Un diagnostic de l’effondrement qui menace l’enseignement supérieur et la recherche en France, et des propositions pour y remédier.
La France voit son service public de l’enseignement supérieur se fracturer sous l’influence des politiques libérales, marquées par une logique de rentabilité qui a entraîné une baisse significative du nombre d’étudiants dans les universités publiques, une augmentation des inscriptions dans le privé, et un accroissement des inégalités scolaires. De même, la recherche française, bien qu’encore capable de prouesses, décline avec une réduction notable des publications, des brevets, et des citations. Les politiques européennes comme le processus de Bologne ont aggravé cette situation en favorisant la concurrence entre les institutions. Face à cette dérive, il est crucial de réaffirmer notre vision politique pour l’éducation et la recherche, basée sur le renforcement du service public, la justice sociale et le progrès collectif.
Un décrochage inédit : le passage du service public à la logique de rentabilité
Pourtant, que constatons-nous ? Le nombre d’étudiants dans les universités baisse (‑3,4 %), et un quart d’entre eux est à présent inscrit dans le privé ; les inégalités de réussite scolaire se creusent, alors que l’encadrement pédagogique des étudiants se dégrade depuis 2010, et que la crise de recrutement chez les enseignants s’aggrave. Le bilan des politiques libérales mises en œuvre depuis les années 2000 dans l’Enseignement supérieur est catastrophique. Il en va de même pour la recherche française qui parvient encore à faire de nombreuses prouesses saluées dans le monde entier mais le déclin amorcé depuis vingt ans est indéniable. Ce phénomène, quoique européen, est bien plus marqué dans notre pays avec la réduction progressive mais nette du nombre de publications, de brevets et du nombre relatif de citations. Il est surtout inquiétant d’observer une baisse considérable du nombre de doctorants dans toutes les disciplines s’agissant aussi bien des sciences agronomiques et écologiques (‑13,1 %), des mathématiques (‑10,1 %), de la chimie des matériaux (‑8 %) ou encore des sciences humaines et sociales (‑7 %) selon les chiffres ministériels de juin 2023 (rapport SIES).
Le décrochage scientifique de la France et la casse de l’enseignement supérieur forment une contradiction majeure avec les défis qui s’imposent et les réponses à apporter aux crises écologiques, économiques et sociales vécues. De nouvelles incertitudes pandémiques, numériques, énergétiques nécessitent impérativement de la maîtrise, du contrôle et de la compréhension. Bien au contraire, les gouvernements successifs sont allés à l’encontre des possibilités offertes par la révolution informationnelle : alors que la deuxième moitié du XXe siècle avait vu une massification dans la formation, notre période voit à l’inverse une décrue, un accès rendu plus inégalitaire, à travers en particulier une fermeture via l’instauration de processus de sélection. Les inégalités sociales sont aussi fortes qu’aux États-Unis : 61 % des enfants de cadres supérieurs ont un diplôme de l’enseignement supérieur contre seulement 31 % des enfants d’ouvriers et d’employés. Alors que l’enjeu du développement économique nécessiterait de continuer à augmenter le niveau de formation, l’éducation semble désormais coûter trop cher à un État mis au service du capital. Les systèmes de production et de diffusion des savoirs ont été refondus par les politiques libérales à l’appui de ces exigences du capital, pour satisfaire ces objectifs destructeurs. En effet, cette incapacité collective à répondre à de tels défis est le résultat de l’imposition d’une logique libérale qui a réussi à casser le service public construit dans l’après-guerre en l’orientant toujours un peu plus au service du profit. En garantissant la hausse du taux de profit, les politiques gouvernementales ont contribué à réorienter l’argent nécessaire au bon fonctionnement des services publics vers le remboursement de la dette ou encore les exemptions d’impôts et de cotisations des grandes entreprises.
