La papeterie et l’imprimerie de la Banque de France : les moderniser et les développer, un enjeu national et européen

Fabienne Rouchy
membre de la commission exécutive confédérale de la CGT

La France dispose, avec notre imprimerie de Chamalières et notre papeterie de Vic-le Comte et leurs 800 salariés, d’un outil industriel qui est devenu le premier producteur de billets de banque en euros et qui constitue le cœur du pilier public européen de fabrication des billets, mis en place sur décision du conseil des gouverneurs de la Banque Centrale Européenne en 2014.

C’est un service public d’une importance majeure pour le pays et pour chaque citoyen de la zone euro. Le billet de banque symbolise et incarne en effet la confiance sans laquelle une monnaie, dans l’économie d’aujourd’hui, ne pourrait pas exister. La qualité des coupures, leur résistance à l’usage, leurs signes de sécurité permettant une protection fiable contre les contrefaçons sont essentiels à cette confiance, surtout dans les périodes de crise et d’incertitude comme actuellement. Et la demande de billets euros ne faiblit pas, malgré le développement des moyens de paiement électroniques.

La conception et la réalisation des billets contenant des éléments de sécurité très techniques de plus en plus perfectionnés, ne peuvent pas être abandonnées au secteur privé ! C’est pourquoi un puissant pôle public de recherche-développement et de production des billets est indispensable à la maîtrise démocratique de la monnaie.

La direction de la Banque de France se livre pourtant à des agissements qui font craindre qu’elle n’envisage un démantèlement.

Elle a lancé un projet, dit de modernisation, de l’usine de Chamalières, fondé sur la robotisation intensive des opérations réalisées en aval de la production, sur la compression des effectifs à coup de Lean management, sur la dégradation des conditions de travail et, au mépris de travaux d’experts reconnus et des multiples alertes des représentants du Personnel, sur le refus de reconnaître que la réussite technique et industrielle du site repose sur la qualification des hommes et des femmes qui y travaillent. Cette gestion basée sur des critères purement budgétaires assise sur le dogme de la suppression d’un maximum d’emplois, n’a produit jusqu’à présent que des dysfonctionnements : la capacité de production est actuellement insuffisante pour répondre à la demande et le recours à la sous-traitance est massif.

Prétextant de cette situation, et suite à la faillite du maître d’œuvre qu’elle a elle-même choisi, qui se traduit par un coût supplémentaire de 16 millions d’euros et un retard de près de deux ans, la direction de la Banque de France laisse entendre qu’elle envisage d’abandonner l’ambitieux projet « Refondation » de regroupement de l’imprimerie et de la papeterie sur le site de Vic-le Comte. Elle a déjà entamé la fermeture des ateliers de recyclage des billets situés à Chamalières. Pire encore, elle a exercé un chantage individuel auprès des salariés de la papeterie en les menaçant de fermer définitivement leur établissement en cas de grèves !

Ce n’est pas la première fois que la Fabrication des billets de la Banque de France est menacée dans son existence. À chaque fois, c’est l’action de son personnel qui a permis la sauvegarde et la modernisation de l’outil de travail avec le soutien actif de la CGT.

Aujourd’hui, la menace est particulièrement grave. L’affaiblissement et le dépérissement des sites de Chamalières et de Vic-le-Comte s’inscriraient dans le processus de désindustrialisation que connaît l’économie française avec le soutien actif d’Emmanuel Macron et de son gouvernement. Le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, ont-ils reçu des instructions dans ce sens ? Il n’est pas rassurant de constater que la montée des menaces contre la fabrication des billets a commencé à l’époque où Sylvie Goulard était chargée de ce secteur comme « seconde sous-gouverneure », après avoir été forcée de démissionner de son poste de ministre des Armées et avant l’échec de sa candidature à la Commission européenne.

Une Fabrication des billets publique, pleinement intégrée à la Banque de France, cœur d’un pôle public européen puissant et efficace, est un enjeu de souveraineté, d’intérêt national et européen qui doit rassembler les citoyens, les forces sociales et politiques les plus diverses, comme elles se sont rassemblées contre la privatisation d’Aéroport de Paris ou contre le bradage d’Alstom.

