La deuxième loi de finance rectificative a fait passer en moins de trois semaines le plan d’urgence du gouvernement de 45 milliards à 110 milliards. 110 milliards ; cela représente 5% du PIB, et environ un tiers du budget de l’État en 2020, tel qu’il était prévu avant la crise. Des masses financières considérables !
De plus, il y a les 300 milliards de garantie d’emprunts annoncés lors du premier plan.
Enfin, il a été annoncé, avant ce nouveau plan d’urgence «un plan de relance» pour le mois de juin, dont on ne sait pas très bien s’il est inclus ou non dans les dernières annonces.
Du côté européen, c’est d’abord un plan d’urgence de 540 Milliards d’euros, puis des discussions pas encore abouties sur un plan de relance d’environ 1000 milliards, sans oublier les quelque 4 000 milliards d’euros que la BCE a l’intention de créer d’ici la fin de l’année (1 050 milliards d’achats de titres sur le marché financier, plus 3 000 milliards prêtés aux banques à -1 %).
A cette étape des interventions publiques, beaucoup de questions surgissent.
D’abord, comment a-t-on pu passer d’un discours dominant sur «les caisses sont vides», «il n’y a pas d’argent magique» (propos d’E. Macron il y a quelques semaines seulement face à une soignante protestant contre la misère de l’hôpital public) à un tel déversement de fonds publics ? Comment expliquer que ce qui était prétendument impossible il y seulement quelques semaines au nom de la «nécessaire austérité des budgets pour réduire le déficit public et la la dette» le devienne tout à coup? Comment cela sera-t-il financé ? D’où viendra l’argent? Qui paye, maintenant et qui va payer, après ? Est ce que ces plans préserveront l’emploi, le pouvoir d’achat, nos services publics? Si ce n’est pas le cas, comment intervenir ?
Trois points dans cette contribution pour tenter d’apporter quelques réponses.
- Qu’est-il exactement prévu, actuellement, par le gouvernement, les régions, et l’UE ?
- En quoi la logique dominante qui sous-tend ces plans est-elle du soutien au capital ?
- Comment faire dérailler le train libéral et construire collectivement des réponses pertinentes à la crise?
Ce qui est prévu par le gouvernement, les régions, et l’UE
Le plan du gouvernement
Toutes les masses financières annoncées ne correspondent pas à une sortie d’argent. Les 300 Mds sont des garanties d’emprunts, pour inciter les banques à accorder des crédits, mais ne se traduiront en coûts effectifs que si les entreprises bénéficiaires sont dans l’incapacité de rembourser ces crédits. Ils représentent un peu plus que l’encours des crédits des trésorerie des entreprises avant la crise ( 240 Mds).
De même, dans le plan d’urgence de 110 Mds, une partie, représentant de 40 à 50 Mds consiste en un report d’échéances fiscales et sociales, qui ne deviendront une perte de recettes définitive que dans la mesure où elles ne sont pas honorées.
Parmi les 70 Mds restants, qui donneront lieu à des dépenses effectives, les principaux postes sont :
prise en charge du chômage partiel | 24 Mds |
participation au capital d’entreprises stratégiques | 20 Mds |
Hôpital (pour des financements de matériels , primes, indemnités, dépenses exceptionnelles) | 9,5 Mds |
Fonds de solidarité pour les indépendants, TPE, agriculteurs (dont 0,5 seront financés par les régions, avec report partiel sur les collectivités locales, et 0,4 par les compagnies d’assurance) | 7 Mds |
Financement long terme des ETI et PME (il s’agit de participation au capital du FDES -contre restructuration- et d’avances remboursables) | 1,5 Mds |
Refinancement de l’UNEDIC (il s’agit non pas de subventions mais de garanties d’emprunts qui, dans le contexte, ont toutes les chances d’être mobilisées | 5 Mds |
Réassurance publique de crédits exports même remarque que précédemment : fortes chances d’utilisation dans le contexte international actuel). | 5 Mds |
Les régions
Elles sont le pilier d’application du plan d’urgence, en étroite collaboration avec les préfets de région, confirmant et renforçant ainsi leur rôle de collectivité stratégique, d’autant plus qu’elles sont également distributrices des fonds européens. Ainsi, malgré leur faibles capacités financières et une contribution globale assez limitée au fonds de solidarité du plan d’urgence (500 millions, au prorata de leur PIB) qui s’ajoute toutefois aux « fonds régionaux de solidarité avec les départements ou les EPCI » de 1 milliard, décidé auparavant (sous forme d’avances remboursables, prêts de trésorerie bonifiés avec Bpifrance, moratoires sur les remboursements), elles vont avoir un rôle clé dans la sélection des bénéficiaires et la répartition géographique des fonds d’État.
