Retour sur le congrès du Parti de la Gauche européenne (PGE)

Évelyne Ternant
économiste, membre du comité exécutif national du PCF

Il est très éclairant de placer les luttes politiques en France dans une perspective européenne et mondiale. Tous les documents (en anglais et en français) et les comptes rendus du congrès du PGE sont accessibles à cette adresse : https://www.european-left.org/congress/7th-congress-vienna-2022/

Le 7ème congrès du PGE s’est tenu à Vienne, en Autriche, les 9, 10 et 11 décembre derniers, à un moment où l’Europe entre en récession, affronte une guerre, l’inflation, une crise énergétique, et où les politiques néolibérales de l’Union Européenne non seulement ne règlent aucun des problèmes sociaux, économiques et écologiques mais les aggravent, et font ainsi le lit de l’extrême droite, déjà au pouvoir dans plusieurs pays ( Pologne, Hongrie, Italie, Suède), et à proximité dans d’autres, dont le nôtre.

Lueur d’espoir pour résister et construire

C’est dire si ce rassemblement qu’est le PGE, qui réunit 31 partis, communistes, socialistes en rupture de social-libéralisme et écologistes anti-capitalistes, noue des partenariats avec d’autres, dont l’important parti irlandais Sinn Fein, et accueille plus d’une dizaine de partis observateurs comme LFI en France, est une lueur d’espoir sur le fait qu’« une alternative de gauche est possible », pour reprendre le titre du document politique voté par le congrès. Le PGE est en effet aujourd’hui la seule perspective crédible de progrès dans un paysage politique européen délabré, auquel s’ajoute la dévastation d’un énorme scandale de corruption qui touche des parlementaires européens de la gauche social-démocrate, dont on peut penser qu’il n’est pas un cas isolé, mais le cas révélé d’une corruption endémique au fonctionnement même des institutions européennes.

Lueur d’espoir d’autant que le PGE est un des piliers de l’animation du forum social européen, qui se réunit une fois par an, avec plusieurs centaines de participants, venus de plus de 130 organisations politiques, syndicales, de mouvements sociaux et d’ONG, en produisant de multiples travaux thématiques et se conclut par un plan d’action annuel, afin d’ alimenter et animer les mobilisations sociales et citoyennes.

CA l’issue de ce 7ème congrès du PGE, on peut souligner des points d’appui précieux qui font consensus en ces temps de tourmente, mais constater aussi une certaine fragilité sur l’aptitude à mener des batailles politiques sur des propositions concrètes et précises de transformation de la construction européenne.

Trois thématiques principales ont traversé les interventions et débats du congrès ; la guerre, la crise de l’énergie, la justice sociale et la solidarité. En revanche, l’enjeu politique associé aux banques et aux entreprises, n’a été que peu traité, de même que la question de l’industrie. Il manque également un projet commun sur les institutions européennes, pour combattre efficacement le replis nationaliste promu par les extrême-droites européennes. La poursuite d’une forte implication du PCF dans le PGE pour consolider les acquits et avancer sur un projet commun ambitieux.

La guerre omniprésente

Avec la guerre omniprésente dans le congrès et des délégations venant de pays limitrophes de la Russie, il est remarquable le PGE affiche un choix déterminé en faveur de l’option pacifique, du désarmement global et multilatéral, et de l’exigence d’un cessez le feu immédiat de la guerre en Ukraine. Si la condamnation de la Russie est sans appel, les critiques envers l’Union Européenne et son « incapacité à faire respecter les accords de Minsk », et la lucidité sur le jeu des États-Unis qui « en tirent parti pour renforcer leur position hégémonique, en concurrence avec le Russie et le Chine » tranchent avec les positions guerrières et atlantistes d’une partie de la gauche française. Le rapport à l’OTAN a fait en revanche l’objet d’une recherche difficile d’équilibre, qui n’a pas satisfait un parti finlandais, l’Alliance de gauche, qui quitte le statut d’adhérent du PGE pour celui d’observateur. Le texte final est clair sur l’opposition à toute expansion supplémentaire de l’OTAN « qui n ‘apportera ni la sécurité ni la paix en Europe ». Certes, il n’est pas question de « dissolution », mais l’amendement du PCF de renforcement de l’opposition à l’Otan a été accepté : « le PGE réaffirma sa critique fondamentale et de principe de l’Otan et sa position de non-alignement avec l’Otan et les États-Unis ».

