50 ans de travaux au PCF sur l’écologie ! Rétablir les faits. Retour d’expérience

Il est d’usage, dans les médias ou au café du commerce, de considérer que le PCF ne s’est emparé de la question écologique que sur le tard, au moment où celle-ci émergeait dans le débat public. Ce discours, qui veut marquer du sceau de l’opportunisme politicien l’engagement communiste sur le sujet, omet pourtant la réalité des faits. Si le sujet n’a pas été central dans le propos communiste, la question s’est inscrite dans la réflexion politique du PCF dès les années 1960, c’est-à-dire bien avant que l’écologie politique soit créée en France. Et elle n’a cessé depuis, sans nier le débat que cela a généré dans le PCF, d’occuper une place de plus en plus importante, en phase avec la théorie marxiste et la réalité environnementale.

Il va de soi que ce sont les historiens qui ont la tâche de faire ce bilan et il y a du travail ! Pour l’instant il faut constater qu’on considère en général que le PCF n’a rien dit sur l’écologie et que ce qu’il en dit a peu d’importance. Un silence organisé !

Je me contente de donner quelques informations qui peuvent servir à l’analyse politique de la pensée des communistes, des expressions et actions du PCF en ce domaine. Je pense avoir la légitimité pour le faire : je suis écologiste de formation (docteur de spécialité en radioécologie) depuis 1963. J’ai adhéré au PCF en mai 1968 et tout de suite, R. Le Guen et R. Leroy m’ont demandé de participer à la création d’un groupe de travail sur les questions d’écologie et de cadre de vie. Depuis je n’ai pas cessé de participer à cette commission de travail.

J’ai pratiquement tout gardé y compris les coupures de presse (en particulier l’Humanité) et les revues (Nouvelle CritiqueÉconomie et PolitiqueAvancées Scientifiques et TechniquesCahiers du Communisme) et des brochures et livres (sauf France Nouvelleet La Terre). Ces documents sont, grâce à la fédération des Bouches-du-Rhône du PCF, disponibles aux Archives départementales. Il est donc possible de vérifier les informations. Il y a des demandes et un historien prépare un travail précis sur le PCF et l’écologie. (C’est un étudiant de l’université de Rennes, Victor Michel.)

Exemples de points de vue sur les communistes et l’écologie

Tout ce qu’a écrit le PCF, et fait ou pas fait, en matière d’écologie et d’environnement est critiquable. Encore faut-il connaître ce qu’il a produit.

L’ouvrage de Vrignon1issu d’une thèse est d’une grande richesse. C’est pendant les années 1960 à 1980 que des militants sont désignés comme écologistes : « remettant en cause la société industrielle, ils entendent lutter contre la crise écologique en s’appuyant autant sur la science que sur l’aspiration à un autre mode de vie. » (p. 7). Mais il y a déjà confusion !

Nous étions sept au premier 3ecycle d’écologie à la faculté de Marseille ! Notre formation était scientifique et notre métier a toujours été la recherche en écologie et pas la politique ! C’est autour des années 1970 que les écologistes, ne voulant pas être assimilés à des partisans politiques, ont décidé de se faire appeler écologues. J’ai souvent discuté de cette question avec le professeur F. Ramade, écologiste reconnu. Il considérait que ce mélange porterait préjudice aux moyens donnés à la recherche en écologie.

On connaît les ravages provoqués par la confusion entre science et politique ; on a, à juste titre, reproché aux communistes d’avoir parfois soutenu de telles erreurs en Union soviétique. (Voir le rôle de Waldeck Rochet et du comité central d’Argenteuil de 1966 contre cette posture.)

Mais en matière d’écologie cette confusion serait « naturelle » ? ! Par contre prendre connaissance des travaux scientifiques pour prendre de bonnes décisions politiques est une autre question. Vrignon parle de la nécessité d’amener « l’historien du politique à s’intéresser aux mouvements écologiques ». Mais il ne dira pratiquement rien sur le PCF. Sachez que sous prétexte que les candidats communistes ont soutenu en 1970 une charte de la nature impulsée par Ph. Saint Marc, l’auteur considère qu’ils ont des réponses similaires à celles de l’UDR. Or, nous avons soutenu en 20062la charte de N. Hulot et ce n’est pas pour cela que nous sommes d’accord avec ses conceptions de l’écologie et avec Macron. Pour Vrignon, les propositions du PS « qui envisage l’écologie dans un sens large… » (législatives 1973) ne seraient pas bonnes car ses dirigeants ne voulaient pas froisser le PCF ! Dès les années 1970 « la déprise intellectuelle du marxisme s’accompagne d’une remise en cause du modèle institutionnel incarné par le PCF » (p. 144).

