La protection sociale dans l’UE : les risques emploi- chômage et pauvreté

Catherine Mills
maîtresse de conférences honoraire à l’université de Paris – Sorbonne

Suite de l’article de Catherine Mills paru dans le numéro 828-829 d’Économie&Politique : https://www.economie-et-politique.org/2023/08/26/la-protection-sociale-dans-lue/

1.Les prestations liées au risque emploi –chômage dans l’UE

Ces dépenses comprennent les revenus de remplacement et diverses prestations, en espèces ou en nature, fournies individuellement à des personnes privées d’emploi, en sous-emploi ou reprenant un emploi. Au-delà des mesures exceptionnelles liées à la pandémie, les écarts de prestations versées entre pays pour le risque emploi dépendent du nombre de chômeurs ainsi que des conditions d’accès, du niveau et de la durée des prestations.

En 2021, la part des prestations emploi en % du PIB, représente en moyenne 1,7 % du PIB dans les pays de l’UE-27 et atteint 2,4 % en France, contre 1,5 % en Allemagne. Chypre se distingue par un niveau particulièrement élevé de la part des prestations-emploi dans le PIB en 2021 (3,4 % du PIB), sans doute en lien avec le maintien des dispositifs de chômage partiel, elle est suivie de l’Autriche (3,0 %), de l’Espagne (2,5 %), de Malte (2,5 %) et de la France (2,4 %, soit 61 milliards d’euros). Les prestations du risque emploi représentent 2,0 % du PIB en Italie. En Suède, les prestations-emploi en part du PIB (1 %) sont inférieures à la moyenne de l’UE-27. En Pologne et en Hongrie, les prestations-emploi représentent seulement 0,4 % du PIB, en queue de l’UE-27. En moyenne, les pays entrés dans l’Union européenne à partir de 2004 (les 13 nouveaux membres, ou NM-13) dépensent 0,7 % de leur PIB pour le risque emploi, un niveau très inférieur à celui des pays de l’UE-14 qui ont intégré l’UE avant 2004 et dont la moyenne est de 1,9 %.

Les prestations en parité de pouvoir d’achat (PPA).

La France, avec 25 700 euros PPA par chômeur, se situe au-dessus de la moyenne de l’UE-27 (17 600 euros). En Italie, en PPA, les dépenses liées au risque emploi s’élèvent à 17 200 euros par chômeur. Chypre se distingue par un montant bas de prestations PPA, ainsi que l’Espagne et le Portugal, où le taux de chômage est élevé.

Une forte augmentation des prestations emploi-chômage avec la crise du Covid-19

En 2020, dans la quasi-totalité des pays, les dépenses ont crû de plus de 50 % par rapport à 2019. L’augmentation atteint 61 % en France, en lien avec la crise sanitaire, économique et sociale, alors qu’entre 2010 et 2019, les prestations du risque emploi ont augmenté en moyenne de 2 % par an. L’augmentation est de 82 % en Allemagne, et même plus de 200 % dans certains pays où le niveau pré-crise des prestations était faible. Les prestations liées au risque emploi ont augmenté de 75 % dans l’UE-14 et de 157 % dans les NM-13. Ces hausses spectaculaires sont très nettement supérieures à la variation annuelle moyenne enregistrée entre 2010 et 2019, comprise entre une diminution de 7,4 % en Irlande et une augmentation de 5,7 % en Lituanie (mesurées en euros courants).

La forte croissance des dépenses du risque emploi en 2020 s’expliquait notamment par la mise en place de dispositifs d’activité partielle d’une ampleur sans précédent. L’activité partielle représente une part importante dans le total des prestations du risque emploi. C’est le cas avec le dispositif Kurzarbeit en Allemagne ou la Cassa integrazione guadagni, en Italie, deux pays aux traditions plus anciennes de pratique du chômage partiel. Avec la pandémie, l’activité partielle représentait en 2020 plus de 20 % du total des prestations-emploi dans tous les États, et atteignait jusqu’à 68 % et 93 % en Pologne et à Malte, deux pays où la hausse globale des dépenses associées au risque emploi était particulièrement marquée. En France, l’activité partielle constitue 32 % du total des prestations-emploi, soit 24 milliards d’euros. Alors qu’en 2019, le chômage partiel représentait moins de 1 % des dépenses du risque emploi en France et en moyenne dans l’UE. L’activité partielle, ou chômage partiel, permet aux entreprises de conserver leurs salariés non mobilisés ou sous- utilisés à un coût très réduit, via la prise en charge de tout ou partie de leur salaire par l’État. Au pic de l’épidémie, en avril 2020, la France et l’Italie comptaient entre 20 % et 30 % d’actifs en activité partielle (Marc et al., 2021). Au printemps 2021, dans les deux pays, près de 10 % des actifs étaient encore concernés (OCDE, 2022), malgré un ciblage poussé des dispositifs sur les secteurs les plus affectés par la pandémie. Alors que dans la crise financière de 2008, le nombre d’actifs en activité partielle avait fluctué entre 1 % et 6 % dans l’UE. Lors de la pandémie de la Covid-19, on assiste à une faible augmentation du taux de chômage. Celui-ci passe de 6,8 % de la population active en 2019 à 7,2 % en 2020, puis recule à 7,0 % en 2021.

