Proposée par le collectif national du PCF de la filière de l’aéronautique, de l’aérien et du spatial le 19 mars 2022, les assises démocratiques de l’industrie aéronautique et spatiale et du transport aérien se sont tenues au milieu de plusieurs événements de grandes importances avec la pandémie qui dure depuis plus de deux ans, la conflagration de la guerre Ukraine Russie qui risque un embrasement mondial, et enfin dans le cadre de la campagne électorale de la présidentielle que les communistes ont menée avec leur candidat Fabien Roussel. Ces assises se sont déroulées en présentiel à la section du PCF d’Orly Aéroport (Val De Marne) pour la région parisienne et en lien par visioconférences dans les fédérations départementales et dans certaines sections du PCF. Certains participants se sont également connectés de leur domicile. Pour cette initiative, les membres du collectif ont souhaité rassembler un grand nombre de salariés et d’acteurs syndicaux engagés politiquement ou non de la filière (toutes branches confondues), mais aussi des représentants des fédérations PCF, de la commission nationale « transports et mobilité », de la filière du rail, de nos deux groupes parlementaires politiques, de la commission économique. On peut consulter le compte rendu de la réunion sur le blog d’Économie&Politique, ainsi que l’intervention finale d’Alain Janvier, dont nous reproduisons de larges extraits dans ces colonnes.
Pour tenter de tirer quelques-unes des principales conclusions de cette journée, je m’attarderai sur les questions qui m’ont le plus marqué. Tout d’abord, une question qui n’est pas venue tellement dans les débats, bien qu’elle me paraisse essentielle, ce que je ressens en écoutant ce qui s’exprime autour de moi, c’est la question suivante : la pandémie peut-elle tout expliquer des soucis que l’on rencontre sur le lieu de travail, à l’intérieur de l’entreprise. On pense, bien sûr, aux plans sociaux qui commençaient à fleurir avant le début de la pandémie, et qui se poursuivent après le pic de décroissance accéléré de la pandémie. Dans certains sous-secteurs, les délocalisations prennent le relais. On reparle alors de « casse de l’emploi industriel ». Cette question est essentielle. Il y a tout lieu de la creuser, de développer un argumentaire. Et donc de ne pas se trouver démuni, lorsque les directions d’entreprises parlent de « crise sanitaire ». En agissant ainsi, c’est délibérément qu’elles masquent une partie de la réalité. La crise actuelle n’a pas simplement plusieurs facettes, elle a plusieurs causes originelles. La preuve en est qu’elle n’a pas fini de faire des dégâts. Nous ne sommes pas les seuls à vouloir creuser les questions à fond. À leur manière, les directions d’entreprises de la filière ont organisé les assises du transport aérien, en novembre dernier. Ils ont aussi creusé la question, afin d’élever au niveau de l’argumentation ce qui n’était, en fait, qu’un simple jeu de justification. Du coup, qu’ont-ils apporté aux compagnies aériennes en difficulté leur permettant de sortir d’affaire ? Pas grand-chose. Oui, Il nous faut creuser des pistes et poursuivre le débat.
Une autre question, qui a été creusée comme il convient, est la suivante. Quel rapport existe-t-il au niveau des centres de recherche, principalement entre la France et l’Allemagne ? De fait, on le voit bien : la galère accordée aux sites de France, une tentative de réponses aux besoins en Allemagne. La réponse aux besoins en France ? Connais pas. Et pourtant. Alors que le DLR, en Allemagne, dispose des moyens lui permettant d’envisager son développement tous azimuts, en France, la recherche est stoppée à la base. Qui était hier en position de leader au niveau européen sur le plan spatial et aéronautique ? Une nouvelle situation se crée, conduisant à des difficultés importantes. Ils sont prêts à prendre le risque que la France perde son rôle de leader européen. À noter que la différence de visée stratégique qui existe entre les deux pays ne porte pas que sur le poids accordé aux activités de recherche. Il en est de même pour l’activité de production. En témoigne l’évolution du nombre d’ouvriers sur l’ensemble de la filière. Il progresse en Allemagne, il diminue en France. Ce basculement de la France vers l’Allemagne du niveau numérique des ouvriers est révélateur des efforts que déploient les Industriels outre-Rhin dans l’implantation des sites de production (comme cela a été le cas chez Airbus avec la cinquième chaîne de montage pour laquelle Hambourg a été préféré à Toulouse). N’est-on pas en train de vivre une époque au cours de laquelle, à l’image de ce que l’on a connu au cours des années 1936 -1939, le slogan dominant dans les milieux patronaux et financiers serait « plutôt une domination économique allemande, plutôt que la domination de la société par des mouvements subversifs et contestataires se développant au sein-même des sites industriels français ». Il n’est pas interdit de le penser.
