Exposé à l’université d’été du PCF, le 27 août 2022
Le capitalisme est-il à la veille de s’effondrer ? Ou bien, au contraire, faut-il croire qu’il n’est pas en crise puisque « l’abondance n’a jamais été aussi grande pour les riches » ? Pour démêler cette question évidemment très importante du point de vue politique, la théorie marxiste et ses développements contemporains mettent en évidence, dans l’« analyse concrète de situations concrètes », comment la régulation de l’économie capitaliste engendre la complexité de ses évolutions et de ses transformations en réponse à ses contradictions fondamentales, sans parvenir à les surmonter.
Le capitalisme est instable et en crise. Ce n’est pas une nouvelle. Les manifestations de cette crise sont multiples et bien connues. Même quand périodiquement, une reprise économique est constatée (lorsque le taux de croissance est positif), cela ne colle pas avec la réalité qui est le chômage persistant (alors même que les salariés se plaignent d’un sous-effectif dans les entreprises), l’appauvrissement d’une partie de la population, une détérioration de nos services publics, un sous-investissement dans les entreprises productives qui répondent aux besoins et dans la formation. Mais pourquoi, depuis des siècles qu’existe ce système et depuis le temps que l’on parle de sa crise, existe-t-il toujours ?
Certains pensent, surtout chez les économistes les plus mainstream, que Marx se serait trompé car il aurait, d’après eux, prophétisé la fin inévitable du capitalisme (comme si celle-ci serait mécanique). Or, Marx et ses continuateurs ont montré que le capitalisme est un système, beaucoup plus complexe que cela, qui réagit à ses propres contradictions. C’est un système économique qui repose sur l’accumulation du capital et une organisation de la production par le salariat, dans le but de réaliser un profit. Cette accumulation du capital est régie par une tendance à l’excès, non pas au-delà de ce qui est nécessaire pour répondre aux besoins, mais au regard des possibilités de profit à un moment donné (suraccumulation de capital). Cette tendance va nécessiter des efforts constants des capitalistes pour restaurer leur taux de profit, y compris, au niveau global, par la destruction d’une partie du capital ou en le privant de sa part de profit (dévalorisation). L’évolution du capitalisme, qui n’est pas un système statique, est guidée par ces tendances qui sont à l’origine de crises, aujourd’hui de plus en plus graves et imprévisibles. « Accumulation de la richesse à un pôle, c’est égale accumulation de pauvreté, de souffrance, d’ignorance, d’abrutissement, de dégradation morale, d’esclavage, au pôle opposé » disait Marx[1].
Le but de cet article n’est pas simplement de mettre en lumière les maux du capitalisme (ceux-ci sont développés dans le Livre I du Capital avec la démonstration de l’existence de la plus-value et de l’exploitation des hommes et de la nature dans le système capitaliste). Il s’agit plutôt de présente son dynamisme, son mouvement historique en reconnaissant tout d’abord l’incroyable progrès qu’il a permis dans le développement des forces productives (c’est-à-dire le développement des technologies, des infrastructures de production, etc.) et dans les libertés individuelles qu’il a facilité. Mais aussi d’en dégager ses contradictions (par exemple : le capitalisme a inventé le travail « libre » des corporations, mais aussi créée son corollaire : le chômage) qui en fait un système instable dont le risque est une régression des droits, des conditions de vie, une accumulation de souffrance et de violence, mais également une incapacité à produire efficacement. En effet, aujourd’hui, il est incapable de répondre à la crise écologique, de former des personnels qualifiés en quantité suffisante, etc.
Il s’agit aussi d’analyser les stades du capitalisme qui sont des réponses capitalistes aux crises du système. Il est alors possible de montrer que ce système doit être dépassé par un système plus viable, qui conserve les progrès déjà réalisés, mais en apportant de la sécurité dans tous les domaines (physique, économique, sociale, juridique, affective, etc.), ainsi qu’une visée d’émancipation et de paix, plutôt que la boussole des profits de court terme.
