
Frédéric BOCCARA
Nous sommes opposés de façon déterminée à la continuation de la politique menée par Emmanuel Macron et à l’austérité quelle que soit la forme qu’elle prendrait. Nous n’avons aucune illusion concernant Bayrou, qui d’ailleurs comme les autres agite la dette comme argument pour aggraver l’austérité. Nous voulons un changement profond, c’est ce dont notre peuple, la France et l’Europe ont besoin, et cela contribuera à un autre monde, de paix, de coopération, d’émancipation humaine et de préservation du vivant. Nous nous y emploierons avec toute la gauche, avec le mouvement social, associatif et syndical.
Nous devons le dire et ne pas biaiser. Ne pas biaiser avec le mot « changement » en étant tétanisé par le mot « stabilité » agité par Macron… qui est en réalité un chantage à la conservation.
Ne pas biaiser non plus avec la politique de Macron et de tous les Premiers ministres qu’il a nommés jusqu’ici : il faut des changements profonds, qui contiennent certes un certain nombre de mesures concrètes… mais qui ne s’y réduisent pas. Qui peut croire à un redressement du service public de la santé, de l’école ou du fret ferroviaire, pour ne citer que ceux-ci, sans d’une part un tournant contre l’austérité : par de nouvelles dépenses publiques financées par des avances à 0 % en mobilisant le pôle public bancaire puis la BCE, au lieu de chercher les réduire les dépenses publiques ? et sans, d’autre part, engager un tournant avec la politique d’appui au capital et aux profits, au nom de l’offre ― la production ― qu’en réalité ils ne cessent d’affaiblir ? Un tournant par des embauches et des mises en formation massives dans l’industrie comme dans les services publics (soignants, enseignants, cheminots) ?
Rompre avec l’austérité et toute l’idéologie qui va avec, toute la culture malthusienne qu’elle nourrit est décisif. Il ne suffit pas de « réparer », de limiter la casse. Il faut une impulsion nouvelle de développement. C’est une question qui va au-delà de l’économie. Presque une question de mentalité, même si elle implique des changements économiques profonds.
Notre faible résultat aux élections européennes et, en chaîne, celui des législatives, ayant entraîné une réduction de la représentation parlementaire du PCF, est préoccupant. C’est cela qui, avec la montée électorale inédite de l’extrême-droite, a conduit le conseil national du PCF à décider d’une conférence nationale afin d’analyser la situation et d’en tirer tous les enseignements pour notre fonctionnement et nos choix à venir. Ce résultat a amené les communistes à souligner, durant la préparation de la conférence, le besoin d’identification du parti et de son projet de société, au cœur duquel ils positionnent tout particulièrement la SEF (sécurité d’emploi ou de formation) et nos propositions économiques, à discuter du contenu de la campagne des européennes, qui s’est trouvé en décalage avec notre projet internationaliste, ainsi qu’avec nos orientations de congrès et avec les décisions de notre conférence européenne. Cela doit nous interroger sur l’importance de mesures phares, porteuses de sens, dans nos interventions nationales, par exemple notre bataille centrale pour les services publics et leur financement à 0 % par le pôle public bancaire, et au-delà par un Fonds Européen financé par la BCE. Nous en avons l’opportunité en Europe. Même le président de la Bundesbank appelle à assouplir les règles du « frein à la dette » ! Un ressaisissement de notre direction nationale, de notre communication, une réorientation en phase avec notre 39ème congrès sont nécessaires.
Priorité aux dépenses humaines, pas à celles pour le capital
Notre projet, c’est qu’il faut une priorité aux dépenses humaines, pas à celles pour le capital. Donc un début de renversement de la logique profonde, capitaliste, qui domine notre société. Notre projet, c’est faire reculer la domination du capital, pas seulement son coût, aussi ses pouvoirs et sa logique ; la faire reculer par différents moyens, changer les critères de gestion qu’il impose (nationalisations industrielles et bancaires, autres critères de gestion, nouveau crédit, pouvoirs des travailleurs, institutions nouvelles de planification…). En ce sens, nous devons faire le lien entre nos propositions et notre projet ― le développement émancipateur de toutes des capacités humaines au travail et tout autant au-delà du travail ; l’internationalisme, depuis la solidarité internationale jusqu’à des institutions précises de coopération contre l’impérialisme, en tout premier lieu celui du dollar des Etats-Unis ; la démocratie. Il faut une réorientation de notre communication et de nos interventions publiques qui doivent porter cela très largement, pas seulement devant les communistes et en congrès.