Ce tournant dans les rapports État /régions s’explique pour plusieurs raisons. D’abord, le gouvernement entend ne pas porter seul la responsabilité politique de l’application du plan d’urgence. Ensuite, le démantèlement des services déconcentrés de l’État a considérablement réduit leurs capacités opérationnelles d’intervention économique , dont la preuve évidente est apportée dans la gestion étatique calamiteuse de l’approvisionnement en matériel sanitaire. Enfin, pour toutes ces raisons, mais aussi par conviction idéologique, le gouvernement est favorable à l’accroissement de la compétence économique des régions, dans la perspective d’un modèle territorial de l’Europe des grandes régions, dont rêvent les forces du capital depuis longtemps.
Les régions de leur côté entendent pousser à leur avantage la situation, elles qui, dans un consensus droite/PS, revendiquent déjà par l’intermédiaire de leur association nationale «Régions de France», une «loi girondine» (sic) d’autonomie croissante incluant le pouvoir réglementaire de décider «une application différenciée de la loi selon les territoires», en s’appuyant pour leur requête sur les exemples européens de nombreux pays où les « Länder » ont un pouvoir législatif, ouvrant ainsi la voie à une concurrence interrégionale généralisée sur les normes sociales et fiscales. Un Smic régional en perspective… La crise sanitaire leur donne une première opportunité d’accentuer la régionalisation: après s’être en partie substituée à l’État pour l’approvisionnement en masques, avec des effets induits sur la concurrence et les inégalités territoriales, elles demandent le pouvoir de gérer le déconfinement, qui deviendrait alors régional, avec comme logique induite des barrières à la circulation interrégionale. Un retour aux provinces de l’Ancien Régime, ses octrois et droits de péage ?
Enfin, des négociations État/régions sur des « contrats de relance » à effet immédiat sont en cours d’élaboration, pour accélérer les projets des contrats de plan actuellement à l’arrêt, ainsi qu’une réflexion sur les futurs contrats de plan État-régions (CPER) 2021-2027 pour les orienter vers une « nouvelle politique industrielle » dans le cadre d’un « New Deal environnemental » ». L’attribution de fonds européens plus ouverts, moins spécialisés, notamment dans le domaine agricole, devrait encore accentuer les pouvoirs économiques régionaux.
Les paradoxes de la situation actuelle des régions sont donc multiples :
- Elles sont asphyxiées financièrement par la suppression des dotations d’État et son remplacement par une fraction de la fiscalité indirecte en chute libre et par la contractualisation qui contraint leurs dépenses. La moins value-fiscale pourrait atteindre 1 milliard en 2020, 4 en 2021, soit 10 % de leurs recettes, tandis que le surplus de dépenses est chiffré à 1,2 milliard. La capacité d’investissement est réduite de moitié. Même si leur contribution globale au plan d’urgence est faible, elle représente néanmoins une forte contribution en pourcentage de leur budget : par exemple pour la région de Bourgogne Franche-Comté, c’est 5 % du budget actuel, avec un effet «patate chaude» sur les EPCI, qui sont sollicitées – ou plus exactement tenues – d’abonder le fonds de solidarité pour les entreprises sans salariés à raison d’un euro pour 3 euros versés par la région et l’Etat, jusqu’à un montant de 3 000 euros par demande, la couverture entre 3 000 et 5 000 étant assurée par la région et l’État. Les interventions pour les entreprises avec salariés sont cofinancées et cogérées par la région et de l’État. Pour autant, la seule concession actuelle du gouvernement sur ses rapports avec les collectivités territoriales est de faire rentrer ces dépenses du plan d’urgence dans l’investissement, et non dans le fonctionnement. Mais il maintient la contrainte et la sanction du dépassement des budgets de fonctionnement au delà de +1,2 % .
