Une journée un peu particulière pour le Conseil des Ministres, décalé pour cause d’Assemblée Générale de l’ONU, avec un programme chargé pour la réunion de ce jour, puisqu’il s’agit d’examiner trois textes « marqueurs » du quinquennat qui s’ouvre, à savoir la loi de programmation des finances, la loi de Finances pour 2023 et la loi de financement de la Sécurité sociale.
À ce stade du débat politique, il convient dans un premier temps de procéder à la détermination de la « toile de fond », ou si l’on préfère du cadre dans lequel ces trois textes vont se déterminer.
Le cadre proposé par le programme de stabilité
À la vérité, c’est cet été que l’on a pu appréhender, avec la publication du programme de stabilité adressé par le Gouvernement en direction des autorités européennes, de quoi seraient faits les textes dont nous allons débattre.
Rappelons de fait les éléments principaux de ce programme.
Les objectifs du programme sont connus.
Il s’agit de placer les finances publiques sur une trajectoire de retour à la fameuse règle des « 3 % » à l’horizon de 2027, avec une contribution négative pour le compte de l’État et un apport positif pour les comptes des administrations publiques locales et ceux des administrations de Sécurité Sociale.
De manière incidente, cela signifie de fait que le Gouvernement escompte quelques effets de textes sociaux fondamentaux, à savoir la réforme de l’assurance chômage, celle du RSA mais aussi la réforme des retraites.
Le fait que ladite réforme se traduise par une amélioration des comptes de l’assurance vieillesse illustre clairement les intentions réellement affichées, dans un contexte où le prétendu « plein emploi » revendiqué par Macron et ses Ministres va de pair avec précarité et faibles rémunérations.
C’est à dire celle d’une dégradation des conditions de liquidation des pensions et retraites et d’une nouvelle réduction du taux de remplacement pour les générations appelées à faire valoir leurs droits dans les années à venir.
De ce point de vue, le rapport annuel du COR, sur lequel s’appuie le gouvernement dans sa communication, précise effectivement que l’indexation sur les prix devrait, à long terme, réduire d’un point de PIB la part de celui-ci consacrée au paiement des retraites mais aussi que le taux de remplacement (notamment sous les effets de la réforme Balladur de 1993) diminue de génération en génération.
Le programme le confirme puisque, selon les éléments fournis par le ministère, la part des prestations sociales dans le PIB serait appelée à se réduire de 1,2 % d’ici 2027, avec une baisse d’un quart du niveau des allocations chômage.
Autre confirmation avec le devenir des dépenses liées au vieillissement à horizon 2070 pour lesquelles le programme prévoit de passer de 15,3 % de PIB à 12,6 % en 2070, tandis que les dépenses liées à la dépendance passeraient de 2 à 2,7 % sur la même période.
Le tout se définit dans un cheminement de croissance inférieur, pour les années 2022 et 2023, à ce que prévoyait la précédente loi de programmation (dont on peut s’attendre à ce qu’elle soit abrogée par la nouvelle) et situé entre 1,5 et 2 points d’ici 2027.
On rappellera ici, pour mémoire, que la loi de programmation 2018 – 2022 avait intégré un solde public déficitaire de 0,3 % de PIB fin 2022, avec une dette publique contenue aux alentours de 91 %…
Le Haut-Conseil des Finances publiques a donné un avis critique sur les propositions formulées par le Gouvernement.
Les effets des réformes du « marché du travail » (convention UNEDIC, réforme RSA, réforme des retraites) sont estimés de manière trop « optimiste », ce qui risque fort de mettre en difficulté quelques – unes des hypothèses.
Autre caractère de prévision discutable : l’importance de la demande étrangère en direction de la France, qui surestime le poids relatif des exportations dans la contribution à l’amélioration du PIB.
Et ne parlons pas de l’inflation, estimée à 5 % pour 2022 et 3,2 % en 2023, qui risque fort d’être plus élevée, ne serait – ce que par la volonté de certaines entreprises de restaurer leur taux de marge et de payer le rendement attendu des actionnaires.
On soulignera, une fois de plus, que les exportations participent assez peu de l’amélioration des recettes fiscales pour le compte de l’État…
On notera aussi, pour le coup, que la progression de l’ensemble des recettes des administrations publiques est liée, dans le programme, au seul dynamisme des recettes découlant de la croissance.