La priorité aux dépenses humaines, c’est aussi l’absolue nécessité pour les entreprises, en vue d’une très nouvelle industrialisation, à la fois sociale et écologique ; car l’enjeu pour relever ce défi c’est de développer les capacités des femmes et des hommes, partout !
Face à la dette et aux immenses besoins de dépenses, il ne s’agit pas de faire des calculs d’apothicaires pour matraquer d’impôts telle ou telle catégorie. Dans Les luttes de classe en France, Marx dénonçait déjà cette tendance de la gauche française à être obsédée par les impôts sans voir que le rejet des taxes et impôts supplémentaires est un ferment populaire considérable en France depuis l’Ancien Régime.
Mais, renouant avec la logique qui avait permis après-guerre de sortir des difficultés, il faut mobiliser les banques. Et, cette fois-ci, changer vraiment leur rôle et leurs critères, ce qui n’a pas été fait en 1981-82 : financent-elles les délocalisations, les plans sociaux et la spéculation, ou un investissement créateur d’emploi, de meilleurs salaires, et une production écologique ? Il faut changer l’utilisation de l’argent des banques, des entreprises, et les aides publiques. Et on peut partir du pôle public bancaire existant pour faire cela.
Il faut être précis et offensif là-dessus. Non seulement en paroles, dans les médias ou en débat public, mais aussi pour faire monter ces revendications dans les luttes et les mobilisations. C’est un des enjeux majeurs de notre campagne pour l’emploi et la formation, pour permettre un redressement et un nouvel essor des services publics et une nouvelle industrialisation.
Le NFP devrait d’ailleurs interpeller le ministre de l’Économie et des Finances, Eric Lombard, ancien directeur de la Caisse des dépôts : il doit créer un Fonds d’avances social et écologique pour les services publics, finançant à 0% leurs dépenses d’embauches et de formation, financé par le pôle public bancaire, doté d’une gouvernance démocratique (élus de la nation, élus locaux, représentants syndicaux, représentants des associations), se tournant vers la BCE pour son refinancement. Et quelles négociations envisage-t-il dans ce sens avec nos partenaires européens ? C’est ainsi que l’on sortira du marasme.
Alors, le NFP ?
La progression de la gauche en nombre de député·e·s aux dernières législatives ne doit pas masquer sa faiblesse, ses limites, mais aussi ses forces. Le programme du Nouveau Front populaire, le NFP, porte des objectifs sociaux et écologiques qui font écho aux attentes populaires et expliquent le soutien qu’il a reçu de la part du mouvement social et associatif, notamment la CGT et la FSU ou la CNL, malgré ses insuffisances et ses contradictions.
La construction d’une alternative à gauche, à hauteur des espoirs suscités par le NFP, est nécessaire. Pour cela, il faut aller au-delà de la seule question de la répartition des richesses existantes pour porter la nécessité de transformer les rapports de production en donnant la priorité aux capacités humaines et à la préservation du vivant, et pour cela porter la nécessité de conquérir des pouvoirs nouveaux, décisionnels, sur l’utilisation de l’argent des banques, des entreprises et sur les aides publiques, avec de nouvelles institutions publiques et sociales (planification, pôles publics, nationalisations, pouvoirs des travailleurs…) se donner les moyens financiers et démocratiques de combattre les logiques du capitalisme.