En 2021, dans la majorité des pays européens, en lien avec l’assouplissement progressif des restrictions sanitaire, c’est un recul de ces dépenses -16 % dans l’UE-27, particulièrement dans l’UE-14 et -11 % dans les NM-13. En France, elles ont diminué de 18 % entre 2020 et 2021. Cependant ces dépenses se maintiennent à un niveau largement supérieur à celui de 2019, avant la crise de la Covid-19, 50 % supérieur aux dépenses de 2019 dans la majorité des pays étudiés. La reprise économique et la réduction progressive des dispositifs d’activité partielle mis en place pendant la pandémie de Covid-19, engendrent un ralentissement de la croissance des dépenses liées au risque emploi.

Prestations en espèces – prestations en nature dans l’UE

Les prestations versées en espèces sont largement prépondérantes (dépenses dites « passives »). Dans la plupart des pays, les prestations en nature (dépenses dites « actives ») représentant moins de 5 % du total des dépenses liées au risque emploi, sauf en Autriche, en Suède et au Danemark. En Autriche et en Suède, plus de 10 % des prestations sont versées en nature (principalement des formations professionnelles). Le Danemark investit plus de 20 % de ces dépenses dans les services de placement et d’assistance à la recherche d’emploi. En France, en 2020, les prestations du risque chômage étaient versées à 97 % en espèces, dont 32 % pour l’activité partielle, et seulement 3 % en nature. Les prestations en nature correspondent principalement au service public de l’emploi.

Une forte diversité des conditions d’indemnisation dans l’UE.

En France, en 2021, il fallait avoir travaillé au moins 4 mois au cours des 24 derniers mois (ou des 36 derniers mois pour les salariés de 53 ans ou plus) mais la durée d’affiliation a été fixée à 6 mois depuis le 1er décembre 2021. En Allemagne, le minimum pour être éligible est de 12 mois travaillés durant les 30 derniers mois (Unédic, 2021). En Italie, pour avoir accès aux prestations chômage, il suffisait d’avoir travaillé 3 mois au cours des 4 dernières années, dont 1 mois durant la dernière année. La durée maximale d’indemnisation peut atteindre 2 ans en Espagne, en Italie et au Danemark. En France, les chômeurs peuvent être indemnisés durant 2 ans au maximum s’ils ont moins de 53 ans, 2 ans et demi s’ils ont entre 53 et 54 ans et 3 ans s’ils ont plus de 55 ans. La durée maximale d’indemnisation est potentiellement illimitée en Belgique, avec toutefois une forte dégressivité et le versement d’une allocation forfaitaire au bout de 4 ans. La durée maximale d’indemnisation est plus faible en Suède (10 mois ou 15 mois en cas d’enfants à charge) et en Irlande (9 mois où l’allocation est forfaitaire, contrairement à d’autres pays européens où le montant de l’indemnisation dépend des salaires antérieurs. En France, en Espagne, au Danemark et en Suède, certains droits ouverts sont forfaitaires. Dans d’autres pays européens, le montant de l’indemnisation et les droits ouverts varient selon la durée de cotisation. Enfin l’allocation peut être dégressive dans le temps, le taux de remplacement diminue après 6 mois d’indemnisation en Espagne, 4 mois en Italie et 2 mois aux Pays-Bas.

2.Les prestations du risque pauvreté-exclusion sociale

En 2021, dans l’UE-27, le risque pauvreté-exclusion sociale représente en moyenne 2,6 % des prestations sociales et 0,8 % du PIB. L’Italie consacre la part de PIB la plus élevée (1,6 %), suivie par les Pays-Bas (1,5 %) et la France (1,4 %).Ces prestations comprennent des compléments de ressources (revenus minimums d’assistance), des services et biens de première nécessité visant à aider les personnes vulnérables, des services d’hébergement et de réadaptation des personnes. Ce risque regroupe les prestations spécifiquement destinées à lutter contre l’exclusion sociale et qui ne sont pas couvertes par une autre fonction (famille, personnes âgées, handicapées, etc.). Aussi leurs niveaux ne sont pas toujours comparables entre les pays. La France comptabilise dans la catégorie exclusion sociale, le revenu de solidarité active (RSA), ainsi que la prime d’activité, les prestations liées à l’hébergement d’urgence et les aides des centres communaux d’action sociale (CCAS).