Une autre question qui a imprégné plusieurs interventions au cours de de la journée a porté sur les moyens et la méthode à mettre en œuvre permettant de réorienter les entreprises dans cette autre logique à laquelle tant de monde aspire. On a entendu plusieurs options brandies un peu comme une recette magique : menace de sanctions fiscales, dispositifs régulateurs, planification écologique, pilotage de la consommation par une politique de l’offre, ou par une politique de la demande, menace d’une entrée du capital public…), ou bien tout simplement, une méthode du « laisser-faire » agrémentée d’une « sauce piquante » à base de « concurrence libre et non faussée », chaque cas de figure rencontré marqué par un contexte spécifique, invitant à se rapprocher d’une option plutôt qu’une autre. Par contre, dans ce dédale de moyens, on a, me semble-t-il, trop peu souvent, évoqué les potentialités dont est porteuse une autre option qui pourrait bousculer bien des idées préconçues : l’intervention des salariés, et le pouvoir de décision dont seraient porteurs les nouveaux droits attachés à la politique de la sécurité d’emploi et de formation (SEF). Des droits qui ne se limiteraient pas à un droit de veto, brandi dans les cas où la casse de l’emploi industriel est par trop manifeste. Une SEF qui offrirait de défricher non seulement des critères de gestion innovants, mais également des choix à opérer entre des axes stratégiques en compétition. Il n’est pas question de prétendre que les salariés auraient réponse à tout. Mais limiter leur capacité d’intervention à ceux qui prétendent peser grâce à leur « investissements dans des parts d’action » est tout à fait débilitant.
Une SEF réellement innovante, ce serait alors une SEF qui ouvrirait la porte à :
- la possibilité d’avancer des contre-projets,
- de les étayer économiquement en y intégrant des hypothèses de recours à des emprunts souscrits auprès du système bancaire et bonifiés par des fonds régionaux pour financer les investissements associés à ces contre-projets,
- de passer à une nouvelle étape incontournable, consistant en une analyse fouillée par la Direction d’Entreprise,
- et, en cas de divergence, de recourir à l’arbitrage exercé par une Commission régionale, prévue à cet effet, capable d’intégrer dans les décisions à prendre, la réalité du bassin d’emploi, bien sûr.
La journée a aussi fait une bonne place à la technologie, aux mutations amenées à apporter les correctifs nécessaires, essentiellement sous l’angle de la contribution du transport aérien aux pollutions écologiques, aux gaz à effet de serre, et aux évolutions climatiques.
On a beaucoup parlé de l’hydrogène, des problèmes que pose l’embarcabilité d’un fluide aussi peu dense, de l’opportunité éventuelle d’intégrer des étapes intermédiaires basés sur l’utilisation de différents carburants de substitution (1ère, 2ème et 3ème génération), des évolutions possibles d’architecture pour les futurs avions, des motorisations à haut taux de dilution, y compris celle dont le taux de dilution est tellement diminué que le carénage du flux primaire est renvoyé à l’infini. C’est ainsi que le tout nouveau moteur expérimental de SAFRAN, baptisé OPEN ROTOR , s’immisce dans les débats.
On a parlé aussi des données économiques produites par les directions d’entreprises et de groupes et qui sont censés permettre de juger de la pérennité de l’entreprise. Et le fait est qu’il y a quantité d’informations à extraire des documents d’enregistrement universel (DEU), document qu’il est obligatoire de produire, par tout groupe ou société cotée en Bourse. Oui, mais il y a un hic, l’absence d’information relative aux comptes de chaque filiale, dans le cadre d’un DEU. Alors les comptes pour cette filiale ? Absents. Et, pourtant, il s’agit d’une somme de données capitales, tant pour le groupe que pour la pérennité de la filiale. En particulier, le compte d’exploitation d’une filiale permet de juger de la situation locale, de juger de la valeur ajoutée ainsi créée. Ce qui permet de se prémunir contre des raisonnements à l’emporte-pièce pouvant conduire à l’externalisation de certaines activités ou tâches. Mesurer le ratio de la masse salariale à l’ensemble de la VA donne un jugement fiable sur la pérennité de la filiale. D’où l’on peut tirer des projections de la VA et sur son utilisation pour les années suivantes.
Restent plusieurs points dont il y aurait lieu de rendre compte plus en détail, même si le temps imparti n’a pas permis approfondir aussi loin que cela l’aurait mérité : le spatial et la défense.
Concernant le spatial, le déséquilibre entre France, Allemagne et Europe est à l’image de ce que nous avons déjà évoqué précédemment pour les centres de recherche (ONERA et CNES, et DLR).
Reste alors un dernier point à rendre compte : les questions de défense et d’équipement aéroporté. Il y a une question importante qui n’a pas été traitée : c’est la place de Dassault, et, en particulier, la place contradictoire des groupes comme Dassault qui à la fois jouent le rôle du privé et à la fois le rôle de défense nationale. Et particulièrement intéressant, le cas du projet SCAF, dont on ne sait toujours pas réellement s’il démarrera en l’état, tant est osé le sens du projet et des objectifs visés, à savoir profiter de l ’occasion de permettre à l‘Allemagne de rattraper son retard découlant des décisions prises en 1945, et maintenues jusqu’à aujourd’hui depuis 1945 pour des raisons politiques que l’on comprend aisément.
Voilà les quelques éléments de conclusion que je peux apporter. Bien sûr, le travail fourni en une seule journée est considérable. Ignorer le « reste à faire » pour que l’ensemble des salariés s’emparent de ces questions serait irresponsable. Comment travailler sans complexe ni esprit de capitulation. C’est à partir de là que pourront se redéployer des perspectives de progrès, voire une alternative progressiste. Pour garantir une chance de succès à ces travaux restant à faire, il y a lieu de maintenir la dimension mondiale des travaux à effectuer, y compris sous un angle de coopération.