Le besoin d’une main-d’œuvre mieux formée, mais à moindre coût, sans céder les pouvoirs qui vont avec la maîtrise des savoirs et sans admettre le besoin d’une refonte des systèmes éducatifs pour répondre à cette attente pose un vrai problème. Les résultats de la recherche sont captés pour combattre la diminution tendancielle des taux de profit, au service de la rentabilité à court terme, d’une « compétitivité » économique qui broie la vie des femmes et des hommes, en totale contradiction avec les besoins qu’exprime la société. Pour cela, plusieurs leviers sont actionnés par le pouvoir politique : une transformation du travail, une mise en concurrence des chercheurs et chercheuses, la casse de la démocratie universitaire et la marchandisation de l’enseignement supérieur et des résultats de la recherche.
À l’échelle européenne, cette politique est le fruit du processus de Bologne amorcé en 1998 ou la stratégie de Lisbonne en 2000, qui a accéléré ce virage néolibéral à l’échelle européenne visant à refonder l’ensemble du système de production et de diffusion des connaissances en Europe pour le mettre au service de la compétitivité des entreprises et de la guerre économique. Les laboratoires, les centres de recherche, les universités, les chercheuses et chercheurs sont mis en concurrence à l’échelle européenne détruisant alors des équipes de recherche et favorisant l’ultra spécialisation des laboratoires. Cette politique répond à une vision étriquée, élitiste et à court-terme. Elle fragilise les thématiques scientifiques jugées non rentables, et abîme la recherche fondamentale sans que les travailleurs du secteur ne soient consultés. Les possibilités de recherches sont limitées par les règles austéritaires de l’Europe libérale, conduisant à ce que les budgets et le nombre d’emplois soient plafonnés.
Des leviers pour financer, démocratiser et protéger
Face à cette mise en œuvre méthodique d’une déstabilisation complète du modèle d’éducation et de recherche publiques, notre commission met en débat un contre-projet qui propose de nouveaux jalons en vue de mettre un terme à cette casse et de répondre aux multiples crises, écologique, économique, sociale et culturelle auxquelles nous devons faire face.
Réorienter les politiques budgétaires
Le service public de l’enseignement supérieur et de la recherche ne peut fonctionner sans fonctionnaires : pour mettre fin à l’emploi précaire, nous recruterons au moins 30 000 personnels de recherche, dans le cadre d’un plan pluri-annuel : 10 000 enseignants chercheurs ; 5 000 chercheurs dans les établissements de recherche ; 15 000 travailleurs administratifs et techniques sous statut de la fonction publique (techniciens, ingénieurs d’études, assistants ingénieurs, ingénieurs de recherche, personnels de bibliothèque, administratifs), essentiels au bon fonctionnement de la recherche.
Cela doit notamment passer par un fonds d’investissement européen en direction de la recherche pour la transition énergétique, la politique industrielle et agricole et pour l’innovation médicale. L’UE doit appuyer le redressement de la recherche scientifique, et encourager l’accroissement des crédits destinés à la recherche, au moment où le gouvernement annonce au contraire des coupes budgétaires massives à l’Université. De plus, il est urgent d’augmenter la part du PIB consacrée à la recherche publique pour lui faire atteindre au moins 3 %, et de pousser l’investissement privé dans la R&D à plus de 2 % du PIB en mettant fin aux financements toxiques qui détruisent la recherche au lieu de la renforcer.
Actuellement, le Conseil européen de la recherche (ERC) consacre 16 milliards d’euros à la recherche entre 2021 et 2027, il le fait par des appels à projets ultra-compétitifs. Il faut réorienter les financements vers des projets de collaboration transnationaux en complément d’une politique de recherche nationale avec des financements récurrents et libérée de l’injonction de rentabilité immédiate. Aucun laboratoire ne doit dépendre du financement par projet. Il faut mettre un terme aux « Plans d’investissement d’avenir » et réinjecter leurs moyens directement dans les établissements.
