Louis Mollard
Dire que la formation des jeunes est un enjeu d’avenir relève de l’évidence. Pourtant, 30 ans de politiques libérales ont laissé un tel champ de ruines qu’il est nécessaire d’en dresser le bilan et de renouer avec l’ambition.
Un constat d’échec
Les jeunes sont la part sacrifiée d’une société soumise aux diktats de rentabilité capitaliste. Il faut bien constater que les objectifs de formation, affirmés dans la loi d’orientation de 1989 et partagés, y compris par le MEDEF, ne font plus autant consensus. La recherche permanente de profits a conduit à des délocalisations qui n’affectent plus seulement les emplois d’ouvriers mais aussi de techniciens et de cadres. De même, la vision à court terme du patronat comme des pouvoirs publics a survalorisé l’apprentissage conçu comme une réponse immédiate aux besoins. De manière plus générale, le renoncement à l’ambition d’élever le niveau général de qualification a conduit à la dégradation de la formation initiale et continue.
Le renoncement à la formation pour tous
Dans le Second degré, l’objectif de porter 80 % d’une classe d’âge au bacc s’est heurté à la massification dans les collèges et les lycées. La démocratisation, portée par le développement des lycées technologiques et professionnels, a atteint ses limites, en partie en raison de la hausse constante des effectifs par classe, de la disparition des dispositifs d’adaptation (type classes passerelles), de l’absence de lutte réelle contre l’échec scolaire, et de la valorisation magique de l’apprentissage, comme l’analyse clairement le dixième congrès de la FSU en février 2022.
Dans le Supérieur, l’objectif fixé par la Stratégie nationale de l’Enseignement supérieur visait a minima de mener 60 % d’une même classe d’âge à l’obtention d’une licence. Or on en est loin, comme le constatait la CGT dans sa déclaration au CNESER du 14 juin 2022.
Un sous-investissement dans la formation et la recherche
Le ministère communique exclusivement sur les 160 milliards consacrés à la dépense d’éducation, en cumulant les dépenses parentales, celles de l’État et les investissements des collectivités territoriales. Le chiffre peut sembler impressionnant.
Mais le renoncement à une ambition de formation pour toutes et tous se lit clairement dans la baisse continue de la dépense intérieure d’éducation, comme le montre une note de la DEPP [1] (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse). Si la dépense intérieure d’éducation (DIE) a augmenté de 1980 à 1997, passant de 6,3 % à 7,7 %, en revanche elle baisse à partir de 1997 pour atteindre 6,6 % du PIB. De façon plus spécifique, la dépense nationale pour l’enseignement supérieur n’atteint toujours pas les 2 % du PIB
L’Éducation a donc perdu 1 point dans le PIB, ce qui constitue une régression considérable en soi, mais aussi au regard de l’évolution des autres pays de l’OCDE, où la moyenne des dépenses publiques pour l’éducation est supérieure.
La France n’investit donc pas assez dans la formation initiale, alors que la nécessaire ré-industrialisation et les efforts techniques, technologiques et scientifiques pour la transition énergétique exigeraient plus de travailleurs mieux formés.
Une tendance lourde aggravée par le précédent quinquennat
Les politiques d’éducation et de formation conduites par Blanquer, Vidal, Pénicaud et Denormandie ont accentué le caractère ségrégatif du système de formation. Elles visent à en finir avec l’idée que la diffusion large des connaissances à l’ensemble de la population est une condition du progrès technique et de la croissance. Elles favorisent des parcours socialement ségrégués, une orientation vers plus de pratique et d’employabilité, avec des savoirs restreints pour les uns, savants et élitistes pour les autres.
L’instrumentalisation de la crise du COVID a servi d’accélérateur de ces politiques d’éducation et de formation : adoption rapide de la Loi de programmation Recherche malgré l’opposition des personnels et des étudiants, imposition de la logique managériale dans les écoles avec l’expérimentation de Marseille.
Formation professionnelle : l’ajustement au marché du travail
Le plan de relance, notamment dans sa déclinaison “Un jeune, une solution” illustre bien la volonté gouvernementale : mise en concurrence des modes et des organismes de formation, subventionnement massif de l’apprentissage, baisse de l’investissement alloué aux formations professionnelles. Le recours au mentorat représente une nouvelle étape de l’externalisation du service public d’orientation au profit d’organismes privés marchands. Le choix de passer par des aides à la signature de contrats d’alternance sans contrôle ni contrepartie des entreprises amplifie la concurrence à l’entrée du marché du travail ainsi que la précarisation des salariés au profit des seules entreprises.
Le gouvernement et le patronat font le choix d’une logique « adéquationniste » (que l’on retrouve dans la future réforme de l’assurance chômage), renonçant à former des citoyens éclairés, hypothéquant leur avenir par la limitation de leurs capacités à rebondir et à se reconvertir.
Le management contre la formation
Face à ce rouleau compresseur idéologique, la capacité de résistance des enseignants et des formateurs a été parallèlement réduite par la Macronie. Le ministère Blanquer a notamment mis sous contrôle les personnels en multipliant les injonctions autoritaristes, en développant des hiérarchies intermédiaires, en pratiquant l’évaluation permanente. La remise en cause du caractère national du bacc et le développement du contrôle continu, le recours massif à des contractuels (par nature plus dociles) participent eux-aussi à cette mise au pas des enseignants et des formateurs, réduits à appliquer des méthodes et à poursuivre des objectifs qui vont à l’encontre d’une véritable formation qualifiante et émancipatrice.
