuvent reporter cette taxe de façon à ne pas en subir le coût et continuer ainsi à émettre presque autant de CO2(souvent un peu moins, mais à peine moins) : elles peuvent répercuter le prix de la taxe dans leur prix, donc sur les consommateurs elles peuvent baisser d’autres coûts, notamment le « coût du travail » pour supporter une hausse de taxe carbone. Cette dernière modalité est d’ailleurs revendiquée par un très large éventail politique défenseur d’une « iso-fiscalité » : une baisse des cotisations sociales est revendiquée à due contrepartie d’une hausse de la taxe carbone !

Nous revendiquons bien plutôt une taxe certes proportionnelle aux émissions et consommations de CO2, mais portant sur les profits des entreprises productives concernées (à commencer par les grands trusts pétroliers). Et surtout la mise en œuvre de dépenses pour permettre des offres alternatives. Une incitation à produire autrement.

Contrairement à la théorie néoclassique, la production compte. Tout ne passe pas par des comportements d’offre et de demande sur des marchés ! Il faut une action consciente et politique sur les entreprises et un levier financier significatif.

Le cas des crédits de quotas d’émission de carbone est encore pire, puisqu’il s’agit là de titres financiers spéculatifs que s’échangent les entreprises, et qui leur ont été distribués gratuitement à l’origine (cf. mon article de La Penséepour plus de détails).

Comme marchandisation, il faut aussi citer la recherche de rentabilité financière maximale. Elle est en effet portée par le marché financier, marché « au carré », où l’on vend et revend des titres représentatifs de droits sur les activités productives (droits de décision et droit de prélever un revenu). La rentabilité, critère d’accumulation des moyens matériels poussant à leur excès et leur gâchis jusqu’à la crise de suraccumulation, s’oppose à des objectifs écologiques. P. Gattaz, alors président du Medef, le reconnaissait en déclarant à peu de choses près : « nous avons déjà une contrainte, la rentabilité, ne nous en ajoutez pas une avec l’écologie ». Limiter les effets les plus pervers de la marchandisation ne permet pas de répondre aux enjeux.

Les entreprises au centre des enjeux

Le discours culpabilisant est centré sur la consommation individuelle ; il cherche à opposer écologie et social, à diviser le monde salarial, à individualiser les réponses et à les centrer sur le marché (moins acheter, augmenter les prix par des taxes) ainsi qu’un discours malthusien où rivalisent tenants de la décroissance, apôtres culpabilisateurs de « nos » excès de consommation, et malthusiens à visage découvert fustigeant un prétendu excès d’habitants sur terre.

Ainsi les émissions de CO2sont-elles réparties en « secteurs » d’émission qui ne permettent pas d’identifier clairement la part des entreprises ou des ménages dans celles-ci (graphique 1). Cette présentation tend même à donner l’impression que les transports seraient la source majeure du réchauffement climatique. Or si l’on regroupe les secteurs différemment, et que l’on répartit les émissions des transports selon le poids du transport de marchandises dans l’ensemble (ainsi qu’une hypothèse sur la répartition habitation/bureaux, en trois-quarts, un quart), le poids des secteurs de production (entreprises + agriculture) est largement dominant, représentant au moins les deux tiers des émissions.

En outre, le rôle des entreprises est décisif aussi dans les émissions attribuées aux seuls ménages, à savoir le transport routier et aérien, l’habitat. En effet, il dépend du système de production, et donc des entreprises et des banques, que les ménages puissent faire appel à des producteurs de bâtiments économes en énergie, ou à des entreprises qualifiées d’isolation thermiques, ou disposer d’une alternative à des transports polluants, soit sous forme de transports collectifs comme le transport ferroviaire, soit avec d’autres véhicules, soit encore l’invention d’autres modes de transports, ou encore que la localisation des entreprises et des services privés (commerces…) moins concentrée dans l’espace nécessite un transport moindre.

Catégorie de déchetsAgriculture et pêcheIndustrie 
(yc récupération)
Constructionet Travaux publicsTertiaireGestion des déchets et assainissementMénagesTotal
Déchets minéraux
2,7347,50,1

350,3
Déchets non dangereux, non minéraux0,820,28,522,17,626,886,0
Déchets dangereux0,43,32,92,00,90,19,6
Total1,226,2358,924,28,526,8445,9

Source : L’environnement en France, juin 2010, Commissariat général au développement durable, p. 104.