Enfin, de nouveaux types de relations entre l’enseignement supérieur et la recherche et les entreprises, non soumises au bon vouloir du capital et au critère de la rentabilité financière sont à construire. Pour y parvenir, en urgence, il importe de supprimer le CICE qui n’a absolument pas donné les gages nécessaires à la reprise de l’activité mais aussi de remplacer le Crédit Impôt Recherche par un dispositif de crédit bonifié pour le développement de la recherche et de la formation des salariés. Cette transformation rentre dans une logique d’incitation forte pour valoriser la recherche effectuée par le secteur privé, en fonction de l’activité et la taille des entreprises. L’argent pour la recherche doit profiter pleinement à la recherche, pas à l’optimisation fiscale.
Démocratisation de l’ESR et une mise au service du bien commun
Il importe d’assurer aux chercheurs des moyens stables en limitant à 20 % de la part des appels à projet dans le financement de la recherche et la fin de la logique de l’évaluation managériale nous permettra de mettre au cœur du service public d’enseignement supérieur la valeur d’usage des savoirs.
Nous devons réfléchir à la mise en place d’un pôle public de recherche et développement et sa déclinaison régionale pourraient alors permettre d’associer salariés, élus et citoyens. Il faut en effet réunir tous les acteurs de la recherche et de la R&D, ceux du monde du travail et de la représentation démocratique pour débattre et décider de grands programmes nationaux disposant de fonds spécifiques sur les enjeux jugés prioritaires pour la collectivité. Il s’agit d’une condition essentielle pour réfléchir au progrès technique au sens propre du terme et non à l’innovation comme source de profit actionnarial. C’est la condition du point de convergence entre la recherche menée dans les EPST, les autres organismes (CEA, CNES), les universités et les besoins de l’industrie. Cet outil doit permettre une réappropriation publique de l’activité de maturation faite par les SATT aujourd’hui privées. Il doit assurer une relance ambitieuse des CRITT et centres techniques et de leur aide technologique aux PME.
La mise en place de ce pôle public représentera par ailleurs un progrès dans le statut du fonctionnaire, donnant aux enseignants, enseignants-chercheurs, jeunes chercheurs et personnels BIATSS le pouvoir, partagé avec des représentants du monde du travail et de la représentation politique, de décider des priorités de la recherche pour décider de grands programmes nationaux disposant de fonds spécifiques sur les enjeux jugés prioritaires pour la collectivité. L’énergie, le médicament, l’intelligence artificielle, la circulation de l’information… les domaines sont nombreux qui nécessitent le potentiel de la recherche française pour développer rapidement une recherche de haut niveau, capable de répondre aux défis de l’avenir. Cela se joue également à l’échelle européenne, il faut instaurer au niveau européen des instances directives se composant pour partie des représentants de toutes les catégories des personnels de recherche. Ces instances seront issues d’un processus électif mené sur une base nationale. Parce que les grandes orientations de recherche relèvent de l’intérêt public, les programmes scientifiques européens feront l’objet d’un vote direct par le Parlement européen et de rapports annuels devant les élus.
Protéger les jeunes chercheuses et chercheurs
Les jeunes chercheurs du pays sont ceux qui font vivre la recherche française tant dans les différentes publications, l’élaboration des expériences scientifiques mais aussi sur les cours donnés dans l’Enseignement Supérieur. Ce sont eux qui ont notamment enseigné, comme vacataires (sans contrat), un total de 4,7 millions d’heures d’enseignement en 2021-2022 dans les universités soit l’équivalent de 24 350 enseignants-chercheurs à temps plein. La grande précarité, les faibles salaires (autour de 1 700€), l’injonction aux thèses courtes, l’absence de perspectives professionnelles, la réduction constante du nombre d’enseignants chercheurs (7 500 supprimés en 2024), la non-reconnaissance du diplôme à sa juste valeur dans les conventions collectives sont autant de raisons expliquant une véritable crise de vocation. Être recruté est un parcours du combattant ! Les jeunes diplômés qui souhaitent poursuivre doivent enchaîner les postes précaires, de nombreux déménagements et à une multiplication des sujets de recherche.
