Exposé présenté à l’université d’été du PCF, le 28 août 2022.
Un peu d’histoire… de la fiscalité
La France, trop longtemps sous la coupe de la toute-puissance de la monarchie absolue, a fait sa Révolution fiscale en 1789. Jusque-là, depuis Philippe Le Bel, l’impôt était justifié par la guerre… (dépenses exceptionnelles à financer). Avant, au XIIe siècle, des tentatives avaient été faites par exemple d’une imposition sur les marchandises mais la bronca avait été si forte que le roi avait dû renoncer.
Malgré tout, peu à peu, une fiscalité s’est construite notamment à partir du développement des échanges monétaires et d’une centralisation de l’administration d’État opéré par la royauté, ce qui a conduit à l’avènement d’une fiscalité, essentiellement des taxes sur la consommation (gabelle), et aussi des taxes prélevées par les seigneurs.
L’avènement de la révolution de 1789, née de la misère du peuple mais aussi des disparités fiscales entre féodalités et de la constatation de l’opacité financière de l’État, rompt avec la fiscalité de l’Ancien Régime. La primeur est donnée à un impôt sur la rente. Sont inscrits dans la constitution le libre consentement à l’impôt et la définition transparente de l’assiette fiscale. C’est alors que s’amorce la transition d’une fiscalité exclusivement indirecte vers une fiscalité directe. Cela a pourtant du mal à se concrétiser car on passe à une fiscalité directe certes mais indiciaire (fiscalité du foncier) alors que la fiscalité des revenus demeure marginale, la bourgeoisie s’y opposant cela pendant quasiment un siècle ; jusqu’en 1914.
Ce n’est qu’ensuite que l’outil le plus puissant de la fiscalité directe se développera au XXe siècle, particulièrement après la Première guerre mondiale (l’impôt sur le revenu progressif naît en 1914), et ce sera l’impôt sur le revenu (IR) que nous connaissons encore. Il fallait pouvoir répondre à l’énorme besoin d’argent pour développer le pays par l’installation des services publics.
Puis on commence alors à parler sérieusement de la fonction redistributrice de l’impôt. Pour être complet, ce siècle verra aussi la montée en charge de différents autres impôts directs comme l’Impôt sur les sociétés et la fiscalité des droits de mutations, toute la fiscalité locale et l’impôt sur la fortune. Mais la particularité qui mérite d’être soulignée est celle de la progressivité qui a été d’emblée attachée à la construction de l’impôt sur le revenu (nombre de tranches) et qui est une conception particulièrement juste et dynamique des prélèvements fiscaux. Cette progressivité concerne aussi les droits de mutations à titre gratuit (succession, donation) et à titre onéreux (vente) puis l’impôt sur les grandes fortunes (IGF) devenu impôt sur la forune immobilière (IFI).
Aujourd’hui, le débat ne porte plus tellement sur la légitimité de l’existence de l’impôt mais sur les redistributions qu’il permet, ce qui d’une certaine manière en remet en cause la légitimité. D’une certaine manière, on peut aussi dire que la démocratie a fait de l’impôt son ciment.
L’évolution de la structure et du rôle de la fiscalité
Alors que le débat et que la bataille s’étaient portés entre fiscalité de l’ancien régime et du nouveau régime (après 1789), sur la structure des prélèvements fiscaux, c’est-à-dire un rééquilibrage entre fiscalité indirecte et fiscalité directe, depuis les années 80 nous assistons à un mouvement inverse qui peut légitimement nous faire dire que nous retournons à une fiscalité type Ancien régime.
Depuis plus de 40 ans, une révolution fiscale conservatrice sévit. Portée par tous les gouvernements qui se sont succédés, en convergence avec les traités européens, cette politique a contribué au rationnement des services publics jusqu’à réduire à portion congrue les régimes fiscaux favorisant une plus juste répartition des richesses (justice fiscale, chacun contribue en fonction de ses moyens…) et incitant à des modes de production plus économes en capital matériel et financier et favorisant l’homme et la planète (Taxe professionnelle).
C’est ainsi que les impôts indirects – taxes à taux proportionnel mais aussi impôts directs proportionnel (car ce qui est juste, c’est la progressivité) – ont pris le dessus sur les impôts progressifs jusqu’à réduire à portion congrue la part de ces derniers dans les recettes fiscales de l’État. Cette dérive accentue l’injustice fiscale et sociale. Non seulement les plus hauts revenus, les détenteurs de fortunes et de capitaux et le capital ne supportent plus qu’une fiscalité marginale mais les plus modestes voient peser sur eux un taux de prélèvements de plus en plus élevé contribuant à dégrader leur pouvoir d’achat. Les chiffres sont édifiants.