En matière de déchets aussi le poids des entreprises est dominant, là où pourtant les politiques et les discours insistent sur la nécessité de gestes de tri et d’économie, par les individus. Ainsi, en 2006 l’enquête réalisée sur les déchets montre que les ménages génèrent à peine 26,8 tonnes de déchets sur un total de 445,9 tonnes (soit 6 % du total ! voir tableau).

Une théorie fort biaisée

L’économie de l’environnement d’inspiration ouvertement néoclassique s’est développée depuis la fin des années 1970 (cf. mon article de La Pensée, n° 363). La taxe carbone y joue un rôle pivot, avec le fameux « signal-prix » censé agir sur les marchés et sur les acteurs économiques réduits à des consommateurs atomisés.

Au fond, pour résumer, dans cette approche tout peut et doit se ramener à un prix ou à un marché. S’il n’y a pas de prix ou de marché, on va en créer un. Il va permettre « d’internaliser des externalités négatives non prises en compte par les marchés ». Prix et taxation sont complémentaires, dans la mesure où la taxation envisagée est un supplément de prix, pas une taxation des profits, par exemple, ou des investissements. Le débat porte sur le dosage et sur les éléments de compensation, plus ou moins sociale-libérale, envers les ménages pauvres qui doivent pouvoir avoir un socle minimal de consommation. Au total les ressources naturelles sont considérées comme un capital ou un actif.

Autre chose serait de considérer les coûts de remise en état et les coûts des dégâts, plutôt que de chercher à attribuer une valeur à des ressources naturelles, car cette valeur sera nécessairement fictive et conventionnelle, soumise à spéculation.

Tout cela est complété par des évaluations coût-avantages, où tout est finalement traduit dans une seule unité : les euros ! Le temps, comme la valeur des vies humaines, sont traduits en euros. Et comparés aux profits ou aux recettes publiques.

À cet ensemble, on ajoute le principe de « pollueur-payeur ». Il est souvent confondu dans nos rangs avec l’idée, juste, que le pollueur doit payer les dégâts qu’il a occasionnés. En réalité le principe du « pollueur-payeur » signifie : « si on a de l’argent on peut polluer ». Et à nouveau, le paiement de la pollution est un prix censé reproduire un marché… Ce principe fonctionne comme un principe de conciliation avec les multinationales.

Au contraire, il faudrait considérer les ressources naturelles non comme un stock inerte, reproductible, un capital, mais comme une ressource vivante à développer, et à préserver. On aurait donc surtout un système préventif qui évite la pollution et la dégradation et une pénalité en cas de dégradation, permettant la reconstitution des milieux. L’exemple des forêts permet de comprendre : obliger à replanter des arbres détruits plutôt que de faire payer une « valeur du bois ».

Réduction de la nature à du capital et absence de la production, donc des entreprises, comme du financement. Tels sont les dogmes néoclassiques que l’on retrouve dans cet appareil théorique.

Et le réchauffement climatique ?

Il y a urgence à faire tout autrement. Par exemple en matière de réchauffement climatique. Non seulement les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) continuent d’augmenter (+1,7 % en 2017 comme en 2018, pour le seul CO2, d’après l’AIE, agence internationale de l’énergie). Mais aussi la France qui, depuis le milieu des années 1990, réussissait à diminuer ses émissions de GES même lorsque la croissance de son PIB augmentait, voit celles-ci augmenter depuis maintenant 3 années consécutives (cf. graphique). Ainsi, la façon de faire perverse et limitée mise en œuvre en France entre en crise. La réponse par le marché et de petites corrections, avec essentiellement une pénalisation des consommateurs, ne marche pas. C’est d’ailleurs à leur façon, ce que les gilets jaunes ont porté haut et fort.

En outre, le report des émissions de CO2sur les pays du Sud devient de plus grave.

Le sens de ce qui se joue

Nous entrons dans l’anthropocène (ère où l’activité du genre humain influence l’évolution de la planète elle-même), mais nous y entrons par le capitalisme, ses fléaux, ses régulations aveugles et catastrophiques. L’exigence de régulations conscientes et maîtrisées, permettant une autre relation avec la nature, devient fondamentale.

