Les plus récents débats budgétaires et sociaux, hachés menu par la succession des appels à la responsabilité du gouvernement et des motions de censure en contrepartie, ont sans doute semblé assez peu lisibles pour une grande partie de l’opinion publique, alors même qu’une bonne part des enjeux politiques de la période réside justement dans cette controverse.
Nous ne pouvons en effet oublier que le gouvernement vient de faire débattre d’une loi de programmation des Finances publiques qui prévoit, pour complaire aux instances européennes, une nouvelle cure d’austérité maquillée sous le jour plus favorable de la réduction des déficits publics.
Le problème est que le principal outil pour parvenir à ce résultat consiste à mettre en question la dépense publique.
La droite sénatoriale, lors de la discussion de cette loi de programmation, a ainsi proposé de réduire de 5 % le nombre de fonctionnaires de l’État et des agents de ce que l’on appelle les « opérateurs de l’État ».
Cela aboutirait, en cas de mise en œuvre, à supprimer rien moins que 100 000 emplois publics au niveau de nos différentes administrations, et de supprimer, par exemple, 2 500 des agents de Pôle Emploi ou rien moins que 7 500 postes dans nos universités, où, comme nul n’ignore, les amphithéâtres ne sont pas déjà bondés en première année…
L’une des clauses de style les plus éculées du débat fiscal et financier dans notre pays est cette légende, complaisamment répandue, du poids des « prélèvements obligatoires » (entendez par là le poids des impôts, taxes et cotisations sociales) qui constituerait un obstacle infranchissable pour toute autre politique que celle visant à réduire les dépenses pour réduire les déficits.
Et, par voie de conséquence, sortir de la spirale de la dette publique dans laquelle notre pays est engagé depuis si longtemps…
Commençons donc par nous rappeler que cette dette est envisagée par rapport au produit intérieur brut, cet ensemble monétisé de biens et de services produit par le travail des salarié(e)s et des autres…
Le PIB français, en 2022, devrait atteindre 2 352 milliards d’euros.
C’est ce montant qu’il semble nécessaire d’avoir en vue pour mesurer ce dont nous parlons en matière de prélèvements obligatoires.
Commençons par la TVA
On pourrait évidemment comparer utilement le poids de la TVA (plus ou moins 285 milliards d’euros de recettes fiscales brutes) au regard du PIB, ou encore celui de la CSG, qui devrait se rapprocher de 150 milliards d’euros avec son appendice, la CRDS, pour avoir quelques premiers éléments d’analyse.
La recette CSG, seule, devrait se fixer aux alentours de 145 milliards pour 2023.
Nous sommes donc avec une TVA qui pèse pour plus de 12 % dans le PIB et une CSG qui se rapproche tranquille des 6 %…
La TVA génère, soit dit en passant, la première des aides aux entreprises.
À savoir que son caractère déductible permet aux entreprises collectrices de la taxe de se voir rembourser le montant de cette taxe grevant leurs achats.
Les montants en jeu sont estimés, pour le prochain exercice 2023, à 69,8 milliards d’euros.
D’aucuns diront que ces sommes ne sont que l’application du principe même de la taxe, qui est d’être une taxe sur la consommation, mais faisons ici rapidement observer qu’aucun autre contribuable qu’une entreprise (qu’elle soit une entreprise de capitaux ou de personnes) ne peut obtenir le remboursement de la TVA.
Comme l’a dit un jour un chef de centre des impôts à l’auteur de ces lignes, « la TVA déductible, c’est du profit gratuit pour les entreprises ».
Comme nous en sommes à la TVA, soulignons ici que, de cet impôt dit moderne et indolore, l’État a fait l’un des outils de ses politiques au point de le partager avec les collectivités locales et la Sécurité Sociale.
Pour la Sécurité Sociale, l’instrument vaudra en 2023 60,2 milliards d’euros, destinés en particulier à compenser, pour le compte, les exonérations de cotisations sociales et, singulièrement, celles découlant de la transformation du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) en allégement pérenne.
