Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 : décryptage

L’Assemblée nationale entame cette semaine l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2020. Comment caractériser ce projet de financement ? Le gouvernement défend un texte « de responsabilité » qui protège « les plus vulnérables ». Un baratin classique pour ignorants. Pas besoin de sortir de Saint Cyr pour s’en rendre compte, la lecture de quelques articles du PLFSS suffit. 

Le gouvernement s’enorgueillit d’une maîtrise comptable de la sécurité sociale. Le déficit des régimes obligatoires de base, à savoir les régimes spéciaux inclus, ne dépassera pas 5,6 Mds d’euros en 2020. Soit à peine 1,5 % du total de la dépense de sécurité sociale. Un résultat dans la lignée des crus 2019 (-5,5 Mds d’euros) et 2018 (-1,4 Mds d’euros). C’est ce qu’il appelle un projet de budget « responsable ». 

Comment ce résultat est atteint ? En contraignant les dépenses pour mieux les aligner sur l’évolution des recettes. C’est le bien connu et très libéral : « il ne faut pas vivre au dessus de ses moyens », qui a nourri toutes les réformes de la sécurité sociale depuis des décennies. Il s’agit ainsi de ne pas peser sur la rentabilité des entreprises en réduisant la part des prélèvements sociaux sur les richesses créées à la source des recettes de la sécurité sociale.

Ce PLFSS 2020 s’inscrit parfaitement dans cette logique. Essentiellement tourné vers des mesures relatives aux dépenses de santé, ce PLFSS confirme la mise sous pression des dépenses maladie de la sécurité sociale en annonçant un ralentissement marqué de leur croissance. L’objectif national des dépenses de l’assurance maladie (ONDAM) était de 2,5 % dans le PLFSS pour 2019, il ne sera plus que de 2,3 % en 2020. Une baisse de 0,2 % qui, par rapport à cette année, représentera une économie supplémentaire sur la réponse publique aux besoins de santé des gens de 4,2 milliards d’euros supplémentaire l’an prochain ! 

Parmi ces économies, ce sont les dépenses hospitalières qui seront le plus impactées. L’ONDAM hospitalier ne passera pas la barre des 2 %, quand la Fédération Hospitalière de France dit clairement que l’évolution naturelle des dépenses courantes du secteur est de 4,5 % en moyenne par an ! Déjà à l’asphyxie, les hôpitaux devront donc réaliser en 2020 une économie supplémentaire de 830 millions d’euros ! De quoi achever nombre d’entre eux, déjà incapables de prendre en charge correctement leurs patients faute de moyens humains et financiers ! Le gouvernement fait un bras d’honneur aux urgentistes en grève depuis des mois, ainsi qu’à tous les personnels hospitaliers. 

Ces économies sur l’hôpital ne seront pas les seules. Car dans ce PLFSS 2020, le gouvernement envisage d’en faire aussi de lourdes sur les malades et les assurés sociaux par différents moyens. Une économie de 1,715 milliards d’euros est prévue sur les remboursements de médicaments, la prise en charge des dispositifs médicaux et au moyen du renforcement de la maîtrise médicalisée (y compris en médecine de ville). Les assurés sociaux et les malades seront ainsi moins bien pris en charge par la sécurité sociale et devront se retourner vers leurs complémentaire santé, qui ne manqueront pas d’augmenter les tarifs de leurs services ! 

Sauf que désormais, nous commençons à payer le prix fort de ces choix politiques austéritaires. Non seulement la prise en charge sanitaire se dégrade et un risque sanitaire de grande ampleur aux conséquences dramatiques pour la population n’est plus une hypothèse. Mais aujourd’hui il n’est plus rare de mourir à l’hôpital ou faute d’une prise en charge efficace. La situation est tellement grave que nombre de médecins hospitaliers quittent l’hôpital public faute de pouvoir assurer correctement leur mission sans mettre en danger la vie des malades. C’est toute la structuration de l’offre de soins qui est mise en danger de disparition. Et avec elle, la capacité d’une prise en charge réelle et efficace des malades sur tout le territoire et indépendamment de leurs revenus qui est mise en cause. Littéralement, c’est notre vie qui est en jeu.