Nous verrons qu’il y a un retour à la pensée de Marx dans l’analyse de la crise environnementale. La situation présente montre à quel point la perte d’influence du PCF provoque des reculs plus que préoccupants.

De nombreux auteurs, même très bons, invalident ainsi le PCF. R. Keucheyan3écrit un livre remarquable indiquant que la militarisation est une potentialité que la crise écologique porte en elle. Il utilise une approche marxiste. Dommage qu’il ne cite aucun texte du PCF.

M. Barrillon4écrit une note sur « l’improbable éco marxisme et son immense retard théorique dans l’appréhension de la question naturelle ». (p. 115-143). « Ceux qui se posent aujourd’hui en parangons du marxisme écologique omettent également de parler des marxistes orthodoxes qui, en France, dans les années 1970-1980 ont entrepris de subsumer la question environnementale dans ce qui était alors appelé le diamat, l’avatar mécaniste du matérialisme dialectique : Luce Langevin, Guy Biolat, Vincent Labeyrie ». Il se trouve que Biolat était mon pseudonyme : en 1968, être ingénieur-chercheur et communiste dans une grande entreprise comportait quelques risques.

Ça confirme que le PCF travaillait ces questions. J’assume totalement les imperfections du livre que j’ai écrit à l’époque avec la relecture de J. Metzger et B. Di Crescenzo5. J’écrivais : « la dégradation rapide de l’environnement à laquelle nous assistons, conduit à une sensibilisation importante des masses aux problèmes liés à leur cadre de vie ». Je citais le texte d’Engels qui « nous rappelle à chaque pas que nous ne régnons pas seulement sur la nature comme un conquérant règne sur un peuple étranger, comme quelqu’un qui serait en dehors de la nature, mais que nous lui appartenons… ».

Je pense avec le PCF que la lutte contre la dégradation de notre environnement est une lutte de classe et que c’est le système capitaliste qui est responsable.

Le texte de Sainteny6cite quelques travaux du PCF. Oui, le PCF a eu des retards en particulier dans la mise en œuvre de ses propres décisions mais pourquoi quand, en 1969, il parle d’écologie, l’accuser de récupération ? Au-delà, l’analyse s’est développée et n’y a jamais été figée une fois pour toutes.

Les questions d’environnement sont bien intégrées dans la politique du PCF au XXIIecongrès en 1976 : « Le socialisme pour la France ».

Nous avons pris la bonne mesure de la crise environnementale : « Le capitalisme dégrade et gaspille la nature. La société que nous voulons mettra au premier plan de ses préoccupations la protection et la mise en valeur rationnelle de la nature, le maintien des équilibres écologiques, la préservation des liens des hommes avec la nature ». (V. Labeyrie publie le 9 mars 1977, dans l’Humanité, « Importance et limite de l’écologie » et le 16 novembre il polémique avec B. Lalonde et Ph. Lebreton : « Qu’est-ce que l’écologie ? ».)

La commission « cadre de vie – environnement – santé » a mis un peu de temps à se structurer en 1970. Mais depuis, avec P. Juquin, R. Joly, M. Bertrand, R. Le Guen, S. Leroux, A. Hayot, H. Bramy et aujourd’hui A. Pagano : que de travail fourni !

Pourtant, en 1993, F. Simon — Ekovich7ne voit qu’un « PCF à l’épreuve de l’écologie : mutation illusoire, mutation impossible ». Nous serions des productivistes par définition puisque notre postulat est que la crise de l’environnement est un aspect de la crise du capitalisme. Oui, c’est bien cela et le système capitaliste est productiviste et gaspille. La crise climatique en est un exemple.

La bataille du PCF sur l’écologie et l’environnement

En 1988 le scientifique communiste P. Acot écrit une histoire de l’écologie8. « Même si l’enjeu écologique au siècle à venir ne portait que sur les conditions de la vie de l’humanité alors que c’est peut-être déjà sa survie qui est en question, il n’y aurait pas une minute à perdre » 9. Il poursuit dernièrement en condamnant l’imposture du « tous coupables » 10.

Notons une constante de cette bataille d’idées. Les caractéristiques de l’espèce humaine font que le naturel et le culturel sont imbriqués. Le travail n’est-il pas un rapport social et un rapport à la nature. Le débat sur la conception que l’on a des rapports homme-nature a repris une grande ampleur, en même temps que la volonté du capital de marchandiser la nature1112. Le 12 avril 1967,l’Humanitéavec les communistes de Bretagne menaient la bataille contre la marée noire !

