Éditorial
Formation professionnelle, un enjeu de société

Sébastien Laborde
membre du comité exécutif national du PCF

Emmanuel Macron, lors de son discours du 13 septembre, a annoncé les grandes lignes d’une réforme de la voie professionnelle.

Dès le collège, le « monde de l’entreprise » viendra expliquer ce qu’est « la réalité du monde du travail », la formation en apprentissage sera développée, la carte des formations revue pour répondre aux besoins du tissu économique. Il y aura davantage de semaines de stages au détriment des enseignements généraux et des enseignements professionnels en lycée.

Sous couvert de renforcer la voie professionnelle, que celle-ci ne soit plus choisie par défaut, le président de la République poursuit a contrario un seul objectif : répondre aux besoins du patronat.

C’est donc en réalité une conception archaïque et libérale de la voie professionnelle avec le renforcement de l’individualisation des parcours de formation. Les volumes horaires des enseignements seront laissés à l’appréciation des établissements, la carte des formations bâtie en fonction des besoins en main-d’œuvre de l’entreprise sur un territoire donné.

La journée d’action du 18 octobre dernier dans l’enseignement professionnel est historique par l’ampleur de la mobilisation des personnels

L’inquiétude est grande de voir disparaitre l’ambition d’une perspective émancipatrice de l’école pour 680 000 jeunes, pour beaucoup issus de familles populaires, mais aussi celle d’une visée qui considère le travail comme émancipateur.

En réduisant l’apprentissage d’un métier à des gestes techniques, en réduisant l’offre de formation aux besoins immédiats en main d’œuvre du tissu économique, en réduisant la formation professionnelle a des savoirs techniques et un bagage minimal sur le plan des enseignements généraux, le gouvernement applique en fait de vieilles recettes censées résoudre une triple équation : enrayer le chômage des jeunes, répondre aux besoins en main d’œuvre de l’entreprise à moindre coût, individualiser les parcours de formation pour que la concurrence dans la formation, puis sur le « marché du travail » soit la règle absolue.

Le lycée professionnel est depuis toujours au cœur de la contradiction entre besoins patronaux immédiats, volonté de rentabilité à court terme du capital exacerbés en temps de crise et l’enjeu de société de développer une visée émancipatrice de l’école et du travail, relever les défis que posent les crises multiples que nous vivons.

Plus de 680 000 jeunes sont concernés, soit 43 % des jeunes en âge d’être au lycée. Élèves de lycées professionnels ils sont à 72 % des enfants d’ouvriers, d’employés. Souvent orientés par défaut, le lycée professionnel, l’école, reste encore malgré tout, pour eux, la promesse d’un avenir meilleur et le lieu d’acquisition d’une culture commune. L’école reste pour ces jeunes le lieu de l’apprentissage de compétences professionnelles et générales guidées par l’ambition de leur donner les moyens d’exercer leur citoyenneté de manière libre et responsable, dans leur vie et aussi dans l’exercice de leurs futurs métiers. L’école est aussi le lieu où on apprend à apprendre avec un ensemble de compétences indispensables pour suivre une formation professionnelle qui saisisse les mutations au travail, les enjeux de civilisation qui en découlent dans une visée non seulement émancipatrice pour les individus, mais de transformation de la société, des modes de production et de gestion des entreprises.

L’apprentissage présenté comme une voie de réussite, qu’en est-il ?

Il ne s’agit pas ici d’en faire le procès mais de rétablir quelques vérités.

D’abord, il faut rappeler que la place d’un jeune de 15 ans n’est pas au travail. Par conséquent on ne peut considérer de la même manière l’apprentissage pour les mineurs et celui qui concerne de jeunes majeurs qui, après une scolarité en établissement sanctionnée par un diplôme se tournent vers l’apprentissage pour l’obtention d’un diplôme supérieur et qualifiant.

Ensuite, on ne peut nier que l’obtention d’un contrat d’apprentissage est très fortement orientée par des effets de préjugés genrés, de discriminations, à l’instar des discriminations à l’embauche, parfois de racisme alors que le lycée accueille tous les élèves.

Le lycée professionnel, l’orientation faite par l’éducation dans les filières professionnelles ne sont pas pour autant exempts des effets des discriminations qui existent dans la société, les inégalités sociales de réussite scolaire les amplifient. Néanmoins un établissement, des professeurs ne choisissent pas leurs élèves, un patron oui. 8 % des jeunes en lycée pro sont de familles originaires d’Afrique du Nord, ils ne sont que 1 % en apprentissage pour ne citer que cet exemple (1).

On vante souvent le taux de réussite aux examens diplômants de l’apprentissage : en CAP, toute filière confondue il est de 69 % contre 71 % en lycée pro, et ne sont comptés dans ces statistiques que les élèves qui se présentent à l’examen (2). On ne dit rien des abandons, des

S’agissant de l’accès à l’emploi, 50 % des apprentis ayant obtenu un diplôme ne sont pas gardés dans l’entreprise ou ils ont effectué leur formation (4). On ne peut nier qu’avec les aides publiques l’apprenti représente une main d’œuvre quasi gratuite qui une fois le diplôme obtenu, ou non, est remplacée par un nouvel apprenti.

