Oui, la lutte paye !

À l’instar de la lutte menée dans l’immense majorité des hôpitaux de France, la lutte opiniâtre depuis 2016 des personnels de l’hôpital de la Creuse a permis de contrer l’offensive de l’ARS en l’obligeant à déposer un moratoire pour 3 mois et à discuter de propositions alternatives adaptées aux besoins du territoire. Depuis 2016, et bien que la situation de l’établissement reste précaire, l’ARS n’ayant pas renoncé à ses projets funestes, la mobilisation des personnels et des usagers a permis de maintenir le moratoire en imposant un rapport des forces dans la lutte. Oui, la lutte paye.

Aubusson est la sous-préfecture de la Creuse. Elle est en proie à la désertification même si elle est mondialement connue pour sa tapisserie d’exception, dont Jean Lurçat fut un promoteur.

Elle compte 3 400 habitants contre 3 716 en 2011, dont 20 % de personnes âgées de plus de 75 ans, et rayonne sur un bassin de vie de 66 communes pour un total de plus de 20 000 habitants. Compte tenu de cette démographie la question de l’accès aux soins est primordiale.

Dans cette commune il existait un hôpital et une clinique. Devant les difficultés de fonctionnement de la clinique, l’ARS décida en 2013 de l’absorption par l’hôpital de la clinique, ce qui mit l’hôpital dans une situation financière délicate.

Fin 2015, à l’initiative de l’ARS, un audit organisationnel et financier est réalisé afin de « préparer le retour à l’équilibre financier ».

Les conclusions de l’audit encouragent l’établissement à une rigueur budgétaire basée sur des économies à court terme impactant principalement la masse salariale, sans prise en compte des besoins du territoire. Celui-ci préconise entre autres la suppression de 28 emplois ETP, la suppression de la chirurgie ambulatoire, la diminution de l’activité du service des urgences, diminuer l’activité du laboratoire (contrat avec le labo privé de la ville), la suppression de lits en chirurgie, la suppression de lits en soins de suite et réadaptation (SSR), la diminution des effectifs de l’EHPAD, la suppression d’un poste de pharmacien, l’externalisation du service de restauration etc. C’est le démantèlement de l’hôpital qui est programmé.

Face à cela, le syndicat CGT de l’hôpital appelle dès le 9 mars 2016 à une première journée de grève majoritaire suivie par 57 % du personnel. De là suivront une série d’actions, de grèves, d’opérations ville morte, de manifestations, d’appels à la population, aux élus, de courriers envoyés à l’ARS par la population les 21 mars, 23 mars, 4 mai, 28 mai.

Face à cette mobilisation d’ampleur des salariés, des populations, l’ARS est contrainte d’annoncer fin mai un moratoire de 3 mois, jusqu’en septembre 2016. Durant ce moratoire, trois réunions par mois seront programmées entre des représentants de l’ARS, la Direction, des élus et des représentants du personnel. Elles sont destinées à dégager des pistes pour permettre à l’hôpital de retrouver l’équilibre financier tout en répondant au besoin d’offre de soins du territoire. Par conséquent, toutes les actions entreprises dans l’urgence par l’actuelle direction et axées sur la fermeture de services et de lits, sur des économies de personnel et en dépit de tout principe d’égalité d’accès aux soins et de démocratie (toutes ces actions ont été mises en place sans concertation préalable en instance) sont ajournées !

Durant ce moratoire le syndicat décide de construire avec l’ensemble du personnel, avec l’ensemble des services, une proposition alternative de développement de l’offre de soin répondant aux besoins de la population, du territoire et des salariés.

C’est un projet innovant, viable, répondant aux enjeux de santé publique de la population sud-creusoise d’aujourd’hui et de demain qui est construit, plaçant l’hôpital d’Aubusson comme fer de lance d’une filière gériatrique tout en maintenant des services de proximité tels que la chirurgie.

Le 23 septembre un grand débat public est organisé en présence de Philippe Martinez pour présenter à la population ce projet alternatif : plus de 150 participants.

Officiellement, en 2019 le moratoire n’a toujours pas été suspendu.

Même si le moratoire se poursuit officiellement, la direction n’a pas désarmé et continue son travail de sape. Son objectif : dégoûter la population à venir se faire soigner. En décembre 2016 la climatisation du bloc opératoire tombe en panne, créant des problèmes pour réaliser les opérations. Il a fallu 5 mois pour faire réaliser 3 devis, les travaux commençant en juin, la reprise des opérations commençant mi septembre 2017, soit 8 mois sans activité de chirurgie. Tout est fait pour diminuer l’activité, décourager les chirurgiens de venir, et faire peur aux usagers pour les détourner de l’hôpital et justifier la fermeture par manque d’actes.