Pour ces raisons, parce qu’il rassemble l’ensemble des forces de gauche en les ancrant sur un programme qui peut permettre d’enclencher des changements profonds, parce qu’il rassemble plusieurs organisations syndicales, mais aussi parce que l’accord électoral de répartition des circonscriptions est inéquitable à notre égard et inefficient au regard des réalités politiques de terrain, il faut aller vers une « nouvelle étape du Nouveau Front populaire ». Il nous revient en tant que PCF, fort de notre projet et de nos propositions, de porter partout l’exigence d’une nouvelle étape du rassemblement à partir d’un débat public, ouvert et contradictoire avec les citoyens·ne·s et entre forces de gauche sur les contenus d’une transformation radicale qui réussisse, un rassemblement qui favorise l’intervention populaire la plus large possible.
Si notre Parti a gagné en visibilité nationale, nos idées, notre projet et nos propositions restent largement méconnues, peu portées dans nos interventions médiatiques et nos résultats demeurent insatisfaisants.
L’enjeu, c’est que ce sur quoi nous nous mettons d’accord dans nos instances soit vraiment porté et soit la politique du Parti. Il ne s’agit pas de concéder des phrases, des mots-clés en congrès ou ailleurs, pour continuer la même chose qu’avant. Cela exige aussi d’oser mener le débat de fond dans le NFP, mais sur ce qui compte, en particulier sur l’économie, pas pour diaboliser tel ou tel partenaire mais pour avancer.
Engager une campagne pour porter notre projet.
Au demeurant, nos atouts ne se résument pas à « des militants et des élus et une place reconnue ». Nos atouts c’est aussi ― peut-être surtout ― des idées originales et un projet émancipateur, non seulement exigeant et cohérent quant aux moyens financiers nouveaux à mobiliser (banques, entreprises, aides publiques, banque centrale), aux changements dans le travail ou la production et aux pouvoirs et institutions nouvelles à créer, mais aussi un projet internationaliste, porteur de solidarité et de coopération pour un monde de partage et de co-développement. Un projet reposant sur l’intervention constante et consciente de toutes et tous les intéressé.e.s, reposant sur la démocratie.
En ce sens, notre campagne nationale pour l’emploi et la formation contre l’austérité, en faveur d’une nouvelle industrialisation et des services publics, peut-être décisive et structurante. Pas si nous l’impulsons de façon administrative et la prenons comme une campagne en direction d’une sorte de « clientèle électorale ». Mais, au contraire, si nous la relions d’une part à notre projet et aux grands enjeux du pays, si nous la relions d’autre part aux questions de la gauche et d’une nouvelle étape nécessaire du NFP, si nous la relions à des revendications nationales, si nous appuyons les fédérations et les militants par un suivi de fond et des initiatives de formation pour aider à l’animation des débats ainsi qu’à faire le lien entre les revendications, les exigences politiques nationales et notre projet. Si nous en faisons un grand moment de pédagogie nationale et d’élévation du niveau de conscience de toute la gauche comme du Parti communiste français.
Ce texte a selon moi un défaut majeur, il ne sort pas du carcan de la gauche, comme si cette dernière était donnée intangible. La ligne du partage est-elle entre le capital et le travail ou entre la gauche et la droite ? Il serait peut-être temps de se poser la question de la signification politique du mot gauche !
