La gauche dans le monde

Daniel Jadue
maire de Recoleta (Chili)

Parmi les moments marquants du congrès du PGE, l’intervention du dirigeant communiste chilien, maire de Recoleta, candidat à la primaire de la gauche pour l’élection présidentielle de 2021, mérite particulièrement l’attention. Nous la reproduisons ici.

Chères camarades, chers camarades, je vous transmets les salutations de la direction nationale du Parti communiste du Chili et les meilleurs vœux pour vous tous dans cet événement important.

Je vais vous parler du Chili.  Aussi, je vous préviens que toute ressemblance avec d’autres réalités est pure et simple coïncidence.

Nous vivons au Chili une époque de défaite et de désespoir. L’échec du referendum pour la nouvelle constitution nous a porté un dur coup dont nous ne nous sommes pas encore remis. Nous avons rédigé la Constitution la plus écologique, la plus féministe et la plus respectueuse des droits des travailleurs et des grandes majorités, et elle a été rejetée par une grande majorité de notre peuple.

Les raisons en sont multiples et je n’ai pas l’intention d’en rendre compte en détail. Le contrôle des médias par la droite, les campagnes de mensonges orchestrées par la droite, la disproportion des moyens, le manque de leadership de notre propre gouvernement et des partis politiques de gauche, s’ajoutant aux erreurs de campagne, sont une partie de l’explication, mais sans aucun doute la plus grande responsabilité incombe aux forces de gauche qui, au cours des cent dernières années, sont passées de la rue aux côtés de nos peuples et en dehors de toutes les institutions, à une représentation confortable dans presque toutes les institutions mais bien loin de la rue et des personnes que nous prétendons représenter.

L’année prochaine, dans notre pays, nous commémorerons les 50 ans du coup d’État qui a renversé Salvador Allende, mais aussi les 200 ans de la doctrine Monroe qui marque la manière dont les puissances occidentales se sont comportées avec nous au cours des deux derniers siècles, et parfois nous avons l’impression que ce que nous avons appris de cette longue histoire se réduit à rien ou à peu de choses.

Nos responsabilités dans la crise de la gauche

Beaucoup d’entre nous parlent abondamment de la crise dans laquelle le capitalisme dans sa phase actuelle a plongé le monde, mais nous parlons peu de la crise que traverse la gauche et de la responsabilité que nous y avons. Dans de nombreux endroits, nous avons plus de partis de gauche que de points de pourcentage dans les élections de nos pays, car nous avons perdu notre capacité à gérer démocratiquement nos différences et à rester unis. La culture néolibérale nous a envahis et nous avons enterré la liberté complète dans la discussion et la complète unité dans l’action qui ont caractérisé nos triomphes à une autre époque. Aujourd’hui, il nous est plus facile de trouver nos ennemis à l’intérieur de la gauche qu’à l’extérieur et cela détruit toute possibilité d’offrir une véritable alternative à nos peuples.

En bien des endroits, nous avons cessé de leur parler et de faire de la politique pour la grande majorité, et nous avons tellement appris le langage de la domination que nous avons progressivement abandonné le langage de l’émancipation.

Dans bien des endroits, nous avons été au gouvernement pendant des décennies, mais nous n’avons pas réussi à nous différencier de ceux qui ont ouvertement promu l’approfondissement du néolibéralisme, et cela nous a conduit à dilapider la confiance que le peuple avait autrefois en nous et aujourd’hui le seul discours contestataire, dans la forme, du néolibéralisme, nous le retrouvons plus souvent dans l’extrême droite montante que dans nos propres rangs. L’avancée de l’ultra-droite dans diverses parties de la planète peut s’expliquer par de multiples facteurs, mais ceux que nous ne pouvons jamais oublier sont ceux qui tiennent à notre propre responsabilité fondamentale :

– le manque d’unité de la gauche transformatrice et sa défaite culturelle face au néolibéralisme ;

– l’impunité dont nous avons récompensé le fascisme chaque fois qu’il a commis des crimes contre l’humanité ;

– notre éloignement quotidien des marginalisés, et notre sur-institutionnalisation ;

– le manque d’un horizon concret, le socialisme, à proposer comme alternative.

Ce que nous n’avons pas dit, c’est que l’extrême droite avance quand la gauche ne fait pas son travail. Quand elle succombe aux doubles discours de la droite et cherche à lui complaire en s’excusant presque d’être ce que nous sommes.

Abandonner nos complexes issus de l’échec des « socialismes réels »

Nous avons perdu la capacité de faire rêver nos peuples avec le dépassement du capitalisme et nous nous sommes contentés d’essayer de l’humaniser par des lois censées avancer dans cette direction ; en faisant de même pendant des décennies, le néolibéralisme a avancé en détruisant les progrès réalisés aux époques précédentes. Bien sûr, il y a des différences, les droits que vous défendez ici sont ceux que nous essayons d’obtenir pour la première fois de notre histoire.

Nous croyons humblement que le moment est venu de tout remettre en discussion. Nous croyons que le moment est venu d’abandonner nos complexes issus de l’échec des socialismes réels pour réinstaurer la possibilité réelle d’une nouvelle construction du socialisme dans le monde, vraiment démocratique, vraiment écologique, vraiment féministe et surtout vraiment juste et digne pour toutes et tous.

La paix perpétuelle et l’hospitalité universelle doivent continuer à guider nos pas car le paradigme de la raison continue d’être plus que jamais d’actualité, et nous devons travailler pour relever le défi qu’il nous impose. L’unité matérielle du monde nous oblige à être plus radicaux que jamais, ce qui nous oblige à nous regarder à nouveau vraiment comme des égaux, et la gauche ne peut pas transiger là-dessus. Nous avons déjà trop cédé sur ce point, croyant que cela nous éloignait des masses, et cela a fini par nous les aliéner encore plus.

La seule certitude que nous pouvons avoir est que si nous continuons à agir de la même manière, nous continuerons à avoir les mêmes résultats et nos peuples méritent une gauche capable d’offrir un horizon concret différent de celui d’aujourd’hui. Merci de nous faire partager cet événement avec vous, car le destin de la gauche dans le monde n’admet pas de chemins séparés.

Merci beaucoup