Patricia Tejas
Les migrations tiennent une grande place dans le monde actuel et on s’attend à ce que cette place grandisse encore avec les transformations qui bouleversent les différentes dimensions – économiques, écologiques, anthroponomiques – de la civilisation contemporaine. Quelques données du problème, et quelques éléments de solution.
I/Les phénomènes migratoires, inhérents à l’espèce humaine :
La migration est un phénomène attaché à la liberté la plus ancienne, celle d’aller et venir. Pendant de très longues périodes, elle a été la définition même de la liberté : l’esclave n’était pas libre de quitter la maison de son maître et le serf n’était pas libre parce qu’il ne pouvait quitter le domaine de son seigneur. C’est pourquoi, nous sommes convaincus en tant que progressistes internationalistes que la libre circulation, donc la migration, est un droit fondamental comme le consacre l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme depuis 1948 « La liberté de circulation est le droit pour tout individu de se déplacer librement dans un pays, de quitter celui-ci et d’y revenir ».
A l’opposé, la xénophobie, la peur de l’étranger, de l’autre, donne une configuration particulière aux débats politico-médiatiques sur l’immigration. Celle-ci est présentée comme un problème. La hausse du chômage, la précarité, l’insécurité, bref tous les maux ou presque auraient un lien direct ou indirect avec le fait que les immigrés seraient venus prendre la place des nationaux. Le discours xénophobe s’appuie sur des mythes et des affirmations infondées. Toutefois, ceux-ci trouvent un écho bien au-delà des rangs de l’extrême droite. Les ambiguïtés des politiques publiques augmentent la confusion et ne favorisent pas une approche objective du phénomène. De plus, au débat sur les perspectives démographiques dans une Europe vieillissante s’ajoute le discours patronal qui considère l’immigration comme un simple vivier de main-d’œuvre au service des intérêts économiques du capital du pays d’accueil.
II/ Déconstruire les idées reçues :
En 2022, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) annonce 281 millions de migrants internationaux sur une population de presque 8 milliards d’habitants (3,6 %).
En Europe, au 1er janvier 2020, l’UE comptait 23 millions de ressortissants de pays non-membres de l’UE soit 5,3 % de la population totale (source Commission européenne). Selon l’Insee, en 2021 France, la population étrangère s’élève à 5,2 millions de personnes, soit 7,7 % de la population totale. Elle se compose de 4,5 millions d’immigrés n’ayant pas acquis la nationalité française et de 0,8 million de personnes nées en France de nationalité étrangère (source Insee).
La grande majorité des migrants ne franchit pas de frontières ; ils sont beaucoup plus nombreux à se déplacer à l’intérieur des pays du sud. Pour autant les désordres géopolitiques du monde engendrés principalement par une irrépressible course aux profits, qu’ils soient économiques, climatiques, guerriers, discriminants poussent des populations entières à se déplacer et à rechercher un lieu où les conditions de vie sont moins hostiles. C’est donc un enjeu politique important que le PCF doit analyser pour mieux y répondre
L’immigration est un processus par étapes : l’immigré quitte d’abord son village pour trouver un emploi dans les centres urbains de son pays. Plus tard, faute de trouver un emploi et s’il en a les moyens, il cherchera à aller plus loin, à commencer le plus souvent par les pays voisins puis du sud au nord. Contrairement aux idées reçues, parmi les immigrés âgés de plus de 15 ans, nombreuses et nombreux sont diplômés. D’une manière générale, les migrants représentent par rapport aux non-migrants du pays d’origine une population plus instruite (source Insee 2021) et dotée d’un minimum de ressources pour payer les frais de voyage et d’installation.
Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans un rapport qui porte sur ses 25 États membres pour la période 2006-2018, la contribution des immigrés sous la forme d’impôts et de cotisations est supérieure aux dépenses que les pays consacrent à leur protection sociale, leur santé et leur éducation. On est loin du « grand remplacement » ou de l’adage « de l’étranger qui mange le pain des Français » !
III/ Perspectives migratoires pour le XXI° siècle :
Selon Catherine Wihtol De Wenden, spécialiste des questions migratoires et directrice de recherches au CNRS, il convient de bien définir les différents mouvements et statuts migratoires pour faciliter leur compréhension :
- un migrant international a une définition bien précise (ONU) : il ou elle doit être en dehors de son pays pour une durée égale ou supérieure à un an.