Les pollutions, le réchauffement climatique, la perte de biodiversité, la gestion des déchets, la santé seraient une question « ni de gauche, ni de droite ». N. Hulot porte cette conception. Dans l’Humanitédu 23 janvier 2019, il dit « c’est un plan Marshall pour l’écologie qu’il faut ». Dans Osons13, il avait précisé : « Les sujets d’environnement devraient être supra-politiques au-delà de la gauche et de la droite .» Il explique, avec d’autres, qu’il faut construire une nouvelle société, ne pas rejeter le capitalisme mais ses excès, parler de désarroi de l’homme moderne… Voilà comment on peut soutenir ou aider Chirac, Sarkozy, Hollande ou Macron et se casser les dents sur le « ni, ni ».

Ainsi le système perdure et continue à faire des profits et accumuler du capital y compris grâce à ses propres dégradations : l’économie verte. Les communistes ont toujours dit que l’environnement nécessitait des luttes syndicales, associatives et des réponses politiques.

Mais on passe sous silence les actes et les propositions qui mettent en cause le système.

Quelques réflexions du PCF

Changer de cap14

Ce texte adopté le 9 octobre 1971 montre qu’il y avait eu antérieurement un travail du PCF sur les enjeux environnementaux, même si le mot écologie n’y figure pas. On y parle de conditions de travail, de logement, des transports, de politique urbaine, d’aménagement du territoire, de planification démocratique, d’agriculture, etc. « Ces nuisances et ces pollutions provoquent une véritable rupture des équilibres naturels et risquent de déclencher un processus de dégradation de plus en plus irréversible. » « Les solutions d’avenir seront recherchées dans les modifications des processus de fabrication ou des produits fabriqués. » Cela fait partie «… d’une politique de préservation de la nature, d’organisation du repos, des loisirs, de la culture, du tourisme, d’aménagement du cadre de vie qui correspond à un immense besoin social ». Un lien est fait entre le social et l’environnement.

Le 27  janvier 1972, le Programme commun de gouvernement15est signé. L’empreinte du PCF est évidente. « En s’attaquant aux contraintes du profit monopoliste, une politique démocratique pourra utiliser pleinement le progrès scientifique et technique pour résoudre les problèmes. » « Les entreprises supporteront intégralement le financement de la réparation des dégâts. » C’est la faiblesse de l’influence du PCF qui a empêché de mettre en œuvre ce programme. (En 1973, L. Langevin écrit « écologie et politique dans La Pensée,n° 172).

Il faut toujours se méfier de la récupération scientiste du progrès scientifique et technique ! De même qu’engager un nouveau type de croissance n’est pas une simple répartition des richesses.

Vivre libre

En 1975 le PCF publie cette déclaration qui propose d’inscrire dans la loi de protection de la nature, l’obligation d’études publiques et contradictoires pour tout projet affectant l’environnement, l’obligation de faire trancher les litiges par les assemblées élues, le droit pour toutes les associations de recourir aux tribunaux contre un projet qui leur parait nocif. La bataille contre la privatisation de l’aéroport de Paris rentre dans cet objectif.

Le comité central du 22 juin 1976

« Les communistes et le cadre de vie » (édité sous forme de brochure). C’est la première fois qu’un parti politique en France consacre une séance complète de travail à ce sujet. Elle a été longuement préparée. (Économie et Politiqueavait publié un hors-série, coordonné par Cl. Quin, intitulé « Ce que coûte le capitalisme à la société »16. « La dégradation rapide de l’environnement naturel, la pollution, les nuisances nous coûtent environ 250 milliards de francs. »)

G. Marchais publie Le défi démocratique. J. Metzger, (1974) rédige « Pour la science » et publie un article dans la Nouvelle Critiquen° 72 « Ne dites jamais c’est naturel ». Recherches internationales (1974, n° 77-78) rédige un dossier sur « l’homme et l’environnement ».

Le 8 novembre 1975, le secteur « cadre de vie » avec une équipe de scientifiques (J. Barrau, G. Netter, V. Labeyrie, etc.) travaille sur un document traitant des rapports homme-nature et intégration idéologique. « L’essentiel pour le pouvoir est donc de masquer la responsabilité du capitalisme monopoliste d’état en utilisant le rapport non immédiat aux rapports sociaux de la question environnementale. » C’est pour cela que le pouvoir tente d’intégrer à sa politique les associations de défense de l’environnement. V. Labeyrie parlait déjà du danger climatique. Le 15 novembre 1975, la commission dirigée par R. Joly, élabore un texte cohérent sur « les points de repères essentiels pour la question de l’environnement ».

