Note de lecture

Pavlina R. Tcherneva, La garantie d’emploi, La Découverte, Paris, 2021

La traduction française du livre de l’économiste américaine, précédée de l’écho qu’il a rencontré dans la gauche américaine adepte d’un Green New Deal, suscite de nombreux commentaires [1] qui confirment l’actualité du projet communiste de sécurisation de l’emploi et de la formation.

Ce projet n’est pas celui de Pavlina R. Tcherneva, même si l’ouvrage recueille l’adhésion lorsqu’il met en évidence les coûts sociaux, économiques et écologiques du chômage, et lorsqu’il préconise de cesser de faire de l’emploi la variable d’ajustement des politiques économiques. Mais elle définit la garantie d’emploi comme « une politique publique dont le but est de donner une possibilité d’emploi à toute personne qui recherche un travail, quelle que soit sa situation personnelle ou celle de l’économie (…) dans un large éventail de projets de care, de réinsertion sociale, de protection de l’environnement, de construction de petites infrastructures ». On reconnaît là le modèle qui inspire les propositions d’« État employeur en dernier ressort [2] ». La seule action de l’État est considérée comme capable de résoudre le problème du chômage et de garantir « un niveau de salaire minimum décent pour l’ensemble des emplois de l’économie », tout en exonérant les entreprises de toute responsabilité en matière d’emploi. Rien n’est apparemment prévu pour la formation des chômeurs à leur « emploi garanti », même s’ils peuvent être aidés à accéder ensuite à un autre emploi privé ou public, comme le font déjà Pôle Emploi en France ou les bureaux du chômage aux États-Unis. L’objectif social d’en finir avec le chômage ne s’accompagne donc pas de la lutte, contre la domination du capital, pour une nouvelle efficacité économique fondée sur le développement des capacités humaines.

Le projet se réclame d’une prétendue « théorie monétaire moderne » soutenant, à tort, que la monnaie est une émanation de l’État. Or la monnaie n’est pas une pure convention, elle naît des contradictions de l’économie marchande [3]. Comme l’écrit Henri Sterdyniak, « le programme d’emploi garanti sera utilisé par les personnes employées pour acheter des biens marchands [4] » et les services non marchands qu’ils produiront seront payés dans un premier temps par un déficit budgétaire dont on attend une relance de l’activité de nature à augmenter, ensuite, les recettes publiques.  

On aimerait donc croire, avec Pavlina Tcherneva, que « quand les clients achètent et que les profits augmentent, les entreprises embauchent » mais elle observe elle-même, quelques pages auparavant, que « les reprises sans emploi sont devenues la norme depuis un demi-siècle » car les gestions capitalistes utilisent les gains de productivité pour baisser le coût du travail. C’est ce qui semble encore se dessiner à la sortie des derniers confinements.

Compter sur la hausse des profits pour en finir avec le chômage, c’est ignorer que le chômage est la condition d’un système économique où la force de travail humaine est traitée comme une marchandise que les « employeurs » peuvent décider d’acheter ou de ne pas acheter.

Dans la postface de l’édition française, Romaric Godin propose une autre interprétation de la garantie d’emploi, visant non pas à « sauver le capitalisme de lui-même » dans la tradition de Keynes et de Roosevelt, mais à le « dépasser ». En protégeant chaque salarié du chantage au licenciement, la garantie d’emploi modifierait le rapport des forces au point que le capital deviendrait incapable de proposer des emplois précarisés et mal payés, et qu’il se résorberait en quelque sorte de lui-même, laissant une place croissante, au sein de l’économie, aux activités exercées sous le régime de la garantie d’emploi, propices à une planification inspirée par la recherche du bien commun. Si révolutionnaire que puisse être cette intention, elle a en commun avec la conception « réformiste » de laisser intacte la domination du capital dans les lieux mêmes où elle s’exerce : l’entreprise, le système bancaire.

La conquête par les travailleurs dans les entreprises, par les citoyens dans les territoires, de pouvoirs démocratiques sur l’utilisation des profits et sur celle des crédits bancaires est tout aussi indispensable que l’action de l’État à l’appui des luttes sociales et politiques. C’est précisément cette cohérence entre des objectifs sociaux et écologiques et la conquête démocratique des moyens de les atteindre qui distingue la construction d’une sécurité d’emploi et de formation des utopies étatistes inspirées par la crise du marché du travail capitaliste – État employeur en dernier ressort, « salaire à vie », revenu d’existence… – et en fait une composante essentielle de la transition vers une société émancipée de la domination du capital et du lien de subordination dans laquelle elle entretient les salariés.


[1] Voir le point de vue du regretté Michel Husson : https://alencontre.org/societe/la-garantie-demploi-au-milieu-du-gue.html

[2] Voir Léon Caquant, « Les impasses de l’État « employeur en dernier ressort », Économie&Politique n° 802-803, mai-juin 2021, https://www.economie-et-politique.org/2021/06/24/les-impasses-de-letat-employeur-en-dernier-ressort/ .

[3] On pourra consulter sur ce point Denis Durand, « Débats contemporains sur la monnaie », Économie&Politique n° 790-791, mai-juin 2020, https://www.economie-et-politique.org/47_ep790791eco_po_790_791_21_07_2020_dd-1/ .

[4] Henri Sterdyniak, https://blogs.mediapart.fr/les-economistes-atterres/blog/200421/propos-du-livre-de-pavlina-r-tcherneva-la-garantie-d-emploi