Cette question est incontournable ! La gauche n’est-elle pas avant tout une idéologie d’intégration à la société capitaliste ? Elle ne remet nullement en cause la domination du capital sur la société, puisqu’elle vise une société moins inégalitaire avec une meilleure répartition des richesses, mais en restant dans le cadre du système. SI les richesses sont inégalement réparties c’est qu’elles parce qu’elles sont produites pour satisfaire les besoins de profit de ceux qui possèdent les moyens de production et d’échanges quitte grâce à l’Etat à ne plus permettre la reproduction de la force de travail de ceux qui les produisent. Le PS qui est la version « relooké » de la SFIO est par définition un parti de gauche. Il a fait le choix au congrès de Tour d’être le gérant de la société capitaliste. Toute son histoire atteste de la permanence de ce choix. Au congrès de l’Internationale socialiste intervenant 2 semaines après la signature du Programme commun, F Mitterrand déclarait qu’il avait signé pour démontrer qu’il pouvait piquer 3,5 millions de voix au PCF ! C’est effectivement ce qui s’est passé. ! Il ne s’agissait pas pour le PS de transformer la société mais de se donner une image de changement (après avoir abandonné le signe déconsidéré de la SFIO) par la signature du PCG porté par le PCF depuis des années. Les partis l’avaient signé pour des raisons différentes. Son point faible était qu’il était de sommet, uniquement délégataire. Les partis s’étant entendus il ne restait plus qu’à porter l’alliance PCF-PS au pouvoir par le processus électoral ! La victoire de la gauche estompait la lutte de classe. Le changement n’a duré que deux ans, un peu plus que le Front populaire, et puis ce fut la rigueur ! la financiarisation de l’économie, la dérégulation du travail, les privatisations, etc.…
La crise économique qui a débuté à la fin des années 1970 est celle de la suraccumulation du capital qui nécessite de purger en permanence le capital excédentaire dont la valorisation est insuffisante. Face à cette réalité, chaque force politique se détermine en fonction de ses choix fondamentaux. Aucun des alliés du PCF dans le NFP n’a la volonté de s’attaquer au capital. Le programme du NFP ne s’attaque en rien au capital, il reste dans la logique d’une répartition moins inégalitaire des richesses. Le PCG avait un contenu autrement plus transformateur que celui ultra light du NFP alors que la crise est bien plus profonde. En 1981 comme maintenant la bourgeoisie n’a pas l’intention de céder son hégémonie sur la société. L’Etat central et déconcentré est à son service. Elle utilisera tous les moyens pour maintenir cette hégémonie.
Les Français ont fait l’expérience de l’alternance des gouvernements de gauche et de droite menant des politiques identiques. C’est pourquoi ils s’abstiennent ou votent RN. Rappelons que le FN/RN fut mis en avant en 1984 par F Mitterrand et le PS (cf La main droite de Dieu, Ed Seuil) pour servir de repoussoir électoral et casser la droite afin d’établir une coalition de troisième force. La gauche (la social-démocratie) et la droite (les libéraux) étant d’accord sur l’essentiel, la pérennité du système capitaliste, les différences ne portent que les aspects sociétaux.
Changer la politique du pouvoir en faveur du salariat nécessite autre chose que des alliances électorales de sommet dépourvues de tout contenu transformateur.
Le PCF doit en finir avec cette perpétuelle recherche d’alliances avec des partis qui n’ont pas d’autres ambitions que de l’utiliser comme marchepied électoral. Lorsque le PCF pesait un quart du corps électoral il s’est révélé incapable de maintenir le PS à « gauche » alors maintenant qu’il ne fait que 2 % !!!
Si le choix de Tours était le bon, ce que je pense, le PCF doit redevenir un Parti de lutte et non pas exclusivement d’élus ! Il ne peut pas être un parti comme les autres, dont l‘activité militante est uniquement électorale. Le PCF doit devenir le parti du salariat de tous ceux qui vendent leur force de travail et non pas de la seule classe ouvrière comme auparavant. Il doit avoir une activité politique dans l’entreprise, dans tous les lieux de travail et dans les quartiers. Il doit avoir un organe de presse. Pour combattre, les idées dominantes, le journal l’Humanité doit cesser d’être le journal de social-démocratie et revenir l’organe du Parti. Les autres partis n’ont pas besoin d’organes de presse. La presse et les médias aux mains des groupes capitalistes travaillent pour eux. La tâche est immense, mais le Parti ne part pas de rien. En 1985, il avait élaboré une stratégie révolutionnaire, le Rassemblement Populaire Majoritaire. Il s’agissait de rassembler les salariés, les citoyens dans les luttes et de contribuer à fédérer ces luttes, sans se préoccuper des alliances. Ces dernières se faisant ou non en fonction de l’intensité des luttes et de leurs contenus. L’alliance n’étant plus conçue comme un but mais comme un moyen. Cette stratégie fut abandonnée au bout de deux ans pour revenir à l’Union de la Gauche. La suite nous la connaissons !