P. Juquin part des textes de Marx et d’Engels « La situation de la classe ouvrière en Angleterre », et de l’introduction à la critique de l’économie politique, « l’anti-Dühring ». Il rappelle que ce n’est pas d’aujourd’hui que « le PCF se préoccupe de l’économie des ressources naturelles, des problèmes de l’énergie, des transports, d’agriculture, etc. » « Qui s’est opposé au démantèlement des chemins de fer ? Quand nous menions ces combats précurseurs, certains qui se disent aujourd’hui écologistes d’avant-garde et prétendront sans doute demain que nous prenons le train en marche, nous accusant de traîner à l’arrière ». L’anticommunisme est bien une donnée fondamentale ! Ce rapport garde son actualité quand il parle des besoins et des droits nouveaux en matière de logement, de recyclage des déchets, de cadre de vie, de droits des salarié (e) s dans l’entreprise, de la spéculation foncière.

à propos de la croissance et du progrès

Il faut relire ce qui est écrit à propos de la croissance et du progrès avant de nous accuser de productivistes ou de scientistes. « Il est classique dans l’histoire que les classes moyennes frappées par le développement du capitalisme, cherchent des solutions vers l’arrière et non vers l’avant. » « La récupération et la manipulation de l’écologie constituent une tentative de détournement destinée à faire croire que l’homme est incapable d’améliorer ses relations avec la nature, que ses désirs sont démesurés et qu’il doit modérer ses revendications. » La dernière campagne des élections européennes en 2019 est édifiante ! Pour agir il faut connaître et la science accroît la possibilité de liberté des hommes. « L’avenir appartient à une nouvelle croissance, une croissance humaine, l’écologie appelle un choix de société. L’économie, l’écologie et le progrès social forment un tout indissociable. » Il est faux d’accuser le PCF d’être « anti écologique ».

L’évolution du thème écologique dans les congrès du PCF

Simplement quelques repères. Voir aussi17 :

  • 23econgrès (1979) : « à l’opposé d’un productivisme aveugle nous luttons pour mettre en valeur la nature en prenant pleinement en compte les nécessités écologiques, en développant le recyclage des produits et les techniques antipollution. »
  • 24econgrès (1982) : « Nous voulons une nouvelle croissance. Le capitalisme c’est le massacre de la nature. Faire le socialisme à la française, c’est organiser une croissance économe en énergie et en matières premières, vigilante à l’égard de la nature, de l’air, de l’eau… C’est construire des villes à l’échelle humaine. »
  • En 1987, nous demandons à ce qu’on s’appuie beaucoup plus sur la recherche pour « la protection et la mise en valeur de l’environnement ».
  • Au 27e congrès (1990) « L’ampleur des modifications écologiques imposée à la planète est sans précédent. L’environnement est devenu un problème majeur pour l’humanité… Le devenir de notre planète est l’un des grands enjeux à l’aube du IIe millénaire. »
  • 28e (1994), 29e (1996) et 30e congrès (2000) : nous revenons sur le thème d’un « nouveau type de développement » contre le productivisme, conjuguant le social et l’écologique.
  • 32econgrès (2003), nous parlons de l’avenir de l’espèce humaine. Il convient d’en tirer toutes les conséquences politiques en affirmant avec force notre opposition au productivisme, aux pillages des ressources naturelles, à la marchandisation de la planète.
  • 33econgrès (2006), « L’ensemble de nos propositions et de nos actions est marqué par le souci de léguer aux générations futures une planète où l’on puisse vivre et respirer. »
  • 34econgrès (2008), « Le fait nouveau est l’enchaînement des crises : financière, environnementale, alimentaire, énergétique, agricole… une crise du mode de production, de consommation et du type de développement. »
  • 36econgrès (2013), l’écologie occupe une place centrale dans « L’Humanifeste ». Le texte très cohérent précise ce que pourrait être un développement humain durable en montrant que la contradiction est de plus en plus insoutenable entre le capitalisme et l’écologie. On inscrit la crise écologique dans la crise générale, on pense que le réchauffement climatique est un défi à surmonter d’urgence ; on parle de révolution écologique et sociale ; on demande à mettre les progrès scientifiques au service des peuples. On insiste sur la nécessité de consommer et partager autrement les richesses avec une planification écologique pour une autre croissance, une autre politique énergétique17.
  • « C’est l’humanité qui a produit l’être humain d’aujourd’hui. Nous sommes porteurs de deux « en commun » fondamentaux : le monde naturel et le monde de l’être humain. Les ressources indispensables à la vie sont des biens communs. ». « Il y a des possibilités pour éviter l’aliénation mais rien n’est sûr ! Prenons mieux en compte la finitude de la terre, mesurons la fragilité de la biosphère et relevons le défi de la biodiversité, agissons pour prévenir les risques. Cela implique un autre type de production, de partage des biens et de leur gestion démocratique. »18
  • Ce travail a été poursuivi au 37econgrès (2016). Le document final intitulé « Le temps des communs » décrit longuement ce que nous pensons être « une société du bien vivre et du bien commun ».