Les dernières années nous ont d’ailleurs permis de constater à la fois, dans les comptes publics, une compensation du CICE par versement à la Sécurité Sociale et une imputation des créances « résiduelles » de CICE sur le produit de l’impôt sur les sociétés.
La TVA sert donc aussi à corriger le tir pour les impositions locales.
Pour les personnes qui n’y auraient pas prêté attention, on rappellera donc ici que la TVA sert, désormais, à compenser aux collectivités la disparition de la taxe d’habitation mais aussi celle de la CVAE, ou cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, principale ressource financière perçue auprès des entreprises par les collectivités locales.
Pour 2023, cette suppression de la CVAE devrait atteindre 21,35 milliards d’euros.
Mais les aventures de la TVA ne sont pas limitées aux sommes que je viens ici de rappeler et qui représentent d’ores et déjà un ensemble de 152,35 milliards d’euros, soit plus de la moitié du rendement brut de ladite taxe.
A ce stade, il convient cependant de ne pas oublier un certain nombre de mesures sectorielles de réduction des taux de TVA (concernant singulièrement le secteur du bâtiment et celui de l’hôtellerie restauration) qui génèrent un manque à gagner de 14,07 milliards d’euros pour les finances publiques.
Au total provisoire, si l’on peut dire, ce qui tourne autour de la TVA est donc générateur d’aides directes ou indirectes aux entreprises pour la somme de 165,42 milliards.
Et encore convient-il ici de rappeler qu’aucune évaluation n’est produite quant à l’incidence du dispositif d’exonération de TVA concernant les exportations hors Union européenne…
Et comme certains pays de la planète pratiquent des taux sensiblement plus faibles que la France…
Deuxième cas de figure : l’impôt sur les sociétés
Dans les années 80, l’impôt sur les sociétés se situait au taux facial de 50 %, taux qui a été progressivement réduit, au nom de l’emploi, de la compétitivité internationale de notre économie et de l’investissement des entreprises, pour parvenir, désormais, à un taux de 25 % des résultats fiscaux.
Dans l’absolu, on pourrait évidemment dire que la division par deux du taux de l’IS, à niveau équivalent de rentabilité des entreprises, entraine, pour le compte de l’État, une perte de recettes structurelle représentant l’équivalent du rendement attendu de l’exercice.
Pour 2023, cela signifierait donc, en pratique, une perte de 55,2 milliards, vu le niveau de rendement de l’IS inscrit en loi de Finances.
Cela pourrait se suffire à toute explication et évaluation mais les choses sont, en fait, un peu plus compliquées.
Parce que l’impôt sur les sociétés est un impôt versé sous forme d’acomptes provisionnels, faisant l’objet d’une régularisation au moment de la définition du « résultat fiscal » (différent d’un résultat comptable, qui est en général affecté par des mouvements relatifs aux dotations et amortissements découlant des décisions de gestion de l’entreprise).
Autre aspect fondamental de la législation : le principe du report en arrière des déficits qui permet à une entreprise donnée d’alléger la facture fiscale de ses exercices excédentaires en reprenant le résultat de ses exercices déficitaires.
Exactement comme cela se produit pour un particulier, investisseur immobilier sous régime De Robien (par exemple) qui peut, autant que de besoin, imputer son déficit foncier reportable sur les revenus qu’il tire du ou des logements qu’il joue pour ne pas devoir ajouter ces revenus à son revenu net global imposable.
Cette règle du « carry back » a d’ailleurs rencontré lors du mandat de François Hollande le dispositif du crédit d’impôt compétitivité emploi qui, soit dit en passant, ne pouvait être utilisé qu’en présence de résultats excédentaires.
Ainsi, pour ne donner qu’un exemple, la société Radiall, spécialisée dans la production de composants électroniques, appartenant à la famille Gattaz, se trouvait, lors de la mise en place du CICE (collectif de fin d’année 2012), en situation juste bénéficiaire après plusieurs exercices où le déficit était venu de ses investissements à l’étranger et, notamment, en Chine et au Mexique.