En parité de pouvoir d’achat et par habitant, les pays de l’UE-14 consacrent 300 euros PPA en moyenne, destinés à la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Les Pays-Bas sont le pays qui dépense le plus avec 700 euros PPA par habitant, suivi par le Danemark (600 euros PPA) et l’Italie (550 euros PPA). La France se place en quatrième position avec 500 euros PPA par habitant. Les prestations sociales de ce risque peuvent être assimilées à des minima sociaux. Les niveaux de prestations les plus bas sont observés en Allemagne, en Irlande et dans la majorité des nouveaux membres (NM-13) soit 50 euros PPA en moyenne.

 La croissance des prestations visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale s’est accélérée sous l’effet de la pandémie de Covid-19. La plupart des pays ont ponctuellement augmenté le montant des prestations, versé des aides exceptionnelles, assoupli les conditions d’accès aux aides sociales ou proposé des mesures spécifiques à destination des jeunes. En 2021, la croissance des prestations perdure, du fait notamment de la mise en place des premières mesures pour faire face à l’inflation.

Avant la crise sanitaire entre 2010 et 2019, les prestations du risque pauvreté-exclusion sociale, s’élevaient déjà fortement dans l’UE, elles augmentaient de +6,4 % par an, 5,3 % par an en France. En Italie, elles s’accroissaient de 25,3 % par an. Elles baissaient de -3,6 % par an au Portugal. En France, les dépenses de pauvreté et d’exclusion sociale avaient augmenté à partir de 2013, avec le plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale qui conduit à l’augmentation du montant et du nombre de bénéficiaires du RSA. C’est aussi la mise en place de la prime d’activité en 2016, réévaluée en 2019. En Allemagne, ces prestations s’élèvent fortement (+28 % par an en moyenne entre 2010 et 2016), cela intervient après l’arrêt de 2010 de la Cour constitutionnelle fédérale relatif à la situation des enfants vivant dans des foyers dépendants du revenu minimum garanti allemand. À la suite de la réforme Hartz IV, un débat a émergé sur la pauvreté des familles bénéficiaires. En 2015 l’Allemagne a accueilli un grand nombre de réfugiés en provenance de Syrie, faisant croître les dépenses de pauvreté et d’exclusion sociale. Mais dès 2016 et jusqu’à 2019 le durcissement du droit d’asile et l’instauration de l’Asylpaket I ont mis un coup d’arrêt à cette croissance (-17 % par an), même s’il y a une augmentation moyenne de 11,0 % sur la période 2010- 2019. Les demandeurs d’asile ne reçoivent plus d’aides en espèces, mais leurs besoins de base sont désormais couverts par des prestations en nature (biens de consommation, biens durables). Au Danemark, les dépenses de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale ont augmenté de 3,4 % par an en moyenne de 2010 à 2019, avec une forte hausse entre 2010 et 2014 (+7 % par an), suivie d’une stagnation entre 2014 et 2019 (+1 % par an). Ce changement traduit la mutation, depuis 2014, du système de revenu minimum garanti danois qui différencie dorénavant les catégories de bénéficiaires selon l’âge et la constitution du foyer, en octroyant notamment un minimum social inférieur au minimum concernant les jeunes de moins de 30 ans.

La crise du Covid-19 a largement contribué à l’augmentation des prestations de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. En 2020, la plupart des pays ont augmenté le montant des prestations, versé des aides exceptionnelles, assoupli les conditions d’accès aux aides sociales ou proposé des mesures spécifiques à destination des jeunes. En 2021, la croissance des prestations perdure, du fait notamment de la mise en place des premières mesures pour faire face à l’inflation.

 En Italie, la forte croissance de ces prestations (+33,3 % en 2020 et +23,8 % en 2021) est lié à la mise en place en 2020, pendant la pandémie, du revenu d’urgence (REM), une aide exceptionnelle qui venait compléter le reddito di cittadinanza mis en œuvre en 2019. Pour le REM, les conditions d’éligibilité ont été largement assouplies en 2020 et le montant moyen perçu a augmenté pour faire face à la crise. Depuis 2020, l’Osservatorio sul Reddito e Pensione di Cittadinanza de l’Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS) a mesuré une augmentation significative du nombre de bénéficiaires : près de 700 000 ménages et 1,2 million d’individus entre 2019 et 2021. Ils percevaient, en 2021, un montant moyen de 582 euros mensuels (INPS, 2022).

