Le travail, et le cadre institutionnel, social et politique dans lequel il s’exerce, c’est-à-dire, dans les sociétés contemporaines, l’emploi, sont en quelque sorte au point où se rejoignent quelques-uns des enjeux politiques les plus actuels.
Télétravail, uberisation, précarisation des contrats de travail, dévitalisation des statuts publics viennent bousculer nos vies et faire perdre le sens que nous donnions au travail alors même que, pour beaucoup, il tend à envahir tous les moments de la vie, jusque dans la sphère privée. Et nous vivons aussi tout ce qui, dans l’économie du XXIe siècle, rend de plus en plus indispensable de libérer la capacité d’initiative des êtres humains au travail, leur capacité à interagir entre eux, et qui nourrit de puissantes aspirations à un autre sens du travail.
Ce dossier vise à donner quelques points de repères pour appréhender cette matière hautement politique.
Ainsi, le travail, en tant qu’activité consistant à transformer la nature pour en tirer des produits utiles, fait depuis toujours partie du système économique. Cependant, « en même temps qu’il agit par ce mouvement » (le travail productif) « sur la nature extérieure et la modifie, il modifie sa propre nature et développe les facultés qui y sommeillent [1] », c’est-à-dire ce qu’on peut appeler le système anthroponomique.
Mais l’action des êtres humains au travail se limite moins que jamais à transformer la matière. La révolution informationnelle en cours rend prédominante, dans la production, l’action sur les informations et rend plus concrètes les perspectives d’un dépassement des dominations et des aliénations inhérentes au salariat capitaliste et au lien de subordination qui le constitue.
Facteurs économiques et anthroponomiques convergent ainsi pour exacerber la crise du marché du travail capitaliste. Tous les secteurs de l’économie se plaignent du manque de main-d’œuvre qualifiée alors même que la société est installée dans un chômage de masse qui l’affaiblit économiquement, écologiquement, moralement, politiquement.
La contradiction qui s’exprime ainsi, entre la nécessité vitale d’une émancipation de cette force productive qu’est le travail humain et les rapports de production induits par le salariat capitaliste, est ainsi porteuse du besoin d’une révolution qui ferait graduellement prévaloir, contre la rentabilité capitaliste, une nouvelle logique d’efficacité économique, sociale et écologique et qui conduirait à définir de nouvelles relations entre emploi, formation et autres activités librement choisies.
Les articles qui composent ce dossier abordent cette matière hautement politique sous différents angles : la contribution de Gisèle Cailloux montre en quoi les débats qui ont défrayé la chronique politique dans l’actualité récente révèlent l’actualité du projet communiste de construction d’un système de sécurité d’emploi et de formation. Nasser Mansouri-Guilani invite à prendre au sérieux l’importance des dispositifs institués par l’« État social » pour préserver les chômeurs de l’extrême pauvreté, mais aussi de la nécessité d’une révolution pour mettre fin aux causes du chômage et de la précarité. Jean-Marie Barbier et Martine Dutoit explorent les relations entre les dimensions économiques et anthroponomiques du travail. Enfin, Yves Dimicoli éclaire le lien entre les batailles politiques d’aujourd’hui et l’idéal communiste d’une abolition du chômage et du salariat, jusqu’au dépassement du travail lui-même en tant qu’activité contrainte.
[1] Karl Marx, Le Capital, livre 1, troisième section, chapitre 7.