Et le résultat fiscal, redevenu positif, était en fait effacé, chaque année de ce mandat présidentiel, par le report des déficits antérieurs. Conséquence : le crédit d’impôt normalement attribué à Radiall est devenu une créance de l’entreprise sur l’État, mobilisable au terme de la période d’apurement des déficits cumulés.
Situation qui est loin d’être isolée puisque, par exemple, en 2019, alors que le CICE avait été transformé en allégement pérenne de cotisations sociales (dont nous savons qu’il est compensé à la Sécurité Sociale par versement d’une part des recettes de la TVA), il se positionnait, avec 19 621 millions d’euros, comme la plus importante des dépenses fiscales de la loi de Finances…
Et en 2022, la loi de Finances avait intégré le remboursement de 6 423 millions d’euros de créances aux entreprises (11 % du rendement net de l’impôt sur les sociétés de l’année), toujours au titre du CICE.
Autant dire que les règles fiscales applicables à l’impôt sur les sociétés sont d’un effet redoutable sur la situation réelle du rendement de cet impôt, devenu marginal dans le droit fiscal français.
Il y a en effet décalage constant et permanent entre impôt brut et impôt net.
Dans le cadre de la mission Remboursements et dégrèvements, une partie de la réalité est ainsi révélée.
Cette mission budgétaire, devenue la plus importante du budget en termes de montants (ce qui en dit déjà beaucoup), nous indique notamment
que l’ensemble des mesures chiffrables au titre de l’IS représentera un coût de 22 306 millions d’euros pour le budget général, soit environ un point de PIB.
Mais les choses sont plus complexes encore et nombre de mesures ne sont pas chiffrées, tout en existant.
Ainsi, la situation mensuelle budgétaire de décembre 2021 précise que la différence entre IS brut et IS net est de 28 164 millions.
A la vérité, la réduction progressive du stock de créances CICE est à la base de cette réduction mais montre aussi l’absence de chiffrage de nombre de dispositifs existants.
Il manque notamment dans cet ensemble des mesures qui ont été déclassées du champ de la dépense fiscale pour entrer dans celui, plus commode et ordinaire, des « modalités de calcul de l’impôt ».
La dernière fois que les mesures concernées (régime des groupes, taxation à taux nul des plus-values ou niche Copé, taxation à taux réduit des PME, etc…) ont été évaluées, leur coût global atteignait 43 152 millions d’euros, soit nettement plus à ce moment-là (2018) que le rendement net de l’IS (27 386 millions !).
Un IS qui, cette année-là, fut corrigé de rien moins que 36,5 milliards d’euros (effet du CICE entre autres).
L’assimilation des dépenses déclassées du champ de la dépense fiscale à de simples « modalités de calcul de l’impôt », à l’égal du quotient familial ou de l’abattement pour frais professionnels de l’impôt sur le revenu, est de fait très discutable.
Dans son étude sur les aides publiques, l’équipe des économistes de l’Institut de Recherches Economiques et Sociales (IRES), organisme dépendant de la CGT et rendue en mai de cette année, la question est d’autant plus posée que le document propose, de fait, d’opter pour une présentation globale des aides publiques intégrant ou non ces dépenses fiscales déclassées.
Les retenant au demeurant pour la dernière valeur connue, c’est-à-dire 44 milliards d’euros.
Faisons ici observer que l’optique scientifique retenue par le collectif de l’IRES peut être prolongée par l’appréciation que l’on peut porter sur les faits et actes conditionnés par ces « modalités ».
Car la consolidation d’un groupe participe de choix de gestion propres et, pour ne donner qu’un exemple précis, la chaîne des supermarchés Leclerc obéit à des logiques de « groupe » (unification des fournisseurs, marge commerciale prédéfinie par exemple) tout en étant constituée par un réseau de PME exploitant un ou plusieurs établissements, dont l’éventuelle faillite n’a guère d’incidence sur le projet économique global de la chaîne.
Il en est de même de nombre de réseaux de magasins de proximité, notamment dans le secteur de l’habillement ou, plus encore, dans celui de la restauration rapide…
Autre remarque fondamentale : les rapports infra groupe, quand ils passent par la détention de tout ou partie du capital des filiales (les pourcentages en jeu déterminant d’ailleurs bien souvent le périmètre réel de consolidation) sont fondés sur des règles variables d’une entité l’autre.