- L’effondrement prévisible des recettes, conjugué à l’accroissement de dépenses hors plan d’urgence, va conduire les collectivités locales au recours accru à l’emprunt, donc à la dépendance des marchés financiers, déjà bien présente avec leur recours régulier aux agences de notation.
- Les régions, malgré leur faible capacité financière, vont assurer la gestion de masses financières importantes, avec le plan d’urgence du gouvernement et les fonds européens. La question de la gouvernance et des critères d’attribution devient donc primordiale. Au niveau des EPCI, là où le contrôle par les élus est le plus facile à mettre en place, les aides ne concernent que les indépendants sans salariés. Elles n’ont pas le contrôle sur les interventions plus lourdes (garanties d’emprunts, chômage partiel) qui concernent les entreprises avec salariés, dévolues aux régions et préfectures. Quelles en seront les modalités ? Un pilotage technocratique opaque sous pression des préfets, du Medef et des banques ou une élaboration, un contrôle et suivi démocratiques ? L’enjeu est considérable.
Les plans de l’Union Européenne
Il est prévu, comme pour la France, un plan d’urgence dit «plan de sauvetage» suivi d’un «plan de relance». Si le plan «de sauvetage» a été validé par les 27 pays, le plan de relance en revanche est l’objet de fortes dissensions Nord /Sud, entre l’Allemagne et les Pays-Bas et l’Italie, l’Espagne et la France.
1- Le plan de sauvetage
Ce sont 540 milliards d’euros répartis sur trois instruments distincts :
- une ligne de crédit de 240 milliards d’euros du Mécanisme européen de stabilité (MES)
- un fonds de garantie de 25 milliards d’euros hébergé par la Banque européenne d’investissement (BEI) pour financer jusqu’à 200 milliards d’euros de prêts aux entreprises,
- ligne de 100 milliards d’euros pour financer le chômage partiel
Rappelons que le MES tire ses ressources des marchés financiers, donc accroît leur pouvoir, et accompagne ses octrois de crédit d’une conditionalité du type « programme d’ajustement macroéconomique » sur le modèle du FMI, dont la Grèce a fait l’amère expérience à trois reprises, avec les résultats que l’on sait. Certes, l’accord ne mentionne pas explicitement de conditionnalité, ce qui a donné l’occasion aux dirigeants français de communiquer avec la capacité de bluff qu’on leut connaît sur la «solidarité européenne». Mais les propos en «off», notamment le ministre néerlandais des Finances, Wopke Hoekstra, laissent peu de doute à ce sujet.
2- Le plan de relance
Les négociations achoppent moins sur le montant, qui semble converger sur une somme de 1 000 milliards (6,25 % du PIB) que sur les modalités : prêts remboursables ou subsides pour les pays et régions les plus en difficultés, l’Allemagne et les Pays-Bas refusant cette dernière éventualité.
Autre sujet de dissension, les modalités de financement des prêts, que les «pays du Sud» ( France, Italie, Espagne) voudraient voir mutualisés dans les appels aux marchés financiers, les fameux «coronabonds», au grand dam de l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Autriche, la Finlande. L’objectif est de faire baisser le taux d’intérêt global, et éviter le creusement des écarts de taux d’intérêt entre pays qu’imposent les marchés financiers, le fameux «spread» qui est un facteur important dans l’évolution divergente des économies des pays européens. La violence de la crise dans le contexte de concurrence intra-européenne fait que certains pays, se portant mieux avant et moins touchés par la crise sanitaire pourront investir des sommes considérables dans leur relance, comme l’Allemagne, tandis que d’autres, ayant des niveaux d’endettement élevés et empruntant à taux élevé, accumuleront les difficultés. Même dans la logique libérale assumée de la concurrence, les avantages compétitifs de sortie de crise que certains pays pourraient tirer au détriment des autres commencent à inquiéter les dirigeants européens de ces derniers, qui poussent les feux du saut fédéraliste.
