Éditorial
Franchir un cap nouveau !

Jean-Marc DURAND
membre du conseil national - PCF

Il est des périodes où les évènements donnent à l’histoire un rythme et un cours nouveaux.

C’est peut-être bien ce qui est en train de se passer sous nos yeux en ce moment même.

Bien sûr, comme le disait Friedrich Engels : « on ne peut pas faire bouillir les marmites de l’avenir ». Mais il est cependant probable qu’il soit possible au quotidien d’entretenir les braises jusqu’à produire des montées de température. Et sans doute, sommes-nous aujourd’hui dans un temps où la conjugaison de multiples situations, où l’entrelacement de crises aussi profondes que diverses (sociales, écologiques, économiques, financières, sociétales, sanitaires, énergétiques, alimentaires…) ouvrent de nouveaux champs du possible. Certes ils peuvent déboucher sur le pire comme la guerre mais ils peuvent aussi conduire à un ressaisissement salutaire de et pour l’ensemble de l’humanité.

La mobilisation et les actions en cours contre le projet de réforme des retraites Macron-Borne font partie des données nouvelles que nous devons comprendre et prendre en compte à leur juste niveau. La situation sociale nouvelle créée à cette occasion peut en effet produire un certain nombre d’évènements et d’éléments déterminants offrant dans la dialectique des contradictions qui traversent la société française aujourd’hui, les possibilités de franchir un cap significatif vers une transformation radicale du système dans lequel nous vivons. Elle nous offre comme cela ne s’était pas produit depuis un certain temps, un espace d’expérimentation permettant dans le feu de l’action de confronter le mouvement des idées et la production théorique avec des actions et des objectifs concrets d’amélioration des conditions de vie, portés dans la lutte. Quoi de mieux pour un communiste !

Et des choses bougent vraiment, elles bougent même à un rythme que nous avions encore du mal à imaginer il y a quelques semaines, ou qu’on pensait à jamais ensevelies ! Par exemple, les syndicats ont retrouvé le chemin de la lutte revendicative et redeviennent du même coup à la fois le représentant et le moteur de la mobilisation sociale et de l’action revendicative. Ce qui a pour conséquence de remettre chacun à sa place et d’éviter une instrumentalisation du mouvement social avec tous les risques de dérapage que cela peut sous-tendre.

PCF : passer aux travaux pratiques

Autre fait significatif, peut-être un heureux produit du hasard scientifique, le mouvement des retraites tombe en pleine préparation du 39ème congrès du Parti communiste français.

En général fidèles au rendez-vous de l’histoire, les communistes le sont particulièrement depuis quelque temps. Tout d’abord au sein de leur propre parti. Un constat qui remonte à quelques années déjà. Au moins à l’année 2018 et à leur 38ème congrès. Un congrès qui sans nul doute laissera son empreinte dans l’histoire de notre parti et certainement au-delà. En effet pour la première fois, au terme d’un débat démocratique, ouvert et libre, les communistes avaient choisi pour base commune de discussion à leur 38ème congrès un autre texte que celui qui était proposé par la direction sortante ! Une révolution au sens noble du terme. Un évènement vraisemblablement beaucoup trop minimisé et trop largement passé sous silence. Du coup, comme pour bien montrer que ce choix n’avait pas été fait sur un coup de tête, les communistes ont décidé de confirmer magnifiquement par leur vote sur le texte de base commune pour leur 39ème congrès, l’orientation qu’ils s’étaient donnés il y a quatre ans à Ivry. Et cela ne doit, pour le coup, rien au hasard.

Cette suite dans les idées en confirme une autre. Celle qu’une large majorité de communistes porte en elle depuis toujours ayant été enfouie, étouffée au cours d’une génération entière et qui s’incarne dans leur volonté de disposer d’un parti capable de peser sur le cours de l’histoire. Une détermination qui n’avait jamais disparu et qui se matérialise pour chaque communiste dans leur attachement à un parti en mesure de construire une autre perspective que celle de subir l’exploitation et toutes les dominations d’un système capitaliste toujours plus avide de profits, poussant à un néolibéralisme renvoyant aux lois de la jungle ou à n’y apporter à la marge que quelques pansements sociaux.

Retraites : confronter le mouvement des idées et la production théorique avec des actions et des objectifs concrets d’amélioration des conditions de vie, portés dans la lutte.

Revenus à des orientations claires, c’est fort de retrouvailles avec ce qui constitue leur ADN que les communistes se retrouvent plongés dans le bain de la lutte contre la réforme des retraites et le moins qu’on puisse dire c’est qu’ils sont là ! Dans le respect des organisations syndicales mais engagés pleinement dans la lutte, ils ont décidé d’occuper le champ politique. Débats, meeting unitaires, tracts, affiches, rencontres multiples aux portes des entreprises, dans les quartiers, ils sont des acteurs remarqués de la mobilisation. Mais est-ce suffisant si nous voulons jouer pleinement notre rôle de communistes comme nous le proposent les divers articles qui composent le dossier de ce numéro d’économie et politique ?