La crise de l’énergie

Le deuxième sujet dominant des débats fut la crise de l’énergie, vue souvent sous l’angle de ses effets sociaux de paupérisation. Quelques partis ont à l’évidence fait leur « aggiornamento » sur les vertus du marché européen de l’énergie, et pris acte du fait qu’il faut s’en défaire. Le texte politique est clair : « ... les producteurs et fournisseurs d’énergie doivent tous être placés sous contrôle public. Les grands groupes énergétiques doivent être expropriés, nationalisés et socialisés ». En revanche, les désaccords sur le mix énergétique persistent. Le texte initial protestait contre l’inclusion de l’électricité nucléaire dans les énergies vertes, ce qui n’était pas acceptable pour le PCF. L’amendement français a été retenu, la référence à l’énergie nucléaire a disparu, remplacée par un appel au débat « pour tenir les nécessaires engagements climatiques et aboutir à une énergie décarbonée ». Le texte politique critique par ailleurs la politique énergétique européenne de « substitution des hydrocarbures russes par ceux d’autres pays dont le bilan en matière d’environnement et de droits humains est tout aussi médiocre ».

Donc une avancée sur la maîtrise publique du secteur, mais encore du chemin à faire pour présenter un projet énergétique cohérent à l’échelle européenne.

Justice sociale et solidarité, les marqueurs forts du PGE

Le soutien des luttes sociales pour la création d’un salaire minimum, l’augmentation des salaires, la relance des conventions collectives et la réduction des heures de travail sans réduction de salaires, pour des droits sociaux contraignants et contre les réformes néolibérales du marché du travail est le socle de solidité qui identifie aujourd’hui le PGE face aux forces réactionnaires. Ce positionnement du côté des travailleurs va de pair avec des propositions de justice fiscale : taxation des « surprofits » et des flux financiers, lutte contre l’évasion fiscale, retenue à la source des multinationales.

La défense des services publics, contre l’accès inégal organisé par les privatisations, fait aussi partie des points d’appui partagés du PGE, avec une nouveauté : la création d’un « observatoire européen des services publics », votée dans une motion proposée par le Parti communiste espagnol, dont il faudra suivre de près la mise en place et les travaux.

Contre la marchandisation croissante du logement, il est proposé « l’imposition progressive des logements collectifs vacants, le plafonnement des loyers et des restrictions aux logements partagés (notamment Airbnb) ».

Contre l’Europe forteresse, le PGE s’inscrit en faux contre la « logique inhumaine et discriminatoire » des politiques migratoires actuelles, demande l’instauration de « voies légales et sûres de l’immigration… appelle à l’abolition de Frontex et une profonde révision du parquet asile et immigration européen », en réaffirmant : « aucune personne n’est illégale… Ce sont les vies humaines, et pas les frontières qui requièrent une protection ».

La solidarité, c’est aussi la solidarité internationale, politique avec le respect des droits à l’autodétermination des peuples palestinien, kurde du Rojava, sahraoui, du peuple de Chypre, le soutien des forces démocratiques et progressistes en Amérique latine et dans les Caraïbes. De nombreuses délégations étrangères étaient présentes et se sont exprimées. Toutefois, sur blocage de la gauche allemande « Die Linke », il n’y a pas eu d’accord pour que le PGE inclue dans son soutien à la Palestine des sanctions à l’égard d’Israël et la suspension de l’accord d’association avec l’UE, dont l’accord commercial préférentiel.

La solidarité internationale, c’est enfin la solidarité économique, contre l’accaparement des richesses et des savoirs par quelques oligopoles pharmaceutiques, qui en pleine pandémie mondiale ont refusé « d’accorder un accès universel aux vaccins et médicaments », d’où le soutien à la campagne « pas de profits sur la pandémie ». Le texte politique a été renforcé par une motion proposée par Rifondazione Communista, et votée, qui prévoit la création d’un pôle public européen intervenant sur « l’ensemble du cycle du médicament : recherche, production, développement et distribution, qui met le fruit de ses recherches à la disposition du monde -médicaments, technologies et vaccins à des prix abordables au service de l’humanité ».

Banques, entreprises et industrie, le maillon faible des débats

Le PCF a fait un apport important d’amendements dans le texte politique sur ces sujets, tous retenus, mais le faible nombre d’interventions évoquant ces questions montre le chemin à parcourir pour que les propositions passent du texte aux batailles politiques.

Nous avons fait valider deux propositions majeures :

«  un Fonds européen de développement écologique et social, pour les services publics et pour l’emploi, financé par la création monétaire de la BCE à taux zéro voire négatif, comme l’article 123.2 du Traité de Lisbonne le permet, et doté d’une gouvernance démocratique ;

– un refinancement sélectif par la BCE des crédits des banques aux entreprises à taux d’autant plus abaissés qu’ils favorisent les investissements matériels et de recherche, porteurs d’emploi, de formation, de réduction des émissions de CO2 et à taux d’autant plus élevés qu’ils diminuent l’emploi, accroissent les émissions de carbone et délocalisent. »

Nous avons également renforcé les passages relatifs aux droits des salariés dans les entreprises : en introduisant deux propositions :

– une défensive : « le droit des travailleurs à s’opposer aux licenciements boursiers et aux délocalisations ».

une offensive : « les droits nouveaux des travailleur.euse.s sur l’organisation du travail, les investissements et les orientations stratégiques des entreprises ».

