80 ans du droit de vote des femmes
Quels nouveaux pouvoirs pour les femmes ?

Thalia Denape
économiste, membre du conseil national du PCF

Le 21 avril 1944, les femmes obtenaient le droit de vote. Nous publions ici l’intervention prononcée par Thalia Denape, membre du conseil national du PCF, à la rencontre célébrant le 80ème anniversaire de cet événement.

La bataille pour le droit des femmes a été une bataille pour l’universalité qui est au cœur du projet communiste. En 1925, le PCF est le premier parti politique à présenter des femmes têtes de liste des élections municipales, avant même le droit de vote et d’éligibilité des femmes effectifs en 1944. Ces femmes élues siégeront plusieurs mois avant que le Conseil d’État invalide leur élection. En 1945, sur les 33 femmes élues à l’Assemblée constituante, 17 sont communistes, représentant ainsi le groupe politique féminin le plus important. Cette bataille pour l’universalité ne peut que nous inspirer aujourd’hui tant la crise que nous traversons attise les discours cherchant à diviser : femmes et hommes, français et étrangers ou supposés étrangers, classes populaires et classes moyennes, etc. La bataille pour le droit des femmes est donc, au-delà d’une bataille de « niche » comme pourrait le prétendre certain.es, un combat contre les discours de division en tout genre, incarnés notamment par le gouvernement Macron lorsque, pour ne donner qu’un exemple, son premier ministre pointe du doigt « les jeunes à problèmes et la responsabilité des parents » et propose une stigmatisation de ces jeunes en sanctionnant leur note au brevet et au baccalauréat ; ainsi que le discours souverainiste de la droite ou du rassemblement national qui stigmatise l’étranger.

Le droit de vote des femmes, arrivé en France si tard, en 1944, a ainsi été une marche énorme vers une société plus égalitaire.

On constate depuis de nombreuses années néanmoins qu’il faut aller plus loin que le droit de vote pour que les femmes aient réellement une vraie place dans la démocratie. Les femmes sont ainsi sous-représentées dans les institutions politiques : elles représentent 37 % des députés, 36 % des sénateurs. Bien qu’il y ait eu une progression importante depuis une trentaine d’année (les femmes représentaient 10 % des députés en 1997 et 5,6 % des sénateurs), la progression semble s’être arrêtée aujourd’hui. La part des femmes députées a même légèrement régressé depuis 2017 : 39 % des députés étaient des femmes. La difficulté de faire avancer les lois sur la gratuité des produits hygiéniques féminins, sur la recherche sur les maladies spécifiques aux femmes, ou le congé menstruel montre bien, malgré des progrès évidents, que les élus et le gouvernement restent éloignés de la réalité de la vie des femmes aujourd’hui. Du côté des municipalités, les femmes représentent 20 % des maires, mais 40 % des adjoints et 45 % des conseillers. On sait aussi qu’une fois que les femmes ont franchi la barrière de l’accès aux institutions, elles sont reléguées à des postes jugés secondaires, ou livrées à la vindicte populaire sur les réseaux qui n’hésitent pas à rabaisser leur physique, leur élocution, leur vie privée, plutôt que leurs idées. L’illégitimité des femmes en politique est encore une pensée forte de nos sociétés.

Mais quel est le profil de ces femmes élues ? L’Assemblé nationale compte 69 % de cadres supérieurs alors qu’ils représentent eux-même 21 % de la population active. Il n’y que 4,5 % des députés qui sont employés alors que la catégorie représente 26,2 % de la population active et que 75 % des employés sont des femmes. C’est la catégorie la plus féminisée car elle comprend l’ensemble des métiers de services peu qualifiés, emplois qui ont constitué la porte d’entrée des femmes des catégories populaires vers le monde du travail. Globalement, on a donc une représentativité insuffisante des femmes des classes moyennes et populaires et des femmes « racisées » au sein des institutions politiques de la démocratie représentative.