Mais quels que soient les arbitrages qui seront faits pour arriver à une proposition commune, coronabonds ou pas, toutes ces options ont un point commun : le recours accru aux marchés financiers, que la dette soit mutualisée ou pas.
Sur la destination du plan de relance, le ministre français des Finances plaide pour un plan d’investissement s’appuyant «sur un fonds de solidarité appelé à financer les dépenses sur les services publics, l’hôpital, en priorité, les dépenses de santé, mais aussi le secteur automobile, l’aéronautique, les nouvelles technologies, la recherche ou le déploiement de la fibre ». On pourrait penser à première vue d’un rapprochement avec les propositions communistes de «Fonds européen de développement économique, social et écologique». Sauf que… il s’en différencie fondamentalement sur la gouvernance, qu’il n’est pas prévu de sortir de l’enfermement technocratique habituel sous domination du capital, et du mode de financement, qu’il n’est pas prévu de monétiser par la BCE.
Pour échapper à cette mutualisation jugée trop avantageuse pour les plus faibles, considérés comme forcément «responsables» de leur situation, l’Allemagne fait une contre-proposition d’accroissement du budget communautaire avec transfert de compétences à ce niveau, qui risque bien d’être le compromis final : une façon de limiter l’ampleur des financements communs et d’en contrôler l’usage, dans le cadre des règles actuelles d’encadrement des politiques économiques, tout en endiguant la chute générale qui la tirerait, elle aussi, vers le bas.
La logique qui sous-tend ces plans: le soutien au capital
Le socle commun de ces plans, à tous les échelons de l’organisation territoriale, est, sous couvert de soutenir les entreprises, de soutenir en fait «coûte que coûte» le capital et perpétuer sa suraccumulation, qui est aux sources de la crise systémique.
Cette affirmation repose sur trois constats :
- ils ne sont pas dirigés vers la préservation de l’emploi, des qualifications et des compétences humaines, et épargnent les banques et les compagnies d’assurance de toute contribution significative, les laissant s’adonner en toute tranquillité à leurs placements financiers et aux probables opérations de fusion/acquisition qui accompagneront la crise,
- ils n’accordent qu’une part infime des financements au soutien social et au développement des services publics
- les modalités de financement accroissent l’emprise des marchés financiers au lieu de s’en émanciper.
1- Des plans qui ne visent pas la préservation de l’emploi
Qu’il s’agisse du chômage partiel, des prêts garantis, des reports d’échéance ou des prises de participation au capital, les aides aux entreprises n’ont pas de conditionalité, ni en termes d’interdiction de licenciements, ni sur la transition écologique. La seule condition imposée, qui vaut pour les grandes entreprises ( plus de 5 000 salariés ou plus de 1,2 milliard de chiffre d’affaires) et seulement pour les garanties d’emprunt et reports d’échéances, est l’interdiction de distribuer des dividendes ou de racheter ses propres actions… en 2020. On sait que certaines d’entre elles, non des moindres, préparent les licenciements en même temps qu’elles perçoivent la prise en charge du chômage partiel par l’État. Le cas de General Electric à Belfort est révélateur. Tout en percevant les fonds publics associés au chômage partiel, sa direction remet une partie des salariés au travail hors des exigences sanitaires et provoque la contamination de 50 d’entre eux, mais de plus, elle accélère la délocalisation de la turbine à gaz en transférant de lignes de production vers les Etats Unis et la Hongrie, et stoppe officiellement les pistes de diversification, auxquelles n’ont bien voulu croire que celles et ceux qui souhaitaient casser les reins du mouvement de lutte contre le plan de licenciements. Enfin, elle exige de ses sous traitants une baisse de 20 % de leurs prix, reportant ainsi sans scrupules les effets de la crise sur le réseau local de PME. Bel exemple d’utilisation de la crise pour accélérer la désindustrialisation d’un territoire.