- un réfugié : c’est un migrant forcé par des situations de crise politique, de guerre, discriminatoire et environnementale. Ils sont 70 millions de réfugiés dans le monde, mais seuls 26 millions en ont le statut. Les autres sont soit des apatrides, demandeurs d’asile ou sous protection humanitaire.
- nombreux sont sans statut comme les travailleuses et travailleurs « sans-papiers »
- la situation des femmes et des mineurs isolés est particulièrement inquiétante.
Elle confirme que depuis les années 1990 le phénomène d’ouverture des frontières et d’obtention des passeports se sont accélérés, ne nombreux pays comme la Chine, de l’ex-URSS, certains pays du sud ont conforté « le droit de sortie » pour leurs ressortissants. À l’opposé, « le droit d’entrée » s’est beaucoup durci à cause des politiques migratoires sécuritaires et de contrôle par les pays d’accueil (Europe, États Unis…). Cette politique n’a jamais empêché le passage au frontière mais a renforcé les circuits et réseaux mafieux de passeurs provoquant des drames humains comme en méditerranée.
Selon un rapport de la Banque mondiale face au dérèglement climatique, à l’horizon 2050, l’Afrique subsaharienne pourrait enregistrer jusqu’à 86 millions de migrants climatiques internes ; l’Asie de l’Est et Pacifique, 49 millions ; l’Asie du Sud, 40 millions ; l’Afrique du Nord, 19 millions ; l’Amérique latine, 17 millions ; et l’Europe de l’Est et Asie centrale, 5 millions.
IV/ Pour un monde de paix et de coopération
Nous voulons construire une nouvelle civilisation. Elle ne peut se concevoir sans échanges, sans respect de la liberté de circulation qui est, aussi, la liberté de ne pas avoir besoin de partir de chez soi. Quand elle n’est pas contrainte, la migration peut être très positive pour les peuples et pour le progrès de la civilisation mais elle doit reposer sur l’intérêt commun des peuples, sur le développement des capacités de toutes et tous, qui inclut leur coopération.
- Combattre la stratégie du capital mondialisé par l’unité des travailleurs
Ce n’est pas la main-d’œuvre immigrée qui pèse sur la masse salariale, mais la recherche de de rentabilité, en installant la précarité et l’absence de mêmes droits pour tous et toutes. Si, par le passé, les flux migratoires étaient surtout de nature économique et se formaient à partir de liens coloniaux et linguistiques, aujourd’hui, l’organisation systématique des migrations par les entreprises cherchant de la main-d’œuvre n’est plus le motif principal des flux migratoires. Ceci ne veut pas dire que les entreprises se désintéressent d’exploiter la main-d’œuvre immigrée. Mais ce sont plutôt les migrants qui, dans une logique individuelle de recherche de meilleures conditions de vie et de travail, prennent le risque de quitter leur pays d’origine.
Cette modification n’est pas sans lien avec le changement de la stratégie globale des entreprises : de la même manière que celles-ci ont pris l’habitude de reporter les risques sur les salariés au nom de la nécessité de s’adapter à la mondialisation, les futurs immigrés sont aussi à leur tour appelés à assumer les risques liés à leur mouvement (se priver des liens familiaux, accepter les frais de voyage et d’installation, s’adapter à une autre culture). Dans les deux cas, il s’agit, en dernière analyse, de soumettre la gestion des entreprises à la poursuite de la rentabilité du capital et aux exigences des marchés financiers aux dépens des travailleurs.
Cette approche utilitariste débouche sur le problème de la sélection des migrants comme le propose le futur projet de loi « immigration » de Darmanin (29 lois en 42 ans).
Ce projet de loi criminalise le fait migratoire par le recours aux expulsions arbitraires de personnes en situation irrégulière (OQTF) et leur inscription au fichier des personnes recherchées mais aussi en pénalisant celles et ceux qui leur viennent en aide. Il sépare les demandeurs du droit d’asile qui ne demandent qu’à travailler et les travailleurs sans papiers alors qu’ils passent, le plus souvent, d’un statut à un autre.