Dans la même veine, alors que les avancées démocratiques étaient envisagées sous l’angle d’un contrôle démocratique des citoyens limité aux « institutions », nous y avons ajouté le nécessaire contrôle citoyen sur les « entreprises et les banques ».

Enfin, au soutien des syndicats qui visait à « renforcer leur pouvoir de négociation collective », nous avons ajouté le soutien « à tous les projets de sécurisation professionnelle de l’emploi et de la formation ».

Il faut se garder de tout fétichisme sur les textes, car ces propositions de transformation structurelle sur les pouvoirs économiques des banques et des entreprises n’ont été évoquées dans les débats qu’à de rares mais notables exceptions : Jeremy Corbyn, et Walter Baier, le nouveau président du PGE, membre du Parti communiste autrichien, qui s’est félicité, dans son discours de clôture, de l’entrée de l’économiste Frédéric Boccara dans les structures de direction du PGE. On peut noter aussi l’intervention de Paolo Ferrari, de Refondazione Communista, sur la nécessaire transformation des institutions économiques internationales et la mise en cause de l’hégémonie du dollar, pierre angulaire des rapports économiques impérialistes.

Suite à nos interventions publiées dans ce dossier, sur « la BCE et le financement des services publics », et la « politique industrielle », des retours positifs venant de Martin Günther, économiste de Die Linke, et Walter Baier montrent qu’il y aura des appuis pour avancer sur ces sujets, mais aussi un gros travail de conviction pour en faire des thèses partagées largement au sein du PGE.

Débat…et vote sur la proposition de la commission féminisme du PCF

La commission féminisme du PCF a déposé une motion intitulée initialement « Industrie pornographique, violences sexistes et sexuelles » qui présente le grand intérêt de faire le lien entre l’industrie pornographique, la pédocriminalité et les violences contre les femmes. Avec le développement des technologies numériques, l’industrie pornographique est aujourd’hui constituée de très nombreux producteurs de contenus relayés par un petit nombre de grandes plate-formes numériques, qui en mondialisent l’accès, le tout formant un gros marché de 100 milliards de dollars, avec des effets sociétaux désastreux : l’âge moyen du premier contact d’un enfant avec des vidéos pornographiques est de 9 ans ; le jeu de la concurrence entre les producteurs incite au développement de contenus toujours plus violents, pédocriminels ou à violence sexiste et sexuelle, non dénués de racisme, exploitant la vulnérabilité économique et psychologique des femmes ou des enfants.

Une mission du Sénat français a conclu, après plus de six mois de travaux et d’auditions, à l’existence d’un lien entre porno-criminalité, pédocriminalité, violences sexistes et sexuelles, car la pornographie véhicule et banalise des images de violence, de haine et de racisme érotisés. L’Europe est particulièrement concernée puisqu’elle est le lieu de circulation de 62 % des contenus pédocriminels.

La motion s’inscrit dans le calendrier européen puisque la législation intérimaire confiant au « volontariat » des géants du numérique la responsabilité de réguler les contenus problématiques arrive à expiration en juillet 2024. La commission européenne elle-même propose de rendre obligatoires les actions de détection, signalement et retraits de la part des plate-formes.

La motion propose donc de renforcer toute la législation européenne en matière de prévention et de protection des mineur.e.s contre la porno-criminalité et la pédocriminalité, avec de fortes contraintes exercées sur les entreprises du numérique, les sites pornographiques, et invite le PGE à lancer une campagne d’information contre les cyber-violences en direction des jeunes, des parents et éducateurs. Il y a d’ailleurs une mobilisation citoyenne sur ces sujets, puisqu’une lettre ouverte à l’Union Européenne, signée par 72 organisations de la société civile et des droits de l’enfant, demande instamment à l’UE de « faire de l’Internet un lieu sûr » pour les enfants.