Par ailleurs, ce sont les banques, avec leur critères habituels, qui décident d’accorder ou non le prêt qui sera garanti par l’État. On sait qu’elles éliminent les entreprises en difficulté avant le confinement, qu’elles n’accordent pas à certaines entreprises le crédit si des collectivités locales ne prennent pas en charge les 10 % restant au delà des 90% garantis par l’État. Bref, elles gardent totalement et exclusivement la main sur l’octroi de crédits. Dans les cas où BPI France intervient en direction des PME et ETI, soit sur les dispositifs nationaux, soit sur les fonds régionaux, on sait également que la règle implicite est le suivisme par rapport aux critères de rentabilité financière à court terme des banques.
Avec les TPE, indépendants, artisans, commerçants, agriculteurs, il y a tout un tissu économique de proximité qui est en train de s’effondrer. Les mesures prises dans le cadre du Fonds de solidarité TPE /indépendants sont à la fois ruineuses pour les collectivités locales et insuffisantes pour sauver ces entreprises du désastre. Avec une aide qui dans le meilleur des cas va jusqu’à 5 000 euros, il est évident que la survie de l’entreprise ne peut être assurée dans la perspective de la récession en cours. En fait, les mesures sont pensées comme si le choc économique devait se limiter à deux mois d’arrêt d’activités.
Alors que pour l’essentiel les plans d’urgence nationaux, régionaux et européen concernent les entreprises, par leur conception, leur logique et les conditions de leur application, non seulement ils ne feront pas obstacle à la crise économique, mais ils vont l’aggraver. Ils laissent en effet détruire des emplois, des activités et capacités humaines. Ils mettent les assurances et les banques hors des contributions financières, ce qui leur laisse toutes les marges de manœuvre pour leurs opérations spéculatives, notamment les montages d’opérations de fusion/acquisition qui vont se multiplier sous l’effet de l’aiguisement de la concurrence et des effondrements boursiers. De plus, ils donnent aux banques les pleins pouvoirs sur l’orientation de la masse considérable des crédits garantis par l’État.
C’est le choix évident du soutien au capital, à sa logique de primauté de la rentabilité, contre le travail, contre le développement des territoires, anticipé dès maintenant par la régression des droits sociaux des salarié.e.s inscrite dans la loi d’urgence et organisé par le pilotage technocratique et autoritaire de l’application du plan.
2 Les parents pauvres des plans : soutien social et services publics
Les carences des plans d’urgence dans le soutien social sont patentes et vouent à l’abandon des dizaines de milliers de personnes, malgré l’activisme des collectivités locales et du mouvement associatif. Cela va des personnes qui passent entre les mailles des minima sociaux mais qui y auraient droit, celles qui ne peuvent pas les percevoir du fait de l’arrêt de services, les précaires et les chômeurs sans protection, au manque à gagner des chômeurs partiels, sans oublier la situation dramatique des SDF et des migrants…. Dans la cinquiéme puissance économique mondiale, des êtres humains ont faim, ne sont pas soignés, la surmortalité dans le département le plus pauvre de France, la Seine – Saint-Denis est de 63% quand celle de Paris est de 32%.
Alors que les interventions publiques en direction des entreprises se chiffrent en milliards, les annonces pour les aides sociales et alimentaires le sont en millions : les 150 ou 100 euros par ménage, et 100 euros par enfant qui concernent 4,1 millions de ménages ne représentent que 900 millions d’euros et sont juste une petite poire pour la soif.
Aucune garantie n’est donnée aux collectivités locales et aux associations de soulever la chape de plomb de la politique d’austérité, ce qui limite leur capacité d’intervention, quelle que soit leur bonne volonté. La contractualisation qui limite et sanctionne la hausse des dépenses demeure et s’applique aux dépenses sociales. Au contraire, les signes donnés jusque-là vont dans le sens d’une «facture» à payer pour la dette… ultérieurement, donc de la régression des services publics de proximité.
Enfin, les plans font l’impasse sur les services publics. Les fonds alloués à l’hôpital sont destinés à l’acquisition du matériel, pas à la réouverture de lits et l’embauche massive de personnel. Rien pour l’école, qui a besoin elle aussi d’un plan massif de formation et de recrutement, la recherche reste sous l’épée de Damoclès d’une réforme qui la livre entièrement au pilotage par le secteur privé, rien sur Pôle emploi, sur la Sécurité Sociale, au contraire privée à court terme de cotisations, rien sur l’aménagement du territoire et ses inégalités criantes, rien sur la justice et la police qui n’assument plus correctement leurs missions.
