Salomé Bouché
Le Revenu d’Engagement annoncé le 12 juillet aurait dû permettre au président-candidat Emmanuel Macron de poser la dernière pierre de son bilan en matière de politique de jeunesse. Face aux cohortes d’étudiants devant les distributions alimentaires et la précarité des primo-entrants sur le marché de l’emploi, l’exécutif a choisi de reprendre la formule ancienne du contrat CIVIS et de la Garantie Jeune : un nouveau statut contractualisé et individualisé ouvrant à des droits sociaux minimaux.
Le procédé n’est pas nouveau : pointer une jeunesse supposément en difficulté sur le marché de l’emploi du fait de son manque d’expérience pratique et lui proposer un statut d’activité à la marge du bénévolat, de l’emploi et de la formation. Depuis les années 1980 se déploie une diversité de politiques d’insertion spécifiquement dirigées vers les 16 – 25 ans. Ces politiques, qui s’enchainent et se ressemblent, mettent au travail une jeunesse précaire condamnée à accepter des sous-statuts d’activité faute de mieux. Elles permettent le maintien de postes à bas coût dans un certain nombre de secteurs clefs du service public mais également du monde associatif. Associées aux agences Pôle Emploi et aux Missions Locales, elles financent un travail gratuit dans un certain nombre d’entreprises privées. Elles encadrent et disciplinent de jeunes chômeurs perçus comme classe dangereuse. Le Revenu d’Engagement (devenu au fil des débats gouvernementaux « Contrat d’Engagement ») s’inscrit dans cette ligne droite. Initialement doté de deux milliards d’euros il ne mobilisera finalement que le quart de la somme. Le manque de financement rejoint ainsi le manque d’ambition pour masquer en peau de chagrin l’explosion de la pauvreté et de l’exploitation des 16 – 25 ans. Le défi est pourtant immense : c’est celui d’un emploi choisi et d’une vie digne pour les travailleurs de demain.
Emmanuel Macron avait déjà présenté l’universalisation (soit l’extension) de la Garantie Jeune (GJ) comme solution miracle à la pauvreté massive des primo-entrants sur le marché de l’emploi. Il aura finalement opté pour la surenchère avec la proposition d’un nouveau statut appliqué en parallèle de la GJ en Mission Locale. Le Contrat d’Engagement s’ancre peu ou prou dans la triple logique d’individualisation de la recherche d’emploi, d’activation du bénéficiaire et de contractualisation des aides perçues. Le jeune s’inscrit au sein de la Mission Locale de son quartier afin de rencontrer un conseiller chargé de suivre son parcours vers l’emploi. Selon le « projet » mais aussi l’expérience, la formation ou la motivation du bénéficiaire, celui-ci pourra lui proposer un certain nombre d’initiatives à réaliser, depuis des ateliers d’écriture de CV jusqu’à des stages en milieu professionnel, en passant par des journées de formation. Dans le cadre d’un suivi régulier, le jeune devra ainsi démontrer sa motivation à la recherche d’emploi et sa capacité à combler les manques de son profil. L’idéologie mise en œuvre est claire : les difficultés face à l’emploi seraient exclusivement liées à un manque de formation ou d’expérience, perçu comme un handicap pour le jeune chômeur. Celui-ci doit donc s’activer à pallier ces difficultés et adopter de manière autonome le savoir-être attendu par les recruteurs publics et privés. Les aides perçues sont finalement conditionnées au respect par le bénéficiaires des procédures supposées permettre sa bonne insertion sur le marché du travail. Dans le cas du Contrat d’Engagement, le soutien financier reçu dans le cadre de la recherche d’emploi correspondrait à une aide mensuelle de 500 euros durant 12 à 24 mois.
Ce nouveau dispositif s’inscrit dans la myriade de sous-statuts d’insertion dirigés vers les 16 – 25 ans depuis les années 1980. Au côté de la Garantie Jeune s’additionnent les services civiques en constante extension depuis leur mise en place sous la présidence de François Hollande, mais aussi les stages universitaires permettant via la convention d’un établissement de l’enseignement supérieur l’embauche d’un étudiant à 3,90 euros de l’heure. Citons également les périodes de mises en situation en milieu professionnel encadrées par le code du travail mais aussi les diverses modalités « d’engagement » à l’international tel que le Corps Européen de Solidarité (anciennement Service Volontaire Européen). Ces nombreux dispositifs se justifient sous des modalités différentes : il s’agit tantôt de former par la pratique une population sans expérience du monde du travail, tantôt de proposer une modalité « d’engagement » dans des activités supposées participer à une forme de « bien commun ». Ces statuts sont également perçus comme un passage obligé pour accéder, par le développement d’un réseau ou de compétences, à un emploi cette fois correspondant aux droits traditionnels liés au salariat. Enfin ils se justifient en tant que moment de transition entre l’adolescence et l’âge adulte durant lequel le jeune serait amené à mener des « expériences ». Sous ce dernier prisme, l’activité marchande en entreprise n’est pas perçue différemment d’un voyage à l’étranger ou d’une activité bénévole pour une association.