L’analyse marxiste de suraccumulation et dévalorisation du capital, amorcée par Marx dans le Livre III du Capital et approfondie par l’école de la régulation systémique créée par Paul Boccara et les économistes du Parti communiste français, est une explication originale dans le champ des théories économiques du fonctionnement du capitalisme et de ses crises. En effet, pour schématiser rapidement, l’analyse dominante en économie balance entre deux explications des crises :
1/ Pour les plus idéalistes : le système économique capitaliste, avec un recours accru au marché, garantit un équilibre parfait capable de répondre aux besoins. Les perturbations (chômage, inflation, krachs boursiers, etc.) sont des « chocs » d’origine extérieure au système que l’on dit exogènes : la décision d’une guerre par un président russe, la propagation d’un virus inattendu… Ces économistes séparent ainsi la sphère économique de toutes les sphères de la société (politique, écologique, sociale) et ils ne voient pas le lien entre le développement du capitalisme et les intérêts impérialistes, ou la dégradation de l’environnement par un mode de production qui épuise la nature à l’origine de la prolifération des maladies, etc. C’est une explication superficielle, non réaliste et non rigoureuse. De plus, les crises sont alors des moments de rééquilibrage plutôt positifs du système contrarié par ces bouleversements extérieurs, qui vont permettre d’éliminer les entreprises les plus archaïques pour relancer la « machine » vers une croissance plus vertueuse. Le système se régulant ainsi seul. C’est ainsi que sont justifiées toutes les politiques de libéralisation. C’est une vision dangereuse car elle abandonne l’ensemble de la classe productive à la violence et l’inefficacité du système. Elle ne permet pas de penser les solutions à ce qui paraît évident aux yeux de tous : l’incapacité du système économique à répondre à l’intégralité des besoins de tous.
2/ La deuxième explication, qui émerge du côté de la social-démocratie à gauche, admet les apories du capitalisme. Ces théoriciens admettent l’instabilité du système et l’apparition de déséquilibres réguliers et endogènes (c’est-à-dire liés au fonctionnement du système économique en lui-même) qui se manifestent par du chômage, de l’inflation ou de la déflation notamment, des inégalités. Mais, parce qu’ils ne voient pas ses contradictions profondes, ils veulent préserver le système actuel en y rajoutant un arbitre, l’État, qui permettrait au marché de mieux fonctionner (en réglementant, taxant, investissant quand le marché ne le fait pas, etc.). Ils ne voient pas la nécessité d’un dépassement du système. Aujourd’hui, il est de plus en plus évident qu’une solution par le « tout État » ne fonctionne pas. De fait, l’ordo-libéralisme actuel est l’organisation de l’intervention étatique pour la défense du capital. Si le recours à l’État pour changer le système est un appui important (quand le pouvoir est aux mains des forces progressistes), il est vain de penser que c’est une solution miracle, sans changer profondément de système.
La théorie de la suraccumulation et dévalorisation du capital est une analyse plus profonde car elle montre que les moments de crises comme celle de 2008 dite « des subprimes », ou celle de 2019-2020 dite « du coronavirus », ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Ainsi, à partir de la compréhension profonde de la dynamique du capitalisme, il est alors possible de proposer des solutions crédibles à l’émancipation, à la paix, à la préservation de l’environnement. Un changement révolutionnaire qui est crédible, réaliste et efficace. La théorie doit être ainsi étudiée de manière rigoureuse non pas pour la beauté de la réflexion comme un but en soit, mais pour servir la pratique et permettre de vraies propositions révolutionnaires.
ENCADRE Quelques rappels de base de l’économie politique marxiste pour comprendre la suite :
- C’est le travail des êtres humains qui créée les richesses économiques en transformant les ressources naturelles en produits utiles. Dans une économie marchande comme le capitalisme, la valeur des marchandises reflète le temps de travail nécessaire à leur production.
- On rémunère le salarié non pas pour la valeur des marchandises produites par son travail, mais pour la valeur de la marchandise qu’il vend à son employeur contre un salaire : l’usage de sa force de travail pour une durée donnée. Le salarié ne touche pas l’intégralité de la valeur que produit son travail : une partie de son temps de travail lui sert à créer la valeur de sa force de travail pour laquelle il touchera un salaire, une partie de son temps de travail crée la plus-value (le sur-travail), qui est transformée ensuite en profit. Le salaire « prend la forme » de la rémunération du travail dans sa totalité, mais ne rémunère qu’une partie de ce travail : c’est là le cœur de l’exploitation capitaliste.