Si l’apprentissage est un succès, c’est d’abord un succès quantitatif, +114 % de contrats d’apprentissage signés entre 2017 et 2021 dopé par les aides publiques et les mesures imposées par le ministre Blanquer (5). Sur un territoire donné, il est aujourd’hui impossible de suivre une formation à certains métiers en dehors du privé ou de l’apprentissage. En 2022 nous en sommes à 750 000 contrats d’apprentissage en cours, contre 400 000 environ en 2017 (6). Ce nombre à lui seul explique la baisse annoncée du chômage des jeunes depuis 2018. Il y a d’ailleurs un grand risque qu’en fonction du manque de main d’œuvre dans telle ou telle filière, on ne propose plus aux jeunes, apprentis ou lycéens, au travers d’une refonte de la carte des formations, que des contrats dans des filières en recherche de salariés. Or, s’il faut répondre aux besoins de la société en termes de travail, ces besoins ne peuvent se résoudre aux seuls intérêts immédiats d’un territoire ou du patronat au risque de cantonner une partie de la jeunesse à un horizon bouché. Un jeune a le droit de choisir sa formation, l’objectif de la réforme de l’enseignement professionnel rejoint celui de la refonte de l’assurance chômage, de l’allongement de l’âge de départ en retraite, du refus de la hausse des salaires : faire travailler les gens le plus longtemps possible en les payant le moins possible. Et pour ces jeunes, ce qui leur est promis c’est d’être employable de 15 à 65 ans.

Pour conclure sur le sujet de l’apprentissage, 30 % des jeunes en lycée pro ont rompu un contrat d’apprentissage et les jeunes les plus en difficultés à l’école se voient proposer moins de contrats d’apprentissage que les autres (7). Ce n’est donc pas cette voie qui accueille les élèves de lycée professionnel en échec, c’est en fait souvent le contraire qui se produit.

Quel avenir pour l’enseignement professionnel ?

L’enseignement professionnel doit être transformé, au même titre que l’école dans son ensemble et avec une visée : la lutte contre les inégalités sociales de réussite scolaire et l’élévation du niveau de connaissance de toute une classe d’âge. C’est l’originalité du projet communiste pour l’école.

Ce projet s’inscrit aussi dans une visée de transformation de la société. Et notamment dans une conception émancipatrice de l’école, mais aussi du travail. Les élèves de lycée professionnel sont au centre d’un champ de bataille ou s’affrontent les intérêts immédiats du patronat, et les enjeux et défis de la société sur le plan écologique, social et démocratique.

Au lieu d’attaquer la voie professionnelle, l’enseignement professionnel, l’enseignement agricole public, il faut revaloriser cette voie et donc aussi ces métiers et cela passe bien sûr par la rémunération, les conditions de travail, la nature des contrats proposés mais aussi par des diplômes nationaux qui ouvrent la porte à des métiers mais aussi des droits en tant que travailleur.se.s.

Comment un futur salarié peut-il acquérir les compétences nécessaires pour que les forces productives relèvent les défis sociaux et environnementaux de notre temps quand les forces de l’argent s’avèrent incapables de relever ces défis et pire, nous entrainent de crises en crises vers l’abîme ?

Sans attendre, il y a besoin de redonner des moyens à la voie professionnelle et du temps aux élèves. C’est la raison pour laquelle nous proposons de repasser à l’obtention d’un bac pro en quatre ans au lieu de trois, temps nécessaire pour l’acquisition d’une culture commune en même temps que des compétences professionnelles, ce que n’ont pas les élèves d’enseignement général, pas plus qu’ils n’ont de périodes de stages indispensable pour découvrir petit à petit le monde du travail. Et c’est la raison pour laquelle nous disons que l’Etat doit engager un grand plan de refonte de l’Éducation nationale réunifiée de la maternelle à l’université, dans des établissements publics et laïcs, avec des personnels sous statut de la fonction publique d’Etat, formés et ayant les moyens d’exercer leur métier.

La société se doit d’avoir de l’ambition pour l’enseignement des matière générales mais aussi des matières professionnelles avec dans de nombreux domaines des transformations profondes et des enjeux comme ceux de l’écologie, de la réindustrialisation de notre pays, de nouveaux modes de développement. C’est aussi le cas pour les métiers de l’aide à la personne, de la santé, des services, mais aussi de l’agriculture et de l’agro-alimentaire. Que dire encore des salariés de l’aéronautique, de la filière automobile, de l’énergie, des métiers du bâtiment et de la construction, des métiers de la mer ?

Élever le niveau de connaissance d’une classe d’âge, relever les défis de notre temps par le travail sont deux ambitions intimement liées, tout comme l’ambition, pour y parvenir, de l’éradication du chômage par la construction progressive d’un système de sécurité d’emploi et de formation, et la lutte contre les inégalités sociales de réussite scolaire, qui appellent des ruptures et des transformations profondes de l’école et de notre système de production et d’échange.

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