Avec la promotion d’un indice mondial de développement humain, l’appropriation sociale, un essor des services publics, le dépassement du productivisme et du consumérisme, la préservation et le partage des ressources naturelles, le réchauffement climatique et le droit à l’énergie, à l’alimentation, à la qualité de l’air et de l’eau… Nous parlions bien de droits écologiques.

Certains plus curieux finissent par constater qu’il se passe quelque chose du côté du PCF et Marx revient.

Ah le productivisme !

Marx n’avait pas disparu19mais il était « à côté de la plaque » à propos de l’écologie. Il était productiviste puisqu’il parlait des forces productives. Or l’écologie politique c’est l’anti-productivisme, et comme l’URSS a été productiviste, la cause est entendue, le PCF est discrédité définitivement pour parler d’environnement et d’écologie. Voilà l’équation simpliste et fausse qui caractérise l’anticommunisme.

La traduction française du livre de J. B. Foster20, qui rappelle ce que sont les écrits de Marx et d’Engels, a fait bouger les choses. Le livre d’H. Péna-Ruiz21 en gêne plus d’un. Il part de cette citation des manuscrits de K. Marx de 1844 : « Le communisme, en tant que naturalisme achevé, est un humanisme, en tant qu’humanité achevée un naturalisme ; il est la vraie solution de l’antagonisme entre l’homme et la nature, entre l’homme et l’homme. » Cet ouvrage montre à quel point certain (e) s qui prônent l’écosocialisme restent dans une pensée compatible avec le capitalisme.

Comment ne pas voir que les avancées marxistes pour de nouveaux critères de gestion des entreprises, formulées dans les colonnes d’Économie et Politiquedès 1978, et préconisées par le PCF dès 1982, puis du crédit, visant à économiser systématiquement le capital et à développer les êtres humains, s’opposent au productivisme ?

Il ne faudrait pas non plus passer sous silence l’important travail d’A. PrÓne sur l’écologie et le communisme22.

L’Humanitépublie un hors-série en 2018 avec des articles de Marx dans La Gazette rhénane. (Voir l’article de D. Bensaïd « Marx et le vol de bois » et M. Löwy « Marx productiviste ou précurseur de l’écologie ? ») Le 4 mai 2018, des textes de K. Saito, I. Garro, M. Godelier, L. Sève, F. Gulli de haute tenue, sont publiés dans ce journal, qui, le 17 février 2018, organise un forum sur Marx. Je note que des journalistes scientifiques, peu nombreux, comme S. Huet23et H. Kempf2425mettent le système capitaliste en cause. H. Kempf ne veut pas voir la portée des travaux de Marx et faisant un contre-sens à propos de la production, il écrit quand même : « Comprendre que crise écologique et crise sociale sont les deux facettes d’un même désastre. Et que ce désastre est mis en œuvre par un système de pouvoir qui n’a plus pour fin que le maintien des privilèges des classes dirigeantes. » Le PCF est bien d’accord avec cela.

On reparle d’E. Reclus26. Avec R. Charlionet27, nous avons pointé 4 critiques faites à Marx dont celle qu’on retrouve « en boucle » aujourd’hui : son prétendu productivisme. Cette accusation n’est pas justifiée, les textes en témoignent. Pour Marx le progrès technique ne doit pas avoir pour but l’accroissement infini de biens (l’avoir) et des valeurs d’échanges, mais la réduction de la journée de travail et l’accroissement du temps libre (l’être) : «… Il arrive un stade où naissent des forces productives et des moyens de circulation qui ne peuvent plus être que néfastes dans le cadre des rapports existants et ne sont plus des forces productives mais destructives. »

Il est dommage que le dernier livre d’A. Munster sur « Le marxisme ouvert et écologique de M. Löwy »26face preuve lui aussi de l’ignorance du travail du PCF dont je viens de montrer l’ampleur. Comme si les marxistes « ouverts » n’existaient qu’en dehors du PCF. Comme si la lutte contre le désastre humain et écologique du capitalisme n’avait pas besoin d’un parti révolutionnaire organisé pour le combattre ? Comme si un écosocialisme (ou éco marxisme) sans organisation de classe pouvait être l’alternative. Le manifeste éco-socialiste de M. Löwy date de 2001 et son dernier livre sur l’écosocialisme de 2011. Son travail est essentiel et anticapitaliste, car il n’est pas un réformiste écologique. Il montre bien que les « écologistes » ont pour le moins pas lu ou mal lu Marx. Les points de convergence sont nombreux. Pourquoi ne pas débattre vraiment avec le PCF sur le productivisme, les progrès scientifiques et le mode de développement de nos sociétés, le communisme comme alternative et la nécessité d’un parti pour agir ?

