Paul Boccara
Exposant dans son ouvrage de 2002 [i] les « éléments » du projet de sécurité d’emploi ou de formation, Paul Boccara traitait de la place de la formation dans des termes qui résonnent fortement avec l’actualité d’aujourd’hui.
Il s’agit de dépasser l’opposition entre des idées et revendications nouvelles qui peuvent monter, comme celle d’un revenu d’existence pour tous, sans lien avec le travail ni avec une activité sociale, ou au contraire l’accent mis exclusivement sur le travail comme activité fondamentale socialisante et modalité unique d’insertion dans la production, alors que la formation peut de plus en plus en être une autre. Il s’agit d’ailleurs en même temps d’aller bien au-delà de toutes les ébauches dénaturées, tronquées, voire misérabilistes dont les intentions affichées vont dans ce sens d’insertion, par exemple, quand on parle d’un revenu d’insertion mais qui en grande partie n’insère pas dans de bonnes activités professionnelles, avec le RMI.
D’une part, le revenu d’existence ou l’allocation universelle sont une revendication compréhensible face à l’insécurité sociale actuelle. Mais ce revenu auquel on aurait droit sans aucune activité, ni de travail, ni de formation, pourrait ainsi conduire à des minima. Et d’ailleurs c’est ce qui existe déjà. En outre, il ne correspondrait pas à une activité d’affirmation de sa dignité et de ses capacités par son apport à la société. Des revenus assurés sont souhaitables, mais pas sans lien à une activité à finalité de production sociale.
D’autre part au contraire, la réduction au rôle de force de travail, achetée ou rejetée dans le chômage, est le propre du prolétaire, du salarié capitaliste. On peut commencer à dépasser cette situation avec la révolution informationnelle, non seulement par la sécurité d’un bon revenu au lieu du chômage et de ses indemnités limitées, mais aussi par les activités de création de soi-même, de développement de ses capacités qu’est la formation. Loin d’être purement instrumentalisée par l’emploi, même si elle permet un meilleur emploi, en contribuant à un autre type d’emploi, la formation continue deviendrait aussi importante que le travail. Elle déboucherait également sur la culture pour l’épanouissement et la maîtrise de toute sa vie et pas seulement de sa vie de travail (qui n’est qu’une partie de la vie, et même plus du tout la partie majoritaire). Cette formation continue et massive contribuerait à développer toutes les activités créatives, activités qui sont le propre des êtres humains. Cela concernerait de plus en plus la production, avec la recherche et la formation, mais aussi toutes les autres activités.
La formation tout le long de la vie, loin de réduire le rôle de la formation initiale, lui donnerait au contraire un rôle considérable nouveau. Elle la changerait sans doute profondément, avec une autre pédagogie et en la responsabilisant autrement, pour qu’elle fournisse les bases d’une ouverture à une formation et à une auto-formation tout au long de la vie.
On ne part pas de rien. Tout cela on commence à le faire, de façon rabougrie. Mais la vie pousse. Il y a toute une série d’ébauches, depuis la loi de 1971 sur la formation continue, même si la pratique est très inégalitaire. Il est prévu d’élaborer une nouvelle loi en raison de ces limites. Mais les aspirations radicales restent refoulées et réprimées. Améliorer profondément la formation continue, c’est déjà aller vers le projet de sécurité d’emploi ou de formation. Bien sûr, il est beaucoup plus ambitieux. À son propos, on a pu dire : c’est très beau mais c’est infaisable. Mais ce qui est infaisable, c’est quelque chose qui n’a jamais été essayé.
D’ailleurs, il s’agirait de transformer radicalement des institutions existantes et en développement. Les revenus minimums dits d’insertion existent déjà, de même que les indemnisations du chômage, même si dans beaucoup de pays en voie de développement cela n’est pas encore acquis. Il y a aussi tous les autres minima sociaux. Existe également l’immense domaine des stages, des formations de toutes sortes, et bien des expérimentations positives ou négatives, y compris les « stages bidon ».
Enfin, pour aller au-delà d’un simple revenu d’existence, se pose la question des immenses poches d’inactivité professionnelle contrainte et du défi de leur éradication possible, tout particulièrement pour répondre aux aspirations nouvelles des femmes, sans pour autant réduire ces aspirations à l’emploi, ni surtout à un emploi non qualifié et peu créateur.
[i] Paul Boccara, Une sécurité d’emploi ou de formation, Le Temps des CeRises, Paris, 2002.