- Le capitaliste n’agit pas ainsi simplement parce qu’il est amoral, il s’agit d’un système économique : les capitalistes agissent ainsi car la concurrence les pousse à compresser leurs coûts pour remporter le marché. Ils justifient ainsi l’exploitation salariale par un discours idéologique qui explique « qu’il n’y a pas le choix » et en passant par le chantage à l’emploi avec le discours « salaire ou emploi, il faut choisir ».
Baisse tendancielle du taux de profit et suraccumulation du capital : l’explication marxiste aux crises du système capitalisme.
Le taux de profit comme régulateur du système capitaliste.
Le but de la production capitaliste est la valorisation du capital, c’est-à-dire l’argent pour l’argent. Le capital est sans cesse réinvesti dans l’activité économique afin de produire encore davantage d’argent. Marx note cette logique : A-M-M’-A’. A représente le capital initialement investi dans des moyens de produire et de la force de travail qui sont des marchandises M. Cela permet de créer une marchandise M’ qui, par le biais de la création d’une plus-value, permet de récupérer une somme A’ après l’échange qui est plus importante que A. La différence entre A’et A est le profit. (Voir image 1)
Image 1 :
Mais le profit réalisé n’est pas ce qui intéresse le plus les capitalistes. C’est le taux de profit qui les intéresse : c’est-à-dire le profit qu’ils peuvent réaliser par rapport à ce qu’ils ont investi à l’origine. Taux de profit se note : (A’-A)/A. On comprend alors mieux pourquoi certaines entreprises qui réalisent des profits ferment néanmoins, elles sont rentables, mais pas suffisamment « profitables ». Elles ne génèrent pas suffisamment de profit au vu des exigences des actionnaires et vont être par exemple, moins rentables pour eux que des placements spéculatifs sur les marchés financiers.
Le taux de profit, voire même le taux de profit anticipé par les entreprises (celui que les investisseurs anticipent lorsqu’ils font leur choix d’investissement) est ainsi le régulateur central du capitalisme : il guide les décisions d’investissement des capitalistes. Ceux-ci vont même se fier à un taux de profit anticipé et pas encore réalisé en vue de guider leur choix. Si le taux de profit anticipé est élevé, les capitalistes investissent. Pour cela, ils font appel aux crédits ou aux emprunts sur les marchés financiers qu’ils comptent rembourser avec les profits futurs. Il est donc vitale pour eux que le taux de profit envisagé se réalise effectivement par la production, la vente des marchandises et l’exploitation du sur-travail. Cet argent va être utilisé à l’achat de capital constant (qui est du travail mort : machines, outils, consommations intermédiaires), et du capital variable qui représente les salaires. Le taux de profit peut alors se noter également Pl/C+V où Pl = plus-value ; C = capital constant et V = capital variable. Pl/C+V représente la plus-value réalisée par rapport à l’investissement initial en capital constant et capital variable.
C’est en fonction du taux de profit que la production va s’étendre ou se limiter. Ce ne sont pas les besoins qui guident la production.
L’accumulation du capital créée une tendance à la baisse du taux de profit.
Une partie du profit réalisé par les capitalistes sert à leur consommation personnelle, le reste (la large majorité) est aussitôt réinvesti par l’achat de moyens de production : il est accumulé en capital. Les capitalistes sont en effet dans une course pour être le premier à exploiter le nouveau marché, la nouvelle technologie, etc. Cela leur permet de faire des économies de travail, de baisser le prix des marchandises et attirer les acheteurs, tout en gardant une marge plus élevée.
Cette accumulation de capital va les pousser à gagner en productivité mais pour cela ils remplacent du travail vivant (la main d’œuvre) par du travail mort (des machines). On dit que la composition organique du capital s’élève. Les entreprises inondent les marchés de marchandises car ils agissent ainsi tous en même temps : l’offre de marchandises est plus grande que la demande, les prix sont tirés à la baisse plus qu’anticipé et rogne sur les marges des entreprises. En conséquence, le taux de profit diminue plutôt que d’augmenter. Le profit des capitalistes augmente moins que ce qu’ils ont anticipé.
Ce phénomène est amplifié par l’augmentation des travailleurs non-employés, remplacés par les machines. La création de ce chômage est volontaire car elle permet aux capitalistes de créer une concurrence entre les travailleurs et tirer leurs salaires vers le bas. Mais cela baisse également la demande de marchandises alors que celles-ci inondent le marché. C’est ainsi que l’on parle de crise de surproduction : l’offre, tirée par la productivité ne trouve pas sa demande.