Les femmes, premières victimes de la logique de rentabilité

Il faut donc plus de femmes, mais pas n’importe quelle femme non plus : on ne change pas le système en changeant des catégories. Le régulateur du système actuel, c’est-à-dire ce qui détermine tous les choix d’investissement, c’est le taux de profit. Or ces logiques de rentabilité qui prévaut enfonce les États dans une crise systémique dont les femmes sont les premières victimes, d’autant plus si ells sont d’origine populaire.

La crise de suraccumulation actuelle pousse l’approfondissement d’un néo-impérialisme favorable à la guerre. L’économie de guerre renforce la justification à une austérité pour les services publics, alors même que des milliards d’euros et de dollars sont débloqués pour financer la guerre en Ukraine et en Palestine. Les services publics sont pourtant le premier rempart à la pauvreté et aux inégalités, notamment entre les hommes et les femmes. Selon les données établies par l’INSEE en 2018, à partir de 2 enfants, 20 % des femmes actives prennent un emploi à temps partiel, contre 3,6 % des hommes. À partir de 3 enfants, le taux des femmes en emploi partiel varie peu, mais elles sont plus nombreuses à arrêter totalement de travailler : 9,6 % des femmes ayant 2 enfants sont inactives, c’est 15 % des femmes qui sont inactives (elles ne sont plus en emploi). De leur côté, les hommes ayant 3 enfants sont tout de même 11 % à être inactifs contre 7 % lorsqu’ils n’ont que 2 enfants. Les temps partiels, occupés à 80 % par des femmes, sont une des premières raisons d’inégalités de salaire en femmes et hommes. Pour garantir aux femmes l’égalité, les services publics de la petite enfance doivent être élargis, des emplois créés, des formations de qualité développées. Nous avons du retard également sur la recherche en ce qui concerne les maladies féminines comme l’endométriose, la prévention des violences faites aux femmes, la formation à la contraception et le développement de son accès, comme celui de l’IVG, etc. Cela demande un investissement conséquent et un déploiement très important des services publics de santé sur ces questions-là. C’est incompatible avec l’économie de guerre et l’austérité annoncés actuellement.

En ce qui concerne les pouvoirs, la crise de suraccumulation du capital actuelle se traduit en une crise de la démocratie représentative qui est évidente. L’abstention aux élections n’a jamais été aussi importante car la participation électorale est de moins en moins considérée comme un outil pour faire valoir ses idées et changer la société. En effet, la classe dirigeante utilise tous les outils constitutionnels pour vider les représentants élus de leur pouvoir d’opposition à un accroissement de l’exploitation, nécessaire au rehaussement des taux de profits. Ce fait est apparu très clairement avec l’utilisation du 49.3 pour imposer une réforme anti-sociale des retraites en repoussant l’âge de départ à 64 ans. Le mouvement social a d’ailleurs largement documenté le fait que cette réforme serait un coup radical porté à l’égalité femme-homme. L’exigence d’accumulation du capital est donc un obstacle majeur à la progression du droit des femmes. Autre manifestation de la crise politique actuelle : la démocratie devient une démocratie d’opinion, dictée par des sondages plutôt qu’être structurée par des idées, elle met en avant des personnes plutôt qu’un projet. Cela a pour conséquence logique une présidentialisation des partis politiques qui se construisent autour d’un chef et élaborent leur activité militante exclusivement autour de la campagne de ce chef aux élections, en délaissant trop souvent le débat de fond. Les femmes sont les plus désavantagées dans ce rapport à la politique car elles ne correspondent pas, pour une large part de la société encore, aux standards du « leader charismatique » à suivre, elles sont victimes des préjugés qui les freinent dans leur accession au pouvoir.