Dans ces conditions, la formation initiale ou continue ne peut que se dénaturer progressivement. Asservie à une vision « adéquationniste », utilitariste et court-termiste, elle ne permet pas de répondre aux enjeux d’avenir.
Privatisation rampante.
La mise en marché de l’éducation et de la formation gagne du terrain car les politiques conduites, en affaiblissant les services publics, favorisent le développement du Privé. On recourt de plus en plus souvent à des officines marchandes pour l’orientation, pour la certification, la formation professionnelle. Avec la création des PACTE, les régions ont été parallèlement dotées de compétences nouvelles qu’elles exercent de façon adéquationniste et parfois clientéliste.
La liquidation programmée des lycées professionnels
A ce bilan déjà très dégradé, Emmanuel Macron ajoute une nouvelle réforme de l’enseignement professionnel sur le modèle de l’apprentissage. Il s’agit de calibrer les filières présentes dans ce type d’établissements publics vers les secteurs en pénurie, désertés aujourd’hui par les actifs du fait de conditions de travail et de salaire déplorables. Cela revient à instrumentaliser l’orientation des jeunes de 15 ans vers les métiers les plus pénibles et les moins valorisés, ce qui est à terme voué à l’échec.
Le grand bond en arrière.
Vouloir que la formation professionnelle scolaire ait pour objectif de répondre essentiellement aux besoins locaux et immédiats des entreprises est dangereux, étriqué et singulièrement inadapté aux enjeux de l’avenir. C’est ce que dénonce l’intersyndicale de l’Éducation qui mobilise contre le projet de transformation des lycées professionnels. En effet, la promesse d’augmenter de 50 % les stages dès la rentrée 2023 réduira mécaniquement de 50 % la présence des élèves dans les lycées professionnels et sabrera 50 % des horaires disciplinaires.
De plus, la mise en place d’une double tutelle écartèle les lycées professionnels entre l’Éducation Nationale et le ministère du Travail. C’est revenir avant 1920, date à laquelle l’enseignement professionnel se libérait de la coupe du ministère du Travail et était rattaché au seul ministère de l’Éducation. On tranchait ainsi en partie le conflit entre une vision utilitariste de la formation portée par le patronat et une vision plus formatrice et émancipatrice défendue par les syndicats et l’Éducation nationale.
L’apprentissage : un modèle peu exemplaire.
Pourtant, la face cachée de l’apprentissage, tel que le conçoit le patronat, est moins présentable que ne le laisse entendre le discours officiel. Ce sont d’abord des dépenses publiques considérables : par exemple, 12 milliards ont été distribués dans le cadre du plan de relance, la moitié fléchée pour les CFA (centres de formation d’apprentis), l’autre moitié pour les entreprises signant des contrats avec des jeunes de 29 ans et moins ; sans contrepartie évidemment.
De plus, ce pseudo-modèle trie les jeunes et choisit ses filières, laissant sur le carreau nombre de jeunes issus des milieux populaires et manquant à sa mission réellement formatrice. Quant à l’insertion, si les chiffres, dans quelques secteurs, sont effectivement meilleurs par apprentissage, c’est au prix d’une sélection sévère et d’aides publiques pléthoriques.
Pour une révolution du système de formation.
On le voit : le néo-libéralisme des gouvernements qui se sont succédé a profondément dénaturé le système de formation initiale et continue, en l’ouvrant au marché et à la rentabilité immédiate. Les jeunes tout comme les travailleurs déjà insérés sont les victimes de ces visions mercantiles de la formation, portées par le patronat et ses relais gouvernementaux.
Pour que le travail soit véritablement émancipateur, le PCF propose d’insuffler une dynamique nouvelle et puissante qui permette de construire un droit universel à l’emploi et à la formation.
Une formation initiale rénovée.
Pour avoir la jeunesse la mieux formée, il faut reconstruire une École dotée des moyens et des personnels suffisants pour garantir aux jeunes les meilleures études et les meilleurs diplômes. Il faudra donc abroger les réformes du ministre Blanquer, supprimer Parcoursup, contrôler les aides aux entreprises et réinvestir dans la formation en augmentant la part du PIB qui lui est consacrée. Concrètement, les mesures proposées par La France des Jours heureux restent pleinement d’actualité.
De même, la perspective de zéro jeune au chômage doit devenir une priorité, concrétisée par la fin des contrats précaires et l’accès à des formations qualifiantes via le nouveau service public de l’emploi et de la formation.
Un droit universel à l’emploi et à la formation.
Dans la perspective de rendre effective la sécurité d’emploi et de formation, le PCF porte l’idée d’une réforme de grande ampleur, esquissée dans la proposition de loi des députés communistes de janvier 2017. Sécuriser le parcours des travailleurs répond à un objectif de justice et vise aussi à éradiquer le chômage.
Sans vision émancipatrice du travail, sans contrôle des entreprises, sans refus de la marchandisation, la formation initiale et continue ne peut être que déficiente et incapable de répondre aux besoins de l’avenir. Il appartient aux communistes de relever le défi.
[1] https ://www.education.gouv.fr/media/72654/download