2022 : un budget sous tensions !

Jean-Marc DURAND
membre du conseil national - PCF

Début juillet, le gouvernement a dévoilé ses principales orientations pour le budget 2022. Les grandes lignes de son projet de loi de finances (PLF) ont été exposées devant la représentation nationale. Le mot d’ordre est la « normalisation » malgré un niveau de dépenses, comme de recettes d’ailleurs, qui demeure largement incertain. Une incertitude qui tient à l’évolution de la situation sanitaire mais également au développement simultané de la crise économique, sociale et financière avec les conséquences qu’on peut imaginer sur la reprise d’activité réelle. Voilà pourquoi il semble assez hasardeux que le gouvernement élabore le budget 2022 en ignorant, ou en tout cas en feignant d’ignorer, les principaux éléments de conjoncture et n’anticipant pas d’éventuelles rectifications. Pourtant, l’expérience de ces deux dernières années et de PLFR à répétition aurait dû l’instruire !

Une conjoncture incertaine

Une perspective mondiale et européenne mitigée

Le développement économique et l’évolution de la situation budgétaire de la France ne peuvent s’apprécier à la seule aune des frontières nationales, particulièrement en un moment de crise sanitaire mondiale. Si à l’évidence les choix de gestion nationaux concernant spécifiquement l’utilisation de l’argent sont déterminants – soit on privilégie le profit capitaliste, soit on soutient les capacités humaines et l’écologie – ils sont aussi tributaires des mouvements internationaux et de l’évolution de la conjoncture mondiale. Et de ce point de vue les prévisions n’incitent pas vraiment à l’optimisme.

Car malgré la reprise, et c’est la Banque mondiale qui nous le dit, la production mondiale fin 2021 sera inférieure d’environ 2 % aux prévisions pré-COVID. Dans les deux tiers des économies émergentes et en développement, les pertes de revenu par habitant subies en 2020 ne seront pas recouvrées en 2022. Sont concernés les pays à faible revenu, où la vaccination a pris du retard, les effets de la pandémie ayant en quelque sorte effacé les quelques progrès réalisés dans la lutte contre la pauvreté et aggravé l’insécurité et d’autres problèmes endémiques. Dans les faits, la pandémie a accru la pauvreté et les inégalités dans les pays en développement.

Si, parmi les « grandes économies », les États-Unis devraient afficher une croissance de 6,8 % cette année, résultat des importantes mesures de soutien budgétaire et de l’assouplissement des restrictions liées à la pandémie, la croissance devrait aussi se fortifier dans les autres économies avancées, mais dans une moindre mesure. Parmi les économies émergentes et en développement, la Chine devrait enregistrer un rebond de la croissance de 8,5 % cette année.

Si, globalement, ce groupe de pays devrait connaître une croissance de 6 % en 2021, la reprise pourrait être freinée par la recrudescence des cas de COVID-19, le retard pris dans la vaccination, ainsi que la suppression des mesures de soutien dans certains cas, et la France fait partie de ces cas. Hors Chine, la reprise s’établirait en fait à 4,4 % en 2021. Pour 2022, les projections tablent sur une croissance de 4,7 % pour l’ensemble des économies émergentes et en développement. Cependant, en aucun cas les gains attendus dans cet ensemble de pays ne suffiront pour regagner le terrain perdu pendant la récession de 2020, et en 2022 la production devrait être inférieure de 4,1 % aux projections pré-COVID.

S’ajoute à cela que dans de nombreuses économies émergentes et en développement le revenu par habitant devrait rester inférieur aux niveaux d’avant la pandémie, accentuant l’essoufflement des moteurs de la croissance et générant de nouvelles vagues de privatisation dans la santé, l’éducation. Les pays à faible revenu devraient connaître leur plus bas niveau de croissance depuis 20 ans. Au-delà, c’est le niveau du commerce mondial qui sera affecté, une situation à laquelle pourrait s’ajouter le rebond de l’inflation mondiale accompagnant la reprise de l’activité économique. Un retour de l’inflation qui « pourrait compliquer les choix à faire par les économies émergentes et en développement au cours des prochains mois – sachant que la ligne rouge est aucune inflation des salaires (ndlr) – alors que certaines d’entre elles continuent de recourir à des mesures expansionnistes (hausses des dépenses et baisse des recettes) pour assurer une reprise durable », comme lindique Ayhan Kose, directeur du Groupe des prévisions de la Banque mondiale. Et d’ajouter : « ces pays doivent veiller à ce que la hausse des taux d’inflation n’entraîne pas (…) de recourir à des subventions ou à un contrôle des prix qui risquent de faire monter les cours mondiaux des denrées alimentaires. Des mesures axées sur le renforcement des programmes de protection sociale, l’amélioration de la logistique et la résilience de l’offre locale de nourriture face aux changements climatiques seraient plus utiles ».

