Quand on parle d’impôt dans notre pays, il est fréquent qu’on évoque de manière générale l’une des rares contributions, à savoir l’impôt sur le revenu, dont la particularité est d’être progressif.
Enfin, jusqu’à un certain point puisqu’une bonne part de la progressivité de l’impôt est battue en brèche par ce que l’on a pris coutume d’appeler « niche fiscale », même si ce vocable est pour le moins discutable.
La taxe sur la valeur ajoutée, premier impôt en France
Non, beaucoup de gens savent qu’en réalité c’est un autre impôt qui se taille la part du lion au sein du groupe des recettes publiques, à savoir la TVA. Cet impôt dit « neutre », caractérisé comme moderne (alors qu’il procède furieusement des aides, traites et octroi de l’Ancien Régime), devrait en effet rapporter 192 milliards d’euros en 2022. Ce qui correspond peu ou prou à un impôt d’environ 4 800 euros par an et par foyer fiscal dans notre pays. Mais, dans les faits, elle préempte une part du revenu d’autant plus élevée que ce revenu est faible. On parle ainsi d’un prélèvement de 14 % par an pour un revenu au SMIC.
Comme elle est neutre, la TVA est devenue une sorte de « couteau suisse » pour l’État, servant à payer les dépenses courantes de l’État, à compenser à la Sécurité Sociale les allégements et exonérations de cotisations sociales accordés aux entreprises (pour 53,7 milliards d’euros), à affecter aux collectivités locales des recettes pour compenser la disparition de la taxe d’habitation ou du foncier bâti pour les Régions, à servir de base de calcul de la contribution française au budget de l’Union européenne (en l’espèce, 3,6 milliards pour 2022).
Selon un rapport du Conseil des Prélèvements Obligatoires datant de 2015, 84 % du produit brut de l’impôt proviendraient des biens et services soumis au taux normal, 8 % de ceux soumis au taux réduit de 10 %, 7 % du taux de 5,5 % et 1 % des taux spécifiques de 2,1 % qui concerne, par exemple, journaux, produits pharmaceutiques remboursés par la Sécurité Sociale et redevance audiovisuelle.
Le principe de la TVA (les entreprises ne versent au trésor public que la différence entre la TVA grevant leurs achats et la TVA induite par leurs ventes) en fait un impôt dont le « coût de collecte » peut être mesuré à la hauteur des remboursements de taxe dite déductible. Dans le budget 2022, l’évaluation des remboursements de TVA, pleinement liée à la réalité de l’activité économique, est légèrement supérieure à 66,3 milliards d’euros. Soit la majorité des crédits, de caractère évaluatif, de cette mission budgétaire.
La contribution sociale généralisée, un impôt qui pèse massivement sur les salariés
Derrière ce grand impôt indirect, venu du lointain passé féodal avancé de notre pays, qui a des caractéristiques communes avec la taxe intérieure de consommation des produits énergétiques, les droits sur les tabacs et sur l’alcool (qui procèdent, tous ensemble, de la Grande Gabelle de l’Ancien Régime), la contribution climat énergie et une bonne part de ce qu’on appelle aujourd’hui la fiscalité écologique, on a finalement vu arriver en deuxième position la Contribution Sociale Généralisée (CSG).
Impôt proportionnel sur les revenus, du travail comme du capital et du patrimoine, la CSG, de par la largeur et la solidité de son assiette (elle a remplacé les cotisations maladie et chômage pour la part dite ouvrière), est un impôt de fort rendement.
La prévision de recettes, pour 2022, est la suivante :
- Fonds de solidarité vieillesse (FSV) : 18,059 milliards d’euros
- Caisse nationale d’allocations familiales : 12,724 milliards d’euros
- Caisse nationale de solidarité autonomie : 29,241 milliards d’euros.
- Caisse d’amortissement de la dette sociale : 9,109 milliards d’euros (+ 8,078 milliards d’euros de « contribution à la réduction de la dette sociale » (CRDS), « petite sœur » de la CSG créée en 1996 et d’ores et déjà pérennisée jusqu’en 2033)
- Caisse nationale d’assurance maladie : 49,015 milliards d’euros.
- Unedic : 15,186 milliards d’euros.
Si l’on fait la somme de ces six affectations, on aboutit à un total de 133,334 milliards d’euros. Avec la CRDS, qui participe du même principe, ce sont donc plus de 140 milliards d’euros qui sont ainsi collectés.
On notera juste que la CSG sur les revenu du capital et du patrimoine est, quasi exclusivement, attribuée au Fonds de solidarité vieillesse.