La loi de programmation
Comme on pouvait s’y attendre, la loi de programmation des finances publiques 2022 – 2027 commence par revenir sur la loi de programmation précédente qui, comme les lois de même nature antérieurement votées, se trouve abrogée par le nouveau texte.
Dans ses articles initiaux, le texte reprend les attendus et les hypothèses contenus dans le programme de stabilité transmis à Bruxelles avec les errements et les erreurs habituels.
Ainsi, par exemple, les réductions d’impôts qui ont pu être décidées ces dernières années ne sont retenues que pour leur valeur de l’année n.
Pour donner un ou deux exemples, on soulignera par exemple que le coût fiscal du prélèvement forfaitaire unique n’a jamais été évalué que pour la première année d’application de la mesure, lors même on peut estimer à environ 3 milliards d’euros la dépense fiscale y afférant.
La même remarque vaut pour la baisse de l’impôt sur les sociétés, dont il faut bien considérer qu’elle représente aujourd’hui le tiers de la recette attendue en la matière, par simple application du rapport entre le taux facial 2022 et le taux facial antérieur, c’est à dire 25/33,3 % ou, si l’on préfère, un rapport ¾.
De ce point de vue, au regard de la législation du début du premier quinquennat Macron, on pourrait estimer, pour un rendement de 50 milliards d’euros de l’IS cette année, la perte de recettes à environ 17 milliards d’euros à législation constante.
Et ne parlons pas, de la même manière, du coût de la suppression des impôts de production, inscrite dans le plan de relance post Covid pour 10 milliards d’euros, appelés à croître et embellir durant toutes les années de la période de programmation…
Pour le texte de la loi de programmation, on soulignera que la mise en déclin des dispositifs des plans de relance et de soutien liés au Covid va contribuer de manière incidente à la réduction des dépenses publiques dès 2023.
S’agissant des dépenses, on observera que le programme de stabilité nous indique très vite de quoi il s’agit. Citons le texte : « Pour les années 2023 à 2027, l’objectif de maîtriser l’évolution des dépenses de l’État, dans un contexte de réduction rapide des dépenses du plan de relance, est réaffirmé. Les hausses de dépenses seront ciblées sur les secteurs prioritaires concernés par des lois ou des projets de lois de programmation pluriannuels, tels que la loi de programmation militaire, la loi de programmation pluriannuelle de la recherche, le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur ou encore le service public de la justice et l’aide publique au développement ».
Pour le reste, on se reportera avec intérêt aux différents tableaux du texte de la loi, avec toutefois un certain nombre de faits sous – jacents.
Essentiellement une volonté de maîtrise de la masse salariale de l’État qui devrait dès lors combiner créations de postes dans les champs d’action considérés comme prioritaires, suppressions de postes dans les autres et recours massif à la contractualisation et à l’emploi de non titulaires dans tous les domaines où les suppressions de postes seraient « trop voyantes ».
Il ne fait aucun doute que les collectivités territoriales seront invitées à pratiquer de même, en usant des possibilités offertes en la matière par la loi de Montchalin, dans le cadre de « contrats de Cahors » renouvelés.
La loi de Finances pour 2023
Fondée sur un cadrage macro – économique assez nettement discutable (nous l’avons vu avec la loi de programmation), la loi de finances pour 2023 s’inscrit dans la perspective d’une sortie des dispositifs de soutien mis en œuvre de 2020 à 2022 pour faire face à la crise sanitaire.
Mais les tensions internationales et le retour de l’inflation (pour lequel il faudra bien se demander s’il n’est pas dû, en partie, aux exigences de rentabilité du capital traduites par les décisions d’assemblées générales d’actionnaires de la dernière période) ont conduit le Gouvernement face à une double difficulté.
Celle de la mise en place des mesures de soutien à la consommation énergétique, pour un coût cumulé de plus ou moins 40 milliards cette année et d’environ 46 milliards pour 2023 et, autre conséquence, la remontée des taux d’intérêt.
Les taux longs (TEC 10) se situent, à la date du 23 septembre, à 2,49 %, soit 0,01 % en dessous de ce que le pacte de stabilité a retenu pour le cadrage de la trajectoire des finances publiques à horizon 2027.
Ainsi que cela a déjà été indiqué, cette situation, qui n’est plus du tout celle de l’année dernière à la même époque, ramène la France aux années 2013 / 2014.
Fin 2013, la dette de l’État s’élevait à 1 523 milliards d’euros.