Les discours officiels sur les services publics loués en tant « qu’amortisseur social » passent sous silence leur rôle plus fondamental de moteurs d’une transformation économique et sociale dans le sens d’une société de partage, émancipée de la domination du capital et par là même orientée vers la la réponse aux défis sociaux et écologiques.
3- Des modes de financement qui renforcent les marchés financiers
D’où vient cet argent public qui semble couler à flots ? Qui finance? Des questions qui taraudent après les années de discours sur les caisses vides, l’absence de trésor de guerre et « d’argent magique ».
Pour le plan d’urgence national, dans l’état actuel des prévisions qui seront forcément révisées car les garanties publiques d’emprunt ne sont évidement pas budgétées, compte tenu de l’incertitude totale sur les capacités de remboursement des entreprises, il est prévu un déficit de 183,5 milliards d’euros, contre moins 90,3 dans le budget initial pour 2020, c’est à dire un déficit doublé pour atteindre 9,1 % du PIB. Il sera financé par endettement sur les marchés financiers, la dette devant atteindre 115 % du PIB.
Qui détient cette dette publique française aujourd’hui? Les non- résidents, c’est à dire les fonds d’investissement et de pension étrangers pour 56%, la BCE 18%, les compagnies d’assurance et fonds d’investissement français 19%, les banques 7%. Plus de 80% du stock de la dette sont donc détenus hors de la BCE et dépendent des marchés financiers internationaux, de leurs évaluations des risques et taux d’intérêt, de leurs normes libérales sur l’orientation des dépenses publiques, sur les déficits, et de leurs agences de notations qui synthétisent ces exigences.
On mesure donc les dangers qu’il y a à renforcer leur pouvoir. C’est pourtant ce qui caractérise aussi les plans européens. Qu’il s’agisse du plan d’urgence ou du futur plan de relance s’il voit le jour, que cela concerne les lignes de crédit de la BEI, les prêts envisagés ou le mécanisme du MES, les fonds sont recherchés sur les marchés financiers et ne peuvent que renforcer leur emprise sur les décisions politiques.
3) Comment agir et faire dérailler le train du soutien au capital?
Il y aurait beaucoup de naïveté et d’imprudence à attendre du «jour d’après» une aimable discussion autour du changement de société, en détournant les yeux de ce qui se passe maintenant. Ce serait une grave erreur politique que de laisser tranquillement le pouvoir, les banques et le Medef s’arranger entre eux d’une telle mobilisation de fonds publics.
Il y a des leviers d’intervention pour faire dévier le train du soutien au capital qui est en marche. Le fait que les plans d’urgence passent par le canal des collectivités locales et territoriales offre des possibilités d’action et de pression sur les exécutifs, avec nos élus et les forces politiques, syndicales et associatives prêtes à agir. Il offre aussi l’opportunité de réaliser des mobilisations territoriales en vue de conquérir des pouvoirs nouveaux sur l’utilisation de l’argent.
1- La démocratie sanitaire pour répondre à la crise sanitaire
Dans son avis du 15 avril 2020, La Conférence Nationale de Santé « appelle les pouvoirs publics à faire, enfin, le pari de la démocratie en santé… il s’agit de soutenir et d’impliquer les représentants des usagers du système de santé et des professionnels en milieu du travail, mais également de mobiliser les instances de démocratie en santé à tous les niveaux, nationales, régionales et dans les territoires de santé.».
C’est dire si bien au delà de nos rangs monte l’exigence démocratique pour faire face à la crise. Après des années de gestion autoritaire et technocratique pour démanteler l’hôpital public, avec les conséquences visibles sur l’accueil des malades, et l’impéritie actuelle du pouvoir dans l’approvisionnement en matériel élémentaire de protection, de nombreux citoyens et personnels soignants sont prêts à poursuivre et amplifier les mobilisations pour le service public de santé.