Bref, une conjoncture globale qui sera soumise à d’énormes tensions et à de grandes incertitudes alors que la France compte pour une part sur la relance mondiale pour doper sa propre économie. Dans ce contexte, plus grave est l’envol des profits sans qu’ait eu lieu une vraie reprise assise sur une nouvelle croissance sociale et écologique. Ils atteignent même sur les six premiers mois de 2021 un niveau insolent. Ceux des entreprises du CAC 40 se montent sur cette période à 50 milliards alors que sur toute l’année 2020 ils n’avaient été que de 37 Milliards. Pour une large part, cela a pu être réalisé grâce à l’apport d’argent public et à de profondes restructurations ayant mis sur le paille de nombreux salariés et cassé des pans entiers d’infrastructure. Une surchauffe dangereuse qui, reprise de l’épidémie aidant, pourrait être annonciatrice de coups de tabac obligeant l’État à intervenir et impliquerait de nouvelles restructurations avec leur lot de suppressions d’emplois. Autant d’éléments qui viendraient fragiliser encore un peu plus les recettes budgétaires et feraient monter d’un cran le chantage au remboursement de la dette.

Enfin, il faut tenir compte que l’économie de l’Union européenne devrait connaître une croissance de 4,2 % en 2021 et de 4,4 % en 2022, soit légèrement en-dessous des projections mondiales, et que l’Allemagne à laquelle nous sommes largement arrimés devrait peiner à retrouver sa dynamique d’avant Covid. En clair il n’y a pas vraiment de miracles à attendre du côté européen non plus.

Des indicateurs nationaux qui interrogent

Malgré un environnement en mal de perspectives stables, le gouvernement français, par la voix de son ministre des Finances, Bruno Le Maire, estime que le projet de loi de finances 2022 « traduira la sortie de la crise sanitaire, la normalisation de l’exercice budgétaire et la poursuite de l’action du gouvernement depuis le début du quinquennat ». C’est à partir de ces trois attendus qu’a été élaboré le rapport préparatoire du débat d’orientation budgétaire.

Pour s’assurer de la validité de l’ambition affichée, il convient de faire un point précis des données budgétaires et économiques mises à disposition. On remarquera que le déficit 2021, malgré une hausse du chiffre de la croissance en cours d’année et la récession moins forte qu’anticipé en 2020, devrait néanmoins se situer dans l’épure initiale des 9,4 % du produit intérieur brut (PIB) sans doute même être quelque peu supérieur avec le prolongement prévisible de la crise sanitaire. Déjà, face à l’ampleur de la troisième vague au cours des six premiers mois de cette année, le gouvernement a dû abonder l’enveloppe des mesures d’urgence, d’un montant de l’ordre de 15,5 milliards d’euros en juin dernier. L’arrivée de la quatrième vague pourrait bien obliger à des dépenses imprévues, creusant ainsi un peu plus le déficit public dans les mois à venir et venant contrarier l’objectif affiché d’un déficit ramené à 5,3 % en 2022.

En 2021, de façon quasi automatique, le creusement du déficit devrait faire progresser le volume de la dette publique de la France qui ressortirait ainsi à 117,2 % du PIB cette année contre 115,1 % l’an dernier. Et à cette croissance en volume s’ajoute un coût légèrement moins favorable qu’en 2020, lorsque l’Agence France Trésor pouvait emprunter à des taux négatifs. Aujourd’hui ces taux oscillent entre 0,2 et 0,3 % ; taux cependant incomparables avec ceux en vigueur lors de la crise 2008-2009, lorsque la France empruntait à 3 ou 4 %. Pour autant, le projet de réduction des dépenses de l’État défendu par Emmanuel Macron en début de mandat restera entre parenthèses. Et alors qu’Il était prévu de réduire le déficit de l’État à 173,3 milliards d’euros en 2021, contre 182 milliards en 2020, il devrait selon toute vraisemblance dépasser les 220 milliards d’euros à la fin de l’année.