Ce n’est pas la même chanson d’être la filiale d’un groupe japonais en France (où le stock de biens disponible est payé à la livraison à la maison mère) ou d’être client ou fournisseur « à la française » avec des règles de paiement à tempérament…
Et comment ne pas pointer, également, le rôle des prix de transfert, ou celui du « shadow banking », c’est-à-dire des prêts financiers intra groupe qui, souvent, asservissent les filiales au profit des sociétés mères.
Quant aux plus-values de long terme tirées de cessions d’actifs, qui peut appréhender leur « neutralité fiscale » (l’intention du législateur, c’est-à-dire Copé, ayant alors été de réduire le coût des restructurations) aille de pair avec une neutralité sociale qui peine à se révéler, notamment quand un plan de sauvegarde de l’emploi est présenté par le repreneur ?
De fait, aucune des dépenses fiscales déclassées (régime des groupes prévu aux articles 223 A à U du code général des impôts, régime de taxation des plus-values de long terme, régime d’intégration des résultats des filiales) ne participe d’une simple mécanique mais pleinement de décisions de gestion, en général prises autant par les organes dirigeants élus que par les assemblées générales d’actionnaires.
Si modalités il y a, c’est juste d’offrir aux entreprises la faculté d’en user et d’en abuser pour « ajuster » au mieux leur contribution (la plus modeste possible) aux finances publiques…
En conclusion provisoire, le chiffrage de l’aide fiscale aux entreprises qu’offre la législation en vigueur demeure particulièrement délicat et ne peut donc procéder que d’une estimation à « affiner ».
Il faudrait, par exemple, procéder à l’analyse de la réalité de l’impôt payé en France par nos vedettes du CAC 40 pour avoir une idée plus précise des choses.
Mais, au terme du processus de réduction du taux de l’impôt sur les sociétés et de l’ensemble des mesures qui, depuis près de quarante ans, se sont attaquées à son assiette, on peut considérer que le soutien accordé aux entreprises par l’État au titre de la défiscalisation compétitive est, pour 2023, de :
55,2 milliards d’euros (baisse du taux) + 22,3 milliards d’euros (mesures chiffrées de dépense fiscale) + 43,1 milliards d’euros (mesures déclassées), soit un total de 120,6 milliards d’euros.
On pointera cependant le fait que deux des chiffres sont, en quelque sorte, arbitraires et peuvent très bien avoir varié ou varier encore, selon les millésimes.
Les autres impôts et taxes
C’est peu connu mais les entreprises sont également bénéficiaires de dispositifs d’allégement du poids de certaines taxes comme les droits d’accise pratiqués sur des biens comme la consommation énergétique, de ressources fossiles, sans parler des évolutions qui ont pu affecter les impositions locales.
Ainsi en est-il de la taxe professionnelle, créée en 1976 pour remplacer la patente, et qui a fait l’objet de moult réformes.
On a d’abord décidé d’en limiter le poids dans la comptabilité des entreprises (alors même que la taxe étant considérée comme une charge déductible du résultat, elle était, d’une certaine manière, payée au travers d’une baisse de l’impôt sur les sociétés ou de l’impôt sur le revenu, pour les travailleurs non salariés).
On procéda donc au plafonnement de la taxe en fonction de la valeur ajoutée.
Avant d’inciter à l’embauche et à l’investissement en procédant à une introduction « lissée » de la valeur comptable des nouveaux matériels de production…
Puis, en loi de Finances 1987, Alain Juppé, ministre des finances de Jacques Chirac, a décidé de faire passer un abattement de 16 % sur la base d’imposition de toutes les entreprises, un abattement qui, au fil du temps, a été de moins en moins bien compensé aux collectivités locales.
Mais l’attaque la plus significative est venue de Dominique Strauss-Kahn qui, à l’initiative de son directeur de cabinet, François Villeroy de Galhau, aujourd’hui gouverneur de la Banque de France, a mis en place un processus d’effacement d’un tiers de la base imposable, à savoir la mal nommée « part taxable des salaires ».