Les principales recettes fiscales sont aujourd’hui :
Taxes proportionnelles :
- La TVA : 192 milliards d’euros est le rendement prévu en 2022 dont 84 % proviennent du taux normal de 20 % sur les biens et services. Cela représente 4 800 euros par an et par foyer fiscal mais un taux de prélèvement de 14 % pour un revenu au SMIC alors que ce taux n’est plus que de 5 % pour les 10 % de foyers les plus riches. De plus, toute hausse de la TVA a un effet régressif sur les faibles revenus.
- La TVA est devenue une sorte de couteau suisse servant indifféremment à payer les dépenses de l’État, celles de protection sociale -exos des cotisations sociales des entreprises dont le CICE- et celles des collectivités locales (suppression de la TH ou de la TF bâtie pour les régions). Manière comme une autre de faire contribuer tout le monde à tout…
- La CSG (Contribution Sociale Généralisée). Autre impôt proportionnel, assis sur les revenus du travail, du patrimoine et du capital, la CSG devrait rapporter 133 milliards d’euros en 2022, 140 milliards au total CRDS (Contribution au Remboursement de la dette sociale) incluse. Or 89 % de son produit provient des salaires et pensions de retraite, 10 % viennent du capital.
- La TICPE, (Taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques) : TICPE 35 milliards + 17 Milliards de TVA (TVA appliquée deux fois sur les produits énergétiques) soit un total de 52 milliards. En fait, c’est la nouvelle gabelle !
Impôts progressifs
- L’IR (impôt sur le revenu) est le seul digne de ce nom : 80 milliards (à signaler que chaque année la retenue à la source génère une avance de trésorerie de 10 milliards pour l’État).
- La progressivité, soyons clairs ! Ce ne sont pas tous les revenus perçus qui sont imposés au taux maximum (sommital) en l’occurrence de 45 % en cas de hauts revenus. L’imposition s’effectue progressivement par tranches. Ainsi, les revenus des 39 000 foyers imposables à la tranche de 45 % ne subissent en réel qu’un taux de prélèvement global de 21 % sur l’ensemble de leurs revenus.
- Autre impôt progressif, l’IFI (impôt sur la fortune immobilière) qui comporte 4 taux mais dont le rapport depuis la suppression de l’ISF est passé de 4 milliards d’euros à 1,3 milliard.
- Les droits de mutation à titre onéreux ou gratuit (DMTO et DMTG) sont aussi progressifs… (produit 15 Milliards pour les seuls DMTO).
- Un impôt entre deux, l’impôt sur les sociétés (l’IS): 46 milliards (il faut remarquer que la seule taxe foncière procure un produit de 40 milliards d’euros, quasiment autant que l’IS).
Taux passé à 25 % mais finalement un taux réel encore beaucoup plus bas : de 15 % du fait de différents abattements à la base, notamment du fait des largesses accordées aux grands groupes qui supportent, eux, un taux réel que de 9 %.
- Ajoutons donc aussi le seul impôt direct local qui reste, la taxe foncière : 40 milliards (impôt proportionnel indiciaire).
- La CVAE supprimée (15 milliards d’euros), La CFE (cotisation foncière des entreprises), cela ne saurait tarder… la double imposition d’une même base sera bientôt invoquée… par le Medef.
Les résultats parlent d’eux-mêmes :
- Produit des taxes sur la consommation et impôts proportionnel (CSG) : 373 Milliards d’euros. (75 %) ;
- Produit des impôts progressifs : 83,6 milliards d’euros (soit 17 %) ;
- 46 milliards au titre de l’IS, impôt ambivalent avec un soupçon de progressivité -un taux de 19 % appliqué dans des limites de chiffre d’affaires et de résultat- (soit 7,9 %).
L’alternative : il faut une révolution fiscale.
On mesure l’injustice de tels types de prélèvements pour la majorité du peuple, on en serait presque revenu à la taille et à la gabelle !
En fait, l’ultra majorité des prélèvements fiscaux est supportée par des ménages aux revenus modestes et moyens. Une évolution qui n’a cessé depuis les années 50 comme le montre Jean-Yves Nizet (sauf entre 1952 et 1954 ou les impôts directs ont été renforcés en tant que moyen de combattre l’inflation) mais très accentuée depuis 1980. Une évolution à apprécier en intégrant le fait qu’aujourd’hui le salaire médian est actuellement de 1 940 euros par mois. Par contre, pour les riches comme pour les entreprises c’est bingo.