On comprend que dans ce cadre l’exercice de style auquel se livre Emmanuel Macron soit difficile, lui qui a déclaré que l’exercice 2022 sonnera la fin annoncée du « quoi qu’il en coûte » alors que le budget 2022 ne sera pas la fin d’un niveau toujours important de dépense publique. Elle devrait même croître en volume de 1,5 %, hors dépenses de relance et d’urgence, alors que le gouvernement tablait jusque-là sur une progression de 1,1 %, (chiffre du programme de stabilité transmis à Bruxelles en avril dernier).

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Comme pour confirmer l’ambiguïté de la situation, Bercy a précisé que c’est « une prévision prudente sur l’évolution de la dépense dans l’ensemble des administrations publiques, dans l’attente des arbitrages sur la dépense de l’État qui ne sont pas rendus à cette heure ». Et de rajouter, n’en n’étant pas à une contradiction près, qu’« elle reste compatible avec la trajectoire pluriannuelle » d’une hausse moyenne des dépenses de 0,7 % par an entre 2022 et 2027 (hors mesures d’urgence et de relance), et « ne remet pas en cause la sortie progressive du quoi qu’il en coûte ».

Dès lors, on peut imaginer les scénarios possibles. Soit des coupes supplémentaires dans la dépense publique « courante » sont à envisager pour compenser l’augmentation due notamment aux problèmes sanitaires, soit va monter la campagne sur le nécessaire remboursement de la dette, ce qui au final se traduira par les mêmes effets, c’est-à-dire la casse des services publics et la mise en cause des droits et garanties des salariés et des citoyens. D’ailleurs, on mesure déjà parfaitement l’ampleur du désastre d’une telle politique dans le domaine de la santé et plus particulièrement à l’hôpital. Dans les faits, aucun effort réel de créations d’emplois, de réouverture de services et de lits n’a été fait, ce qui se traduit par un épuisement des personnels et une mise en grand danger de l’institution hospitalière publique elle-même.

Au lieu de l’optimisme global affiché par Bercy et ses principaux locataires, le budget 2022pourrait bien à nouveau être confronté à une situation générale qui verrait basculer dans la précarité des pans entiers de la population, notamment des jeunes, et engendrer ainsi un climat social délicat. Et en année pré-électorale, l’ultralibéralisme ne dispensant pas d’une certaine dose de réalisme, il ne serait pas étonnant d’assister à quelques savants tours de passe-passe budgétaires pour colmater les brèches.

Les priorités budgétaires pour 2022

Des choix en trompe-l’œil

Sur fond de prévisions de croissance portées à 6 % pour 2021 et prévues à 4 % en 2022, les priorités du budget 2022 ont pour objectif déclaré de « permettre aux ministères de financer des priorités telles que nous les avons définies au début du quinquennat », a indiqué le ministre des Comptes publics Olivier Dussopt. « La stratégie du gouvernement tient en trois points : protéger, relancer et investir » a surenchéri le ministre des Finances. Le gouvernement a prévu 10,8 milliards d’euros de dépenses nouvelles pour épaissir les moyens de l’État, dont la moitié est le résultat de lois de programmation, (loi de programmation militaire, loi sur la recherche, loi sur la justice). L’autre moitié devrait correspondre à des dépenses de soutien liées à la crise. Ainsi, une bonne partie de cette somme sera fléchée vers l’armée, la police et la justice. L’éducation et la recherche devraient également bénéficier de crédits supplémentaires, en lien notamment avec la revalorisation du personnel enseignant.

Par contre, les personnels dans leur ensemble attendront encore une revalorisation du point d’indice comme des mesures catégorielles significatives. La santé publique, et particulièrement l’hôpital, devront passer leur tour et le service public de l’énergie devrait être mis au régime sec avec des coupes sèches qui pourraient atteindre les 700 millions d’euros. Quant à l’emploi et à la formation professionnelle au sens large, c’est comme si ces questions n’existaient pas. Dans le même temps, le taux de l’impôt sur les sociétés sera ramené à 25 % et la division par deux de la CVAE (contribution sur la valeur ajoutée des entreprises) sera maintenue.

De même pour les jeunes. Il ne leur est proposé que subsides et précarité. Aucun plan de mise à niveau des formations largement amputées au cours de ces deux dernières années. Aucun projet réel en prise avec une offre d’emploi stable, aucune aide digne de ce nom, encore moins de solution pérenne pour les étudiants en difficulté financière, alors que d’une part la réforme des APL bat son plein et que de l’autre le coût de la vie augmente.