Un PLFSS 2020 dur avec les assurés sociaux mais doux avec les entreprises, et mortel avec la sécurité sociale. Confrontées à une baisse des recettes de la sécurité sociale pour cause de chômage de masse, de précarité salariale et de stagnation de l’investissement productif, les politiques publiques devraient à contrario se concentrer sur les moyens efficaces d’une relance de la croissance des recettes de la sécurité sociale en sécurisant l’emploi et en baissant le coût du capital payé par les entreprises. Mais ce n’est pas le choix du gouvernement Macron-Philippe qui préfère continuer sur la voie de ses prédécesseurs, au risque que cette recherche obsessionnelle de la réduction de la dépense sociale déstabilise totalement le modèle social français, jusqu’à mettre en danger sa pérennité. 

En revanche, il n’hésite pas à soutenir ses premiers de cordée : les profits des grands groupes. En effet, parmi les mesures emblématiques de ce PLFSS 2020, on trouve plusieurs articles qui le font explicitement. 

Dans l’article 4, le gouvernement allège la fiscalité sur les médicaments remboursés par la sécurité sociale des entreprises du médicament dont il considère que leur croissance s’est ralentie. En bref, il compense les effets de la politique de générication systématique des médicaments remboursables. Ainsi, par exemple, les recettes que pourrait perdre UPSA suite à la générication du Dafalgan codéiné seront, en partie ou totalement, financées par une baisse de l’impôt. C’est l’État, c’est-à-dire le contribuable, qui prendra en charge par une dépense fiscale cette perte… 

Dans l’article 7, le gouvernement introduit une exonération de cotisation sociale plafonnée à 1000 euros par salarié pour les entreprises qui auraient mis en place un accord d’intéressement dont bénéficieraient les salariés avec une rémunération inférieure à 3 SMIC (90 % des salariés). En bref, le gouvernement utilise ce PLFSS pour amplifier sa politique d’aide à la baisse du coût du travail en favorisant financièrement la précarisation des salaires via les accords d’intéressement salariaux. 

De même, dans l’article 9, le gouvernement exonère les employeurs des 3 fonctions publiques de cotisations ou de contributions sociales sur les indemnités des ruptures conventionnelles introduites par la loi de transformation de la fonction publique de 2019. 

Mais ce PLFSS fait pire que soutenir les entreprises. Il pose les jalons financiers d’une mise à mort de la sécurité sociale et de réformes destructrices à venir, en construisant des pertes de recettes artificielles. 

Ainsi, dans son article 3, le gouvernement introduit une rupture avec le principe constitutionnel de compensation par l’État de pertes de recettes fiscales et sociales consécutives à des mesures d’exonérations de cotisations sociales ou d’allègements fiscaux prises à son initiative. Les mesures prises pour répondre aux mouvement des Gilets jaunes (exonération de cotisations sociales sur les heures supplémentaires, création d’un taux intermédiaire de CSG à 6,6%) provoquant des pertes de recettes pour la sécurité sociale ne seront pas compensées par l’État. Ce qui viendra alourdir artificiellement l’an prochain les pertes de recettes de la sécurité sociale. 

Une mesure qui fait écho à l’article 31 qui prévoit lui, le transfert du coût de certaines agences à vocation sanitaire vers la CNAM, en lieu et place de l’État. 

Ces mesures sont des premières en leur genre. Elles sont des ballons d’essai potentiellement généralisables grandes de dangers et propices à des régressions de grande ampleur à venir. 

En effet, paradoxalement coincé dans ses projets par des réformes successives de la sécurité sociale qui ont abouti à réaliser sur le dos des assurés sociaux l’objectif d’équilibrage des comptes de la sécurité sociale qu’elles portaient et donc rendu non nécessaires de nouvelles réformes, le gouvernement pourrait avec l’ensemble de ces mesures qui dégradent artificiellement les comptes de la sécurité sociale pour 2020 et après, se constituer un argument politique de poids pour « justifier » et rendre « inévitables » des réformes encore à venir pour notre système de santé mais aussi la réforme systémique des retraites prévue pour le printemps prochain et en assurer par la suite la mécanique régressive.