Chronologie du travail du PCF sur l’environnement et l’écologie

Pour se guider dans la recherche bibliographique, je cite quelques documents et ouvrages significatifs de l’investissement des communistes pour l’écologie29.

  • Avec C. Vallin (maire de Givors) un réseau s’organise dans le bassin rhodanien qui donnera naissance, à l’initiative du PCF, au Mouvement national de lutte pour l’environnement (MNLE) en 1971.
  • Après le comité central de 1976, les communistes proposent, en février  1977, une charte pour les espaces verts, écrite par les fédérations et élu (e) s de l’Ile-de-France. Je ne peux pas aborder l’importance des réalisations en matière d’environnement et de cadre de vie que les municipalités à direction communiste ont été capables de réaliser (cf. le rapport du comité central du 21  mai 1970, « l’activité municipale des communistes » et « le nouveau contrat communal ». de 1976).
  • M. Bertrand publie un article dans Le Monde : « Les pollueurs sont au pouvoir » (10 mars 1977). M. Rosette, alors maire de Vitry, édite La gestion communale dans l’actionaux Éditions Sociales en 1977. Il serait intéressant de reprendre les nombreuses propositions de lois déposées par les député(e) s communistes, comme celle sur l’eau en 1994 ou sur les déchets en 1995… et le travail des élu(e) s pour l’environnement au Parlement européen.

En janvier  1978, M. Bertrand écrit dans le numéro 1 duQuotidien Libéré, (journal de la commission Santé-Cadre de vie) : « L’écologie parlons-en ! Comment les communistes abordent l’écologie ». « Il va de soi que dans le cadre (du changement de société) le mode de calcul qui intègre à la fois la production et les dégâts du mode de production capitaliste devra être radicalement modifié »30. Elle prenait en compte les externalités environnementales.

  • Le 26  novembre 1979, Le Bihan dans un rapport pour la commission « Cadre de vie » analyse la sensibilité écologique. Elle est présente dans de multiples associations, en particulier dans les couches moyennes, jeunes, qui semblent se situer en dehors de la politique où le rationnel est considéré comme positiviste. On peut être opportuniste sans le savoir !
  • Le n° 1 du journal Avancées scientifiques et techniques, dirigé par R. Le Guen avec J.-P. Kahane, sort en mai 1986. Il sera suivi de la revue Avancéesen 1994. Dans l’éditorial, on peut lire «… Rien ne serait plus aventureux dans une société que de laisser croire que les mutations scientifiques et techniques peuvent tout régler à n’importe quel moment ».
  • Depuis, la revue Progressistes a pris le relais et parle d’environnement et d’écologie dans tous ses numéros.
  • Le 16  décembre 1989, le PCF tient une importance journée d’étude : « derrière les questions de l’écologie et de l’environnement, c’est fondamentalement le problème du rapport de l’homme avec la nature et du type de développement proposé à l’humanité qui est posé ! Il n’est pas possible de faire une politique qui n’ait pas de conséquences sur l’environnement et de ce fait sa protection est une dimension de toute notre politique. »

Le PCF publie des brochures sur l’énergie, l’eau, les déchets.

Je propose, à titre indicatif, des initiatives et articles réalisés par le PCF (tableau 1) et des livres (tableau 2) écrits par des membres du PCF sur l’écologie.

Pour le social et l’écologie, amplifier nos combats

Les assises communistes de l’écologie de 2018 s’intitulent écomunisme. Les rapports de P. Laurent et d’H. Bramy font le point de nos positions sur l’écologie. Les ateliers (alimentation, urgence climatique, Europe, énergie, etc.) formulent des propositions concrètes. Sur la question de la décroissance, c’est le PCF qui a révélé le plan Mansholt (président de la Commission européenne en 1972) qui voulait « une forte réduction de la consommation des biens matériels par habitant ». Et oui, il faut savoir, à ce sujet, si on parle de réduire les inégalités environnementales et les gaspillages du système, ou si on s’en prend aux plus pauvres et aux salarié (e) s en organisant une écologie punitive et culpabilisante !

Le PCF a toujours voulu débattre et rassembler, il serait impossible de citer tous les débats aux fêtes del’Humanité.

