Budget 2024 : à la recherche des milliards perdus

Jean-Marc DURAND
membre du conseil national - PCF

Le gouvernement, M. Bruno Le Maire en tête, a décidé de passer à l’offensive à l’occasion de la préparation du projet de budget pour 2024. Il s’agit pour Bercy d’engager le « désendettement de la France ».

En clair, il faut faire baisser le montant de la dette et réduire le déficit avec l’ambition de le ramener de 57,5 % du PIB en 2022 à 53,5 % en 2027. Fini donc le « quoi qu’il en coûte », et retour aux principes budgétaires européens, dont notamment la règle des 3 %.

Un exercice qui s’apparente à la quadrature du cercle…

La matérialisation d’une telle orientation aura inévitablement de lourdes conséquences. Il est ainsi envisagé de réduire de 5 % les dépenses de chaque ministère, hors dépenses de salaires. Et cela, alors que le ministre de l’Économie a déjà pris les devants en identifiant une douzaine de milliards d’euros d’économies réalisables. De la sorte, en additionnant le total de ces économies et en raisonnant en euro constant, ce sont 30 milliards de réduction des dépenses publiques qui sont envisagés. C’est-à-dire une coupe budgétaire d’environ 10 % des dépenses de l’État qui peuvent être évaluée en 2023, hors remboursements et dégrèvements divers, à environ 330 milliards d’euros. Un choix gouvernemental qui serait sans doute fatal à de nombreuses missions de services publics, qu’elles relèvent de l’État ou des collectivités locales.

Seulement l’équation n’est pas si simple car chacun a bien conscience des risques qui en découlent, que ce soit en termes de capacité de réponses aux besoins élémentaires de la population, d’emplois mais aussi de mouvement social. Disons que le pouvoir « macronien » tente un exercice d’équilibriste qui risque de lui coûter cher. D’autant plus cher que c’est exactement le choix contraire qu’il faudrait faire pour sortir de la spirale infernale de l’endettement.

Mais qu’à cela ne tienne, pour parvenir à ses fins, le triumvirat Macron-Borne-Le Maire compte sur certains chantiers déjà lancés, comme l’a précisé Mme Borne lors des assises nationales des finances publiques. Font partie du lot, la réforme des retraites et celle de l’assurance chômage. Mais s’y ajoute la fin annoncée du bouclier tarifaire avec l’arrêt du bouclier gaz dès ce mois de juillet, et l’annonce de la sortie prochaine et progressive du bouclier électricité dont les consommateurs peuvent déjà se rendre compte avec la hausse de 10 % intervenue au 1er août. Cela va représenter une réduction de 30 milliards de la dépense publique au budget 2024.

Pour autant, le projet de budget va devoir faire face à une importante augmentation de la charge de la dette publique dont le montant va dépasser cette année les 50 milliards d’euros et devrait atteindre les 70 milliards d’euros d’ici 2027. A noter que cette hausse de la charge de la dette résulte du choix de la BCE d’augmenter ses taux directeurs au motif de lutter contre l’inflation, faisant le choix conscient de contraindre la croissance alors que cette inflation est essentiellement d’origine financière. Et ce qui est scandaleux à ce stade c’est que l’État se prend de plein fouet ces augmentations en devant, en plus, aller se financer sur les marchés financiers… En même temps, bien que la France ne soit pas encore entrée, comme son voisin allemand, en récession, sa croissance est en berne. Ce n’est pas avec les 0,1 % du premier trimestre et les 0,5 % du second qu’on peut espérer un développement sain de l’emploi et une augmentation significative des recettes fiscales et sociales. D’autant que s’ajoute à cette situation la poursuite de la politique gouvernementale en matière de baisse des prélèvements fiscaux, particulièrement de la fiscalité des entreprises ainsi que celle des plus riches. Ainsi est dans les tuyaux la suppression définitive de la CVAE, soit une perte de 8 milliards d’euros pour les finances des collectivités locales, ce qui représentera au total – après la première vague de réduction – un cadeau de 15 milliards d’euros fait en deux ans aux entreprises. Par ailleurs pas question de rétablir l’ISF, pas question non plus de revenir sur la niche Copé (exonération de plus-value sur les titres de participations).

Pourtant, il existe d’autres voies pour se sortir de l’impasse actuelle. Un rapport d’information parlementaire sur Les différentiels de fiscalité entre entreprises paru début 2023 indique clairement qu’il serait possible de récupérer des recettes fiscales conséquentes sans pour autant plonger les entreprises dans les pires difficultés. Il est vrai qu’au final cela ferait moins d’argent pour les actionnaires mais de cela le pays peut se relever ! D’autres moyens existent également comme le recours à un crédit bonifié pour des investissements porteurs d’objectifs sociaux (emplois, formation) et écologiques. Il suffirait pour cela d’un peu de volonté politique et de faire confiance aux salariés et aux citoyens pour en assurer le contrôle.

Un rapport qui tombe à pic !

Alors que les débats de l’automne dernier sur la « taxation des superprofits » ont pris fin, le sujet central de la fiscalité des entreprises n’en n’a pas fini d’occuper l’actualité. Pour preuve la mise en place d’une mission d’information par le président de la commission des Finances de l’Assemblée nationale et le rapporteur général, dont les conclusions esquissent des pistes pour limiter les différentiels de taxation entre entreprises et favoriser une taxation plus juste. 