La société doit donc porter au sein des institutions celles et ceux qui portent un projet radical de transformation sociale, capable de substituer aux objectifs de rentabilité du capital, un objectif d’efficacité sociale qui réponde à tous les besoins humains en général et en particulier des femmes. Ce n’est qu’avec cet objectif en tête que nous changerons le régulateur du système économique. Ces nouveaux objectifs sociaux (égalité femme-homme, respect de l’environnement et de la biodiversité, emplois, formation, services publics, etc) que nous imposerons par de nouveaux pouvoirs.

De nouvelles institutions démocratiques

Car la démocratie n’a pas rendu son dernier souffle, mais, comme je l’ai montré, la situation actuelle nous rappelle à quel point la démocratie représentative est une démocratie limitée et que de nouveaux pouvoirs doivent être conquis pour dépasser la crise politique. Des nouveaux droits démocratiques qui ne sont ni acquis par les hommes ni par les femmes aujourd’hui. Pour tendre vers notre objectif d’égalité, il faut de nouveaux pouvoirs aux femmes et aux hommes.

  • Il faut créer de nouvelles institutions de planification démocratiques et décentralisées au plus près de l’échelle pertinente pour répondre aux différents besoins (échelle nationale et plus locale, région, département). Ces nouvelles institutions, que nous proposons d’appeler les conférences permanentes pour l’emploi, la formation et la transformation écologique des productions, seront constituées de représentants des syndicats, d’élus locaux, régionaux, nationaux, européens, d’associations, de chefs d’entreprise, de banques et institutions financières, représentants des administrations publiques et de l’État. Ces conférences permanentes auront le pouvoir de définir des objectifs précis (égalité femme-homme, mais aussi productions vertueuses pour l’environnement et la biodiversité, développement des services publics, création d’emplois, de formations, etc) et de planifier la réalisation de ces objectifs ainsi que d’en faire le suivi. Elles recevront aussi et examineront les projets portés par les salariés au sein des entreprises ou par des citoyens et agiront pour leur réalisation. Pour cela, elles disposeront de moyens, notamment financiers. Elles mobiliseront des fonds régionaux qui seront capables d’agir auprès des banques pour qu’elles acceptent de financer et pour moduler les taux d’intérêts : des taux plus faibles pour des projets qui sont validés bon pour la société (plutôt que la logique de solvabilité qui prévaut aujourd’hui pour déterminer l’attribution des crédits et le niveau du taux). Au-delà des financements que l’on peut obtenir par une répartition plus égalitaire avec un impôt plus progressif, des impôts spécifiques sur les grandes fortunes et une lutte contre l’évasion fiscale, il faudra utiliser le pouvoir de création monétaire de la BCE pour financer les États. En effet, une fois dépassée la logique d’accumulation du capital comme logique du système économique, les objectifs sociaux dans tous les domaines sont tellement grands, que l’on ne pourra pas financer sans la création monétaire l’ensemble des mesures. Ce pouvoir de création de l’argent de la BCE a d’ailleurs largement été utilisé pour déverser des milliards d’euros sur les marchés financiers afin de limiter les répercussions de la crise de 2008. La BCE a ainsi sauvé la logique de rentabilité du système en agissant comme un pompier de l’incendie financier. Mais un pompier fou car la BCE agit au prix d’une augmentation du risque du développement d’activités spéculatives et d’une instabilité financière, plutôt que d’être utilisé pour les services publics. Il s’agit de modifier cette aberration. Tous les agents économiques – en particulier les grands groupes donneurs d’ordres pour les PME du tissu industriel local et les banques – seront tenus d’accepter le suivi de leurs engagements. La conférence permanente nationale s’assurera de la cohérence entre les projets régionaux, travaillera à leur insertion dans les plans nationaux de filières et dans les coopérations internationales, et veillera à l’équilibre entre les territoires.
  • Il faut faire entrer la démocratie dans les entreprises par des droits nouveaux d’intervention. Les salariés auront ainsi un pouvoir d’intervention (et non plus de consultation) sur l’organisation du travail, la gestion et les orientations stratégiques de l’entreprise. Ce droit d’intervention permettrait notamment un droit de véto pour tous les projets de restructuration des entreprises qui entraîneraient des suppressions d’emploi. Pour la question spécifique des femmes, il s’agit de nouveaux pouvoirs capables d’agir pour concrétiser l’égalité au travail. Les salariées auraient ainsi un droit d’intervention pour prévenir et sanctionner toute mesure discriminatoire à l’encontre des femmes, mettre en place des formations et des projets pour l’égalité (par exemple le développement d’une crèche d’entreprise), qu’il serait possible de financer par le crédit bancaire. Si l’entreprise prend le projet (et il n’y a pas de raison qu’elles ne le fassent pas étant donné que cela répond à des objectifs sociaux validés par les institutions démocratiques de l’Assemblée nationale jusqu’aux conférences permanentes et qu’elles pourront à ce titre bénéficier davantage sur le financement par un taux d’intérêt avantageux, d’une modulation également des cotisations sociales et de l’impôt), cela ne pose pas de souci. Dans le cas où un projet oppose les salariés à la direction de l’entreprise, les salariés pourront saisir les conférences locales, régionales ou nationales qui organiseraient une médiation afin de contraindre entreprises et banques à mettre en place et financer le projet.