Des comités de mobilisation peuvent se constituer à l’échelle locale, départementale et régionale pour exiger :
- l’annulation des Plans Régionaux de Santé, la réouverture de lits et de services, et l’embauches massives de personnels soignants,obtenir des préfets la transparence de l’information sur la gestion actuelle de la crise du Covid 19 : lits et approvisionnement en matériel et tests
- la création de commissions de santé départementales et régionale pérennes, ayant un avis à donner sur l’utilisation des 9,5 milliards du plan alloués à l’hôpital. Constituées des usagers, personnels et élus, et des directions des l’ARS, elles mettraient fin à l’insupportable autoritarisme technocratique de ces agences.
2- De la transparence des aides publiques aux conférences pour l’emploi
A tous les niveaux de l’organisation territoriale, la transparence sur les aides publiques aux entreprises doit être totale en termes de montant et de nom de l’entreprise bénéficiaire. Cela relève de l’exercice démocratique normal d’information citoyenne sur l’utilisation de nos impôts. Mais on sait que s’agissant des entreprises, il est souvent opposé la notion de confidentialité des affaires totalement injustifiée, comme cela a été le cas par les préfets au sujet du CICE, dont la répartition a toujours été cachée de façon inadmissible. Cette exigence de transparence commence au niveau de local des EPCI. Dans les régions où les EPCI ne traitent que des dossiers d’entreprises sans salarié (comme en Bourgogne-Franche-Comté), il est nécessaire d’exiger la connaissance des aides apportées par la région et l’État aux entreprises situées dans le périmètre de l’EPCI. Ce n’est actuellement pas prévu…
Des commissions locales de suivi et de contrôle des aides publiques peuvent se constituer très vite, avec les syndicats, les élus, les représentants des CSE des entreprises aidées, pour suivre l’usage de ces aides, exiger des contreparties en terme de non licenciement, de non distribution de dividendes, de non délocalisation. Des coordinations départementales et régionale centralisant ces informations, s’appuyant sur les luttes menées localement peuvent exercer sur le pouvoir régional et préfectoral les pressions nécessaires pour ramener ces aides vers l’emploi, la formation, et le maintien des activités locales.
A partir de ces structures de contrôle des fonds publics, mises sur pied très rapidement, qui sont un premier pas dans le partage de pouvoirs économiques, il est envisageable d’en élargir les objectifs et les participants pour faire monter l’exigence de lieux de concertation démocratique sur les productions nécessaires pour faire face à la crise sanitaire, les besoins en emploi, en formation, en services publics des territoires liées aux urgences sociales et climatiques. Ces lieux d’élaboration, du type « conférences pour l’emploi et la formation » créés au niveau local des bassins d’emploi, au niveau départemental, et au niveau régional pourraient interagir avec les institutions existantes que sont les conseils régionaux et les CESER.
Ces mobilisations territoriales, s’inscrivant dans un processus de planification démocratique et décentralisée, en appui sur des conquêtes de droits et pouvoirs des salariés sur leur lieux de travail, et faisant reculer les critères dominants du capital, sont le chemin stratégique à emprunter pour changer nos modes de production et de consommation et répondre aux défis sociaux et écologiques.
Reste la question du financement qui là aussi peut se construire avec des mobilisations locales et des propositions nationales et européennes.
3- Agir sur les financements
Les banques et compagnies d’assurance sont en train de faire couler maintenant un tissu de TPE, PME, artisans, par le refus d’inclure la pandémie dans «les risques majeurs» qui assurent la couverture des pertes d’exploitation, sous prétexte qu’elle n’est pas prévue formellement dans les contrats d’assurance. Les banques refusent des reports d’échéances, doublent ou triplent les taux d’intérêt des crédits de trésorerie. Il est estimé à 50 % le risque de faillite des TPE, pour lesquelles un numéro vert et un soutien psychologique (sic !) sont mis en place.
Des contre-exemples montrent qu’il est possible de faire autrement: le Crédit Mutuel, pour sa fonction assurance, a décidé de porter jusqu ‘à 15 000 euros la prime d’assurance aux artisans/ TPE, et abonde largement les 5 000 euros maximum du plan d’urgence.