Devant ce climat social qui se détériore et l’entêtement de la direction qui persiste à vouloir coûte que coûte faire passer son projet, en privant les agents des moyens de fonctionner correctement au lieu de négocier, les conditions de travail se détériorent de façon considérable. Devant la surcharge de travail en raison d’une inadéquation récurrente entre les effectifs et les tâches à réaliser, des signes de souffrance qui se traduisent par de l’épuisement et une baisse de la motivation, de nombreuses plaintes de salariés, auprès des représentants du personnel, qui dénoncent un mal-être persistant dans leur travail, une augmentation de l’absentéisme dans les services, les membres CGT du CHSCT décident d’une expertise sur les risques psycho-sociaux engendrés par la gestion du personnel. Seule réponse de la direction, en contester la nomination devant les tribunaux en septembre 2017. Peine perdue, elle sera déboutée et l’expertise aura lieu en février et mars 2018, le rapport rendu en CHSCT en juillet 2018. Ce dernier confirmera la dégradation des conditions de travail, l’épuisement des personnels, l’absence de vision d’avenir et donc le découragement des agents…

Depuis le mois de mai 2019 le personnel est appelé à une heure de grève par jour pour protester contre ses conditions de travail. La seule réponse de la direction est qu’elle aurait un personnel « trop consciencieux » et des agents « ayant des conditions de travail très confortables ».

Mais même si l’ARS ne parle plus de son premier plan, elle n’en continue pas moins son travail de sape.

Elle est venue le 1er juillet 2019 pour faire entériner le CREF (Contrat de retour à l’équilibre financier). Celui-ci préconise, sous couvert de transformer l’hôpital en hôpital de proximité (pas de chirurgie, peu d’urgences, pas de SSR sauf autorisation spéciale dérogatoire selon l’activité) de supprimer 3,65 ETP infirmières + 1,30 AS + 1,30 ASH en médecine, 3 ETP infirmière + 1 AS en SSR, 3 ETP AS + 0,60 ETP infirmière au SSIAD, 6 ETP ASH à l’EHPAD le Mont, 11 ETP ASH à l’EHPAD St Jean, ne plus remplacer les arrêts maladie inférieurs à 4 jours consécutifs et diminuer de 15 ETP les remplaçants, supprimer la chirurgie ambulatoire et presque plus d’urgence, sans compter les diminutions de lits en SSR et médecine (-3 et -4, pour arriver à 18 lits maxi en médecine à terme). Pas plus qu’en 2016 le personnel ne veut accepter ce projet contraire tant aux conditions de vie sur un territoire défavorisé pour la population, qu’aux conditions de travail des agents. L’ARS fut accueillie par un barbecue revendicatif du personnel devant l’établissement qui continue à refuser ce nouveau plan. Le conseil de surveillance de l’hôpital, hormis la direction et l’ARS, a refusé à l’unanimité ce projet (contrairement à la loi, aucun vote n’a eu lieu, et donc le CREF n’ayant pas été voté, il ne devrait pas être mis en place). Mais bien que faisant contre elle l’unanimité, l’ARS a choisi de passer en force, et passe outre le manque de vote, un plan réel et organisé pour l’avenir de l’hôpital et des agents. Face à cet aveuglement et entêtement la réponse du personnel est claire : poursuivre la lutte !

Une fois de plus, à vouloir passer en force, la direction n’a pas consulté le CHSCT sur la réorganisation proposée. Celui-ci a fait valoir ses droits en convoquant un CHST grâce à la CGT, lors duquel la CGT a mis la direction face à ses agissements, son opacité et son désir de détruire l’hôpital d’Aubusson. La CGT a voté une nouvelle expertise (que la direction aurait dû faire avant de proposer une réorganisation si importante), l’expert ayant pour mission d’examiner les répercussions du projet sur les conditions de travail, ce qui gèle la mise en place du CREF selon la loi. Mais l’ARS et la direction ont décidé de poursuivre leur CREF contre la loi, sans attendre que l’expertise se fasse, sans attendre l’avis du CHSCT, et ont déjà commencé à licencier du personnel tout en ne renouvelant pas des contractuel-le-s employé-e-s depuis longtemps.

La rentrée sera, comme en France, chaude et revendicative, avec dès début septembre (sans doute couplée avec la manifestation nationale du 11 septembre) une grande manifestation organisée dans les rues d’Aubusson pour soutenir l’action du personnel, défendre l’hôpital, les conditions d’accueil des patients/résidents, et rappeler que dans une République digne de ce nom, on a le droit de pouvoir vivre, s’éduquer, travailler, se faire soigner sur n’importe quel point du territoire.

Une chose est sûre : l’avenir de l’hôpital d’Aubusson n’est pas garanti, mais sans la lutte exemplaire et acharnée du personnel depuis 3 ans, alliant contestation et propositions celui-ci serait déjà fermé.