Ce processus, soldé en 2004 par intégration de la compensation des pertes de recettes des collectivités locales au sein de la dotation globale de fonctionnement, a vu lesdites collectivités perdre plus gros encore quand il s’est agi de réformer la DGF et de la réduire de rien moins que 11 milliards d’euros, pour participer au « redressement des comptes publics » durant le quinquennat Hollande.
Le tout nous a amené à la création, en 2010, de la contribution économique territoriale (ensemble constitué par la cotisation foncière des entreprises et, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) et renforcée par l’imposition forfaitaire des entreprises de réseau et la taxe spéciale sur les surfaces commerciales.
Faisons, sur la base de documents disponibles, une petite comparaison.
En 2001, ce que l’on appelle les « quatre vieilles » de la fiscalité locale (taxe d’habitation, taxe foncière sur les propriétés bâties, taxe foncière sur les propriétés non bâties, taxe professionnelle) produisait le rendement suivant pour les collectivités territoriales.
TH 11,4 milliards d’euros
TFPB 14,96 milliards d’euros
FNB 0,87 milliards d’euros
TP 21,85 milliards d’euros.
En 2021, après la réforme suppression de la taxe d’habitation et celle de la contribution économique territoriale, nous sommes parvenus au résultat suivant
TH 2,789 milliards d’euros ;
TFPB 34,298 milliards d’euros, majorés de 7,432 milliards au titre des ordures ménagères ;
FNB 1,116 milliard d’euros ;
CET 16,492 milliards d’euros, majorée par l’IFER (1 647 millions) et la TASCOM (794 millions).
La majeure partie de la CET va disparaître en 2023 et être remplacée par l’attribution aux collectivités locales d’une tranche supplémentaire de TVA.
Nous sommes donc parvenus à une situation où les entreprises vont se retrouver à ne presque plus participer (sinon par le biais de la cotisation foncière) aux budgets locaux…
Et ce, alors même que ces budgets locaux sont d’ores et déjà fort sollicités pour aider les entreprises, ne serait-ce qu’au travers des dépenses de viabilisation et/ou de desserte des zones d’activité….
Pour ce qui concerne les droits d’accise sur les produits énergétiques, on se retrouve face à un ensemble de plus de 3 milliards d’euros d’allégements et de mesures diverses.
Se pose aussi le statut de la taxe sur les salaires et des droits portant sur les alcools et le tabac.
Enfin, la taxe sur les salaires, payée par les entreprises non assujetties à la TVA, n’est plus une recette de l’État.
Pas plus d’ailleurs que les droits sur les alcools et les tabacs, le tout étant aujourd’hui au compte de la Sécurité Sociale.
Et, à la vérité, on peut assimiler ces affectations de ressources comme une compensation (c’est évident avec la taxe sur les salaires, glissée au sein de l’enveloppe des allégements de cotisations sociales) de la non-perception de ressources « normales » de nos organismes sociaux.
Ainsi, une part des droits sur les alcools finance la Mutualité Sociale Agricole, branche structurellement déficitaire de la Sécurité Sociale en France.
Les sommes en jeu ne sont pas secondaires : 17 261 millions pour la taxe sur les salaires et 13 559 millions pour les droits sur les tabacs.
J’aurais tendance à placer la TS au chapitre des aides publiques, quand bien même est – elle financée par les entreprises elles – mêmes.
Les droits sur les tabacs sont, pour l’essentiel, virés au compte de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie et se substituent donc, de fait, à des cotisations sociales, et singulièrement celles normalement dues au titre de la « part patronale ».
Pour l’ensemble de ces impôts et taxes, nous sommes obligés de revenir quelque peu en arrière.
Si les mesures relatives aux compensations sociales peuvent être évaluées pour 38 milliards d’euros (affectation de la TS, des droits sur les alcools et les tabacs, allégements sur les droits d’accise), les mesures relatives à la taxe professionnelle ne sauraient être couvertes par celles consistant aujourd’hui à remplacer la CET par une attribution de TVA.