De nombreux jeunes ne voient plus dans la recherche une perspective d’orientation professionnelle attrayante et des jeunes chercheurs talentueux abandonnent leurs recherches. Beaucoup de jeunes diplômés des meilleurs masters universitaires ou des grandes écoles, partent directement vers le privé exercer un métier d’ingénieur, ou bien à l’étranger (y compris extra-européen) dans d’autres universités. Pourtant, les doctorants jouent un rôle très important dans la production scientifique. Bien qu’étant des chercheurs en formation, leur apport au système de recherche public (mais aussi dans les partenariats avec le privé, en thèse CIFRE) fait l’objet de convoitises internationales.
Le doctorat doit être reconnu à sa juste valeur : il ne donne accès à l’heure actuelle à aucun droit protecteur !Les jeunes chercheuses et chercheurs doivent pouvoir explorer des champs nouveaux, construire leurs questions et leurs parcours dans la sérénité, découvrir le plaisir de chercher et d’enseigner sans toujours penser à leur prochain contrat et aux moyens de payer le loyer. Nous ne voulons plus devoir décourager les jeunes qui se lancent dans la recherche parce qu’ils n’ont pas les moyens de financer leur travail ou parce que les débouchés sont trop incertains. L’urgence est donc de déprécariser la recherche. Il s’agit de proposer un nouveau cadre protecteur pour les jeunes chercheurs et inciter les étudiantes et étudiants à se tourner vers la recherche. La mise en place de ce que nous appelons un « statut du doctorat » permettra d’offrir ce véritable cadre pour le statut de salarié et d’intellectuel mais aussi pour la reconnaissance professionnelle et démocratique de tous les doctorants. Ce statut peut alors se décliner en trois volets essentiels qui touchent l’ensemble des doctorants : un volet économique, un volet touchant à la reconnaissance sociale des jeunes chercheurs et enfin un volet démocratique.
Il doit ainsi en particulier permettre des garanties minimales de revenu, la prolongation de la durée des contrats doctoraux, la valorisation du montant des contrats, la prise en compte de la période du doctorat pour la retraite et l’exonération des frais d’inscription au titre de leur fonction productive des doctorants dans le cadre universitaire. Il doit également assurer la protection de la propriété intellectuelle individuelle des jeunes chercheurs en France comme à l’échelle communautaire, le droit à bénéficier d’un encadrement formé et respectueux du travail des doctorant.es ainsi que la reconnaissance administrative de leur statut singulier dans toutes les démarches administratives (chômage éventuel, aides sociales…). Il doit enfin permettre l’accès à de nouveaux droits démocratiques aux doctorants dans leurs établissements (par la création d’un collège spécifique dans toutes les instances), les ministères et même le Conseil Européen de la Recherche.
Enfin, la précarité ne s’arrête pas aux seules portes du doctorat. Il importe d’élargir cette réflexion aux jeunes docteurs. Il devient alors primordial de garantir la reconnaissance du doctorat dans les conventions collectives pour valoriser le diplôme du doctorat dans le secteur privé. L’inscription de ce diplôme dans le Répertoire National de la Certification Professionnelle est une première avancée importante. C’est une valorisation symbolique forte qui reconnaît les compétences essentielles des docteurs (la conception, la mise en œuvre, la valorisation, l’internationalisation et la diffusion du travail scientifique et technique) mais elle ne suffit pas à permettre l’intégration concrète des diplômés dans le secteur privé. Il faut également abroger tous les dispositifs qui précarisent et mettent en concurrence les jeunes chercheuses et chercheurs. Cela concerne aussi bien les chaires de professeur junior, les contrats de type LRU, que l’ensemble des contrats précaires. La multiplication de contrats postdoctoraux mal rémunérés doit également être encadrée en exigeant une augmentation de la durée minimale de ces contrats, une revalorisation des grilles salariales et la sanctuarisation d’un temps dédié à la recherche propre de la personne sous contrat.
C’est pourquoi, à l’heure où le délabrement d’une partie des universités françaises interpelle l’opinion, il importe plus que tout de porter nos propositions pour l’enseignement supérieur et la recherche au cœur du débat politique, au sein d’un projet communiste en rupture avec l’Europe des marchés !