Retraites : conjurer la crise qui vient

Le pouvoir macronien précipite le passage en force d’une nouvelle « réforme » du système de retraites qui se traduirait par un allongement de la durée de cotisation et par un décrochage encore plus fort du niveau de vie des retraités.

Pourtant, le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites prévoit que le régime serait excédentaire en 2022, et qu’il ne s’éloignerait pas beaucoup de l’équilibre par la suite.

Mais ce n’est pas là ce qui intéresse le pouvoir et les tenants du capital. Derrière l’objectif de sortir du « quoi qu’il en coûte » et donc de réduire les dépenses publiques et sociales, il y a la crise de rentabilité dans laquelle les logiques capitalistes à l’œuvre depuis des décennies ont plongé l’économie, et qui ne leur laisse aucune marge de manœuvre. Dans leur effort désespéré pour maintenir la rentabilité du capital, ils n’ont pas d’autre choix que de tenter par tous les moyens de réduire non seulement les salaires (en tentant de mettre en opposition les salariés et l’« armée de réserve » des chômeurs et des précaires), mais aussi le financement des services publics, et celui de la Sécurité sociale. Demander « un effort » aux futurs pensionnés au nom de l’allongement de l’espérance de vie leur paraît plus présentable que de dire ouvertement, par exemple, qu’ils veulent en finir avec l’’hôpital public et avec l’Éducation nationale. Leur intention, d’ailleurs, est bien de faire les deux si le rapport des forces le leur permet…

Cela veut-il dire qu’il n’y a pas de problème de financement des retraites, et que tout peut continuer comme avant ? Hélas ! non.

D’abord, les prévisions du COR sont… des prévisions. Par nature, elles consistent pour l’essentiel à prolonger les tendances observées dans le passé. Elles ne peuvent donc pas prendre en compte les mutations qui sont en train de se produire de façon très rapide sous l’effet conjugué des crises sanitaires, climatiques, économiques, financières, politiques… Par exemple, les hypothèses du COR en matière de chômage et de croissance sous-estiment le choc économique en cours, avec la récession qui vient et les enchaînements imprévisibles qui la suivront.

Le statu quo est donc impossible, et surtout, il n’est pas souhaitable !

Au XXIe siècle, il est plus que jamais légitime de revendiquer des pensions dignes, avec un départ à 60 ans pour tous, avec 75 % du dernier salaire et après 40 ans de cotisations prenant en compte les années d’études. Cela coûterait beaucoup d’argent : au moins cent milliards d’euros par an, et probablement davantage selon les estimations syndicales. Il faut donc consacrer une part accrue des richesses au financement des retraites, et cela ne sera possible qu’en changeant la façon de produire les richesses. Une autre gestion des entreprises, axée sur le développement de l’emploi et de la formation et non plus sur les profits pour les actionnaires et les financiers, permettrait d’aller vers l’éradication du chômage en commençant par créer 5 millions de vrais emplois dans les entreprises et dans les services publics, et d’engendrer des gains d’efficacité économique gigantesques par l’accès de tous à des formations librement choisies et rémunérées au même niveau que les salaires. Sur les 500 à 600 milliards de richesses supplémentaires créées chaque année, il serait alors possible d’en dégager assez pour financer un système de retraites digne du XXIe siècle.

Cela suppose évidemment de mener tout de suite la lutte dans les entreprises pour arracher de nouveaux pouvoirs des salariés et de leurs représentants. Et de l’appuyer par de nouveaux moyens d’agir sur les entreprises : taxation de leurs revenus financiers pour les dissuader de placer leurs profits dans des opérations destructrices de capacités humaines, modulation des cotisations sociales patronales pour pénaliser les entreprises qui licencient, délocalisent ou précarisent, nouvelle sélectivité du crédit bancaire…

Que la question du « travail » et, plus précisément, de l’emploi et de la formation, ait fait irruption dans les débats politiques de la rentrée est, du point de vue de notre capacité à imposer une autre perspective que la régression sociale voulue par le pouvoir macronien, un signe des temps.