Il faut d’urgence stopper une telle dérive, sortir de cette conception punitive de la fiscalité (consommateur/payeur) et inverser la tendance.
L’enjeu, c’est taxer le capital et soutenir le travail !
1- La fiscalité est le carburant des services publics.
Les recettes fiscales nettes (hors CSG impôt fléché vers le financement de la Sécurité sociale), représentent 280 milliards sur 291 milliards de recettes totales nettes. Elles sont le premier poste de rentrées budgétaires de l’État sur un budget global de 390 milliards. On mesure l’impact de l’évolution de telles recettes sur le financement des services publics, c’est-à-dire sur leur fonctionnement : dépenses de personnels et dépenses de fonctionnement courant des services. Bon moyen (levier) pour rationner la dépense publique des collectivités locales comme de l’État.
2- Fiscalité, une double fonction : répartir la richesse et inciter à son utilisation pour un autre modèle de production et de société.
La fiscalité a pour rôle d’atténuer les inégalités sociales, notamment par l’offre de services publics qu’elle permet de proposer à la population. C’est un régulateur social considérable et un outil important de la solidarité nationale. Cela dit, la fiscalité ne peut se substituer à la politique salariale (cadeaux fiscaux de la Macronie, aides ponctuelles et crédit d’impôt à tour de bras – impôt négatif).
Mais la fiscalité, et on l’oublie trop souvent pour ne retenir que son rôle de répartition, a aussi une fonction incitative, à bien des égards décisive. Je ne prendrai que deux exemples. Le premier concerne la fiscalité des personnes. La politique fiscale familiale, avec le choix particulièrement efficace, fait en son temps, d’instauration du quotient familial. L’autre cas se rapporte à la fiscalité des entreprises, et particulièrement aux politiques d’encouragement à l’investissement, voire de concentration des activités (fonds de commerce, valorisation, transmission, gestion des amortissements…)
Différentes mesures ont fortement affecté l’investissement par leur impact sur le coût du capital (ou sur le coût relatif capital-travail) avec les conséquences sur les moyens d’autofinancement des entreprises. Si on peut mesurer la dimension néfaste de ces mesures sur l’emploi et sur l’investissement réel, les entreprises et les actionnaires peuvent en mesurer l’effet positif pour l’amélioration de la rentabilité de leurs placements financiers.
On remarquera ainsi l’effet économique conséquent de la politique fiscale et des dispositifs fiscaux qu’elle préconise avec une fonction incitative déterminante dans l’utilisation des richesses qui se créent à l’entreprise (l’argent des entreprises). D’où la nécessité d’une réforme fiscale en profondeur à ce niveau avec l’objectif d’une incitation qui se situe aux antipodes des visées actuellement poursuivies.
3- La fiscalité, levier inséparable d’une autre politique du crédit et des banques.
La fiscalité, carburant des services publics, la fiscalité outil de répartition des richesses et d’incitation à une autre façon de les utiliser et au final de les produire, cela est avéré. Mais chacun sait que la fiscalité, ce sont des taux appliqués à une base. Et si le taux a un effet certain sur la recette fiscale, la base sur laquelle sont appliqués ces taux en a tout autant, sinon plus ! Mais comment accroître cette base sans consentir des investissements massifs et coûteux dans l‘outil de travail mais aussi dans la formation (machines, locaux, technologies informationnelles, recherche…) et dans les services publics ? Et cet argent, où le trouver sinon auprès des banques, en premier lieu de la BCE (fonds pour les services publics) ce qui suppose une autre utilisation de l’euro ?
Il s’agit, pour être efficace, que ce crédit bancaire soit assorti de critères sélectifs permettant que ses taux soient d’autant plus abaissés qu’il servira à financer des investissements qui au final participeront à développer l’emploi, la formation et à s’inscrire dans une politique de haute qualité environnementale. Ainsi ce crédit contribuera à développer la base d’imposition non seulement des entreprises (nouvelle création de richesses) mais aussi des personnes (qualifications, salaires) et se traduira, au final, par l’accroissement de l’ensemble des recettes fiscales.
Dans la construction de cette nouvelle politique du crédit, une fiscalité incitative à un autre mode de production de la richesse a un rôle déterminant. Car elle permettra par une modulation de l’impôt sur les sociétés (imposition des bénéfices des entreprises) d’empêcher que la richesse nouvellement créée grâce à l’apport du crédit, n’aille à l’augmentation du coût du capital (dividendes, opérations de restructuration, placements financiers).