On peut gagner ! C’est un tel rassemblement qui a réussi, après une longue bataille, à imposer à la BCE la constitution d’un pôle public de fabrication des billets alors que son projet initial était de livrer cette mission au privé par voie d’appels d’offres sur le marché.

La Banque de France a toujours différencié ses projets de modernisation de la papeterie et de l’imprimerie, ce qui interroge sur la cohérence d’ensemble tant la CGT considère qu’une approche globale et un projet complet auraient des conséquences positives sur la production, en qualité et en quantité, mais aussi sur les investissements eux-mêmes. Dans un premier temps, c’est donc la modernisation de la papeterie qui a été engagée : construction de nouveaux bâtiments, achat d’une machine à papier trois formats et d’une nouvelle coupeuse. Si l’achat d’une machine à papier au format cohérent avec celui des machines à imprimer est un point satisfaisant sur lequel le syndicat CGT de la Banque de France a enfin été entendu, les capacités de production largement deux fois plus élevées que le précédent matériel ont d’emblée posé la question de la rentabilisation et du niveau du plan de charge. De plus, le projet industriel s’est accompagné en 2016 de la filialisation de la papeterie et de l’apparition d’un troisième statut pour le personnel : après les salariés recrutés au statut de 1936 de la Banque de France et les agents contractuels soumis au régime général, les salariés de la filiale Europafi sont recrutés sous contrat de droit privé avec des conditions d’emplois très dégradées (salaires, déroulement de carrière, congés, etc.). La CGT locale et ses élus ont largement contribué à faire évoluer favorablement ces conditions depuis la filialisation, au prix de grandes luttes récurrentes des personnels du site, solidaires malgré les multiples menaces de la direction.

Un véritable projet d’avenir consisterait aujourd’hui à réunir sur le site de Vic-le-Comte l’ensemble des opérations de conception, de recherche, de fabrication du papier et des signes de sécurité, d’impression, de conditionnement et d’entretien des billets. Les banques centrales de la zone euro ont besoin d’un grand pôle de recherche-développement pour ne pas dépendre des laboratoires privés dans la conception des encres, des signes de sécurité, dans l’anticipation des mutations technologiques qui vont bouleverser les méthodes et les pratiques de paiement dans les prochaines années. C’est sur cette base que la Banque de France, la BCE et les autres banques centrales pourront développer des coopérations entre elles et avec les banques centrales des pays émergents et en développement, dans le domaine des techniques de paiement.

Pour relever ce défi, il faut cesser de gaspiller des sommes considérables dans l’accumulation de moyens de production matériels et dans une robotisation à outrance régulièrement défaillante pensée sans les ouvriers et censée les remplacer. Il faut abandonner la polyvalence poussée aujourd’hui à l’extrême, le recours systématique à l’intérim, l’absence de formation spécifique à chaque poste niant les particularités et le besoin de compétences pour chaque métier. Il faut, au contraire, embaucher massivement et donner la priorité à la valorisation des compétences, des talents et de l’attachement au service public des ouvriers, des techniciens, des ingénieurs de Chamalières et de Vic-le-Comte.

À l’opposé de la vision restrictive et peu ambitieuse des dirigeants de la Banque de France, la CGT fait des propositions permettant de donner accès à l’ensemble de la population à l’unique moyen de paiement gratuit, mais aussi au plus sûr et plus égalitaire : la monnaie fiduciaire.

Le billet n’est pas une marchandise ! La confiance dans la monnaie n’est pas l’affaire des marchés, c’est un bien commun pour lequel nous avons besoin du service public de la fabrication des billets s’appuyant sur chacune de ses composantes industrielles en valorisant l’engagement, la compétence et l’éthique de ses salariés, ce qui suppose pour ces derniers un statut revalorisé.

C’est ce que démontreront les représentants du personnel CGT et leurs invités le 14 mai à Vic le Comte, lors de la fête des comités sociaux et économiques de la Fabrication des billets de la Banque de France. Experts, économistes, élus locaux, parlementaires et syndicalistes, de l’Union des Banques Centrales de la zone euro notamment, mèneront le débat sur ces questions.