Elle est aujourd’hui de 2 227 milliards d’euros, soit près de 50 % de plus.
En 2013, avec un tel niveau de dette publique, l’État avait dû consacrer environ 45 milliards d’euros au paiement des intérêts….
La prévision 2023, entre amortissement de la dette publique et de la « dette COVID » fait état d’une dépense de 57,4 milliards d’euros, soit un bon tiers du déficit prévu (-158,5 milliards).
On notera ici que les rendements nets de l’impôt sur les sociétés, de la contribution sociale sur les bénéfices et de la contribution spontanée de la Caisse des Dépôts et Consignations sont attendus, sur l’exercice, à hauteur de 57,3 milliards d’euros
Nous ne rentrerons pas ici dans le détail des mesures décrites par la loi de finances dans ses articles.
Mais soulignons quelques points forts.
Outre la prise en compte de l’inflation pour le barème de l’impôt sur le revenu, on peut noter que la principale mesure du texte consacre la disparition d’une ressource des collectivités locales, à savoir la cotisation sur la valeur ajoutée, dont le montant (7,61 milliards d’euros, soit 0,3 % du PIB ou peu s’en faut) constituerait un « handicap » pour la compétitivité de nos entreprises.
Une nouvelle ponction répartition de TVA est prévue pour compenser la perte de recettes (et de pouvoir fiscal) des collectivités locales et la réduction de la défunte « taxe professionnelle » à une simple « cotisation foncière des entreprises ».
Ainsi, en quarante ans, après avoir allégé l’assiette de la taxe professionnelle, inscrit son évolution potentielle dans des limites « cadrées », on aura fini par réduire la base d’imposition à la simple valeur foncière des installations et des bâtiments dédiés à l’activité…
Du point de vue des « ressources affectées », soulignons également la part particulière prise par le financement de la Sécurité Sociale, puisque les sommes mobilisées entre autres pour solder les allégements et exonérations de cotisations vont attendre 61,24 milliards d’euros, soit les deux tiers ou peu s’en faut de la TVA nette restant acquise au budget général !
Pour l’exemple, on rappellera que les crédits de la mission Enseignement scolaire, pour les programmes Enseignement public des premier et second degré atteindraient, en 2023, 62,1 milliards d’euros.
Cette affectation de produits fiscaux (ici de la TVA) trouve d’ailleurs une autre illustration pour la suppression de la redevance audiovisuelle (3,2 milliards de TVA affectée) et pour la compensation des pertes de recettes fiscales des collectivités locales.
On rappellera ici que la TVA a servi et servira encore à boucler la suppression de la taxe d’habitation (ce qui revient à faire payer par les contribuables exonérés de cette taxe une partie de sa compensation), mais aussi à solder la disparition de la CVAE, soit un ensemble s’approchant des 40 milliards d’euros.
Cumulés avec la compensation des allégements sociaux et celle de la disparition de la redevance audiovisuelle, ce processus consacre une TVA où la pré-affectation des ressources devient primordiale.
Pour le reste, le Gouvernement attend environ 17 milliards d’euros de rendement de la TICPE (part État), au moins autant des droits de donation et succession et 2,2 milliards d’un impôt sur la fortune immobilière qui n’aura jamais remplacé l’ISF en termes de rendement.
Et notre concours au budget de l’UE va se fixer à 24 586 millions d’euros.
Du point de vue des dépenses, les éléments fournis par le projet de loi, nonobstant les changements de périmètre, attestent au mieux d’une reconduction majorée de l’inflation pour les missions suivantes : Action extérieure, Agriculture, Anciens combattants, Cohésion des territoires, Conseil et contrôle de l’État, Culture, Direction de l’action gouvernementale, Pouvoirs publics, Régimes sociaux et de retraite, Solidarité et insertion, Sport et Jeunesse, Economie, Gestion des finances publiques, Médias, Outre – Mer, Relations avec les collectivités locales, Santé.
Sont donc concernées par des hausses plus sensibles les missions Justice, Sécurités, Travail et emploi, Défense, Plan de relance et France 2030, Education, Recherche et enseignement supérieur, Aide publique au développement et Immigration et asile.
S’agissant des emplois, la hausse globale du plafond (+19 401) trouve son origine principale dans la mutation de la situation des AVS et AESH rémunérés sous le programme « Vie de l’élève » du Ministère de l’Education.
Cela représente 15 676 postes.
