
Les régions sont-elles des lieux stratégiques pour la conquête de pouvoirs contre la domination du capital ? Beaucoup, à gauche, n’en semblent pas persuadés : ce qui compterait vraiment, ce serait la conquête électorale du pouvoir au niveau gouvernemental. Pour les politiques régionales, quelques « marqueurs de gauche » suffiraient à justifier le soutien des électeurs, sans véritables conséquences en termes de pouvoir politique.
Il y a pourtant de sérieuses raisons de considérer qu’au contraire la conquête de pouvoirs dans les institutions régionales est la condition indispensable d’une conquête du pouvoir à l’échelle nationale et européenne [1].
D’abord parce que les réformes successives de « décentralisation » ont conféré aux régions des prérogatives accrues en matière d’interventions dans l’économie. Mais aussi, plus fondamentalement, parce que le niveau régional est un niveau de décision important dans beaucoup d’organisations économiques, privées et publiques, dès lors que ces organisations ont une implantation dans les territoires. C’est par exemple le cas des banques, qu’elles soient mutualistes, privées ou publiques.
Si les mobilisations pour l’emploi, pour les services publics, pour une autre utilisation de l’argent, peuvent se développer à tous les niveaux – celui des entreprises, celui des communes, des bassins d’emplois, et aussi aux niveaux national, européen et mondial – elles sont donc souvent amenées à converger au niveau régional.
Leur efficacité sera maximale si elles se concentrent sur l’exigence d’une autre utilisation de l’argent des entreprises : remporter des victoires pour l’emploi, la formation, les salaires, la création de valeur ajoutée en économisant les moyens matériels, en faisant reculer la recherche du profit le plus élevé au regard des capitaux avancés par les actionnaires, les créanciers et les banques.
Comment y parvenir ? Le levier le plus puissant sur les choix des entreprises est le crédit bancaire. C’est pourquoi l’idée de créer des « banques régionales » qui feraient le travail que les banques commerciales refusent de faire peut séduire. Cette idée n’est pas nouvelle. Elle avait inspiré en 1955, aux temps du capitalisme monopoliste d’État triomphant, la création des sociétés de développement régional ; celles-ci ont toutes fait faillite dans les années 90, après avoir échoué à sortir les économies régionales de la crise de ce même capitalisme monopoliste d’État, qui dure encore aujourd’hui. De nos jours, l’énorme ensemble constitué de la Caisse des dépôts et consignations, de BPI France, de la Banque postale, de la Caisse nationale de Prévoyance prétend jouer à son tour ce rôle de « banque des territoires ». Sous prétexte de combler les « défaillances du marché » et de prendre en charge des clients dont les banques privées ne veulent pas, ces institutions publiques dégagent ces dernières de leur responsabilité sociale et les encouragent à soumettre encore plus le crédit aux critères de la rentabilité capitaliste.
Créer de toutes pièces, en plus de ces institutions déjà existantes, des « banques régionales » supposerait que les régions aient les reins financiers assez solides pour leur apporter d’un seul coup les fonds propres considérables exigés par la réglementation bancaire, et pour supporter, dans la suite, les pertes que leurs opérations pourraient engendrer en cas de défaillance des bénéficiaires de leurs crédits. On peut fortement en douter. En tout état de cause, leur action serait étroitement encadrée par les normes « prudentielles » qui s’appliquent aux banques publiques comme aux banques privées. On peut donc avancer sans risque de se tromper qu’elles n’apporteraient rien de plus que ce qui existe déjà, si ce n’est une légitimation politique à la mobilisation des capitaux publics au service de la rentabilité privée.
Le PCF propose tout autre chose : agir tout de suite dans les entreprises avec la conquête de nouveaux pouvoirs des salariés et de leurs représentants, et agir sur les entreprises. C’est en ce sens que le PCF propose d’instaurer un « droit de tirage » des salariés sur les crédits bancaires pour permettre la réalisation de projets industriels proposés par eux, et de convoquer des conférences régionales pour l’emploi, la formation et la transformation productive et écologique, destinées à rendre maximale la pression de la société sur les choix économiques publics et privés.
Les fonds régionaux pour l’emploi et la formation, bras financiers de ces nouvelles institutions, disposeraient de moyens – en particulier une autre utilisation des fonds aujourd’hui consacrées à des aides publiques aux entreprises dont les effets pervers sur l’emploi et sur l’économie sont démontrés – qui serviraient à appuyer la pression des luttes sur les banques et les entreprises. Celles-ci pourraient bénéficier de bonifications d’intérêts venant réduire le coût de leurs emprunts bancaires – c’est-à-dire réduire le coût de leur capital – à condition que ces emprunts servent à des investissements répondant à des critères précis en matière économique (création de valeur ajoutée économisant les dépenses matérielles et financières), sociale (sécurisation de l’emploi, de la formation, des salaires) et écologique (économies d’énergie et de ressources naturelles). Une discussion entre les élus régionaux, responsables de la gestion du fonds, le chef d’entreprise, les banques, les administrations économiques et les représentants des salariés conduirait, selon les engagements pris par l’entreprise et les banques, au versement de bonifications d’intérêt d’autant plus avantageuses que l’effet des investissements financés seraient forts en termes d’emplois, de formation, de développement écologique du territoire. En somme, les fonds régionaux seraient l’instrument d’un début de prise de pouvoir démocratique sur les décisions économiques essentielles [2].
Pour appuyer ces efforts, le PCF agit pour faire monter l’exigence d’une transformation des institutions financières publiques existantes – et de celles que des nationalisations viendraient y ajouter – en un véritable pôle financier public tirant la cohérence de son action d’un même objectif – sécuriser l’emploi et la formation sur tout le territoire national – et d’un même fonctionnement démocratique, avec des pouvoirs d’intervention et de décision exercés par les citoyens, les salariés et leurs représentants.
Ces prises de pouvoir, même partielles, à partir des luttes dans les entreprises et les bassins d’emplois, et de leur convergence au niveau régional et national, seraient la base d’une mobilisation de toute la société dans le cadre d’une planification nationale démocratique et décentralisée et, par-là, un appui solide pour rendre possibles, face à la pression des marchés financiers, des politiques nationales qui chercheraient à s’émanciper de leur dictature et à imposer une tout autre construction européenne.
En somme, une action révolutionnaire dès aujourd’hui pour répondre aux exigences de notre peuple.
[1] Voir le dossier d’Economie et politique sur les prochaines élections régionales.
[2] Un projet de proposition de loi d’expérimentation montre de façon concrète ce que pourrait être l’engagement des territoires pour les entreprises, avec des critères opposés à la rentabilité capitaliste.