Comme le dit A. Pagano, les choses peuvent bouger positivement pour peu qu’on soit présent dans les luttes avec des solutions appropriées31. C’est plus compliqué que de prédire le désastre (la collapsologie !) en rendant responsable l’homme en général et pas le système.

Nous devons assumer la responsabilité de prolonger l’hominisation biologique, ce que L. Sève a remarquablement expliqué30. C’est toujours avec cette conception dialectique du mouvement fait de rapports et de contradictions que le PCF a abordé la question de l’environnement et des rapports homme-nature.

P. Boccara32insiste lui sur la dialectique de la crise écologique : « touchant non seulement les limites des ressources terrestres et de toutes les pollutions devenues intolérables sur le globe, mais aussi les potentiels de révolution des technologies de production et de consommation ou encore les nouveaux domaines environnementaux pour la vie humaine, (p. 140).

Cette méthode marque le 38econgrès (23 au 25 novembre 2018), dont il faudrait diffuser massivement les travaux. L’écologie imprègne tout le texte. Je retiens qu’« Il faut une révolution dans les rapports sociaux de production jusqu’aux techniques de production, une révolution de la répartition et de la consommation et une révolution des pouvoirs et de la culture. Il faut une révolution qui affronte à la fois les pénuries et le consumérisme qui ne répondent pas aux besoins populaires tout en épuisant travailleurs et travailleuses comme la planète avec des productions inutiles marquées du sceau de l’obsolescence programmée ». (Supplément à l’Humanitédu 28 novembre 2018).

Il y a tant à faire dans l’action et le débat pour sortir de l’impasse du système capitaliste !

L’heure n’est pas à se catastropher, à constater la crise, à avoir plus de compassion pour la nature que pour l’homme, à se mettre simplement en colère, encore moins à entretenir le flou écologique entre les valeurs de gauche et de droite.

Je continue à penser qu’il n’y a pas d’écologie possible sans s’attaquer à l’exploitation et des hommes et de la nature.

L’heure est aux combats. Il y a urgence33.

* Membre de la Commission nationale Éco-logie du PCF, ingénieur-chercheur en écotoxicologie.

  1. A. Vrignon, La naissance de l’écologie politique en France. Une nébuleuse au cœur des années 68, Presses universitaires de Rennes, 2017.
  2. N. Hulot, Pour un pacte écologique, Calmann-Lévy, 2000.
  3. R. Keucheyan, La nature est un champ de bataille, La Découverte, Paris, 2014.
  4. M. Barillon, « Les marxistes, Marx et la question naturelle », Écologie et politique, Presse de Science-Po., 2013.
  5. G. Biolat, Marxisme et environnement, Éditions Sociales, « Notre Temps », 1973.
  6. G. Sainteny. « Le Parti communiste français face à l’écologisme », Pouvoir,n° 710, septembre 1994, p. 149-162.
  7. F. Simon-Ekovich, « Le PCF à l’épreuve de l’écologie »,in P. Delwit, La gauche face aux mutations en Europe, Éditions de l’Université, Bruxelles, 1993, p. 153-171.
  8. P. Acot, Histoire de l’écologie, PUF, 1988.
  9. P. Acot, Écologie et environnement, Messidor-La Farandole, 1991.
  10. P. Acot, L’écologie de la libération, Le Temps des Cerises, 2017.
  11. G. Biolat, « Marchand d’air pur et d’eau limpide »,LaNouvelle Critique, 1973, n° 67.
  12. G. Biolat, « Révolution écologique ou révolution tout court »,France Nouvelle, 30 avril 1973, n° 1432.
  13. N. Hulot, Osons. Plaidoyer d’un homme libre, Fondation N. Hulot, 2015.
  14. Changer de cap. Programme pour un gouvernement démocratique d’union populaire, Éditions Sociales, 1971.
  15. Programme commun de gouvernement du PCF et du PS, Éditions Sociales, 1972.
  16. C. Quin, « Ce que coûte le capitalisme à la France »,Économie et Politique, hors-série, 1972.
  17. Il faudrait aussi regarder de près les contributions des communistes au programme du Front de Gauche, L’humain d’abord » lors de l’élection présidentielle de 2012.
  18. R. Charlionet, L. Foulquier, « L’être humain et la nature Quelle écologie. Manifeste pour un développement humain durable », Note de la Fondation Gabriel Péri, septembre 2013.
  19. B. Commors, L’Encerclement, Seuil, 1971.
  20. J. B. Foster, Marx écologiste, Éditions Amsterdam, 2011.
  21. H. Pena-Ruiz, Karl Marx penseur de l’écologie, Éditions du Seuil, 2018.
  22. A. Prone, Capitalisme et révolution, L’Harmattan, 2019, 576 p.
  23. S. Huet, Les dessous de la cacophonie climatique, Éditions La Ville Brûle, 2015.
  24. H. Kempf, Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, Éditions Sociales, 2009.
  25. H. Kempf, Comment les riches détruisent la planète, Éditions du Seuil, « Points/essais », 2019.
  26. E. Reclus, Du sentiment de la nature dans les sociétés modernes. Éditions Barillat, 2019.
  27. A. Munster, Le Marxisme ouvert et écologique de M. Löwy, L’Harmattan, 2011.
  28. L. Foulquier, « Communisme et écologie, une longue histoire »,La Revue du Projet, mars 2011.
  29. M. Bertrand, « Écologie et partis politiques : le PCF »,Combat Nature,n° 31, 1978, p. 18-20.
  30. A. Pagano, « Urgence climatique. Faire bouger les choses positivement », Cause Commune, juillet-août 2019, p. 20-21.
  31. L. Sève, Commencer par les fins, La Dispute, 1999.
  32. P. Boccara, Pour une nouvelle civilisation, Éditions du Croquant, 2016.
  33. Ce texte bien sûr n’est pas exhaustif. J’ai volontairement passé sous silence la question agricole sur laquelle le PCF a beaucoup travaillé. Nous avons toujours défendu une agriculture à « taille humaine ». Le dernier rapport spécial du GIEC confirme ce besoin. Depuis longtemps, G. Le Puill préconise l’agroforesterie !