L’un offre le terreau pour créer plus de richesses, l’autre vient assurer leur bonne utilisation, ce qui suppose obligatoirement une évolution considérable des missions de gestion et de contrôle de l’impôt par les services de l’actuelle DGFIP, et des pouvoirs de contrôle et d’intervention des salariés eux-mêmes en lien par exemple avec les comités d’entreprises (droit de saisine de l’administration fiscale).
Cela suppose une réforme fiscale d’ampleur reposant sur un retour de la progressivité des prélèvements, la recherche d’une incitation positive à l’utilisation donc à d’autres modes de production des richesses dans notre pays.
Fiscalité indirecte et proportionnelle
L’objectif est clairement de réduire la part de fiscalité indirecte dans les recettes fiscales (75 % aujourd’hui).
- TVA Un taux zéro pour les produits de première nécessité (pain, eau, lait…). Un taux réduit de 5,5 % sur les produits de consommation courante (électricité, gaz, téléphone et internet, nourriture et habillement) sauf produits de luxe auxquels le taux normal serait appliqué, taux qu’il est proposé de ramener à 19 %.
- TICPE : instaurer un seul taux pour toute la France ; donc supprimer les variations régionales. Supprimer la TVA appliquée sur cette taxe. Instaurer une TICPE flottante.
Fiscalité directe et progressive
Refondre l’impôt sur le revenu (IR)
- Établir un impôt sur le revenu universel, soumettant de façon identique les revenus du travail et du capital à l’imposition progressive. Plus progressif (plus de tranches, accélération de la progressivité). Pas de fusion de ce nouvel IR avec la CSG mais extinction de la CSG au fur et à mesure qu’entrerait en vigueur la réforme du financement de la protection sociale ;
- Maintien des notions de foyer fiscal et de quotient familial, certes à retravailler ;
- Mode de prélèvement : Fin de la retenue à la source (consentement à l’impôt, respect de la vie privée, employeur collecteur d’impôt).
Un nouvel impôt sur la fortune (ISF)
- Maintenir et accentuer son caractère progressif et Intégrer au calcul de la base de l’ISF les biens professionnels des entreprises modulés en fonction de l’effort en faveur de l’emploi et des salaires ;
Changer l’Impôt sur les sociétés (IS) pour en accroître le rendement et l’efficacité
- rendre l’IS progressif sur 5 tranches avec un taux minimum de 21 % et un taux sommital de 45 %. Cette progressivité serait établie à partir d’un mixte entre le chiffre d’affaires et des tranches de résultat pour tenir compte de la situation des TPE et PME (critères : taille des entreprises et valeur ajoutée créée) ;
- moduler son montant selon l’utilisation des bénéfices en faveur ou non à des investissements favorables à la création d’emplois, à la formation et à l’écologie. Le taux initial de base attaché à chaque tranche serait fortement augmenté si les bénéfices servent à spéculer au lieu de financer l’emploi, les salaires et des investissements écologiques ;
- soumettre l’ensemble des revenus financiers et des plus-values réalisées par les entreprises à cet impôt (Niche Copé notamment supprimée) ;
- mettre fin aux crédits d’impôts CIR, ainsi qu’au CICE aujourd’hui transformé en exonération de cotisations sociales ;
- retravailler l’assiette de l’IS (report des déficits, amortissements dérogatoires, régime de la fiscalité de groupe, prix de transferts managements fees…).
Un impôt local sur le capital
Le lien des entreprises aux territoires est fort. Elles bénéficient des infrastructures mises à leur disposition par les collectivités, elles ont une interaction avec les politiques environnementales locales, elles bénéficient des politiques locales sportives, de formation, de culture à destination entre-autre, de leurs salariés et de leur famille. C’est pourquoi les entreprises ont une responsabilité sociale et territoriale importante. Il s’agit d’en créer les conditions.
À cette fin, il serait proposé de créer un impôt local sur le capital des entreprises. Sa base serait calculée sur la valeur de leurs biens immeubles, de leurs équipements et biens meubles, selon la même règle pour toutes les catégories d’entreprises. Cette base pourrait être modulée selon un ratio entre montant des salaires et montant des investissements matériels.
Ce nouvel impôt serait complété par une contribution additionnelle au taux de 0,5 % sur les actifs financiers des entreprises non financières et financières. Le produit de cette taxation opérée nationalement (au minimum 15 milliards d’euros) serait ensuite affecté aux communes en fonction de leur richesse.