Car la suppression de la part taxable des salaires n’est plus couverte, objectivement, par la DGF, la dotation n’ayant plus le montant qu’elle avait en 2004, lors de l’intégration de la compensation…
Ce sont 9,5 milliards d’euros (à la valeur 2004) qui ont été ainsi distraits des obligations fiscales des entreprises.
En prenant en compte la simple érosion monétaire, cette somme pèserait aujourd’hui 11 860 millions d’euros.
De fait, sans compter les mesures propres à l’impôt sur le revenu et touchant notamment les revenus d’activité non salariée, ce sont donc peu ou prou 50 milliards d’euros d’aides fiscales publiques directes ou indirectes qui découlent des autres impôts que la TVA et l’IS.
Pour ce qui concerne les activités non salariées, on rappellera ici, pour ne donner qu’un exemple, que l’adossement du régime social des indépendants au régime général de Sécurité Sociale a solvabilisé ce régime avec … les cotisations des salariés.
Une petite affaire d’environ un milliard d’euros de cotisations sociales…
Les concours budgétaires
Quittons le champ des aides fiscales pour appréhender celui des aides budgétaires de l’État, telles que retracées par les documents annexés aux lois de finances.
Nous ne citerons ici que les montants les plus significatifs.
Mission Economie 1 560 millions d’euros
Mission Défense 50 millions d’euros
Mission France 2030 2 908 millions d’euros
Mission Plan de relance 2 185 millions d’euros
Mission Cohésion des territoires 107 millions d’euros
Mission Travail et Emploi 9 478 millions d’euros
Mission Outre – Mer 1 611 millions d’euros
Mission Media, livre et industries culturelles 316 millions d’euros
Mission Culture 406 millions d’euros
Mission Agriculture 1 576 millions d’euros
Mission Écologie, développement durable 14 856 millions d’euros.
Ce qui nous donne un ensemble de 35 053 millions d’euros.
Un total tout-à-fait provisoire
Si l’on prend les différentes données évoquées dans cet article, on se retrouve donc avec
165,42 milliards d’euros au titre de la TVA
120,6 milliards d’euros au titre de l’impôt sur les sociétés
50 milliards d’euros au titre des autres impositions
35 milliards d’euros d’aides budgétaires
Ce qui nous donnerait un ensemble d’aides fiscales directes ou indirectes, de subventions d’État de 371,02 milliards d’euros.
Ce total est évidemment discutable (TVA déductible, dépenses fiscales liées à l’impôt sur les sociétés) mais ne doit pas faire oublier que les aides publiques aux entreprises peuvent aussi prendre l’allure de concours des collectivités territoriales comme de facilitations de crédits bancaires.
On pourrait d’ailleurs se demander ce que les prêts accordés aux entreprises lors de la crise sanitaire ont constitué comme avantage concret aux souscripteurs.
Au demeurant, la bonification des prêts bancaires est aussi liée aux conditions de refinancement des emprunts souscrits et, de ce point de vue, le rôle de la Banque de France est décisif.
Sans parler du fait que la compétitivité de nos entreprises découle aussi de l’investissement de la sphère publique dans la réalisation et l’exploitation des infrastructures de réseau, de l’énergie, comme de la qualité de l’éducation, de la formation et de la recherche.
A-t-on, par exemple, jamais mesuré ce que les conditions de la production d’électricité en France pouvaient constituer comme avantage comparatif pour notre industrie ?
En 2021, malgré le poids des taxes pesant sur le prix de l’électricité, nous avions un prix du KWh inférieur de 10 % à la moyenne européenne…
Les pistes de réflexion demeurent donc, même si la conclusion qui s’impose est évidente.
L’état du droit fiscal et social dans notre pays est générateur d’une forte mobilisation de ressources publiques destinées à compenser la non application d’impôts, de taxes et de cotisations existantes.
Qu’on y songe : en 1993, les mesures d’allégement des cotisations sociales représentaient un coût d’un milliard d’euros.
La somme, telle que retracée dans les comptes de l’ACOSS, est aujourd’hui de 75 milliards.