La surproduction ne signifie pas que trop de subsistances sont produites par rapport à la population existante. Au contraire, on ne produit pas assez certains produits. On produit trop par rapport à ce que la demande est capable d’assimiler au vu des revenus distribués (autant aux ménages qu’aux entreprises et à l’État pour investir).
La baisse tendancielle du taux de profit montre ainsi que le taux de profit global d’une société baisse progressivement par le fait que les capitalistes font le choix de remplacer des travailleurs par des machines. Cette baisse du taux de profit n’est pas nécessairement constaté dans tous les secteurs, ni au même moment : certains sont plus touchés que d’autres. De plus, ce n’est pas une prophétie qui prévoit la fin du capitalisme, mais une tendance générale à son évolution. D’ailleurs, face à cette baisse du taux de profit, les capitalismes vont tenter de trouver des solutions que l’on appelle les contre-tendances à la baisse tendancielle du taux de profit.
1/ L’augmentation du degré d’exploitation du travail. Le taux de plus-value peut se relever en augmentant la plus-value absolue par l’augmentation du temps de travail et/ou la baisse des salaires. Pour cela le capitalisme utilise à son profit des populations précaires qui acceptent des salaires bas et jouent sur les discriminations déjà présentes dans la société : travail des immigrés, des femmes, travail des jeunes. La baisse des salaires réels, dans le cadre de l’inflation actuelle, constitue un moyen d’augmenter le degré d’exploitation : les entreprises vendent plus chères leurs marchandises mais rémunèrent relativement moins leurs salariés. La plus-value relative peut aussi augmenter par l’intensification du travail et l’augmentation de la productivité. (Voir image 2)
2/ Economie du capital constant. Les capitalistes vont chercher à réduire le prix des matières premières et de l’énergie. Le développement du commerce extérieur peut permettre cela : en mettant davantage en concurrence les économies du monde, les prix tendent à la baisse. Par exemple, en 2017, l’Union européenne met fin aux quotas sur la production de sucre. Ceux-ci permettaient d’éviter la baisse des prix du sucre en limitant les quantités vendues sur les marchés et protégeait ainsi les agriculteurs. La conséquence de cette libéralisation se traduit par une baisse du prix du sucre et un appauvrissement des agriculteurs sucriers.
3/ La conquête de nouveaux marchés : Les capitalistes inondent les marchés de marchandises et de capitaux qui peinent à trouver des débouchés. La conquête de nouveaux marchés permet de trouver ces débouchés notamment par le commerce extérieur. Les nouveaux marchés permettent de placer l’excédent de capitaux dans des activités lucratives : la privatisation des services publics, le développement d’activités spéculatives sont des solutions que trouve le capitalisme au trop plein de capitaux accumulés.
Ces contre-tendances peuvent parvenir à rehausser le taux de profit de manière provisoire, ou à ralentir sa diminution. Mais la tendance générale ne change pas. Non seulement, on voit tout de suite que ces solutions pèsent sur les salaires ainsi que sur les revenus de certains indépendants dont la baisse du prix des marchandises ne leur permettent plus de se rémunérer correctement, mais elles renforcent encore davantage la baisse du taux de profit en accumulant encore davantage de capital au détriment du travail, source de la valeur et de la plus-value.
Le mode de production capitaliste passe par des phases de suraccumulation du capital
La baisse tendancielle du taux de profit et ses réponses capitalistes entraînent l’accélération de l’accumulation du capital et de sa concentration (en éliminant les petites industries qui ne parviennent pas à relever leur taux de profit). Celle-ci accélère à son tour la baisse tendancielle du taux de profit. On a ainsi d’un côté une masse incroyable de capitaux inemployés (qui va alimenter la spéculation plutôt que la production) et une masse de travailleurs sans emploi.