Il propose des titres de séjours temporaires pour les métiers dits « en tension », les talents, les professionnels de santé. Cette vision de court terme ne répondra en rien à l’argument fallacieux comme réponse à la pénurie de main d’œuvre mais pourraient conduire à un nouveau pillage des compétences des pays de départ. Comme le demandent les travailleurs eux mêmes à travers leurs luttes exemplaires, La régularisation des travailleurs sans papiers doit être effective, massive et sans conditions dès que la relation au travail est avérée sans subordination à la demande de l’employeur. Les demandeurs d’asile doivent pouvoir travailler immédiatement sans attendre l’instruction de leur dossier. Il faut donc mettre en place une politique de régularisation fondée sur le plein respect des droits : regroupement familial, droit au travail, droit à la santé, droit à l’éducation…
- La responsabilité des multinationales
Selon Yves Besançon, économiste à l’INSEE, « On ne peut sérieusement comprendre l’histoire des flux migratoires sans prendre en compte les logiques d’exploitations capitalistes. La révolution industrielle consacre une double domination économique. Une domination nationale via l’exploitation de la force de travail. Une domination internationale via le pillage des pays dits du Sud par les pays du Nord, par le biais du colonialisme, du libre-échangisme ou de l’échange inégal additionné à l’impérialisme des firmes multinationales. Au Sud, avec l‘accélération de la croissance des économies émergentes, les fruits ont été essentiellement accaparés par des minorités possédantes en collusion d‘intérêts avec les firmes transnationales et une certaine caste politique dans les pays riches plus ou moins complice des régimes dictatoriaux.
Au Nord, avec le triomphe du néolibéralisme et du capitalisme financiarisé qui ont permis de faire supporter sur les travailleurs les moins qualifiés et les classes dites moyennes, l’essentiel du poids du ralentissement durable de la croissance économique, via le chômage de masse, la précarisation de l’emploi et les baisses d’impôts et prélèvements sociaux qui ont plus largement profité aux plus riches ». Les investissements des multinationales exercent un impact destructeur sur les structures économiques des pays en voie de développement.
Les profits des multinationales, championnes de l’évasion fiscale, doivent être taxés dans les pays où ils sont réalisés.
Les traités de libre-échange, qui soumettent les flux de marchandises et de capitaux aux stratégies des multinationales, doivent être remplacés par des traités de coopération donnant un rôle nouveau à des organisations internationales profondément transformées.
Pour un autre mode de développement
Il nous faut donc faire prévaloir, contre l’obsession de la rentabilité qui épuise aussi bien les êtres humains que la planète, une autre logique d’efficacité économique, sociale et écologique, pour faire rimer production et croissance soutenable avec développement humain, amélioration des conditions de vie, accès aux soins, à la culture et préservation de la planète.
Il s’agit donc de construire une véritable solidarité nationale et internationale pour que les pays ou régions les plus pauvres, dont les habitants sont poussés à l’exil et à la migration, ne se plient plus au bon vouloir des investisseurs publics ou privés mais trouvent en leur sein les voies et moyens d’un développement respectueux des Hommes et des écosystèmes.
Ces pays peuvent être riches en ressources naturelles comme le pétrole, les minerais, le gaz ou les ressources forestières, mais ces ressources sont surexploitées et commercialisées par les transnationales aidées par des états corrompus voire des réseaux criminels.
L’aide publique au développement doit être réorientée. Le déblocage de fonds, plutôt sous forme de dons que de prêts, doit être assuré par des critères, le contrôle et la transparence totale pour éviter leur captation par des tiers. De même ces fonds ne doivent pas favoriser l’obtention de marchés juteux pour les firmes internationales. La seule boussole doit être le développement de la production de biens et services nationaux aux services des populations locales alors que l’émiettement international actuel de l’aide au développement est un vrai facteur d’échec
Les États, en particulier les plus riches et les plus militarisés dont la France, doivent s’attacher à construire la paix et à promouvoir le désarmement plutôt que d’alimenter les guerres. Construire des sociétés et un monde de justice, d’égalité des droits, de solidarité sont les conditions structurelles nécessaires pour permettre à tout individu de vivre dignement dans son pays ou de le quitter sans y être contraint par la guerre ou la misère.
