
« Donnez-moi un levier et je soulèverai le monde » disait, paraît-il, Archimède. En économie, l’équivalent du levier, c’est le crédit. La monnaie permet en effet de dissocier le moment où on entre en possession d’une chose et le moment où on livre sa contrepartie en argent. Cette propriété a un « bon » et un « mauvais » côté. Le bon côté, c’est que le crédit anticipe la création de richesses : on n’a pas besoin d’attendre que les produits du travail soient vendus pour que l’argent nécessaire au paiement des travailleurs et à l’acquisition de tout ce qui contribue à la production (matières premières, machines, bâtiments, brevets…) soit disponible. Le mauvais côté, c’est la possibilité de ne pas dépenser l’argent qu’on possède et de l’accumuler en trésors improductifs.
Le capital, qui a étendu depuis un demi-millénaire sa domination sur toute la vie économique, combine ces deux côtés. Il a suscité une extraordinaire expansion de la richesse matérielle et des connaissances mais sous l’effet d’un esprit d’entreprise qui ne vise pas, en réalité, l’amélioration du bien-être des êtres humains mais l’accumulation sans limite d’argent réclamant sans cesse plus d’argent pour satisfaire à l’exigence de rentabilité – le taux de profit – qui régule le système en son cœur. Cela le rend incapable d’apporter de véritables réponses aux bouleversements que cette accumulation a fini par engendrer dans la civilisation.
C’est à la solution de cette contradiction – c’est-à-dire au dépassement du capitalisme et du libéralisme – qu’un nouveau crédit peut servir de levier. C’est possible à deux conditions.
La première est de révolutionner le système monétaire et financier (que Marx, pour en souligner l’importance révolutionnaire, appelait en son temps le système de crédit). Les articles qui composent ce dossier apportent des éclairages sur ce sujet, mais aussi des témoignages qui révèlent à quel point les salariés du secteur peuvent devenir des acteurs de ces transformations.
La deuxième est la cohérence que les transformations du système bancaire doit avoir avec celles qui doivent intervenir dans le système productif. Le capital, précisément, n’est capital que parce que son cycle d’accumulation intègre son fonctionnement comme capital argent et comme capital productif. La conquête de pouvoirs démocratiques sur l’utilisation de l’argent est ainsi inséparable de la poursuite des objectifs sociaux et écologiques qu’exige la réponse à la crise, avec, au point de rencontre de ces multiples exigences, la sécurisation de l’emploi et de la formation, pour la promotion de toutes les capacités humaines.