Le système bancaire français aujourd’hui

Le paysage bancaire français actuel résulte d’une série de concentrations, consécutives aux privatisation des années 80, qui ont placé les grands groupes bancaires français, publics, privés et mutualistes, parmi les principaux vecteurs de la domination des marchés financiers sur l’économie mondiale.  

En 1981, le gouvernement Mitterrand-Mauroy décide la nationalisation de la quasi-totalité du système bancaire français et des grandes compagnies d’assurances. Dès 1986, les premières privatisations préludent à une série de concentrations, retracées dans le schéma 2 ci-dessous, qui conduisent à la constitution de cinq grands groupes de taille mondiale contrôlant la quasi-totalité des réseaux d’agences sur le territoire, à l’exception des guichets de la Banque Postale.

Aujourd’hui, quatre de ces groupes, le Crédit Agricole, la Société Générale, BNP-Paribas et BPCE font partie des trente banques d’importance systémique mondiale identifiées par le FMI. Pour l’institution monétaire internationale, cela signifie que la faillite de l’une d’elles menacerait la stabilité de tout le système financier mondial. Plus profondément, elles font partie de la « pieuvre mondiale », de l’oligopole bancaire dont François Morin a montré le rôle dominant dans les marchés financiers et dans le financement de toute l’économie mondiale [i]. La France se distingue ainsi, parmi les puissances européennes, par la forte internationalisation de son système bancaire, qui n’est pas sans lien avec l’extraversion de nos multinationales à base française.

En somme, lorsque nous rencontrons notre « conseiller » du Crédit Agricole ou de la Caisse d’épargne, nous entrons en relation avec une institution qui étend ses activités et son influence au monde entier. C’est par là que la mondialisation capitaliste imprime sa marque sur le système bancaire français, plus que par la présence de banques étrangères sur le marché national. Sur les 115 banques étrangères enregistrées en France, seul le géant HSBC avait tenté de disposer d’une présence commerciale visible, en faisant l’acquisition du Crédit commercial de France. Il vient de renoncer à cette stratégie en revendant son réseau en France.

Le groupe Crédit Mutuel-CIC, de taille un peu moins gigantesque, a été secoué ces dernières années par la tentative de scission menée par les fédérations du crédit mutuel de Bretagne et du Sud-Ouest.

Deux groupes purement privés et trois réseaux mutualistes dont l’action ne se distingue guère de celle des premiers

On remarquera que sur les cinq groupes qui structurent le système bancaire français, deux seulement, Société Générale et BNP Paribas, sont purement privés– et, à ce titre, susceptibles d’être l’objet d’une nationalisation. Les trois autres sont des réseaux mutualistes qui n’hésitent pas, le cas échéant, à se réclamer de l’« économie sociale et solidaire » ! Leur participation active à la mondialisation financière les a pourtant grandement éloignés, dans la pratique, de leur filiation sociale. La revivifier peut être un enjeu politique pouvant passer par la mobilisation de leurs millions de sociétaires, et aussi par une réforme du statut de ce qu’on appelle leurs organes centraux : Crédit Agricole Société Anonyme, contrôlée à 55 % par les caisses régionales de crédit agricole, BPCE Holding, possédée par les caisses d’épargne et les banques populaires, Confédération Nationale du Crédit Mutuel.

2 – D’où viennent les grands réseaux bancaires d’aujourd’hui

(en orange, les réseaux privés, en bleu les réseaux publics, en vert les réseaux mutualistes).

Un important secteur public, bien loin de constituer un pôle financier public !

Les dernières restructurations du système bancaire ont touché le secteur public à la suite de la loi PACTE votée en 2019. Elles l’ont structuré autour de la Caisse des Dépôts et Consignations, « bras armé » de l’État dans le système financier depuis deux siècles, devenue désormais l’actionnaire principal de la Banque Postale, du groupe BPI France (la Banque publique d’investissement constituée pendant le quinquennat Hollande) et de la plus grande compagnie d’assurances de personnes en France, la Caisse nationale de Prévoyance. Contrairement à ce qu’avait prétendu Emmanuel Macron, on ne dispose pas pour autant d’un véritable « pôle financier public ». Bien au contraire, l’opération a eu pour effet de faire ressembler davantage ces institutions à des banques ordinaires, par leur structure, leur « gouvernance » et leur stratégie commerciale [ii]. L’« intérêt général » auquel se référaient leurs missions traditionnelles cède de plus en plus visiblement le pas à des stratégie de rentabilité – rentabilité des institutions financières publiques elles-mêmes mais surtout leur contribution à la rentabilité des capitaux que l’État français ambitionne  d’attirer dans nos métropoles.  

Ces institutions – et non pas seulement elles mais l’ensemble du système bancaire – auraient pourtant un tout autre rôle à jouer dans l’économie, comme le montre notre dossier. Les derniers à le penser ne sont pas les 354 000 salariés du secteur (1,8 % des salariés du secteur privé) confrontés non seulement, comme beaucoup, à la perte de sens de leur travail mais aussi, désormais, à une politique de réduction systématique des effectifs orchestrée par les directions (6 000 emplois ont été supprimés en 2020). Les déposants que nous sommes tous ne peuvent plus ignorer la dégradation du service rendu que les économies de coûts de personnel dans les réseaux bancaires ont déjà commencé à occasionner.


[i] François Morin, L’hydre mondiale, l’oligopole bancaire, Lux, Montréal, 2017.

[ii] Voir Denis Durand, Économie&Politique,