- Repenser la question des frontières
Face aux migrants, l’Europe se verrouille et externalise des frontières. Le contrôle de l’immigration se fait aujourd’hui dans les pays de départ. En effet, l’UE demande à ces États de retenir les migrants. Les frontières juridiques de l’UE sont ainsi très mouvantes et vont bien au-delà de ses frontières géographiques. Devant cet état de fait, les opinions publiques ne sont plus à même de connaître les conséquences de ces politiques. Si les demandeurs d’asile et autres migrants sont aujourd’hui moins nombreux autour de Calais ou dans les zones d’attente des aéroports français, leur nombre a augmenté aux nouvelles portes de l’Europe. Ainsi, il est aujourd’hui impossible de savoir quelles sont les normes de droit qui devraient organiser certaines situations, et quelles instances pourraient être poursuivies en cas de non-respect de ces normes. Par exemple, la Libye n’a pas signé la Convention de Genève sur le droit d’asile. Selon Amnesty International, les migrants interceptés en mer par les services « gardes côtes » libyens sont reconduits dans des camps de détention qui échappent à tous contrôles. Ils sont victimes « d’actes de torture, d’extorsion et de viol ». Cette violation des droits humains est rendue possible grâce aux accords entre l’UE et la Libye contre monnaies sonnantes et trébuchantes (centaines de millions d’euros). La question de l’utilisation des frontières comme monde de domination de l’UE sur les pays qui collaborent à la surveillance est clairement posée en lien avec les scandales de l’agence Frontex (agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes) qui est suspectée de ne pas respecter le droit international.
L’Union européenne doit être solidaire et mettre des systèmes de coopération entre pays membres pour garantir des voies de migration sécurisées. Mais il faut aussi respecter le choix des demandeurs et en particulier le lien avec le pays demandé en faisant sauter le verrou du 1er pays entrant (accord dit de Dublin).
Aujourd’hui ce règlement prévoit que le pays responsable d’une demande d’asile est celui où les migrants ont été enregistrés en premier (le plus souvent la Grèce, l’Italie, l’Espagne) sans tenir compte du droit à circuler librement. Un dispositif d’accueil doit les prendre en charge, se renseigner sur l’existence de liens familiaux, professionnels ou scolaires dans les États membres. L’existence de tels liens doit permettre l’installation des personnes dans le pays souhaité par les migrants.
- Nos services publics comme facteur d’un accueil digne
Un trait constitutif de la situation des migrants est sa précarité. Aussi la question des mouvements migratoires ne peut-elle être séparée de celle de la sécurisation de leurs conditions, de la promotion professionnelle des migrants [1]. De la même façon, mettre fin aux fléaux du chômage et de la précarité dans les pays d’accueil fait partie des conditions à réunir pour un accueil digne des migrants. Il faut donc viser à articuler les mouvements migratoires aux mécanismes de sécurité d’emploi et de formation, auxquels migrants et natifs doivent avoir un accès.
Les conséquences du cocktail austérité/privatisation/racisme institutionnel sont tragiques pour les migrants dont les vies sont menacées par la misère, l’absence ou l’insuffisance des soins mais aussi par la longueur des procédures administratives ou par une détention injuste dans les centres de rétention administratifs (CRA) symbole de la politique brutale des pouvoirs publics à l’encontre des migrants et sans papiers.
A ce titre, se pose le problème des conditions d’accueil et du respect des droits fondamentaux des migrants (toutes nationalités) assuré par le service public pour faire échec aux marchands de sommeil et réseau mafieux, comme cela a pu être mis en place sans polémiques pour la crise des réfugiés Ukrainiens.
En premier lieu, le droit à être logé dignement est un droit à valeur constitutionnelle qui vise à garantir à tout individu le droit d’avoir un toit. Des solutions existent (hébergement temporaire, centres d’accueil des demandeurs d’asile, centres d’accueil et d’orientation, foyers de travailleurs migrants) mais elles sont insuffisantes. Il y a donc urgence à la mise en place d’un service public du logement chargé de coordonner les différentes entités (État, collectivités locales, bailleurs sociaux, financeurs publics…) pour la mise en œuvre d’une politique globale du logement. Mais aussi le droit à être soigné en consolidant l’aide médicale de l’état (AME) assurée par l’hôpital public ou le droit à être protégé et avoir accès à la scolarisation quand on est un mineur isolé sans présomption de majorité. Le droit à la protection pour les femmes et les filles immigrées trop souvent victimes de traite des êtres humains doit être renforcé.
« C’est un vaste dessein que d’établir une nouvelle organisation des migrations. Ce projet offre des terrains concrets d’action, y compris pour la jonction entre catégories de salariés et entre peuples que le capital tend à opposer à l’échelle du monde, pour une union entre les peuples des pays développés et des pays en voie de développement. Il s’agit bien d’une perspective de transformations sociales radicales, à visée révolutionnaire [2] ».
[1] Jean Magniadas, Migrations et mondialisation, le Temps des CeRises, Paris, 2007.
[2] Jean Magniadas, op. cit.