Rapporté aux différentes branches de la Sécurité Sociale et au budget de l’UNEDIC, l’apport de la CSG au sein des recettes est le suivant :
- Caisse nationale d’assurance maladie – Maladies Professionnelles : 22 %
- Caisse nationale d’assurance vieillesse : 0 % mais
- Caisse nationale solidarité autonomie : 87,8 %
- Fonds de solidarité vieillesse : 70 % en 2020, 55 % prévus en 2022
- Caisse nationale d’allocations familiales : 24,8 %
- UNEDIC : 37,4 %.
Ce sont donc, dans l’ordre, salariés, retraités, travailleurs indépendants et privés d’emploi qui constituent les principaux contributeurs aux différents budgets que nous venons de rappeler.
Selon la Commission des Comptes de la Sécurité Sociale, en 2020, la CSG activité constitue 69 % du rendement total de la CSG. La CSG remplacement et la CSG capital en représentent respectivement 20 % et 10 %, et la CSG sur les jeux moins de 1 %. La CSG activité est prélevée à 66 % sur la masse salariale du secteur privé, à 20 % sur celle du secteur public, à 10 % sur les rémunérations des travailleurs indépendants et à 4 % sur d’autres rémunérations. La CSG remplacement est assise à 86 % sur les pensions versées par les régimes d’assurance vieillesse, à 7 % sur les indemnités d’assurance chômage et d’activité partielle, et à 6 % sur les pensions d’invalidité. Enfin, le rendement de la CSG capital provient à parts égales des revenus de placement (51 %) et du patrimoine (49 %).
Ce qui veut dire, de manière synthétique, qu’en 2020, malgré l’activité partielle, 45,5 % de la CSG ont été collectés auprès des salariés du privé, 13,8 % des fonctionnaires, 17,2 % des retraités et pensionnés, 6,9 % des travailleurs indépendants, 1,4 % des privés d’emploi et 1,2 % des invalides du travail.
Le développement des revenus du capital et du patrimoine depuis 2017 devrait modifier relativement la donne mais montre, bien entendu, la santé insolente du CAC 40 et la persistance de la spéculation immobilière.
Pour 2022, selon les prévisions de la Commission des Comptes de la Sécurité sociale, la CSG « revenus d’activité » devait apporter 94,83 milliards d’euros, la CSG « revenus de remplacement » 24,09 milliards d’euros, la CSG « placement et patrimoine » 13,73 milliards d’euros et la CSG « jeux » un peu plus de 500 millions.
La réalité de la CSG en fait, en réalité, une sorte de résurgence de l’ancien impôt général sur le revenu, socle de l’imposition inventée en France en 1914, associé dans les années suivantes à une « surtaxe progressive » frappant les plus hauts revenus. La loi du 25 juin 1920 créant de nouvelles recettes fiscales a en effet, appliqué les notions de cédule de revenus, de progressivité et de quotient familial, entre autres dispositions. Ceci posé, la CSG suffit en elle-même à montrer que bien peu de gens échappent à l’impôt dans notre beau pays.
Loin derrière, l’impôt sur le revenu des personnes physiques !
Car l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IR), dont nous allons maintenant parler, ne devrait rapporter en 2022 que la somme de 82,3 milliards environ.
Ce qui signifie, par référence, que le produit de l’impôt s’avère inférieur, en mixant l’ensemble des types de revenu, au produit de la CSG sur les seuls produits d’activité.
La facture frappe de manière relativement différenciée l’ensemble des revenus mais au-delà d’une apparente concentration sur les foyers disposant des bases d’imposition les plus élevées, nombre de mesures « mitent » le rendement de l’impôt. Et il s’agit là, en pratique, non pas de fraude fiscale, mais de dispositifs parfaitement légaux, souvent abusivement appelés « niches fiscales » au regard de leurs finalités.
Ainsi, on connaît par principe les niches fiscales les plus coûteuses en masse. Les documents officiels recensent ainsi 14 dépenses fiscales représentant à elles seules 50 % de la facture de plus de 91 milliards de recettes auxquelles l’État renonce, pour une raison ou une autre.
Mais cela ne concerne l’IR que pour les emplois de salariés à domicile (4,85 milliards d’euros), l’abattement de 10 % sur les pensions et retraites (4,187 milliards), l’exonération des sommes versées au titre de la participation, de l’intéressement, de l’abondement ou d’un partage de plus-value, aux plans d’épargne salariale et aux plans d’épargne retraite d’entreprise collectifs ou obligatoires (2,35 milliards d’euros), l’exonération des prestations familiales et de l’allocation aux adultes handicapés (2,045 milliards), la déduction des dépenses de réparations et d’amélioration (1,7 milliard d’euros), l’exonération des heures supplémentaires (1,667 milliard) et les dons aux œuvres (1,660 milliard).
On est loin, par exemple, des 7,43 milliards du crédit d’impôt recherche et des 6,423 milliards du CICE « résiduel » ouvert en compte auprès du Trésor Public par les entreprises « déficitaires ».