Alors, on entend de plus en plus dire « c’est le système qu’il faut changer ». Très bien. C’est une bonne entrée. Mais qu’est-ce qu’on désigne par « le système » ? Et par où l’attraper ? Pour faire quoi ? Tel est l’enjeu majeur posé aux mobilisations actuelles, et que les communistes peuvent grandement contribuer à résoudre par leurs idées et leur activité politique dans les luttes.

Avec la culpabilisation croissante des citoyens dans leur consommation, réduits à des individus consommateurs et acheteurs sur un marché ? L’être humain « animal politique », tradition qui remonte pourtant à Aristote, est évacué ! Au-delà des récupérations politiciennes des mobilisations écologiques, de leurs limites évidentes et d’une part de « populisme » écologique, il faut aussi entendre une réaction positive à cela dans les mobilisations des jeunes sur l’écologie. Ils nous disent : « c’est une question politique ». Mais il faut affirmer que c’est aussi une question économique : quelle politique de l’économie ? Et quelle économie politique ? Comment agir sur l’économie ? Sur la production, sur ce qu’on nous amène à consommer, sur les modes de vie que l’on nous impose ? Quelles sont les institutions concernées ?

Ainsi, complémentaire de la culpabilisation des citoyens, le silence sur le rôle des entreprises est assourdissant ! Celui des banques est un tout petit peu plus perçu, mais trop coupé des enjeux de production, de contenu des productions et des recherches nécessaires.

Il faut récuser enfin la séparation entre social et écologie, évacuant les rapports sociaux de production et de consommation, que travaillent les tenants du système.

Il faut réclamer tout autre chose qu’un État venant à peine écorner les méfaits du marché et du profit, les corriger légèrement par la redistribution et agissant par des taxes jouant sur les mécanismes de marché en augmentant les prix, tout en laissant faire les décisions d’investissements, de production, de délocalisations, de licenciements et se rabougrir les services publics.

La convention citoyenne que le président Macron a mis en place, en dialogue – semble-t-il – avec le CESE, apparaît comme une intention d’intégrer encore plus fortement dans ce sens, en focalisant le débat sur la fiscalité, en incluant une petite redistribution sociale, et en taisant le rôle des entreprises et des banques. Mais il n’est pas écrit à l’avance qu’il en sera nécessairement ainsi.

Source : Sylvestre Huet « Climat et économie, le CO2explique tout », d’après JRC Commission européenne, 2018

Prendre au sérieux l’enjeu

La bataille d’idées sur l’écologie apparaît ainsi très importante. Prenant au sérieux l’enjeu écologique, mais sans le couper de tout le reste.

On sous-estime en effet l’enjeu écologique si l’on ne voit pas qu’il faut révolutionner les productions, les critères de gestion des entreprises (notamment multinationales), et affirmer le besoin de services publics nationaux très développés et coopérant au niveau international. Réduire l’enjeu écologique à une simple limitation de la consommation et à un partage des richesses existantes entre riches et pauvres ou entre pays développés et en voie de développement c’est sous-estimer les effets pervers de ce qui est fait, aboutissant à des résultats quantitatifs plus que minimes. En insistant sur la consommation des ménages et des pays eux-mêmes, on se focalise sur des éléments en bout de chaîne et on renforce la culpabilisation paralysante ou la division sociale. Il s’agit au contraire de voir le rôle des entreprises et du capital multinational, de ses critères de gestion, du type technologique dominant et du type de financement.

Le défi est beaucoup plus élevé. Il s’agit de l’exigence d’une autre société, dépassant le marché et appelant des pouvoirs, une démocratie et une culture profondément nouveaux. Traiter vraiment l’écologie contribue au dépassement du capitalisme et du libéralisme.

Quelques propositions immédiates

Dans l’immédiat, on pourrait agir dans les directions suivantes :

  • Mettre en place un fonds financier important (de l’ordre de 6 % du PIB pour la France, soit 130 Md€) agissant sur les entreprises avec des critères précis.
  • Une maîtrise publique et sociale progressive d’un certain nombre de filières décisives de l’économie (industrie, services et recherche), à commencer par la production d’énergie (EDF ? Alstom, General Electric, etc.)
  • Un développement des services publics, et une initiative internationale mettant autour d’une même table non seulement les gouvernements, mais aussi les multinationales, les institutions financières internationales pour un financement des investissements nécessaires (entreprises + services publics) par une monnaie commune mondiale avec des engagements contraignants des entreprises, suivis par des organes démocratiques, ouverts à la société civile et aux travailleurs, appuyés par les administrations.