En Espagne, il existait des revenus minimum au sein de communautés autonomes mais très limités. Depuis juin 2020, un régime national de revenu minimum vital (ingreso minimum vital) a été mis en œuvre pour la première fois. Le montant de celui-ci varie de 462 euros à 1 015 euros par mois selon la composition du foyer Sa montée en charge accélérée par le Covid-19, a accru de 44,1 % le montant des prestations liées à la pauvreté et l’exclusion sociale en 2021.

En France la croissance des prestations du risque pauvreté-exclusion sociale est de +13,2 % en 2020 et +6,8 % en 2021, alors que de 2010 à 2019, elles avaient augmenté en moyenne de 5 % par an. La forte croissance des prestations en 2020 s’explique par la mise en œuvre de l’aide exceptionnelle de solidarité pour aider les familles les plus modestes, bénéficiaires de certains minima sociaux et les travailleurs de moins de 25 ans touchant l’aide personnalisée au logement [APL). Cette aide a été versée en mai et en juin 2020 puis en novembre 2020. Le Portugal, à l’instar de nombreux pays (y compris la France) a prolongé automatiquement le versement du revenu social d’insertion. De nombreux gouvernements européens ont également mis en place des aides ciblées à destination des jeunes ou ont élargi aux jeunes les mesures d’aides au revenu.

Quelques pays voient toutefois le montant des prestations du risque pauvreté-exclusion sociale reculer en 2020, voire en 2021 : Croatie, Hongrie, Irlande, Estonie, Suède et Allemagne. Dans ce pays, la diminution de 15 % des prestations du risque pauvreté-exclusion sociale s’explique en partie par un reclassement du minimum vieillesse (préalablement classé dans le risque pauvreté-exclusion sociale) vers le risque vieillesse. Il faut noter que l’Allemagne n’a pas aidé particulièrement les populations les plus en difficulté pendant la crise et notamment les minijobbers.

Contre l’inflation, de nombreux pays accompagnent financièrement les ménages les plus vulnérables dès la fin 2021. La croissance des prestations du risque pauvreté-exclusion socialeen France, est de 6,8 %, notamment l’indemnité inflation avec le bonus exceptionnel de 100 euros du chèque énergie versée fin 2021à tous ceux dont le revenu est inférieur à 2 000 euros net par mois. La quasi-totalité des pays européens ont mis en place des mesures pour les ménages modestes et des aides pour lutter contre l’inflation, mais beaucoup d’entre eux seulement en 2022, contrairement à la France et la Belgique. En Espagne, les personnes en situation de chômage, les salariés et les indépendants ayant perçu moins de14 000 euros bruts en 2021 et détenant moins de 43 196 euros de patrimoine ont reçu, l’été 2022, un chèque anti-inflation de 200 euros (Agencia tributaria). En Allemagne, des mesures ont été mises en place à partir de janvier 2022 et notamment des primes pour les ménages les plus vulnérables afin de financer leurs factures énergétiques. Le Danemark a créé, en février 2022, un chèque chaleur (« heat cheque ») de 800 euros à destination des 320 000 ménages les plus touchés par l’augmentation de leurs factures d’énergie

Près de 80 % des prestations du risque pauvreté-exclusion sociale sont versées en espèces dans l’UE, 96 % des prestations en Irlande, 92 % aux Pays Bas, 89 % en Estonie, 81 % en France, 70 % en Allemagne. Ce risque comprend des revenus minimums d’assistance, des services et biens de première nécessité, des services d’hébergement et de réadaptation des personnes, etc. Les pays du nord de l’Europe et les nouveaux membres (NM-13) proposent une large part de prestations en nature : 59 % en Suède où des aides peuvent être accordées en remboursement de dépenses d’électricité ou de transports, 50 % en Finlande et 53 % en moyenne dans les NM-13. Plus des 2/3 des prestations en espèces sont versés sous conditions de ressources. Des aides aux personnes vulnérables pour les aider à surmonter leurs difficultés, sont aussi versées par des institutions privées sans but lucratif, avec une tendance à la diminution de la part des aides sociales versées en espèces. En Allemagne, les modifications des politiques d’accueil des migrants expliquent en partie l’évolution. En Italie, au contraire, l’instauration du revenu minimum national a contribué à l’augmentation de la part des aides versées en espèces (de 35 % en 2010 à 88 % en 2020).

Références

1.Chardon-Boucaud, S. (2022). Les réponses des systèmes de protection sociale européens à la crise sanitaire. In Marc, C et alii. (2022), La protection sociale en France et en Europe en 2021. DREES, Panoramas de la DREES-social.

2 .Collombet,C et alii, Les minima sociaux au sein de l’UE, déc 2020, CNAF.

3.OCDE (2021). Quelles mesures ont été adoptées par les pays pour aider les jeunes face à la crise du Covid19 ?

4.Sgaravatti G et alii, 2022, National fiscal policy responses to the energy crisis.