On parle alors de suraccumulation/surproduction de capital, qui désigne un trop-plein de capitaux dans l’économie qui parvient de moins en moins à être valorisé. C’est-à-dire qu’un investissement plus important en capital rapporterait, progressivement, relativement moins de plus-value. Il ne faut pas confondre suraccumulation du capital et surproduction de marchandises même si celle-ci accompagne la suraccumulation de capital. De plus, de la même manière qu’il ne faut pas comprendre la surproduction de marchandises comme un trop-plein de marchandises dont la population ne saurait quoi faire, il ne faut pas comprendre la suraccumulation du capital comme une production excessive d’entreprises, de machines, etc. alors même qu’on serait au plein-emploi, mais un capital excessif pour qu’il puisse être rentabilisé à un certain niveau de profit.
Bien que les capitalistes réagissent pour que cela n’arrive pas, on pourrait imaginer une situation de suraccumulation absolue qui serait la situation où il n’est plus possible d’augmenter l’exploitation du travail (on ne peut pas extraire à l’infini la plus-value, ne serait-ce que parce que le nombre de travailleurs exploitables est limité dans un pays donné et au vu des normes salariales du pays en terme de durée de travail, grilles salariales, etc.), et donc l’augmentation du capital investi ne parvient pas à générer une masse de plus-value plus importante, voire génère une plus-value plus faible.
Dans l’image 3, on image une entreprise réalisant des lave-linges qui réalise un taux de profit de 20 % (200/1000) puis réinvestit intégralement sa plus-value dans l’achat de moyen de production supplémentaire. Dans un premier temps, il augmente sa production et son taux de profit (400/1200 = 33 %), mais dans un deuxième temps, l’investissement de 400€ supplémentaire ne lui rapporte pas de plus-value supplémentaire (toujours 400€ de plus) et son taux de profit baisse (400/1600 = 25 %) : il y a suraccumulation absolue de capital.
La solution capitaliste pour repartir dans la course au profit est la dévalorisation du capital.
Les crises conjoncturelles sont des dévalorisations conjoncturelles du capital.
Une crise peut être définie comme un moment de retournement de la conjoncture économique. Cette définition renvoie à un épisode plus ou moins bref qui a des conséquences qui peuvent être elles longues. C’est par exemple un krach boursier, un arrêt de l’activité économique suite à un virus, une guerre qui modifie l’organisation de la production, etc.
L’analyse marxiste nous permet de comprendre qu’au moment où la crise apparaît à tous, c’est la résolution à la suraccumulation du capital qui se poursuivait bien avant. Ces crises conjoncturelles reviennent régulièrement et vont former ce que l’on appelle des cycles courts du capitalisme. Chacune permet la régulation du système.
Cette dévalorisation est une lutte entre les capitalistes pour déterminer quels capitaux seront soit détruits, soit mis en sommeil pour un temps, soit réduit, c’est-à-dire ne serviront plus et permettront d’atténuer l’accumulation du capital. Il s’agit de déterminer qui va gagner et qui va perdre. Et cette lutte à des conséquences terribles : fermetures d’entreprises, destructions de machines, baisse de la valeur des actions sur les marchés financiers, destruction des stocks de marchandises, détérioration des services publics, etc.
Les dévalorisations structurelles du capital : le passage vers des stades nouveaux du capitalisme.
La crise est donc un moment, mais est aussi globalement une période de difficultés profondes et peuvent s’observer à travers les cycles longs (Kondratiev). La structure capitaliste (sa manière de se réguler) elle-même traverse une crise. Le capitalisme va alors changer en profondeur, tout en gardant sa logique d’accumulation du capital et d’exploitation du travail, notamment par la modification des institutions qui encadrent le système : Le rôle de l’État, l’organisation du commerce international, l’organisation du rapport salarial, le mode de financement de l’économie.
- Le capitalisme concurrentiel du XIXe siècle va entrer en crise et un capitalisme monopoliste ou impérialiste va émerger au début du XXe siècle. Celui-ci est étudié par Lénine qui décrit la concentration du capital, l’organisation en centres et périphéries d’un capitalisme colonialiste où les capitaux excédentaires sont placés à l’étranger. Les capitalistes trouvent alors de nouveaux marchés et une population exploitable. Le recours au crédit s’étend très largement et le capitaliste financier prend une place nouvelle et dominante en formant une oligarchie avec le capitaliste industriel. Des innovations accroissent la productivité notamment avec la généralisation de l’organisation scientifique du travail de type tayloriste et fordiste et les machines semi-automatiques.