Tableau 1: Quelques initiatives et articles du PCF sur l’environnement

1992Colloque du PCF pour « Un développement humain durable ».
1992« L’environnement du quotidien au planétaire », numéro spécial d’Avancées.
1992R. Hue, « Pour un développement humain et solidaire ».
1993S. Mayer, « Partis écologiques, pour quels changements ? », Cahiers du Communisme.
1995Journal de 8 pages : « Environnement, reflet d’une société ». « Dites-moi comment vous traitez l’environnement et je vous dirai comment vous traitez les hommes ».
2005Économie et Politique, « Une politique énergétique pour la France », Brochure.
2005Forum du PCF « Pour un développement humain durable et solidaire de la planète ». Introduction de M.G. Buffet.
2006Sortie du bulletin « Communisme et écologie ».
2010F. Boccara, « Économie et écologie, où en est-on ? », La Pensée, n° 363.
2011F. Boccara, « Économie et écologie : pour une vraie alternative », La Pensée, n° 365.
2012P. Laurent, « Industrie et écologie sont solidaires ».
2014Sortie du bulletin « Planète Humanité ».
2014L. Foulquier, J.-Cl. Cauvin, « L’énergie, les chiffres et l’idéologie », La Pensée, n° 380.
2017« La France en commun. Les communistes proposent », 72 p.
2018A. Obadia, « L’écoconception doit devenir la règle générale pour orienter la production… », Convention nationale du PCF sur l’industrie, Paris, 74 p.
2018R. Charlionet et L. Foulquier, « L’écologie avec Marx », Cause Commune, p. 31-33.
2018Les assises communistes de l’écologie. Ecomunisme.

Tableau 2: Chronologie de livres écrits par des membres du PCF sur l’environnement

1978C. Claude, Voyage et aventure en écologie, éditions Sociales.
1981J.-C. Dubard, Énergie le grand tournant, éditions Sociales.
1983R. Le Guen, Les Enjeux du progrès, éditions Sociales.
1989R. Le Guen, Sciences en conscience, éditions Sociales.
1990S. Mayer, Parti pris pour l’écologie, éditions Sociales-Messidor.
1996S. Mayer, Quelle planète léguerons-nous ?, éditions Sociales.
2010A. Chassaigne, Pour une terre commune, Arcane 17.
2010P. Sindic, Urgences planétaires, Le temps des cerises.
2011G. Le Puill, Bientôt nous aurons faim, Pascale Gallode éditions.
2013L. Gaxie, A. Obadia, Nous avons le choix, Fondation Gabriel Péri.
2015G. Le Puill, L’écologie peut encore sauver l’économie, Pascale Gallode éditions-l’Humanité.
2016A. Bellal, Environnement et énergie, Le Temps des Cerises.
2016P. Boccara, Pour une nouvelle civilisation, éditions Du Croquant.
2017G. Le Puill, Devant l’urgence climatique, bousculons les politiques, éditions Du Croquant.
2018A. Pagano, Doit-on être un écologiste atterré ?, Fondation Gabriel Péri
2018G. Le Puill, Réinventons l’économie dans un monde fini, Édittions Du Croquant.