Pour le reste, hausse des effectifs de la Défense (+1 198), de la Justice (+1 394), de l’Intérieur (+2 623), entre autres progressions significatives.
Le ministère des Finances, avec la suppression de 754 postes, est encore en première ligne pour les réductions d’effectifs. La baisse des effectifs, pour près d’un millier d’emplois, est imputable au réseau des centres des finances publiques et des recettes du Trésor.
Par ailleurs, le budget prévoit une contraction des effectifs des personnels enseignants.
La loi de financement de la Sécurité sociale
La loi de cette année entérine tout d’abord les comptes de l’année 2021 et 2022.
Pour 2021, le déficit global ressort à -24,3 milliards, du fait d’un déficit de plus de 26 milliards de la seule assurance maladie.
Pour 2022, il ressort à 19,2 milliards, du fait du déficit de l’assurance maladie (-20,3 milliards) et de celui de l’assurance vieillesse (-3 milliards).
La crise sanitaire a causé le dépassement de l’ONDAM pour rien moins que 9 milliards d’euros.
La trajectoire 2023 devrait conduire à un déficit de 6,8 milliards d’euros (soit environ 1,1 % du montant des dépenses attendues).
Pour le reste, chacun(e) pourra se faire une idée sur la base du communiqué du gouvernement :
- « Sur le champ de la santé, ce PLFSS engage la première étape d’une politique volontariste en faveur de la prévention que poursuit le Gouvernement, avec notamment la création des rendez-vous aux âges clés de la vie qui seront pris en charge par l’assurance maladie pour garantir une vie en meilleure santé à nos concitoyens, en particulier pour ceux qui sont le plus éloignés aujourd’hui de notre système. Afin d’améliorer la santé sexuelle, le dépistage gratuit et sans ordonnance sera élargi à toutes les infections sexuellement transmissibles et gratuit jusqu’à 26 ans, tandis que la contraception d’urgence sera rendue gratuite pour toutes les femmes sans ordonnance. L’accès à la santé sera renforcé, en particulier pour faire face aux déserts médicaux. A ce titre, et afin d’améliorer la formation des jeunes médecins et de renforcer leur apprentissage de l’exercice ambulatoire, des travaux seront engagés avec les universités et les représentants des jeunes professionnels pour la mise en œuvre d’une 4ème année d’internat de médecine générale. En outre, de nouveaux outils de négociation conventionnelle permettront d’agir, au vu des concertations engagées dans le cadre du Conseil national de la refondation Santé, pour favoriser l’accès aux soins dans les zones sous denses.
- Sur le champ de la famille, la revalorisation de 50 % de l’allocation de soutien familial sera mise en œuvre dès novembre 2022 et bénéficiera à 800 000 familles monoparentales. La réforme du complément pour le libre choix du mode de garde permettra de diminuer le coût d’une garde d’enfant auprès d’une assistante maternelle, pour que le reste à charge soit similaire à celui d’un autre mode d’accueil du jeune enfant. Par ailleurs, les familles monoparentales pourront bénéficier du complément mode de garde jusqu’aux 12 ans de l’enfant, contre 6 ans aujourd’hui.
- Sur le champ de l’autonomie, pour répondre à l’attente très forte des Français de vieillir chez eux le plus longtemps possible, le développement des services de soins infirmiers à domicile sera soutenu, avec une réforme de leur tarification et une augmentation de l’offre. Se concrétise également l’engagement présidentiel de permettre aux aides à domicile de passer plus de temps auprès des personnes accompagnées avec l’ajout de deux heures de présence supplémentaire hebdomadaires auprès des bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie à domicile à compter de 2024. S’agissant des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), la transparence financière et les contrôles seront renforcés, de même que la médicalisation avec une trajectoire financière permettant le recrutement à terme de 50 000 personnels soignants supplémentaires auprès des résidents.
- Sur le champ du handicap, ce PLFSS encourage la transformation des établissements médico-sociaux et promeut les démarches inclusives qui transformeront la société ».
Enfin, un chapitre est consacré à la lutte contre la fraude sociale. Il nous est ainsi précisé : « A cette fin, plusieurs mesures législatives permettront notamment de doter les contrôleurs des caisses de sécurité sociale de prérogatives de cyber-enquête, d’étendre le déconventionnement d’urgence à l’ensemble des professions de santé en cas de fraude majeure et de renforcer les échanges d’informations afin de mieux lutter contre le travail informel. »