- Le capitalisme monopoliste d’État voire d’État social est un nouveau stade qui apparaît à l’entre-deux guerres et connaît une phase d’essor à la sortie de la guerre avant de rentrer en crise à la fin des années 1960. Il s’agit d’un nouveau rôle donné à l’État dans la phase monopoliste. En effet, celui-ci prend en charge certaines activités stratégiques pour les entreprises à un taux de profit réduit, permettant aux entreprises privées de relever leurs taux de profits. L’État fournit aux entreprises des ressources moins chères via ses services publics (énergie, transport, et maintien d’une force de travail productive grâce aux hôpitaux et l’Ecole gratuite et obligatoire). Par exemple, l’État prend en charge la recherche et développement dans les entreprises, essentielle pour gagner la course aux profits et qui nécessitent un investissement très important, sans attendre de profit sur cet investissement. L’État fournit un débouché aux entreprises par le biais de la commande publique. L’État fournit des crédits bon marché par les banques nationalisées ou aujourd’hui par une intervention de la banque centrale qui fournit des taux très bas aux banques.
- Cette phase est concomitante avec un début de socialisation c’est-à-dire une mise en commun de la valeur crée via le développement des services publics, la Sécurité sociale, l’augmentation de la part des salaires dans la valeur ajoutée. Cette socialisation est portée par des luttes syndicales victorieuses et le poids de l’URSS dans la géopolitique internationale. Cela permet de maintenir une consommation et un investissement régulier permettant des débouchés et limite les crises de surproduction.
Le CME va alors se financiariser et se mondialiser pour dépasser ses contradictions qui apparaissent dès les années 1960. Dans les années 1980, les dernières barrières à l’internationalisation des capitaux sautent, la production s’internationalisent avec les firmes, le financement par les marchés financiers prévaut. Un néo-impérialisme s’installe avec à sa tête les grandes firmes et banques internationales. L’État change de rôle en organisant cette fois-ci sa privatisation : cela permet aux entreprises privées de gagner de nouveaux marchés lucratifs, auparavant monopole de l’État et d’imposer la logique de rentabilité aux salariés.
Qu’en est-il aujourd’hui ? La crise de 2008 a montré les conséquences de la suraccumulation des capitaux sur les marchés financiers dont on peine à sortir. Le système économique survit depuis par une dévalorisation massive de capital public, c’est-à-dire par l’aide de l’État qui se met au service du capital au prix d’une austérité drastique qui a précipité la crise épidémique. L’État et la BCE continuent aujourd’hui d’alimenter les marchés financiers de monnaie pour maintenir les taux de profit, sans condition. En 2021, un nouveau record historique de versement des dividendes du CAC 40 met en évidence la crise de suraccumulation : il est préférable de verser aux actionnaires l’excès de capitaux plutôt que de réaliser des investissements qui ne génèreraient qu’une faible croissance du profit. Pour rehausser les taux de profit, les capitalistes augmentent l’exploitation salariale : baisse des salaires réels avec l’inflation pas compensée, attaques sur l’emploi à vie des fonctionnaires par la fin des statuts spécifiques, développement de l’apprentissage soutenu par l’État pour faire entrer plus tôt les jeunes sur le marché du travail, etc.
Conclusion : En quoi la théorie peut-elle aider la pratique et les luttes ?
A partir de la théorie de la suraccumulation et de la dévalorisation du capital, on peut observer et analyser rigoureusement l’évolution concrète du capitalisme. Nous pouvons alors expliquer la gravité de la crise actuelle : à la place de crises régulières conjoncturelles, qui rétablissent brièvement les taux de profit, on assiste à des krachs boursiers, des récessions, des reprises, de manière complètement imprévisibles et chaotiques, comme jamais dans l’histoire du capitalisme.
Nous sommes donc bien dans une période propice à un changement révolutionnaire. Le capitalisme est aujourd’hui plus que jamais vulnérable. La concentration des richesses, sans véritable relance de la rentabilité, est la preuve non pas du renforcement du système, mais au contraire de sa fragilité.
Cela signifie que les mobilisations et les luttes pour les services publics, l’emploi, la formation, les salaires, l’environnement, la paix, n’ont besoin que d’une cohérence et une coordination pour être à même de dépasser le système.
[1] Karl Marx, Le Capital, Livre I, 1867