L’importance décisive des luttes

Comment veiller à ce que les femmes ne soient pas exclues de ces nouvelles instances démocratiques ?

Cette question permet de montrer précisément le rôle des luttes dans un projet communiste. Le passage d’une société dominée par le capitalisme à une société communiste se fait par une place de premier plan donnée aux luttes.

Déjà, il faudra dans un premier temps veiller à la place des femmes dans ces nouvelles instances. C’est le développement des luttes féministes, revendiquant la légitimité des femmes à intervenir dans le débat public qui permettra cela. Ces luttes combattent les préjugés qui empêchent les femmes de faire valoir pleinement leur pouvoir politique. C’est le mouvement des femmes qui a permis l’avènement du droit de vote et la plus grande parité, bien que j’ai insisté en début d’intervention sur les limites de ces mesures. La construction d’une société émancipée, ce n’est pas la fin aux luttes.

Il faudra que les nouvelles institutions démocratiques fixent des objectifs d’égalité femmes-hommes, portent des projets qui vont vers cette égalité. Là aussi, ce sont les luttes qui impulsent les orientations du système, définissent les besoins, et donc deviennent centrales dans ces nouvelles institutions démocratiques. On ne va pas déléguer aux conférences permanentes la définition de nos besoins. Elles seront certes plus représentatives de la constitution de la société actuelle et des luttes et seront donc capables d’être à l’initiative de projets, mais elles ne remplacent pas l’ensemble des luttes dans tous les territoires. Celles-ci existent pour construire des problèmes publics dont vont se saisir les instituons démocratiques et décentralisés et en être un relais.

Pour conclure, on s’aperçoit bien, lorsque l’on aborde la question des nouveaux pouvoirs pour les femmes, qu’il y a une exigence de dépassement du système économique et politique dans lequel on est actuellement. La crise du capitalisme mondialisé et financiarisé n’aboutit qu’à une régression des droits de tous, et spécifiquement des populations dominées dans le système comme le sont les femmes. S’associer aux luttes féministes anti-patriarcales dans le monde du travail pour l’emploi, l’égalité salariale, dans le monde politique pour la parité, dans tous autres lieux et secteurs pour demander des moyens contre le harcèlement (au travail ou ailleurs), pour la lutte contre les violences, pour la recherche dans la santé, pour l’accès à l’IVG, la contraception, etc, c’est construire ces objectifs comme incontournables pour nos générations et les générations futures, c’est défendre la légitimité du peuple et de ceux qui luttent contre le domination du capital, de revendiquer la définition des besoins contre les logiques de rentabilité, pour en faire nos priorités dans une société plus démocratiques et plus émancipée des diverses dominations. C’est donc un combat universel pour le développement des droits de tous.