Ces travaux conduits dans le sillage du plan antifraude fiscale de Bercy et de l’étude rendue début juillet par le Conseil des prélèvements obligatoires montre que les écarts de taux implicite d’impôt sur les sociétés se sont resserrés entre PME et grands groupes sur la période 2007-2019. Le différentiel est passé de 9,9 points à 1,6 point. Pour autant ce rapprochement n’en finit pas avec les disparités et surtout ne dit pas comment ce différentiel a été réduit et pourquoi.

D’ailleurs les rapporteurs laissent d’une certaine manière transparaître cette dichotomie dans une des appréciations qu’ils formulent : « La différenciation fiscale des entreprises est un sujet […] complexe qui renvoie […] à la capacité des entreprises à se saisir des mécanismes prévus par la loi, voire à en exploiter les failles », notent les députés dans leur rapport. « Selon qu’elles disposent de compétences d’ingénierie fiscale, qu’elles sont établies sur le territoire national ou non, qu’elles disposent d’une structure de détention complexe ou qu’elles exercent leurs activités dans un secteur économique donné, l’effort contributif des entreprises est susceptible de varier dans des proportions qu’il n’est pas aisé d’estimer. »

Sont ensuite abordés plusieurs aspects de la législation fiscale dont les taux réduits d’impôt sur les sociétés, qu’ils soient explicites ou implicites car résultant d’aides publiques. Plusieurs recommandations sont avancées dont une vise à pousser les entreprises vers davantage de transparence. Pour les deux rapporteurs, il s’agit de « rendre progressivement obligatoire pour les entreprises la publication des aides publiques qu’elles perçoivent ».

Ils proposent également d’aller au-delà de ce que propose la nouvelle directive européenne (dite « CBCR »), en matière d’obligation pour les multinationales de rendre accessibles au public des informations d’ordre économique, comptable et fiscal, notamment le montant de l’impôt acquitté pays par pays (sauf pour les pays hors de l’Union, pour qui les chiffres sont agrégés). Pour les deux rapporteurs, il s’agirait de permettre d’intégrer à cette obligation les entreprises au chiffre d’affaires inférieur à 750 millions d’euros et de rendre publiques les données pays par pays, y compris pour les activités hors de l’UE. Dans le même ordre d’idée serait proposée la publication d’informations sur la localisation des actifs incorporels des entreprises, ceux-ci étant souvent au cœur des stratégies d’optimisation fiscale.

Le rapport préconise d’autre part d’« étudier la possibilité et les conditions d’un droit de contrôle des salariés renforcé concernant la politique fiscale de l’entreprise ». Nous sommes particulièrement sensibles à cette préconisation, même si en ce domaine nous pensons, au PCF, qu’il faut franchir le Rubicon et donner aux représentants des salariés des entreprises le droit de saisir l’administration fiscale, notamment pour ouvrir une procédure de contrôle fiscal.

De façon concrète, les études et analyses qui ont permis de déboucher sur ce rapport montrent que les entreprises bénéficient d’aides conséquentes dont certaines sont évaluées au titre des dépenses fiscales et d’autres pas. Pour autant, au total et sans corser du tout l’addition, le montant tourne au bas mot autour des 70 milliards d’euros. Par exemple le taux réduit des PME a représenté 2,66 milliards d’euros en 2021. Mais il y a encore mieux ! Avec le régime mère-fille, qui permet d’exonérer les dividendes versés à une société mère en échange de la réintégration d’une quote-part de frais et charges s’élevant à 5 %, et le fameux système d’intégration fiscale, c’est 20 milliards d’euros pour le premier et 16,5 milliards d’euros pour le second, soit un total de 36,5 milliards d’euros qui s’évaporent. Enfin ajouter à cela le régime de déductibilité des charges financières, la niche Copé, dispositif institué en 2004, qui exonère de plus-value les titres de participation détenus depuis plus de 2 ans par des sociétés soumises à l’IS, et les récents 15 milliards de cadeaux avec la suppression de la CVAE, on mesure l’étendue du problème !

On mesure combien aujourd’hui la lutte contre la fraude fiscale prend une dimension qui n’a plus rien à voir avec ce qu’était cette mission dans les années 80. Il y a automatiquement moins de fraude à partir du moment où la législation fiscale entérine elle-même des systèmes d’érosion des bases et/ou de réduction de taux. Aujourd’hui, le sport favori des grandes entreprises est d’optimiser tous ces systèmes afin d’en tirer les meilleurs bénéfices. Et c’est notamment ce qui alimente les logiques le dumping fiscal entre entreprises sur le territoire national et au plan européen où il est en plus possible de jouer sur des différences de taux.

Pour l’heure, nous ne pouvons que conseiller au gouvernement de se pencher sur ce rapport parlementaire afin d’en tirer quelques idées qui pourrait lui être utiles pour boucler dans des conditions sincères son projet de budget 2024. Au plan européen, il est urgent de s’atteler à la construction d’un nouveau paradigme sur lequel fonder une harmonisation fiscale soutenant une croissance économique imprégné des critères d’efficacité sociale et de de développement écologique.