à cela devrait s’ajouter une mise à plat des règles de propriété intellectuelle, pour permettre le partage non coûteux des technologies les plus économes en CO2et les moins polluantes, et une mise à plat des règles de la concurrence, notamment en Europe, pour permettre des mutualisations et coopérations entre entreprises et services publics de plusieurs pays pour partager les coûts d’investissement ou de recherche.

L’écologie dans le « Manifeste pour un Parti communiste du XXIe siècle » (adopté au 38e congrès du PCF)

Notre vision communiste, originale, juge complémentaires développement humain et écologie, sans les opposer. Pour nous, l’enjeu écologique renforce nos combats. Bien loin de les décentrer, il les élargit. Il confirme qu’il faut vraiment changer le mode de production et de consommation, qu’il faut une véritable révolution. Il faut une révolution dans les rapports sociaux de production, jusqu’aux techniques de production, une révolution de la répartition et de la consommation, et une révolution des pouvoirs et de la culture. Il faut une révolution qui affronte à la fois les pénuries et le consumérisme, qui ne réponde pas aux besoins populaires tout en épuisant travailleurs et travailleuses comme la planète avec des productions inutiles marquées du sceau de l’obsolescence programmée.

Services publics et entreprises sont au cœur de l’enjeu écologique : service public de l’écologie, mais aussi de la santé, de la recherche ou du financement, mais aussi entreprises productives, avec de nouveaux critères de gestion (donc de production et de localisation), banques (avec de nouveaux critères d’investissement et de financement). Nous pouvons faire converger des forces du « dedans » et du « dehors » de l’entreprise, à partir du double enjeu social et écologique qui se rejoignent contre la domination du capital, les critères de rentabilité financière, l’austérité et le système de pouvoirs.

Richesse et liberté véritables, d’après Marx

« Mais la quantité de valeurs d’usage produites dans un temps donné, donc aussi pour un temps donné de surtravail, dépend également de la productivité du travail. La richesse véritable de la société et la possibilité d’un élargissement ininterrompu de son procès de reproduction ne dépendent donc pas de la durée du surtravail, mais de sa productivité et des conditions plus ou moins perfectionnées dans lesquelles il s’accomplit. En fait, le règne de la liberté commence seulement là où l’on cesse de travailler par nécessité et opportunité imposée de l’extérieur ; il se situe donc, par sa nature, au-delà de la sphère de la production matérielle proprement dite.

De même que l’homme primitif doit lutter contre [ou affronter]la nature pour pourvoir à ses besoins, se maintenir en vie et se reproduire, l’homme civilisé est forcé, lui aussi, de le faire quels que soient la structure de la société et le mode de la production. Avec son développement s’étend également le domaine de la nécessité naturelle parce que les besoins augmentent ; mais en même temps s’élargissent les forces productives pour les satisfaire. En ce domaine, la liberté possible est que l’homme social, les producteurs associés règlent rationnellement leurs échanges avec la nature, qu’ils la contrôlent ensemble au lieu d’être dominés par sa puissance aveugle et qu’ils accomplissent ces échanges en dépensant le minimum de force et dans les conditions les plus dignes, les plus conformes à leur nature humaine.

Mais cette activité constituera toujours le royaume de la nécessité. C’est au-delà que commence le développement des forces humaines comme fin en soi, le véritable royaume de la liberté qui ne peut s’épanouir qu’en se fondant sur l’autre royaume, sur l’autre base, celle de la nécessité.

La condition essentielle [ou de base] de cet épanouissement est la réduction de la journée de travail. » Et, pourrait-on ajouter aujourd’hui, la réduction du temps de travail sur l’ensemble de la vie.

K. Marx (1894), Le Capital, Livre 3, traduction Mme Cohen-Solal et G. Badia, page 742 de l’édition de 1976, Éditions Sociales.

1. Voir aussi mes articles plus développés dans La Pensée(2010 et 2011, « économie et écologie, où en est-on ? », n° 363, et « économie et écologie : pour une vraie alternative », n° 365), et dans Progressistes(novembre-décembre 2014, « Vers une refonte écologique et culturelle des productions », dans un dossier consacré à l’économie circulaire).