Une note de la direction générale des Finances publiques (DGFIP), publiée en septembre, nous indique toutefois :
Un tableau fort instructif qui nous indique (pour 2019, exercice ici traité) que ce sont les « niches » destinées à l’investissement et donc, en général, à quelques dizaines de milliers d’initiés, qui s’avèrent les plus rentables.
La même note nous précise également :
Que l’on ne s’inquiète pas trop pour les détenteurs de revenus fonciers. En effet, la plupart des dispositifs d’investissement locatif existants sur le « marché » prévoient expressément une période initiale, plus ou moins longue, de « déficit foncier obligé », par application d’un taux d’amortissement du bien plus rapide. Le choc, pour l’investisseur peu éclairé, c’est la sortie de ce régime favorable…
On aura noté sur le tableau, le dynamisme particulier des revenus de capitaux mobiliers et plus-values, plus net que celui des salaires.
Quant à la progression des retraites et pensions, elle a plus à voir avec le mouvement imprimé depuis une quinzaine d’années de liquidation de « carrières complètes » qu’avec l’augmentation du montant unitaire des pensions et retraites. Le nombre de contribuables retraités imposable ne cesse en effet de croître comme en atteste, a contrario, le nombre de « bénéficiaires « du minimum vieillesse, passé entre 1996 et 2019 de 940 000 à 550 000 personnes.
La conclusion du processus nous est fournie, au moins pour partie, par le troisième rapport sur la réforme de la fiscalité du capital rédigé sous la direction du journaliste François Lenglet qui indique : « Le taux d’imposition moyen des revenus au titre de l’IR est resté stable entre 2017 et 2019 à l’exception du dernier centile, pour lesquels il a baissé. Pour autant, l’imposition des revenus (hors prélèvements sociaux) reste progressive, à l’exception du dernier millime de revenus : le taux moyen d’imposition est de 7 % au seuil du dernier décile, de 17 % au seuil du dernier centile, de 22,5 % pour l’avant-dernier millime, et de 21 % pour le dernier millime (soit 39 000 foyers) ».
L’impôt sur les sociétés et ses « niches »
Dans le Top 5 de notre fiscalité, on trouve ensuite, pratiquement à égalité, l’impôt net sur les sociétés et la taxe intérieure de consommation des produits énergétiques (TICPE).
S’agissant de l’impôt sur les sociétés, il est en effet évalué pour 2022 à un montant brut de 65,8 milliards d’euros et un montant net de 39,5 milliards, soit une correction de plus de 26 milliards et de 40 % de son montant brut. Ce qui revient, dans les faits, à réduire le taux réel d’imposition de 25 à 15 %.
Le problème est que ce qui est exposé par les documents officiels n’épuise pas le filon des sources de réduction d’IS. En fait, seuls sont à peu près évalués les 12,5 milliards de remboursements d’acomptes excédentaires et 12,5 milliards de crédits d’impôt divers. Ne sont pas évalués les effets du régime des groupes et des relations sociétés mères et filiales, ni les dispositifs liés aux cessions de participations. 8 milliards de dégrèvement par voie pré- ou contentieuse sont également comptabilisés et il semble assez juste d’associer à ce montant les 63,5 milliards de TVA dite déductible qui, cumulés aux 3,6 milliards d’allégement sur les impositions locales dues par les entreprises, nous amènent à 100 milliards d’euros de remboursements et dégrèvements.
La taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques
La TICPE, partagée entre État et collectivités locales (elle sert entre autres à financer le RSA au niveau des départements) présente un rendement net de 31 milliards, corrigé par 2 milliards de mesures de soutien destinées à quelques secteurs d’activité (taxis, agriculteurs, transporteurs routiers).
On peut y ajouter le produit de la taxe spéciale sur la consommation de carburants mise en œuvre Outre – Mer (527 millions d’euros perçus en 2019 selon un rapport parlementaire)
La taxe étant un droit d’accise (comme jadis la gabelle et aujourd’hui les taxes sur le tabac et les alcools), elle est une composante du prix soumis à TVA et induit donc, de fait, une recette de 6,2 milliards de TVA venant en sus de son rendement. En pratique, le poids de la fiscalité est d’autant plus présent dans le prix global des carburants que toute hausse du prix d’origine du litre d’essence entraîne une hausse de la part de TVA dans le prix final.
La TICPE constitue, de fait, le principal élément de la « fiscalité écologique », celle-ci disposant d’autres vecteurs comme la taxe d’enlèvement des ordures ménagères.
C’est là un autre sujet que nous appréhenderons dans un autre article.
Très clair et intéressant. Il serait utile de rapprocher ces chiffres de ceux de la comptabilité nationale, il me semble que cela permettrait de comparée la part d’impôt payée pesant sur la consommation et celle pesant sur le capital (?)