D’ailleurs, le mouvement social lui-même ne nous invite-t-il pas à nous interroger, lui qui dans les discussions que nous pouvons avoir, exprime une volonté d’élargissement aux questions de salaires, de conditions de travail, de lutte contre le chômage et la précarité, du besoin de formation, d’une nouvelle organisation de l’administration territoriale ? Nos tâches sont donc de marcher sur nos deux jambes. Nous avons en effet la double responsabilité d’organiser la plus forte résistance possible au projet Macron-Borne pour le mettre en échec et de proposer une alternative à la fois crédible et radicale. Car il est aujourd’hui impossible de s’accommoder d’un simple maintien de l’existant. D’une part, la situation est en effet devenue et deviendra intenable, invivable pour nombre de retraités.ées et de futurs.es retraités.ées du fait des réformes subies par le système des retraites depuis 1993, voire même depuis 1987. Et d’autre part, vouloir faire vivre dans les conditions d’aujourd’hui l’idée formidable d’Ambroise Croizat, Ministre communiste du travail : « la retraite doit être un nouveau temps de la vie » exige des propositions qui relèvent d’une véritable révolution du travail et des emplois, des modes de financements et des pratiques démocratiques. En somme un projet de société qui renvoie à la construction d’une nouvelle civilisation.

Il s’agit donc pour les communistes de passer aux travaux pratiques, de passer à la mise en pratique des orientations qu’ils ambitionnent de se donner pour les trois prochaines années. Développer les luttes pour gagner suppose en effet de proposer un vrai débouché fondé sur de véritables propositions alternatives. Car nous ne nous mobilisons jamais aussi bien que lorsque nous avons un objectif nouveau à atteindre. En ce sens, il est possible de dire que la société n’a jamais eu autant besoin de communisme. Mais il ne suffit pas de se baisser pour le ramasser, il faut mener le débat, la confrontation politique sur les idées et les projets. A cet effet nous n’en sommes pas dépourvus. En ces temps où le travail, son sens, ses conditions d’exercice sont interrogés, où se pose comme jamais la question de l’utilisation de l’argent, de celui des entreprises comme de celui des banques et de l’État, alors que 1 500 milliards de dollars de dividendes ont été servis dans le monde en 2022, alors que les premiers résultats parvenus des entreprises du CAC 40 font ressortir des profits de 140 milliards d’euros en 2022, alors que monte le besoin d’un nouvelle intervention démocratique – salariale et citoyenne – dans les gestions, tout indique l’actualité de notre projet de sécurité d’emploi ou de formation (SEF). La SEF est aujourd’hui à la fois le prolongement et l’amplification du projet global porté par Ambroise Croizat. Elle est le moyen de parvenir à une sécurisation de tous les temps de la vie en dépossédant le capital et les patrons de leur pouvoir sur le marché du travail car proposant une régulation nouvelle qui passe par la formation au lieu du chômage, c’est-à-dire par l’émancipation de la condition humaine plutôt que par son asservissement.

Parler de projet communiste, de communisme pour le XXIe siècle, cela passe inévitablement par des propositions en rupture, précises, transformatrices et alternatives. C’est porter sans ambiguïtés un projet de dépassement du système capitaliste articulant enjeux sociaux et sociétaux qui loin de s’opposer, se nourrissent et permettent de donner toute sa cohérence à notre ambition civilisationnelle. C’est donc engager ouvertement le débat et la construction de ce projet avec les salariés.es, l’ensemble des citoyennes et des citoyens. C’est aussi mener ouvertement ce travail sans concession mais sans présomption avec l’ensemble des autres forces de gauches et écologistes, à considérer comme des partenaires et en évitant toute mithridatisation du débat politique par des questions qui ne tourneraient finalement qu’autour de visées électoralistes. Il s’agit d’amorcer avec courage et confiance un tel tournant, en étant bien conscient qu’il représente certainement le plus sûr moyen de redonner au PCF la place qui lui revient dans l’espace politique de notre pays mais aussi en Europe et dans le monde. Une place qui fera de lui un des éléments solides de la reconstruction d’une gauche de conquêtes sociales, rassemblée sur des objectifs précis, et capable ainsi d’exercer à nouveau un jour le pouvoir.

1 Trackback / Pingback

  1. Numéro 822-823 (Janvier-février 2023) - Économie et politique

Les commentaires sont fermés.