Des risques de dérive

En fait, ce projet de budget, en l’état des informations mises à disposition, reflète vraiment ce qu’est la politique d’Emmanuel Macron et de son gouvernement depuis leur arrivée au pouvoir et particulièrement depuis le début de la pandémie. L’objectif est de laisser libre cours au capital afin que ses détenteurs puissent en tirer la rentabilité maximale. Bien sûr, la pandémie a contrarié les projets initiaux et le gouvernement est bien obligé de desserrer les cordons de la bourse, mais tout cela en poussant dans le même mouvement les feux de paradigmes nouveaux annonciateurs d’un véritable changement de régime. Pour preuve, les choix de soutenir les ministères qui ont en charge les questions d’ordre et de sécurité sur fond d’un autoritarisme qui ne fait que se renforcer comme le porte en creux le « pass sanitaire ». Pour preuve l’abandon de tout ce qui touche au développement de l’humain et à l’écologie, en ouvrant largement la porte à de nouvelles vagues de privatisation, en insistant pour réformer le régime des retraites, en accélérant la mise en place de la réforme de l’allocation chômage. Il y derrière l’attitude paternaliste d’un E Macron une volonté de fer d’imposer la loi du capital et de l’ériger en règle de vie absolue pour tout le monde !

Pour preuve enfin les interventions répétées sur le remboursement qui serait bien obligé de la dette, en tenant le discours du bon père de famille : « on ne peut dépenser plus que l’on a et on ne peut vivre avec des dettes dont nous laisserons la charge à nos enfants… ». Certes, la dette est une question importante qui doit être traitée avec sérieux mais bien loin des dogmes tirés du plus profond de la civilisation judéo-chrétienne. La dette doit avant tout être considérée comme une avance pour faire face à la crise et pour le développement humain et écologique, surtout dans un moment où celle-ci s’est creusée pour maintenir à flot des entreprises, des secteurs d’activité, en fait pour ne pas insulter l’avenir et tenter de le préparer. Nous ne pouvons accepter un chantage hyper-austéritaire. Aujourd’hui à l’opposé d’un renfort au capital, il faut une expansion par le social et l’écologie dont l’emploi, la formation, les services publics sont l’objectif et le moyen, et non une conséquence incertaine du « ruissellement ». Sur cette expansion seraient appliqués de nouveaux prélèvements sociaux et fiscaux par une fiscalité des entreprises et des ménages, profondément refondée, et des cotisations sociales à l’assiette actualisée. Ces choix auraient pour conséquence une croissance du PIB et, conjugués à une certaine inflation, de faire véritablement reculer la dette et d’en assurer le remboursement.

Enfin, sans doute parce qu’elle ne trouvait pas suffisamment contraignantes les règles en vigueur issues de la LOLF et du traité européen de Lisbonne, une majorité de députés a voté fin avril une proposition de loi organique modifiant la gouvernance des finances publiques. Portée par le rapporteur général du budget, Laurent Saint-Martin (LREM) et le président de la commission des Finances, Èric Woerth (LR) qui a laissé quelques traces lors de son passage à Bercy, cette loi vise, selon les dires du premier, à instaurer les conditions d’un rétablissement le plus rapide possible des finances publiques de la France. Désormais, le gouvernement sera sommé de donner une trajectoire sur plusieurs années pour l’évolution de la dépense publique, exprimée en milliards d’euros avec un montant en milliards d’euros pour chaque année et plus seulement en proportion du PIB. Ces montants seront rappelés dans chaque projet loi de Finances et l’exécutif devra se justifier en cas d’écart. Les dépenses de fonctionnement et d’investissement devront également être mieux distinguées, ce qui revient à aggraver le principe existant de la fongibilité asymétrique des crédits. Et Éric Woerth de préciser dans l’exposé des motifs : « Aujourd’hui, le débat porte sur le traitement de centaine de milliard d’euros de dette supplémentaire empruntés en quelques mois, (…) L’objectif est désormais de présenter le budget avec plus de clarté et de lisibilité ». Il y voit un des leviers pour reprendre la main sur les comptes publics. Tout un programme comme aurait dit un certain général !

Quant à Bruno Le Maire, jamais en reste avec son allure de père la vertu, il veut aller encore plus loin. Il propose ni plus ni moins une « règle d’or » qui ferait que l’exécutif ne pourrait déroger à ses objectifs de début de quinquennat sauf en cas de crise. Du grand art ! En tout cas autant d’indices qui montrent tous les dangers potentiels que recèle le projet de budget 2022 et qui appelle toute notre vigilance.