Derrière la pluralité de ces dispositifs et la diversité des justifications déployées pour les mettre en œuvre, nous retrouvons pourtant le même dénominateur commun : une activation du jeune sur le marché de l’emploi via l’inscription de celui-ci au sein d’une activité peu ou faiblement rémunérée, parfois marchandisée par une entreprise privée. Les missions en service civique oscillent ainsi entre des semaines de 24 à 48h pour un dédommagement fixe de moins de 600 euros (dont 473 euros net payés par l’Etat). Le dédommagement minimal d’un stagiaire, tous niveau de diplôme confondu, stagne à 3,90 euros de l’heure (soit 15 % du plafond horaire de la Sécurité Sociale) et ce uniquement à partir de 329 heures travaillées. Les Périodes de Mise en Situation en Milieu Professionnel prescrites par Pôle Emploi ou les Missions Locales ne sont pas rémunérées. Le Contrat d’Engagement s’ajoute aux espaces de plus en plus nombreux de travail gratuit dirigés vers les 16 – 25 ans. Ces emplois déguisés permettent régulièrement de subvenir aux besoins de main-d’œuvre de pans du service public en manque d’effectifs chronique. Les offres de services civiques dans les hôpitaux mais aussi dans les collectivités locales ou les écoles abondent. Ces statuts pallient également la perte de financement public du secteur associatif qui peine largement à embaucher sous les régimes d’emploi traditionnels. Enfin, dans un certain nombre de cas il valorise un capital privé en fournissant une main-d’œuvre gratuite ou financée par l’État à des entreprises sous couvert d’insertion ou de formation. Le Contrat d’Engagement s’ancre donc au sein d’un mouvement plus large du capitalisme contemporain. Il déconnecte un certain nombre d’activités marchandes et non marchandes de la sphère de l’emploi au profit de statuts aux marges du travail. La sous-rémunération via ces statuts devient alors une modalité d’accès à un emploi répondant aux normes protectrices du salariat. Il participe également à conditionner une aide minimale de survie par un chantage à l’activité aux 16 – 25 ans. L’activité sous-payées ou gratuite devient la seule modalité d’accès pour les moins de 25 ans à des minima sociaux, conditionnée à une forme de majorité sociale qui ne dit pas son nom. Enfin il accompagne un transfert de l’argent public vers des capitaux privés, ici via le financement par l’Etat d’une main d’œuvre à bas coût.
Le Contrat d’Engagement ainsi que les dispositifs d’insertion développés depuis les années 1980 en direction des 16 – 25 ans s’inscrivent finalement sous une logique occupationnelle. Alors que le capitalisme en crise peine à proposer un emploi digne à des primo-entrants sur le marché du travail de plus en plus formés, la responsabilité du manque d’embauche est dirigée vers le jeune privé d’emploi. Celui-ci doit finalement, par la participation à des ateliers, à des stages, à des rendez-vous individuels réguliers, démontrer son employabilité et intégrer un savoir être propre au capitalisme. Perçu comme une potentielle menace politique et sociale, il performe sa bonne intégration sur le marché de l’emploi par la multiplication d’activités, de stages, de formations, ou « d’engagements » pour démontrer sa bonne foi. L’activité déployée, lorsqu’elle ne représente pas une forme de travail gratuit, devient purement abstraite : c’est une mise au service de soi en attendant l’embauche potentielle. Nous retrouvons cette logique « occupationnelle » dans les origines du Service Civique, imaginé dans la droite ligne des activités proposées aux objecteurs de conscience puis développé par les Contrats de Travaux d’Utilité Collective (TUC) en 1984 ou encore les Contrats Jeunes lancé en 1997. Les tâches proposées s’inscrivent chacune dans une logique d’engagement à la frontière de la mission bénévole et du monde du travail. Il s’agit ici d’occuper sous un objectif moral une partie de la jeunesse supposée en rupture avec une société confondue dans le marché de l’emploi.
Le Contrat d’Engagement s’inscrit finalement à la suite des politiques publique de jeunesse en faillite depuis les années 1980. Intrinsèquement liées aux crises du Capital et à l’exigence d’une main d’œuvre à bas coût, elles imposent aux étudiants et primo-entrants sur le marché de l’emploi des sous-statuts d’activité précaires. L’échec prévisible du Contrat d’Engagement face à une pauvreté grandissante de la jeunesse pose finalement un double impératif : d’abord, celui de la défamiliarisation des aides sociales (soit la fin de la coïncidence entre les aides touchées par les moins de 25 ans et les revenus familiaux) pour une majorité à la fois politique et économique. La familiarisation des aides place les jeunes précaires en situation de dépendance économique vis-à-vis de leurs proches. Promouvoir un véritable statut pour la jeunesse permet, au contraire, la garantie de leur autonomie véritable, non seulement dans l’emploi mais également dans les difficultés du chômage. Cette autonomie réelle reste la condition sine qua non à l’accès de la jeunesse des 16 -25 ans à un travail digne et émancipateur, dernier impératif d’une véritable politique sociale pour la jeunesse.