Il y a donc une mobilisation de proximité urgente à construire, en demandant par exemple aux communes de constituer des cellules d’alerte ou de vigilance, accueillant les témoignages des entreprises en difficulté, publiés, à partir desquels les pressions sur les banques et compagnies d’assurance pourraient s’exercer, directement et dans la proximité des cas concrets.
Ces actions immédiates sur le système bancaire et assurantiel seraient évidemment un point d’appui pour faire monter dans le débat public les enjeux financiers sur le besoin de Fonds d’urgence, alimentés par des ressources fiscales et monétaires, déclinés aux niveaux régional, national et européen, pour financer les projets de développement des services publics et des activités utiles socialement et écologiquement. Ces fonds étant in fine refinancés par la BCE qui déverse aujourd’hui des milliers de milliards d’euros aux banques (1 000 de plus pour la crise actuelle) en pur soutien aux marchés financiers.
Le refinancement direct des États par la BCE est de plus en plus présenté comme «la solution » pour sortir de l’austérité budgétaire, alors que la BCE, était «hors des radars» des leviers d’action proposés à gauche, il y a quelques années encore, hormis ceux du PCF. Cette proposition, évidemment recevable, n’est cependant que de portée limitée. Puisque la BCE refinance systématiquement toute la dette publique détenue par les banques, aujourd’hui, et que les taux sont très bas, voire négatifs, on est proche d’un financement direct. Mais même si toute la dette nouvellement émise passait pas un financement monétaire direct de la BCE, il n’en resterait pas moins le poids des marchés financiers sur la gestion budgétaire de l’État, puisqu’ils détiennent aujourd’hui l’essentiel du stock de dettes, avec tous les risques de pressions que cela implique sur la réduction des services publics, leur privatisation, le prélèvement fiscal sur les classes moyennes et populaires, etc… L’État, dans un système capitaliste, n’est pas un agent arbitre «neutre», défenseur de «l’intérêt général» et au dessus de la mêlée. Il est traversé par les enjeux de classe, et règle les arbitrages en faveur de la classe dominante par l’ autoritarisme quand l’affrontement s’aiguise.
C’est la raison pour laquelle le développement de services publics et le financement de la transition écologique doivent passer selon nous par un « Fonds européen de développement économique, social et écologique», géré démocratiquement, hors marché financiers, parce que financé directement par la création monétaire de la BCE, ce qui est autorisé par l’article 123 alinéa 2 du traité de Lisbonne, dès lorsque ledit fonds aurait le statut d’établissement de crédit.
Alors que les tribunes et les appels à l’unité à gauche se multiplient, non sans arrières pensées sur l’élection présidentielle, à partir de textes qui font d’autant plus consensus qu’ils sont vagues et généraux, l’urgence est de construire sur le terrain, par des mobilisations puissantes, un rapport de forces sur des objectifs politiques qui transforment concrètement les règles et les logiques destructrices du bien être humain et de la planète qui sont à l’œuvre aujourd’hui. Avec l’exigence immédiate d’une maîtrise démocratique, citoyenne, de l’utilisation de l’argent public, qui est «notre argent», déversé dans les plans d’urgence, nous pouvons créer dès maintenant des « comités de mobilisation » locaux, départementaux et régionaux, embryons d’institutions territoriales nouvelles, fondées sur des pouvoirs conquis dans les entreprises et dans les territoires. Prenant appui sur ces constructions territoriales nouvelles, élargissant leur champ d’intervention au recensement des besoins en emplois, en activités, en évolutions écologiques souhaitables, se mobilisant pour instaurer progressivement une sécurité d’emploi et de formation, pour obtenir de nouveaux leviers de financement, assurant le suivi des engagements pris, ces mobilisations populaires peuvent créer les larges convergences et le rapport de force qui feront reculer la domination du capital sur nos vies. C’est de là que peut émerger le socle d’une alternative à gauche qui ne soit pas le «remake» d’un rassemblement confus et illusoire autour d’une plate-forme vague sur un « monde d’après », tremplin idéal pour des ambitions présidentielles sans risque pour le capital. C’est par là que peut s’amorcer le changement de civilisation que la crise appelle de toute urgence.