La motion a suscité beaucoup de débats : d’abord par la nouveauté d’articuler l’économique, un marché en plein essor avec beaucoup de profits, et le sociétal ; ensuite, le fait d’associer l’industrie pornographique avec porno-criminalité et pédocriminalité ; enfin, la crainte d’une utilisation de cette position par les conservateurs et de passer pour des défenseurs d’un ordre moral puritain. Ces divergences recoupent celles qui divisent la gauche sur la prostitution, considérée comme un « travail » par les uns, et comme un état d’exploitation sous domination par les « abolitionnistes » comme le PCF. La motion retravaillée avec Die Linke, retitrée « pédocriminalité, violences sexistes et sexuelles », assortie de la création d’un groupe de travail du PGE sur le sujet, a été finalement votée à 70 % par le congrès, ce qui montre à la fois l’avancée considérable obtenue et les résistances qui persistent.

L ‘épine de l’extrême-droite dans le pied du PGE

La réalité de la montée de l’extrême-droite en Europe a été très présente dans les débats du congrès, vécue douloureusement dans certains pays, crainte dans d’autres. Pour autant, le paradoxe dans ce congrès, c’est que la seule motion contrée par le veto d’un parti, c’est à dire forcée au retrait, portait précisément sur l’extrême droite.

Le texte politique du PGE s’étend fort peu sur le sujet, si ce n’est le rappel de son opposition irréductible. Une motion de renforcement du texte sur la lutte contre l’extrême-droite a été votée, engageant le PGE sur l’organisation bi-annuelle d’une conférence « No pasaran » largement ouverte aux forces de progrès. Mais la deuxième motion relative à l’extrême-droite, écrite dans l’urgence par Refondazione Communista, a échoué. Il lui a été reproché d’être exclusivement centrée sur l’Italie, de prendre insuffisamment en compte de la diversité des situations où l’extrême droite est au pouvoir en Europe, dans une certaine variété des alliances et des soutiens économiques, et de tracer un trait d’égalité contestable entre les partis libéraux et l’extrême-droite, du fait sans doute du ralliement de Meloni aux réseaux d’influence de Draghi. Le veto au texte italien est venu du parti finlandais l’Alliance de Gauche .

Cet épisode étonnant met en évidence le besoin d’un travail d’analyse approfondi au sein du PGE sur le corpus idéologique commun aux extrêmes droites européennes, mais aussi à ce qui les différencie d’un pays à l’autre. L’emprise des thèmes nationalistes sur les classes populaires est à mettre en regard d’une construction européenne hors des peuples et contre les peuples. Encore faut-il pour combattre efficacement le nationalisme porter un projet européen qui respecte la souveraineté des peuples, à l’opposé des conceptions fédéralistes d’intégration à marche forcée.

L’organisation politique de l’Union Européenne est l’angle mort du texte politique adopté au congrès du PGE ; de là à penser que le consensus sur une conception commune n’est pas trouvé, il n’y a qu’un pas. Pour endiguer l’attraction des idées d’extrême-droite en Europe, il faut un projet de construction européenne qui réaffirme la souveraineté de chaque peuple à décider de ses coopérations, dans une Europe à géométrie choisie, et réfute à la fois le replis nationaliste et l’intégration fédéraliste.

Le PCF, repère et « stabilisateur » du PGE

Le PCF exerce depuis le départ un rôle important dans l’histoire du PGE, sa fondation, son animation, puisqu’il en a exercé la présidence pendant 6 ans puis une vice-présidence 6 autres années ; il a été à l’initiative de la création du Forum social européen. Au-delà de sa présence dans les structures, la cohérence de ses analyses et la continuité de ses combats en font un repère politique et idéologique, un acteur de stabilité. Le congrès, auquel Fabien Roussel a participé une journée, a été l’occasion de contacts bilatéraux très importants, du secrétaire national ou d’autres membres de la délégation avec le Sinn Fein, Syriza, le PTB (Parti des Travailleurs de Belgique), les Partis communistes espagnol, japonais, chilien, Die Linke, d’autres encore… Des contacts vont être pris avec l’équipe de Jeremy Corbyn.

L’engagement du PCF demeure plus nécessaire que jamais. Notre camarade Vincent Boulet va succéder à Pierre Laurent pour la vice-présidence française du PGE, Hélène Bidard entre au secrétariat politique et Fréderic Boccara au bureau exécutif. Des propositions circulent déjà ; l’idée d’une grande initiative européenne sur les services publics, à partir de l’hôpital public en crise partout ; des assises sur l’industrie automobile européenne, en grand danger de destruction.

A 18 mois des élections européennes, la volonté de marquer l’existence du PGE par quelques meetings communs et des campagnes nationales qui portent quelques propositions phare communes a été exprimée et votée dans une motion présentée par Die Linke. D’où l’importance de réaliser au sein du PGE des avancées sur des propositions concrètes qui émancipent de la dictature des marchés et esquissent les contours d’un projet européen.

Cela implique que le PCF soit lui-même en situation de porter son projet européen en France lors de la campagne des élections européennes.